🕸️CHAPITRE 22🕸️

La grisaille de ces derniers jours avait laissé place à une purée de pois. Un brouillard si épais qu'il était difficile de distinguer les pins entourant la propriété. Pourtant, par habitude, Margarette savait que ces derniers se trouvaient juste là, tout autour, agissant telle une barrière naturelle pour le manoir. C'était comme si la nature elle-même s'était mise d'accord pour cacher cet endroit afin qu'aucun mortel ne puisse le trouver... À moins bien évidemment de savoir où le chercher.

Cela aurait très certainement fait un excellent début pour un conte de fées, hélas, Margarette était plus habituée aux histoires d'horreur. La jeune femme avait passé ses journées enfermée dans son bureau, relisant chaque coupure de presse de peur d'avoir raté un élément essentiel à l'affaire qu'elle tentait tant bien que mal de résoudre. C'était devenu sa principale préoccupation, allant même jusqu'à interroger la vieille Béatrice.

— Un puits ? Monsieur Ethan m'a posé la même question plus tôt dans la journée.

Ah. Ainsi donc, Ethan Gainsbourg avait un train d'avance. Assurément. Ethan avait pour seule motivation toute sa détermination et il avait pris grand soin d'éviter Margarette comme si celle-ci était détentrice de la peste. Il disparaissait très tôt le matin et rentrait à des heures impossibles le soir. La seule chose qui laissait croire à Margarette qu'Ethan était encore dans les parages fut les claquements de portes et les bruits de pas résonnant dans les couloirs.

Mais depuis l'auberge, plus rien. Pas un mot. Pas un échange de regard. Sans doute l'avait-elle trop blessé ou bien piqué dans sa fierté en lui rappelant qu'il y avait un âge où il fallait arrêté de croire au premier conte venu. Cependant, la voilà elle aussi à la recherche de ce même artefact aux propriétés magiques.

— Que lui as-tu répondu ? s'inquiéta Margarette.

— Qu'il y en avait un au fond du jardin, vers le ruisseau, mais qu'il était difficile d'y accéder avec toutes ces mauvaises herbes et ces branches. Le jardin n'a pas été entretenu depuis tellement d'années.

Ethan devait y être. Oui. Il devait forcément s'y trouver à l'heure actuelle. Il avait une bonne heure d'avance sur Margarette et cela était loin de plaire à la jeune femme. Et s'il l'avait trouvé ? Si la légende disait vrai ? Si les gens avaient raison de croire que... ? Non. Voilà ce que c'était, rien de plus qu'une légende. Un mythe stupide qui a servit à grossir le prix exubérant de cet endroit ne méritant pas un seul sous.

Et pourtant, Margarette y avait mit toutes ses économies. Il ne lui restait plus rien ou très peu. Pas assez pour se reconstruire une vie en tout cas. Pas assez pour tout recommencer encore une fois.

Alors ni une, ni deux, elle chaussea ses bottes, prit son manteau et partie en direction du ruisseau au fond du jardin. Celui-ci était ridiculement grand. Trop grand. Non. Trop profond cela serait plus exacte. Personne ne pouvait entendre ce qu'il se passait dans un endroit aussi éloigné.

Personne ne... Ah. Oui, mais bien-sûr. En voilà une raison.

Personne ne s'inquiéterait de ce qu'il pouvait bien se passer.

Enjambant buissons, fourrées et s'écorchant à plusieurs endroits les genoux, Margarette finit par mettre la main sur une silhouette bien trop familière à son goût : Ethan Gainsbourg. La première fois qu'elle eut posée les yeux sur le jeune homme sur ce quai, Margarette comprit pourquoi Lucie s'était donné la peine de lui écrire une lettre alors qu'elle avait expressément demandé de ne plus s'inquiéter pour elle. Ethan représentait tout ce qui était et pouvait être attirant pour Margarette. Il était séduisant, charmant, mais surtout un brin mystérieux, désireux de garder ses secrets rien que pour lui. Et les secrets, oh oui les secrets, ils avaient toujours eu cet arrière gout sucré tels des bonbons fondant en bouche pour la jeune femme. Elle ne pouvait pas s'empêcher de se demander ce qu'il l'avait motivé à venir jusqu'ici. Ce n'était certainement pas pour elle. Non. Elle était bien trop rude et froide pour attirer un tel parti. Il y avait autre chose. Forcément.

