🕸️CHAPITRE 29🕸️
À l'exemple des saisons changeantes et de l'hiver s'étant confortablement installé, tapissant de blanc l'ensemble de la ville de Tonelli et la plongeant dans un calme plat, le manoir de Castelroc connaissait lui aussi une période plus douce et ce n'était pas pour déplaire aux trois habitants de celui-ci.
Étrangement, Margarette Heelz avait repris ses habitudes de côtoyer sa bibliothèque, passant ses journées à engouffrer tous les livres sur l'occulte lui passant sous la main. Elle n'en avait que très peu, mais elle n'avait pas abandonné sa quête de réponses et son besoin incessant de comprendre. De comprendre ce qu'il s'était passé ce dernier mois. De comprendre si tout ceci n'était qu'un rêve ou si l'adage « le calme avant la tempête » allait prendre tout son sens prochainement. Pour ce qui était du deuxième occupant des lieux, Ethan Gainsbourg, celui-ci errait ici et là, entre les murs de la demeure. Reprenant là où Margarette s'était elle-même arrêtée, Ethan s'était juré d'explorer cet endroit qui, pour lui, devait forcément receler de secrets.
Le temps de la course était révolu et depuis toute cette folle histoire, Margarette et Ethan s'en tenaient à des rapports strictement cordiaux et quasiment professionnels. On aurait pu aisément croire que de tels évènements puissent rapprocher deux êtres, mais il y avait quelque chose qui continuait, encore et toujours, à les maintenir à bonne distance l'un de l'autre : cette étrange sensation de mal-être. Ils ne pouvaient pas la chasser, ni ne pouvaient s'en défaire.
— Il n'est pas mort, souligna Béatrice en voyant Ethan passer dans le couloir.
— Étonnant, n'est-ce pas ? Ou alors, il fait partie des nombreux fantômes abritant les lieux. Qui sait ?
— Ce n'est pas drôle.
— Depuis quand, Béatrice, me connais-tu pour mon humour ? fit Margarette sarcastiquement.
Cette dernière ne préféra pas répondre et continua de s'affairer autour de Margarette qui replongea dans sa lecture du moment.
— Vous ne vouliez pas... ? relança la domestique en faisant mine de poursuivre sa tâche.
— Béatrice, me prendrais-tu pour une sorte de monstre ?
Évidemment, jouer la carte de la faussement choquée n'allait pas à Margarette, mais Béatrice n'allait très certainement pas argumenter sur cela. Voyant que sa domestique fronçait des sourcils, Margarette referma violemment son livre et se leva.
— Oui, il est vivant. Et non, je n'ai pas prévu d'être une sorte de psychopathe m'attaquant au premier venu. Oui, je suis allé au puits se trouvant au fond du jardin. Non, il ne s'est rien passé, car la vérité est que toute cette histoire est montée à la tête de tout le monde, annonça la jeune femme, Maintenant, j'apprécierai grandement que l'on cesse de m'importuner avec tout ceci et que la maison regagne le calme légendaire dans lequel je l'ai trouvée la première fois que j'ai franchi ces portes.
Pourtant, on ne peut pas dire que l'idée, bien que séduisante, ne lui avait pas maintes fois traversé l'esprit. Ethan était une sorte d'énigme qu'elle n'arrivait ni à comprendre, ni à résoudre et qu'elle s'apprêtait à abandonner. Même si « abandonner » n'était pas un terme avec lequel la jeune femme était familière.
— Et donc ? relança Béatrice piquée de curiosité, Qu'allez-vous faire maintenant ? Je doute que lire jusqu'à la fin de vos jours soit une réponse.
— Pourquoi pas ? Les livres sont de meilleurs amis que les humains constamment décevants. Qu'y aurait-il de mal à cela ? Ce n'est pas comme si l'on attendait quelque chose de moi.
Après tout, et depuis la fin de cette étrange et bizarre histoire, Margarette avait su trouver une forme de paix intérieure. Il n'y avait ni voix. Ni murmures dans la nuit. Rien. Juste... Le silence absolu.
— Mais allez-vous continuer à cohabiter avec... lui ? demanda Béatrice en faisant plusieurs signes de tête à l'encontre de la silhouette d'Ethan qui venait de passer plus tôt.
— Que voudrais-tu que je fasse ? Que je le chasse ? Que je lui dise : merci d'être venu jusqu'ici, à présent vous pouvez rentrer chez vous maintenant que nous avons tiré toute cette histoire au clair ?
— N'est-ce pas ce que vous étiez déterminée à faire avant même qu'il ne mette pied à terre ?
