🕸️CHAPITRE 11🕸️

Depuis l'étrange incident, ni Margarette, ni Ethan, n'avaient décidé de reprendre la conversation là où elle s'était arrêtée. L'un comme l'autre savait, bien qu'inconsciemment, que celle-ci finirait par revenir sur le tapis à un moment ou un autre du moment qu'ils finissent par se croiser. Et c'est avec cette certitude bien ancrée que Margarette redoubla d'efforts afin d'esquiver le jeune homme au mieux de ses capacités en passant tout son temps dans les jardins du manoir qu'elle avait elle-même entreprit de reprendre en main quand la météo le lui permettait, c'est-à-dire : peu souvent.

Tonelli n'avait que trop rarement vue une éclaircie depuis le début de l'automne.

— Encore une journée de pluie, releva Béatrice tout en regardant par la fenêtre du salon.

Mais la maîtresse de maison ne prêta que peu d'attention à sa remarque, elle-même préoccupée par ses propres pensées. Elle avait juré l'avoir vu. Il se tenait juste là, à quelques centimètres d'elle... Et si elle ne se sentait déjà pas assez folle pour être venue s'exiler jusque dans un trou pareil, alors peut-être que cette fois-ci, Margarette pensait avoir perdu toutes formes de raison. Elle était suffisamment âgée pour savoir que les histoires de fantômes n'existaient pas et que très fréquemment, ce n'était qu'un ramassis de sottises inventées pour exalter les foules et mettre du piquant dans les conversations. Rien de plus.

Les fantômes n'existaient pas. Il n'y avait rien après la mort. Rien que les ténèbres profondes et un sentiment de vide abyssal. Elle en était convaincue. Alors comment l'expliquer ? Comment expliquer que James était là ?

Tout le problème résidait en cette question, car Margarette ne se l'expliquait pas.

— La maison va être bien silencieuse pendant quelque temps, j'ai ouï-dire que monsieur Gainsbourg était de sortie, relança Béatrice en espérant sortir son employeuse de son propre petit monde.

— Sous cette pluie battante ? releva l'intéressée, soudainement interloquée par la simple mention d'Ethan dans la conversation.

— Il a dit avoir des choses à faire en ville.

Probablement un mensonge. Il n'y avait rien à Tonelli qui aurait pu attirer un homme comme Ethan Gainsbourg. La ville n'avait rien à offrir si ce n'était l'immensité de l'océan d'un côté et les montagnes rocheuses de l'autre. Deux contrastes pour deux mondes différents, faisant de la ville une enclave perdue et presque non atteignable si ce n'était par la mer ou via une étroite petite route passant non loin du manoir. Toutefois, personne ne venait se perdre jusqu'ici. Qui naissait à Tonelli, mourrait à Tonelli. Les locaux avaient, sans doute sans le vouloir, fait naître au sein de la communauté une sorte de méfiance naturelle pour tout ce qui provenait de l'extérieur, tout comme une forte curiosité, comme s'ils cherchaient à savoir ce qui pouvait bien se passer de l'autre côté de leur propre univers.

Actuellement, ils se satisfaisaient de cette étrange jeune femme qui ne sortait jamais de chez elle depuis l'acquisition d'une propriété à la réputation maudite, ainsi que de ce fringuant jeune homme ayant traversé le monde afin de la rejoindre, elle. En fait, tout revenait droit vers Margarette.

— Autant profiter de ce moment de calme dans ce cas, fit la jeune femme en quittant son fauteuil.

— Que comptez-vous faire ?

— Explorer. Il y a encore des recoins de cet endroit qui m'échappe, ce qui est un comble pour une propriétaire, et puis qui sait ? Je pourrais peut-être découvrir une ou deux choses que je ne sais pas encore.

— Ce n'est qu'un vieux manoir...

— Justement ! Tous les "vieux manoirs" ont leur part de mystère et de secrets. Tout le monde en ville doit d'ailleurs le savoir. Ce n'est pas tous les jours qu'une famille disparaît du jour au lendemain sans laisser de traces, surtout dans une petite bourgade comme celle-ci.

— Cette vieille histoire vous intéresse-t-elle ? questionna Béatrice, visiblement surprise.

— Probablement plus que tu ne peux l'imaginer. C'est tout de même une des raisons qui m'a amenée jusqu'ici.

