🕸️CHAPITRE 27🕸️
— Alors comment appelleriez-vous cela ?
Margarette savait qu'Ethan avait raison. Encore une fois. La jeune femme ne comptait plus à présent le nombre de fois où celui-ci avait mis dans le mille la concernant et bien que cela avait eu tendance à l'irriter au plus haut point, aujourd'hui elle ne semblait pas s'en formaliser, bien au contraire.
— Très bien. Puisque qu'il en est ainsi...
Elle qui s'était inconsciemment calée devant la porte, bloquant ainsi la seule entrée comme la seule sortie de la pièce, partit se mettre de l'autre côté de la chambre, à l'opposé de tout.
— Allez-y. Partez. Comme vous me l'avez si bien dit il n'y a pas si longtemps... Il n'y aura probablement pas d'autres opportunités, lui dit-elle en levant les bras comme si elle se rendait.
— J'ai récemment découvert que votre grande passion consiste à surprendre les gens par derrière... Qui me dit que...
— Ne soyez pas ridicule, je ne suis pas armée. Que pourrais-je bien vous lancer ?
— Je me rappelle une fois où vous m'avez menacé avec une lampe de chevet, lui lança le jeune homme dans un sourire moqueur.
C'est vrai. Dans l'auberge.
— Êtes-vous dans une quelconque obligation de vous montrer désobligeant en vous souvenant du moindre petit détail ? pesta la jeune femme piquée.
— Quand il s'agit de ma survie ? Oui. Excusez-moi de vouloir vivre quelques années de plus.
Margarette finit par lui décrocher un sourire. Tout ceci était ridicule. La situation dans laquelle ils se trouvaient. Ses choix d'autant plus étranges et irrationnels les uns que les autres et surtout cette volonté de vouloir demeurer cachée. À l'abri. Que craignait-elle au fond ? Que toute la ville se retrouve ce soir devant les grilles de sa propriété en brandissant des torches et des fourches ? Les sorcières n'étaient rien de plus, rien de moins qu'un mythe inventé par les hommes pour justifier leur impuissance face aux femmes. Ces dernières décennies, ils s'étaient montrés particulièrement inventifs dans le fait de se créer des « excuses » et personne ne les avait jamais punis, alors pourquoi Margarette ne pourrait-elle pas, elle aussi, avoir une excuse à son geste ? Elle n'avait fait que mettre fin à son propre calvaire. Elle s'était trouvé une façon de se défendre, seule, sans devoir requérir l'aide de quiconque, car elle s'en était retrouvée désolée de toujours devoir compter sur autrui.
"C'était lui ou moi". Il n'y avait rien de plus simple à cela.
Et tout comme Ethan venait de lui faire comprendre, elle s'était choisie elle-même. Elle aussi était désireuse de vivre quelques années de plus.
— Allez-y. Partez, insista-t-elle auprès d'Ethan plus qu'hésitant.
Il attendit patiemment comme s'il comptait dans sa tête. Il attendit d'être certain qu'elle ne bougerait pas, qu'elle ne lui ferait rien et, étonnement, Margarette ne sourcilla même pas lorsqu'elle le vit prendre la poudre d'escampette. Pour un homme encore convalescent, Ethan Gainsbourg tenait la grande forme. Elle entendit la porte de la chambre se claquer sur son passage et elle l'entendit dévaler le couloir à vive allure, bien qu'elle ne comprenne pas pourquoi il courait. Pour s'éloigner d'elle ? Probablement. Pour fuir cet endroit ? Certainement.
Une fois qu'elle fut certaine qu'Ethan fut parti, Margarette décompressa et soupira, expirant tout l'air qu'elle retenait en sa présence.
— Tout ceci est ridicule... souffla la jeune femme, seule dans la petite pièce.
Elle sortit de la chambre à son tour et trouva Béatrice dans le couloir qui visiblement n'avait rien fait pour retenir leur invité.
— Mon manteau ?
— Tenez, Madame.
La domestique lui tendit sa cape préférée, puis, chaussant ses bottes, Margarette prit la direction des jardins. Ethan n'avait pas fui jusqu'en ville, non. Impossible. Un homme qui avait traversé la moitié du monde pour se perdre dans une ville aussi grotesque et misérable que celle-ci n'allait très certainement pas renoncer à ce pourquoi il était venu : le puits.
Ethan était venu pour formuler un souhait.
Il était venu réparer une erreur.
Donc, oui, Margarette savait pertinemment où retrouver le jeune homme et ce fut sans surprise qu'elle le trouva de nouveau au bord du puits. Hésitant, comme la dernière fois. Attendant, comme la dernière fois. Sous le bruit des branches craquantes, il releva le regard et la vit se tenir à proximité, mais cette fois, la jeune femme tenait la distance.
— Comment avez-vous su où je serai ? lui demanda-t-il.
— Je ne prétends pas connaître votre vie, Ethan, ni même l'homme que vous êtes, mais de ce que j'ai vu ces derniers mois, vous êtes particulièrement borné quand vous avez une idée en tête. Vous n'avez pas tout risqué en vous engageant dans une relation maritale juste pour tout abandonner à la dernière minute.
— Vous saviez que je viendrais ici... Vous saviez que j'essaierais, fit Ethan presque résigné en comprenant que Margarette avait alors un coup d'avance sur lui.
— Tout comme je sais, à présent, que vous ne ferez rien, lança-t-elle fermement.
— Dites-vous cela pour tester ma détermination ? Vous l'avez dit vous-même, je n'ai pas fait tout ce chemin pour...