— Béatrice, je te trouve particulièrement loquace aujourd'hui, grinça Margarette en lui faisant les gros yeux, Y'aurait-il une raison particulière ? Oh. Oh, je vois. Mais bien-sûr ! Je trouvais cela bien trop surprenant pour ne pas dire étonnant. Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ?
Margarette sortie d'un pas pressé du bureau et fouilla chaque pièce du manoir à la recherche du principal concerné par cette conversation. Connaissant Béatrice, la vieille femme n'aurait jamais trouvé le courage de l'interroger d'une telle manière si elle n'avait pas été motivée par une quelconque raison. Et la raison, forcément, lui fut insufflée par une sorte de génie machiavélique préférant utiliser une vieille dame plutôt que de faire face lui-même.
Est-ce que Margarette pouvait lui en vouloir ? Certainement pas. À chacune de leurs conversations, elle l'avait menacé d'une quelconque façon et la dernière fois, la jeune femme lui avait causé une commotion. On ne peut pas dire que converser soit leur fort.
Finalement, Margarette finit par trouver Ethan, allongé de tout son long, tel un romain, sur le divan du salon, bras croisés derrière la tête, fixant le plafond et ses trop nombreuses tâches de moisissures.
— Le toupet que vous avez ! fit-elle en bondissant dans la pièce.
Ce dernier eut un sourire amusé, mais ne prit guère la peine de se relever en la voyant arriver. Si les entrées discrètes étaient sa signature, Margarette adorait adopter l'attitude d'un boulet de canon.
— Me voilà donc démasqué, soupira-t-il, Alors ? Êtes-vous venue m'annoncer que vous me mettiez à la porte ?
— Après avoir usé de ma propre femme à tout faire contre moi, je devrais sérieusement envisager la question.
— Ce n'est donc pas un « oui » ?
— Je n'en reviens pas que cela soit votre préoccupation première après tout ce que nous venons de vivre. Il y a encore quelques mois de cela, vous étiez presque à forcer votre présence en me susurrant dans l'oreille que je me ferai à vous et là, vous attendez que je vous mette dehors ? Où est la logique dans votre démarche ?
— Et si je vous disais qu'il n'y en a aucune ? Après tout, j'ai bien peur qu'un récent méchant coup à la tête ne m'ait fait perdre mes capacités intellectuelles. Je ne suis, hélas, plus l'homme que j'étais, plaisanta le jeune homme.
— Je dois bien admettre que vous êtes un homme difficile à suivre, Ethan. Rien ne vous retient ici.
— En êtes-vous certaine ? fit-il en se relevant et en la rejoignant en quelques enjambées alors.
C'était bien la première fois qu'elle le laissait s'approcher ainsi. Il y a encore quelques semaines, elle aurait probablement tout fait pour maintenir ses distances ou pour lui faire comprendre que rien n'y ferait. Pour son plus grand plaisir, Ethan comparait souvent Margarette à une sorte de chat sauvage : tendez la main et elle vous griffera, mais attendez qu'elle vienne vers vous et là... Peut-être que... Oui, peut-être que.
— C'est amusant. Vous ne bougez pas, lui fit-il remarquer.
— Et pourquoi bougerais-je ? pesta la jeune femme.
— Je ne sais pas. Vous agissez ainsi habituellement. Vous vous éloignez dès que je m'approche. Cela a toujours été une sorte de danse entre nous, je fais un pas vers vous, vous faites un pas en arrière. Systématiquement. Mais pas là. C'est vraiment curieux.
Curieux, en effet.
Cette fois-ci, et assurément sous le coup des réflexions qui venaient de lui être remontées, ce fut au tour de Margarette que de sourire.
— Vous et moi savons que notre relation se définit comme ceci : une touche de bluff et un soupçon de charme. Maintenant que je le sais, je n'ai aucune raison de reculer.
— Et moi qui pensais naïvement que je continuerais à vous impressionner, reprit le jeune homme.
— Il n'y a rien d'impressionnant chez vous, Ethan, si ce n'est votre capacité incroyable à manipuler ma femme de ménage, lui reprocha Margarette.
— Allez-vous m'en vouloir longtemps ? Après tout, je n'ai fait que suivre un conseil vieux comme le monde : j'ai tenté ma chance.
— Ethan, Ethan, Ethan, que vais-je donc faire de vous ?
Une fois encore, le jeune homme fit un pas en avant et réduisit d'autant plus la distance qu'il y avait entre eux.
— Ce que bon vous semble, ma chère. Faites ce que vous voulez de moi, je suis là et je n'attends que ça. Je n'attends que vous.
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