🕸️CHAPITRE 15🕸️

Béatrice était revenue avec une petite boîte remplie de coupures de journaux. Non pas qu'il y ait énormément de journaux à Tonelli, mais cette mystérieuse affaire avait occupé la ville et ses habitants des mois durant. L'enquête de police menée à l'époque n'avait absolument rien donné et avait conclu sur une disparition en pensant que les précédents propriétaires du manoir avaient très certainement dû fuir la ville à cause de lourdes dettes, après tout construire un endroit pareil demandait des moyens, mais petit à petit et au final du temps... Chacun alimenta l'histoire de son petit grain de sel et Margarette ne fut pas totalement surprise quand elle vit le mot « malédiction » apparaître.

Pas surprise, mais pas convaincue non plus.

Margarette Heelz a toujours eu la tête dans les ouvrages : résoudre des énigmes, avoir les réponses à ses trop nombreuses questions, comprendre comment le monde tournait et de quoi la société était faite... Elle aimait comprendre et détestait quand c'était le contraire, chose qui lui arrivait de plus en plus fréquemment tandis qu'elle demeurait dans cette étrange maison.

"Le Manoir de Castelroc, hanté par ceux qui l'ont jadis habité", "Castelroc, un mythe", "Le manoir de l'impossible", "Le lieu interdit". Les gros titres devenaient de plus en plus grotesques, stupides et futiles. Comment des journaux soi-disant sérieux pouvaient-ils publier ceci ?

Le manoir n'était pas hanté, non... Il était... Il était...

Aucun mot ne pourrait décrire ce lieu. Aucun.

— Prise dans une lecture passionnante ? demanda une voix en s'élevant dans la pièce.

— Bon sang !

À croire que s'en était devenu sa marque de fabrique que d'apparaître brutalement et sans crier gare.

Ethan se trouvait là, sur le seuil de la porte entrouverte, les bras croisés, l'observant d'un regard piqué de curiosité.

— Qu'est-ce que vous lisez ?

— Des choses qui ne vous regardent pas, répondit Margarette plus sèchement.

Il parvint à venir jusqu'à sa hauteur et planta son regard inquisiteur sur les documents qui jonchaient son bureau. Puis, il se mit à ricaner, amusé.

— Je ne savais pas que vous éprouviez le moindre intérêt pour l'histoire. Il fallait me le dire plus tôt, j'aurais pu vous prévenir qu'il y a un tas d'inepties écrites dans ces articles, lui dit-il en faisant mine de se désintéresser du sujet.

— Parce que vous les avez déjà lus ?

— Bien sûr. Que pensez-vous que je fasse de mon temps libre ?

— Je n'en sais rien, vous n'êtes pas très loquace à ce sujet... Vous vous intéressez au manoir ?

— Pas exactement, lui répondit-il.

Lui qui était, il y a quelques secondes à peine, si près d'elle se met subitement à reculer, comme s'il voulait établir une certaine distance entre eux. Distance que Margarette remarquait, mais sans relever. À quoi bon ? Ethan Gainsbourg était un tout autre type de mystère. Une énigme à lui tout seul qu'elle peinait à résoudre tant il ne l'aidait pas à le faire.

— Et que suis-je supposée comprendre avec ceci ?

— Écoutez, cet endroit, cette ville même... Tout ceci peut vous paraître étrange, mais je pense que vous êtes venu ici sans vraiment savoir dans quoi vous vous embarquiez.

— Parce que vous le saviez, vous, en traversant l'océan ? Est-ce ce « secret » que vous êtes venu déterrer ?

Voyant qu'Ethan préférait rester dans son mutisme, Margarette s'approcha de lui d'un pas décidé et c'est en faisant ce pas en avant qu'Ethan préféra en faire trois en arrière.

— Oh non. Non, non, non ! Vous en avez trop dit à présent. Vous ne pouvez pas simplement lancer des choses quand cela vous chante et attendre de moi que je ne dise rien.

— Ce n'est pas ce que j'attends de vous, fit le jeune homme en reculant progressivement.

— Alors qu'attendez-vous de moi ? Dites-le, soyez précis ! Une amitié ? Non, ce genre de discours, je n'y adhère pas. Vous l'avez dit vous-même, vous n'êtes pas ici pour moi. Alors quoi ? Quel est ce secret que vous êtes venu déterrer justement ?

