Chapitre 34: Soumise
— Buvez, ordonna une voix.
Hywel entrouvrit les yeux et aperçut un visage, encadré de cheveux gris, penché sur elle. Vespera, un verre entre les mains. La jeune femme avala quelques gorgées du liquide trouble et grimaça.
— Ce n'est que de l'eau et du sucre, railla la prêtresse devant son regard suspicieux.
Hywel se détourna pour observer la pièce. Elle était toujours dans sa chambre, et Samaël était installé sur sa commode. Il lui adressa un clin d'œil en mettant son doigt sur sa bouche. Vespera prit alors son visage dans sa main pour la forcer à la regarder et ses ongles s'enfoncèrent dans sa peau. La jeune femme agrippa son poignet pour se libérer de sa poigne.
— Ne me touchez pas, cracha-t-elle.
— Où étais-tu ? Hessa ne t'a trouvé ni à l'infirmerie ni dans ta chambre.
— Je ne me sentais pas bien, j'ai fait un malaise dans les toilettes.
La mâchoire de Vespera se contracta. Hywel savait que personne ne serait allé vérifier dans cet endroit, la prêtresse n'aurait donc aucun moyen de savoir si elle disait la vérité.
— Bien. J'espère que tu n'as pas oublié notre petit arrangement. Les épreuves commencent dans deux jours et vous serez dispensées de cours demain. Cela te laissera le temps de réfléchir à la façon d'arriver à tes fins.
— A vos fins, rectifia la Véridienne.
Un sourire passa sur les lèvres pincées de Vespera. La situation l'amusait, et Hywel eut envie de lui envoyer son poing dans la figure. Se contrôler lui demanda beaucoup d'efforts. La prêtresse se leva alors puis posa le verre sur la table de chevet.
— Je te ferai apporter un repas pour ce midi. Reprends des forces, tu en auras besoin.
Elle tourna ensuite les talons et quitta la pièce. La jeune femme soupira en se tournant vers Samaël. Le fantôme vint s'asseoir sur le rebord du lit avec des yeux rieurs.
— Merci, soupira-t-elle. J'ai pu entrer dans le bureau de Svelina grâce à toi.
— Et en sortir grâce à moi aussi ! Un vase des temps anciens a été détruit, mais c'était pour la bonne cause.
Les yeux d'Hywel s'agrandirent, elle n'avait pas réalisé qu'elle lui devait son salut. Sans lui, elle ne savait pas ce qu'elle serait devenue.
— Je ne sais pas quoi faire pour te remercier.
— Oh, lire ces lettres cachées sous ton oreiller serait déjà une bonne chose.
Elle acquiesça, avide elle aussi de découvrir ce qu'elles pourraient leur apprendre. Elles ne devaient pas être cachées dans une faille sans raison. La jeune femme les récupéra dans la taie et effleura le cachet de cire doré du bout des doigts. L'emblème de Gëa, l'Arbre à cinq branches, y avait été tamponné.
— Il va tout de même falloir que tu m'expliques comment tu as fait pour faire diversion ! s'exclama-t-elle alors en relevant les yeux.
Samaël bomba le torse avec un sourire satisfait, avant de passer une main dans ses cheveux.
— Rien de plus simple que d'inquiéter ces vipères, j'ai simplement détruit un tuyau d'eau qui passait dans la bibliothèque. Le temps qu'elles s'en aperçoivent, une bonne dizaine de centimètres inondait la pièce. Ça les a occupées un petit bout de temps d'éponger.
— Tu es trop fort, dit-elle en réprimant un rire.
— Je le sais ! Mais assez parlé de moi, ouvre ces fichues lettres.
Hywel s'exécuta. Le haut de l'enveloppe avait déjà été déchiré, et elle n'eut qu'à prendre la feuille à l'intérieur. Elle l'ouvrit et commença à lire, Samaël juste derrière son épaule.
« Chère Doyenne,
La mission s'est bien passée et le cœur est désormais en notre possession. Il est en lieu sûr.
Prêtresse Ludelia »
La déception rongea la jeune femme. C'était tout ? Avait-elle pris tant de risques pour ces quelques mots ? Elle avait désormais la confirmation que les prêtresses avaient manigancé le vol du cœur, mais au fond elle le savait déjà. De plus, le doute s'installa dans son esprit. La pierre était-elle vraiment entre les murs de l'institut ? La dernière phrase lui laissait penser le contraire.
— Nous ne sommes pas plus avancés, grommela-t-elle en balançant la lettre sur le matelas.
— Je suis d'accord, mais vois le positif ! Maintenant, nous avons bel et bien une preuve de leur culpabilité. Avec ça, plus personne ne pourra leur faire confiance. Le cachet le montre, et l'expertise d'un liseur permettra d'en faire une véritable charge.
— Aucun liseur n'acceptera de remettre en cause l'autorité des prêtresses...