— Vous n'en ferez rien tant que je serai dans votre champ de vision. Seul, vous tenteriez très certainement votre chance, mais vous avez développé une étrange forme de sympathie et de bienveillance à mon égard... Par conséquent, ma simple vision vous fait hésiter.
— Prétendez-vous que je suis quoi ? Amoureux de vous ? releva-t-il avec une pointe d'indignation dans sa question.
— Non. Ai-je dit que c'était de l'amour ? Je ne crois pas. Mais vous vous êtes attaché à moi. Étant donné que nous en sommes à nous rappeler notre passé commun et de tout ce que nous nous sommes dit, vous m'avez dit un jour que je finirai par me faire à votre présence.
Ethan ricanait dans son coin. Il se souvenait en effet de cette phrase et de ce qu'elle lui avait répondu. Elle l'avait alors comparé à un chien. Ce n'était pas très gentil, mais Margarette Heelz était bien des choses et gentille n'en faisait pas partie.
— Je me suis donc fait avoir à mon propre jeu, c'est cela ? fit-il en s'éloignant du puits.
Mais la jeune femme ne lui répondit que par un hochement de la tête et des épaules, comme s'il n'appartenait qu'à lui de trouver la réponse à cette question.
— Voilà votre erreur. La première que vous ayez commise et qui se retourne aujourd'hui contre vous, Ethan : vous pensiez jouer. Trouver le puits fut d'abord comparable à une chasse aux trésors, avec toute l'exaltation que ceci suscitait. Vous avez mordu à l'hameçon d'une vieille fable. Ensuite, vous m'avez trouvé et pour rajouter du piment, vous aviez prévu et même pensé que vous pouviez créer une sorte de romance entre nous. Malheureusement, vous êtes le seul à vous être personnellement impliqué dans tout ceci. Maintenant, vous payez le prix.
— Vous semblez étrangement calme face à un tel dénouement. Mais je présume que tout ceci était prévisible pour vous, n'est-ce pas ? Après tout, vous êtes Margarette Heelz... Une jeune femme si intelligente que tromper le monde est un jeu d'enfants pour vous.
— Vous surestimez grandement mon intellect qui n'a rien à voir dans tout ceci. Je vous confronte juste à vos propres choix désastreux, veillez donc à ne pas me rejeter la faute. Je n'ai jamais demandé à être mêlée à tout ceci et j'étais ici la première... Tout ce que je veux, c'est la paix. La tranquillité d'esprit. Mais vous avez perturbé absolument tout ce que j'avais prévu.
— C'est pour cela que vous m'avez laissé pour mort ?
Margarette ne s'attendait pas à cette question, bien qu'elle l'espérât. Ethan avait subi un coup franc sur la tête et ne paraissait pas souffrir de troubles de la mémoire. Dommage. Cela lui aurait évité bien d'autres désagréments.
— Ne soyez pas ridicule, soupira la jeune femme lassée de se répéter tel un perroquet, Si j'avais voulu votre mort, cela ferait longtemps que ce serait chose faite. Je suis folle, je ne suis pas un monstre. Ne confondez pas tout.
— Vous vous cachez derrière le prétexte de la folie, mais vous ne l'êtes pas.
— Peut-être bien. À dire vrai, j'ai perdu toute notion de ce que je suis ou non. Je me contente de vivre.
— Enfermée dans votre grand manoir ? Si c'est cela « vivre » pour vous, c'est une bien triste vision. Vous ne vous autorisez aucun plaisir. Vous ne sortez pas. Vous ne voulez même pas avoir affaire au monde extérieur, comme si ce dernier vous effrayez...
— Sans doute parce qu'il m'effraie. Tout le monde vit avec une peur irrationnelle implantée en lui, pourquoi cela devrait être différent pour moi ?
— Sûrement parce que vous donnez l'impression de n'avoir peur de rien, si ce n'est de votre propre reflet.
Ils restèrent un moment dans le silence extérieur, se toisant du regard. Cela faisait plusieurs mois que ce petit jeu durait entre eux, cette valse invisible qu'ils menaient où tout semblait tourner autour d'eux. Rien que d'eux.
— Allez-vous faire votre vœu ? demanda la jeune femme en remettant le sujet sur la table.
— Non, lui répondit-il résigné. Je dois bien admettre que sur cette partie... Je me couche face à vous. Vous paraissez avoir une main nettement dominante, contrairement à la mienne.
— Alors qu'allez-vous faire à présent ? Vous n'êtes pas du genre à renoncer aussi facilement, pas après tout le mal que vous vous êtes donné pour en arriver là. Cela semble...
— Idiot ? Irrationnel ? Vous savez, Margarette, outre la diversité des émotions et des sentiments chez les Hommes, il y a autre chose qui nous caractérise : notre capacité à être versatiles et incroyablement changeants, sourit Ethan en se rapprochant d'elle, Et puis, je ne vois pas cela comme une fin en soi.
Pourtant, n'en était-ce pas une ? La fin d'une histoire sens dessus dessous et n'ayant aucun dénouement particulier comme on pourrait s'y attendre ?
— Qu'allez-vous faire dans ce cas ? questionna la jeune femme, sincèrement curieuse de la suite des événements.
— Vous l'avez dit vous-même : J'ai développé une sorte d'attachement pour vous...
— Je vous interdis, s'empressa-t-elle de le couper.
— Je n'ai pas dit que j'allais tomber en amour pour vous. Ne vous méprenez pas.
— Donc quoi ?
Il s'approcha si près que Margarette aurait juré sentir le dos de la main d'Ethan frôler la sienne.
— Je me demande ce que cela fait... Que de devenir fou. Apprenez-moi.
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