🕸️CHAPITRE 31🕸️

Assis l'un en face de l'autre, Margarette et Ethan observaient l'étrange bout de papier trônant devant eux sur la table. Une lettre. Une lettre arrivée plus tôt dans la matinée et sur laquelle il y avait marqué leurs deux noms respectifs. Par conséquent, elle ne pouvait venir que de l'une de leurs deux familles.

— Ouvrez-la, finit Ethan en restant dubitatif devant l'enveloppe.

— Pourquoi serait-ce à moi de l'ouvrir ? Il y a votre nom autant que le mien, releva Margarette.

— Oui, mais votre nom y est mentionné en premier. Donc, cela ne peut provenir que de votre côté.

— Et qu'est-ce qui vous fait penser cela ?

— La bienséance voudrait que l'on mentionne le nom de l'homme en premier. Vous le savez aussi bien que moi.

— C'est ridicule. Vous êtes ridicule, mais comme je suis visiblement la seule adulte de la pièce...

— Vous connaissez l'adage : les femmes d'abord, insista le jeune homme.

— Très bien !

Ethan venait de marquer un point. Encore. À croire qu'avoir raison était devenu une seconde nature chez cet homme. Au plus grand désespoir de Margarette laissant échapper un soupir, elle prit la lettre entre ses mains et hésita une fraction de seconde avant de l'ouvrir et d'en découvrir le contenu, laissant apparaître une figure apeurée sur son visage.

— Alors ? Que dit-elle ? s'inquiéta Ethan, prêt à bondir de sa chaise.

— Pour le dire poliment : nous allons avoir des ennuis. De gros ennuis.

— Pourquoi cela ? Que dites-vous ?

— Lisez par vous-même.

Lui tendant la lettre et prenant quelques minutes à peine pour lire à son tour ce qui y était écrit, Ethan laissa, lui, échapper une injure.

— Est-ce que... Je veux dire... Vraiment ? bafouilla le jeune homme.

— Je ne vois pas ce qui pourrait ne pas être clair. Vous avez lu la même chose que moi.

— Qu'allons-nous faire ? paniqua-t-il.

Il n'y avait pas trente-six mille façons d'éviter la vague qui allait prochainement s'abattre sur eux. À dire vrai, Margarette ne fut même pas étonnée de recevoir une telle lettre, ayant brûlé la précédente sans même avoir pris le temps de la lire. Elle ne voulait plus avoir affaire à sa famille et elle commençait tout juste à apprécier cette nouvelle autonomie et indépendance récemment acquises. Néanmoins, la jeune femme savait que les moments de paix comme celui qu'elle vivait ne duraient jamais. Ou jamais bien longtemps.

Ce qui l'inquiétait, en revanche, fut la réaction d'Ethan, qui semblait voir cette nouvelle comme le drame du siècle.

Nous ? souligna la jeune femme avec une pointe d'amusement.

— Nos deux familles respectives viennent dans le but de savoir si nous nous sommes mariés.

— J'ai lu la même lettre que vous. Je connais les motivations de leur visite.

— Et cela ne vous inquiète pas ?

— Pourquoi cela devrait-il m'inquiéter ? releva-t-elle.

— Nous ne sommes pas... mariés.

Le fait de souligner une évidence n'allait en rien les aider, mais contrairement à Ethan, Margarette paraissait prendre cette affaire avec beaucoup plus de légèreté. Elle avait toujours été à contre-courant. Désobéissante. Rebelle. Elle avait toujours été la petite chose étrange trônant dans l'arbre généalogique de la grande et prestigieuse famille des Heelz et en soi... Rien n'avait changé depuis son exil. Elle savait déjà que quelqu'un finirait par la pointer du doigt en lui rappelant à quel point elle était une charge et une honte pour le nom qu'elle portait. Mais ça ne l'effrayait pas. Bien au contraire.

Aujourd'hui plus que jamais et notamment depuis la mort de James, Margarette était prête à les recevoir comme il se devait. Elle était partie si rapidement après avoir eu l'acte de propriété du manoir, que la jeune femme en avait oublié de régler certains comptes avant le grand départ.

Enfin, le destin lui offrait cela sur un plateau.

— Ethan, respirez. Sommes-nous pas deux adultes indépendants ? Tout ce que nous avons à faire est de nous montrer honnêtes.

— Cela semble facile pour vous, indiqua le jeune homme en levant les yeux au ciel.

— Pourquoi ? Cela ne l'est-il pas pour vous ? De quoi avez-vous peur ? Que votre père vous frappe avec son ceinturon et que votre mère vous rappelle quelle disgrâce vous êtes ? Il me paraissait pourtant clair et net que vous étiez déjà conscient de cela. Dans le cas contraire, vous n'auriez pas accepté ce stupide arrangement pour commencer.

— Vous savez que j'avais besoin de ce « stupide arrangement », Margarette. C'était mon excuse.

— Oh. Oh, je vois.

À présent, Ethan était à court d'excuses.

— Dites-leur simplement que vous désirez rester, dans ce cas. Et n'allez pas me faire croire que c'est difficile à dire avec toute la scène que vous m'avez faite tout à l'heure ! Haut les cœurs, Ethan ! Vous êtes capable de vous prendre en main quand même.

Toutefois, Margarette se doutait qu'il n'y avait pas que cette soudaine visite qui mettait le jeune homme dans tous ses états. Il devait y avoir autre chose, forcément. Connaissant Ethan, il y avait forcément autre chose, car il avait pour passion et habitude de ne pas dire toute la vérité du premier coup. Mais pouvait-elle lui en vouloir étant donné qu'elle fonctionnait sur le même principe ?

— En outre, nous allons avoir un autre problème beaucoup plus important qu'expliquer à nos familles que nous sommes juste deux âmes vivant sous le même toit, fit le jeune homme.

— Et qu'est-ce donc ?

— Ce même toit nous tombe littéralement sur la tête. Cet endroit est... En ruine.

— Eh ! Je ne vous permets pas d'insulter... ma demeure, déclara Margarette en le menaçant d'un index levé.

— Osez prétendre le contraire.

Il fallait avouer qu'il y avait quelques fuites causant d'importants dégâts d'humidité ici et là, que la charpente était très certainement rongée par des termites affamés et mise à part quelques pièces dans lesquelles elle se rendait souvent, Margarette n'avait fait aucun effort particulier pour rénover le reste de la demeure. Bien au contraire. Tout y avait été laissé en l'état. S'aventurer dans l'aile gauche ou bien emprunter un certain escalier relevait plus d'un pari fou avec la grande faucheuse plutôt que d'un geste banal.

— Quelqu'un finira par passer à travers le parquet ou bien de mourir du tétanos, fit remarquer Ethan en la regardant, Le fait que nous soyons encore tous les deux en vie et en pleine forme, ou presque, relève déjà du miracle selon moi.

— Qu'est-ce que vous proposez ?

Posant la lettre sur la table, Ethan eut un regard que Margarette ne connaissait que trop bien. Un regard et un tout petit sourire en coin. Un regard et une requête silencieuse. Pire qu'une requête : une idée.

— Nous avons un mois, non ? Nous allons retaper cet endroit. Du sol au plafond, déclara-t-il.

— C'est de la folie.

— Peut-être, mais n'est-ce pas ce que nous sommes justement ? Fous.

La jeune femme n'était pas certaine d'aimer ce genre de folie qui ne lui promettait qu'échardes, ampoules et cloques en tout genre. Cependant, l'idée d'avoir à ses côtés un Ethan aux manches relevées et transpirant fut un tableau plaisant.

— Sachez-le, je vous déteste déjà.

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