— Margarette, je...

— Dites-le-moi, insista lourdement la jeune femme.

— Margarette, vous ne comprendriez pas.

— Parce que je ne suis pas douée de raison ou parce que vous avez une vision biaisée de moi en pensant que je suis une petite chose fragile et délicate ?

— Ce n'est pas... Allez-vous me laisser finir pour l'amour de Dieu ?

Pour la première fois depuis leur rencontre, Margarette et Ethan se faisaient face dans une curieuse proximité, l'une ayant réussi à coincer l'autre dans un recoin de la pièce où il n'y avait nulle échappatoire pour lui.

— Dans d'autres circonstances, ce genre de chose me plairait, mais... N'êtes-vous pas trop proche ? Vous qui avez mis un point d'honneur à me fuir ces dernières semaines, releva Ethan en se rapprochant délicatement de Margarette sans que celle-ci daigne bouger.

— Je ne vous fuyais pas.

— Ah non ? Alors comment appelleriez-vous un tel comportement ?

— Premièrement, je ne vous dois aucune explication et deuxièmement... Je suis tout simplement occupée.

— Donc moi je vous dois des explications, mais vous non ? Vous savez que ce n'est pas comme ça que cela fonctionne ?

— Quoi donc ?

— Les échanges, Margarette. Les échanges, souffla-t-il presque blasé de devoir lui rappeler.

Même s'il semblait marquer un point, comme très souvent, ce qui était particulièrement agaçant, Margarette fit la moue quelques minutes avant de braquer de nouveau son regard sur Ethan qui se pensait tiré d'affaires.

— Ne changez pas de sujet, se précipita-t-elle de dire.

— Je ne fais qu'aller dans votre sens... Pour une fois, je dois l'admettre.

— Répondez donc à ma question plutôt : Qu'êtes-vous venu faire ici, Ethan ? Et ne me dites pas que vous êtes venu déterrer un secret, je veux la vérité.

— Mais c'est la vérité.

— Dans ce cas, je veux la vérité dans son intégralité, insista la jeune femme.

— Vous êtes particulièrement tenace aujourd'hui, je dois bien l'admettre.

— Je l'ai toujours été, lança-t-elle fièrement.

— Jamais à ce point-là, rétorqua le jeune homme dans un demi-sourire narquois.

— C'est que vous me connaissez encore si mal.

— Comment connaître une femme qui passe la majorité de son temps seule et ne vous laisse aucune ouverture ni aucune occasion ? continua Ethan sur sa lancée tout en se rapprochant d'elle une nouvelle fois.

— Vous savez que ça ne marchera pas, n'est-ce pas ?

— Quoi donc ? lui susurra-t-il à l'oreille maintenant qu'il était suffisamment près d'elle.

N'était-ce pas la question qu'elle lui avait posée à peine deux minutes plus tôt ? Osait-il se moquer d'elle ou bien était-il suffisamment futé pour savoir comment se sortir de cette impasse dans laquelle ils s'étaient enfoncés tous les deux ?

L'attrapant vivement par les épaules et allant jusqu'à se mettre sur la pointe des pieds afin d'être à sa hauteur à lui, Margarette dissimula son amusement en lui glissant tout bas :

— Je ne suis pas ce genre de femme.

— Quel genre de femme ? poursuivit-il à voix basse.

Votre... genre de femme.

Puis elle détourna les talons et retourna vers son bureau comme si de rien n'était, laissant Ethan pantois.

— Le mariage ne m'a pas appris beaucoup de choses ou du moins, pas beaucoup de choses nouvelles, mais il y a bien une leçon que j'ai su retenir de tout ceci, déclara la jeune femme.

— Et quelle est-elle ?

— Ne jamais vous fier à un homme usant de son charme pour dissimuler ses plus sombres secrets.

— Donc vous reconnaissez que je suis charmant ? répondit Ethan non sans une pointe de fierté.

— Fatiguant. Le qualificatif que vous cherchez est fatiguant.

Malgré tout, dans le silence de la pièce, ils rirent tous les deux.

— Comment puis-je passer de "fatiguant" à "charmant" dans ce cas ? se risque-t-il à lui demander.

— Vous ne pouvez pas. Je suis navrée de vous l'apprendre, Ethan Gainsbourg, mais vous êtes une cause perdue. 

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