Depuis leur discussion ou plutôt leur altercation à l'auberge, Margarette n'avait pas revu Ethan une seule fois au manoir. Avec les dernières semaines s'écoulant, la jeune femme avait pris l'habitude de voir ou de ne serait-ce qu'apercevoir sa silhouette errant ici et là, quittant parfois la propriété afin de se rendre en ville, mais cela faisait maintenant plusieurs jours qu'Ethan Gainsbourg était aux abonnés absents. Lui qui avait aussi pris la fâcheuse tendance de surgir derrière son dos ne s'était pas non plus manifesté de lui-même et bien que cela aurait dû probablement l'inquiéter, Margarette trouva en cette absence une certaine sérénité.

À présent, il n'y avait qu'elle, sa culpabilité et bien évidemment Béatrice. La vieille Béatrice.

— Vous avez reçue une lettre ce matin, lui dit-elle en lui tendant l'enveloppe blanche aux coins cornés.

— Merveilleux, fit Margarette sans plus d'intérêt, Brûle-la pour moi, veux-tu ?

— Vous ne voulez pas savoir qui vous écrit ? Vous ne recevez que trop rarement du courrier.

— Je n'en reçois pas car je n'ai, à ma connaissance, aucune personne de mon entourage capable de m'en écrire. Quand j'ai décidé de venir m'installer ici, je pense que j'ai été suffisamment claire quant à ma volonté de couper les ponts avec le monde... extérieur.

— N'est-ce pas une vie bien trop solitaire, Mademoiselle ?

— C'est une vie paisible. En outre, je sais qu'il n'y a qu'une seule personne qui serait capable de m'écrire.

Et il ne peut s'agir que de Lucie, sa soeur.

Que peut-elle bien vouloir lui annoncer qui mérite donc un courrier ? La mort de leur père ? Certainement pas, le vieil homme est peut-être devenu fou, mais il est plus résistant qu'une mauvaise herbe résistant à l'hiver le plus rude. Alors quoi donc ? Venait-elle s'enquérir de ses nouvelles ? Ce n'était pas vraiment dans le comportement de Lucie que de se soucier d'autrui. Ah. Nous y voilà. Il ne pouvait y avoir qu'un seul sujet de conversation qui intéressait Lucie, mais surtout les membres de la famille Heelz qui utilisaient alègrement la main de la jeune femme comme prête-plume : Le mariage avec Ethan Gainsbourg. Tout le monde devait le savoir arrivé et cela faisait même plus d'un mois que les deux jeunes gens cohabités et se fréquentaient ardemment donc il était logique et même évident que l'on attente la grande nouvelle. Dommage qu'ils faillent les décevoir car ni l'un, ni l'autre n'éprouvait le besoin de se rapprocher davantage maintenant que chacun avait joué cartes sur table.

Ethan savait pour Margarette. Il ne savait pas tout, mais suffisamment pour la trouver répugnante au point de ne plus l'approcher, même discrètement. Quant à Margarette, elle avait comprit qu'Ethan était bien trop lâche pour faire le premier pas à son égard. Trop préoccupé dans sa quête de rédemption et de pardon. Ah le pardon ! Une notion dont la jeune femme se passait bien volontiers après toutes les atrocités commises pour posséder cet endroit maudit.

— Brûle la lettre, Béatrice. Elle ne m'intéresse pas et je n'ai pas besoin que l'on me rappelle ce que l'on attends de moi, exigea Margarette.

— Si c'est ce que vous désirez...

"Désirez" voilà un mot qui faisait écho.

Qu'est-ce que Margarette pouvait bien désirer ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Pendant des mois tout entiers, elle s'était réfugiée derrière l'excuse de la tranquillité, mais elle ne savait que trop bien que ce n'était que cela : une excuse. Toute sa vie durant, Margarette avait servit d'instrument pour autrui. Pour son père tout d'abord, puis pour son défunt mari. Jamais on ne lui avait demandé ce qu'elle souhaitait, ce dont elle rêvait. Jamais personne ne s'était inquiété de savoir ce qu'elle voulait et maintenant que cette possibilité s'offrait ouvertement à elle... Margarette demeurait silencieuse, incapable de combler cet abysse. Elle ne savait pas ce qu'elle voulait, bien qu'elle clamait haut et fort vouloir la "paix", mais qu'est-ce que celle-ci tout compte fait ?

Et est-ce que celle-ci ne commencerait pas par le fait de faire taire toutes ces voix ?