Mais c'est en grattant progressivement la coquille que Margarette finit par obtenir satisfaction. Une réponse ou tout du moins un semblant de réponse.

— Vous avez passé un mois et demi à redoubler d'efforts pour au final vous dégonfler à la dernière minute ? l'interrogea la jeune femme en s'approchant.

Cette fois, ce fut au tour du jeune homme que de sursauter. Pourtant, elle avait fait un tel raffut avant d'arriver, que celui-ci devait sérieusement être perdu dans ses propres pensées pour ne pas l'avoir entendu et encore moins remarquée.

— Vous êtes vous donné la peine de venir jusqu'ici afin de vous moquer ? demanda Ethan en se retournant vers elle.

— C'est mal me connaître. Vous savez que je ne dépense pas autant d'efforts pour autrui.

— Alors que faites vous ici ? lui grogna-t-il dessus.

— N'est-ce pas plutôt une question que je devrais poser ?

Ethan resta muet et se contenta de la regarder. Il avait cette fâcheuse habitude que de la regarder comme si elle était la dernière femme sur terre. Il y avait de l'admiration, de la tendresse, mais aussi quelque chose de sombre, de beaucoup plus sombre, dans ses yeux. Quelque chose que Margarette n'avait jamais su identifier ni même comprendre.

— Comptez-vous mettre la matinée à formuler un voeu ? J'ai froid et j'apprécierais grandement une tasse de café bien chaude, relança la jeune femme à son intention.

— Comptez-vous rester là et me regarder faire ?

— Peut-être devrais-je me retourner ? Cela vous conviendrait-il ?

— Disons que je ne suis pas à l'aise avec le fait d'être fixer du regard.

— Je ne vous "fixe" pas du regard, Ethan. J'observe. J'ai un goût prononcé pour les expériences, j'aimerai simplement voir si la vôtre est...concluante.

— Et si elle ne l'est pas ?

— J'aurai de quoi rire jusqu'au noël prochain.

— Donc vous avouez être venue jusqu'ici afin de rire de moi, fit Ethan dans une moue.

Margarette soupira, haussa des épaules, pencha légèrement la tête tantôt à droite puis à gauche et lui accorda silencieusement ce fait. Elle n'était pas vraiment venue pour se moquer de lui, mais elle était plutôt venue voir si oui ou non, elle avait un puits à souhait au fond de sa propriété.

— Qu'allez-vous faire une fois que votre voeu se réalisera ? fit Margarette curieuse.

— J'admets ne pas avoir encore réfléchis jusque-là, admit-il.

— Êtes-vous un idiot fini ?

— Je préfère le terme "spontané" qu'idiot. Tout le monde n'est pas dans l'obligation de faire constamment de grands plans et de grands dessins comme vous le faites, Margarette.

— Cela évite la déception que de s'y préparer, répondit Margarette d'un ton détaché.

— Mais vous passez à côté de tellement d'autres choses si vous ne vous attendez qu'à être déçue.

— Allez vous encore me donner une autre de vos belles et grandes leçons de vie ou allez vous faire votre fichu voeu afin que nous puissions rentrer ?

L'impatience se faisait ressentir. Et si Ethan réussissait ? S'il y avait vraiment là, entre eux, un puits magique ? Un qui puisse accorder n'importe quel souhait ? Un que l'on ne retrouve que dans les contes de fées ? Pourquoi cet honneur lui reviendrait-il ? Parce qu'il a été le premier à le trouver ? Non. Théoriquement, le puits est et a toujours été à Margarette. Il était sien au moment même où elle avait signé ce fichu beau de papier qu'était l'acte notarié. Allait-elle réellement laissé un autre lui voler cette chance ?

Alors qu'Ethan s'approcha du rebord en pierre du puits, le vent se leva soudainement et les branches des pins s'agitèrent autour d'eux. Encore une journée où la météo ne serait guère de leur côté.

"Non !"

Un écho se fit entendre à travers les arbres et les sapins. Une voix ? Non. Ce n'était probablement que le sifflant du vent à travers la montagne.

"Non !"

Qu'était-ce ?

Alors qu'Ethan, planté comme un piquet, mains jointes, penché légèrement au-dessus du puits, s'apprêtait à formuler sa requête, un frisson glacial parcourut l'échine de Margarette n'ayant de cesse que d'observer la scène.