Une parmi la centaine d'autres qu'elle avait en tête actuellement. La disparition de cette famille, les secrets que l'on attribue à cet endroit, tout le manoir de Castelroc semble enveloppé d'un voile de mystère, mais personne ne semble décidé à lever celui-ci. Personne mis à part Margarette.

Avec le ciel particulièrement nuageux et menaçant, la nuit paraissait presque être retombée sur le manoir, rendant celui-ci particulièrement sombre et lugubre. Les ombres des différentes branches mortes des arbres, projetées contre les murs et les diverses parois, donnaient au couloir un air de scène de crime. Il était facile, avec si peu d'éléments, de faire croire au pire aux petites gens. Après tout, le manoir était certes impressionnant grâce à sa position en hauteur, sa végétation laissée à l'abandon et ses grandes et imposantes baies vitrées couvertes par de longs rideaux grisés, mais il n'en restait pas moins qu'une maison. Une simple demeure. Une demeure dans laquelle Margarette avait décidé de s'installer.

Une demeure qu'elle peinait à connaître.

La première fois qu'elle arpenta ces longues allées jadis marbrées, Margarette eut l'impression que la maison se jouait d'elle. Comme si chaque pièce, chaque carreau, chaque rampe, chaque fenêtre, bougeait. Une pensée toutefois ridicule, car une maison ne pouvait se mouvoir d'elle-même, mais une pensée qui lui avait arraché un sourire.

Presque comme si la maison elle-même ne voulait pas qu'elle tombe sur certains endroits. Comme si certaines pièces, lui étaient interdites.

Et si vraiment la maison changeait selon son gré ?

— C'est impossible, se dit-elle.

Mais « impossible » était loin d'être un mot suffisamment puissant quand il était mention du manoir de Castelroc. Après tout, la bâtisse tenait encore debout malgré les affres du temps, alors qu'elle aurait dû s'écrouler il y a bien longtemps. Sans doute y avait-il une raison à cela. Une raison qui lui permettait d'exister.

Dans sa longue promenade, Margarette finit par trouver ce qui semblait être une galerie de portraits. La majorité des cadres étaient à même le sol, d'autres étaient effacés, ayant ainsi fait disparaître le passé, mais d'autres paraissaient intacts. Presque immaculés. Et trouver quelque chose d'intact dans cette maison menaçant de s'effondrer à tout moment relevait en soi du miracle !

Sans doute un ensemble que les anciens propriétaires avaient décidé d'afficher fièrement. Si la jeune femme passait allègrement devant le portrait de l'ancien maître de maison, montrant peu d'intérêts également pour ceux des enfants, Margarette finit par s'arrêter devant ce gigantesque portrait représentant une figure féminine. La mère de famille ? Sûrement. Elle paraissait jeune, peut-être du même âge, mais si ce n'était pas tant sa beauté naturellement capturée et saisie par l'image qui l'intriguait, Margarette sentait une étrange tristesse dans son regard. Quelque chose de quasiment indescriptible et pourtant bel et bien là.

Pourquoi était-elle triste ? Pourquoi le cachait-elle dans un sourire que Margarette elle-même ne connaissait que trop bien ? Le sourire de convenance. Celui qu'elle avait si longuement arboré durant ses propres années de mariage. Et si... Si elle aussi avait connu un sort similaire au sien ?

— Heather, printemps...

Le reste du descriptif était bien trop effacé pour être lisible. Cependant, elle ne portait pas une robe de printemps. Non. Elle portait une robe suffisamment longue pour cacher l'atrocité. Les marques. Les coups. Les bleus.

Tout ce que Margarette avait connu.

Tout ce que l'enfer pouvait graver sur votre peau.

Brusquement, le ciel se retrouva pourfendu en deux parties égales. Le tonnerre se mit à rugir d'une force si brutale que Margarette émit un cri de stupeur alors que la maison répondit avec la même violence. Le verre des fenêtres se mit à vibrer et le sol à craquer. Toute la maison paraissait subir les aléas de la météo et c'est dans ce bref instant, comme si l'éclair avait laissé une empreinte sur les murs chancelants, qu'elle la vit.

"Sauve-toi."

Un sifflement. Une hallucination auditive. Une prière sortant de terre. Nul ne saurait.

Quand l'obscurité finit par revenir, la silhouette flottante disparut aussitôt et avec elle, son avertissement arraché au secret dormant dans les fondations.

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