"Empêche-le."

À sa droite, dans la brume épaisse les entourant, une silhouette se dessina. Une autre qu'elle ne connaissait que trop bien. Une autre qu'elle avait d'ores et déjà aperçue au sein même du manoir. À l'époque, elle avait pris cela pour une hallucination. Un excès de fatigue. Une illusion due à sa propre folie.

Dans ce cas, comment expliquer cette apparition-là ? Celle d'Heather. La jeune femme du portrait déchiré.

"Non, il ne faut pas !"

Sa voix stridente n'était qu'audible que pour Margarette qui la voyait fixer Ethan avec tout le désespoir et le désarroi du monde. Pourquoi ? Pourquoi lui ? Que faisait-il de... Ah. Le puits.

Sans comprendre le comment du pourquoi, Margarette se précipita et à peine ses lèvres s'entrouvrirent qu'elle plaque le jeune homme à même le sol dans la boue et les feuilles humides.

— Qu'est-ce que vous faites ? râla-t-il en se débattant afin de se libérer de son emprise.

— Non,il ne faut pas ! s'écria la jeune femme en resserant ses bras autour de sa taille.

C'était ce qu'elle avait dit. Mot pour mot. A l'identique.

C'était ce qu'elle avait dit, comme si, le temps d'une seconde à peine, Margarette fut habitée par son esprit.

— Êtes-vous devenue ma folle ma parole ? Mais lâchez-moi ! Arrêtez donc votre comédie !

Puis, revenant à la réalité, la jeune femme réalisa ce qu'elle venait de faire. Ce qu'elle avait dit. A présent, il n'y avait que ses grands yeux mécontents, la dévisageant gravement.

— C'est donc de cela dont il est réellement question, n'est-ce pas ? fit Ethan dans un râle, Vous n'êtes pas venu vous moquer, non. C'est un comportement bien trop bas pour une dame telle que vous ! Vous êtes juste venue m'enlever la seule et unique lueur d'espoir qu'il me restait. Vous êtes venue me retirer ceci afin que je sois malheureux moi aussi. Je vous savais bien des choses, Margarette Heelz, mais vil et perfide n'en faisait définitivement pas partie.

Réussissant à se dégager de la jeune femme sans trop de difficultés, Ethan se releva et tapotant ses vêtements afin d'en retirer toutes les feuilles mortes collées sur ces derniers.

— Maintenant excusez-moi, mais j'ai un voeu à formuler !

Il n'y avait aucune raison, ni aucune justification qui pourrait le convaincre de la justesse de son acte. Elle-même ne réalisa que bien trop tard, ce qu'elle venait de faire. Agir sur une impulsion. Sur une impression. Comme si Margarette savait que si un voeu était formulé alors quelque chose de terrible se produirait. Mais comment pouvait-elle le savoir ? Pour elle, ce n'était qu'un bête puits fait de pierres et couvert de mousse. Elle ne connaissait pas cet endroit. Elle n'y croyait même pas. Alors d'où venait cette sensation qui la prenait aux tripes et qui lui criait d'arrêter le jeune homme de toutes ses forces ? Pourquoi ce sentiment ce manifestait-il si brusquement ? Si violemment en elle ?

"Cet endroit...est...maléfique."

Le spectre d'Heather n'avait pas bougé. Elle se tenait là, flottante. Transparente. Elle était là, assistant à toute la scène.

— J'ai horreur des fantômes, souffla Margarette à voix basse.

Se saisissant du rondin le plus épais qui pouvait se trouver à sa portée et se relevant, Margarette prit une grande inspiration avant de s'élancer de toutes ses forces.

— Je ne fais pas ça de gaieté de coeur ! fit-elle.

Frappant Ethan à l'arrière du crâne, elle attendit que ce dernier s'effondre à terre avant de lâcher l'arme du crime, mains sur les hanches et expirant par les narines tel un taureau de corrida.

— Satisfaite ? se retourna-t-elle vivement vers le spectre.

Mais Heather avait disparue et le vent, qui s'était brusquement levé, retombait à l'instant même où Ethan toucha le sol.

— Et maintenant ? Quoi ? Suis-je supposé trainer son corps seule jusqu'à la maison ? Parfait. De mieux en mieux cette journée !

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