Samaël roula des yeux avec une moue mi agacée mi amusée.
— Ne sois pas si défaitiste ! Ce simple bout de papier est d'une préciosité sans précédent.
Il avait raison et Hywel le savait. Pourtant, elle se sentait incapable de s'en réjouir. Le mal d'encre sévissait dehors sans qu'elle ne parvienne à l'arrêter. Et puis, les questions se bousculaient dans sa tête à lui en donner la migraine. Pourquoi le cœur n'avait pas été replacé ? Pourquoi les prêtresses laissaient-elles la maladie s'étendre ? Elle se doutait que les raisons politiques les avaient poussées à le voler, mais elle ne comprenait pas pourquoi elles n'agissaient pas maintenant qu'Erwin était sur le trône. Elles avaient eu ce qu'elles voulaient, alors pourquoi diable laissaient-elles la mort s'emparer des innocents ?
— Il faut que je vois Svelina, déclara-t-elle.
— Pardon ? s'étrangla le fantôme.
— Je vais lui demander un entretien. Peut être qu'en la confrontant, certaines de ses réactions pourraient la trahir.
Samaël entrouvrit la bouche puis la referma, les sourcils légèrement froncés. Un silence s'abattit entre eux.
— C'est une très mauvaise idée, dit-il finalement. Tu risques surtout de te trahir toi. Tu n'es qu'une apprentie, une supposée Boréalienne sans histoire qui veut consacrer sa vie à Gëa, tu n'as aucune légitimité à poser des questions sur le mal d'encre.
Il n'avait pas tort et Hywel le savait. Le risque était trop grand, elle n'avait pas le droit de trahir sa couverture déjà bien craquelée. Elle avait assez de Vespera sur le dos, ce n'était pas la peine d'éveiller le moindre doute chez la doyenne.
Une feuille glissa à cet instant sous la porte, ainsi qu'un trousseau de clés. La jeune femme se leva et prit le papier entre les mains. Ses poings se serrèrent et chiffonnèrent les bords. Une liste des apprenties à éliminer y était inscrite, ainsi que des indications concernant les clés. L'une ouvrait les portes des chambres et l'autre l'infirmerie. Devant le regard vide d'Hywel, le fantôme s'approcha et posa sa paume sur son épaule.
— Je sais que tu veux bien faire, poursuivit le fantôme en la fixant, mais ne te mets pas en danger. Laisse-moi enquêter pour le moment, et toi, occupe-toi de ce que te demande cette vipère. Tu n'as pas le choix.
— On a toujours le choix. Je serai l'unique responsable de mes actes. Mais je ne suis plus à ça près de toute façon, personne ne doute de la monstruosité qui coule dans mes veines, dit-elle avec un rire amer.
Samaël secoua la tête avec un sourire désolé, avant de lui prendre les mains.
— Je ne sais pas qui t'as fait croire ça, mais c'est faux. Tu es quelqu'un de bien, Hywel, ne laisse personne te faire croire le contraire.
Elle le regarda comme s'il venait de lui annoncer la chose la plus stupide au monde. Non, elle n'était pas quelqu'un de bien, il ne la connaissait pas. Elle ne parlait jamais de ce qu'elle avait fait, et pourtant, elle fut incapable de retenir ses mots.
— J'ai tué ma cousine. J'ai rendu ma sœur infirme. J'ai trahi la confiance d'Azra en ouvrant la porte de son bureau à un voleur. Je suis responsable des coups de fouets qu'a reçus mon meilleur ami. Je m'apprête à évincer de la promotion des apprenties innocentes. Je continue ? Ou tu en as assez entendu pour voir qui je suis ?
Parler à haute voix de ses crimes lui planta des couteaux dans l'estomac, et pourtant, elle eut l'impression que les avouer devant Samaël lui enlevait un poids de ses épaules. Ce dernier l'observait avec un mélange de compassion et de pitié, ce qui donna à Hywel l'envie de lui arracher les yeux. Elle détestait cette image qu'il avait d'elle. Elle n'était pas faible, elle n'était pas une petite fille brisée qui voulait simplement être acceptée. Elle essayait de s'en convaincre en tout cas. Sa force d'esprit, sa carapace et son impassibilité à toute épreuve lui avaient sauvées la vie.
— Je vois très bien qui tu es, lui dit simplement le fantôme. Tu te caches derrière ce masque que tu montres au monde, mais tu te mens à toi même.
— Va-t-en, cracha-t-elle. Je n'ai pas besoin de tes leçons de philosophie.
Il hocha la tête, puis s'éleva avant de disparaître dans le plafond. Hywel inspira profondément pour réduire la boule qui lui comprimait la gorge. Elle se laissa ensuite tomber sur le lit, le papier et les clés de Vespera contre le ventre. Elle souleva ses mains pour lire les cinq noms qui y figuraient. Le soulagement l'enveloppa lorsqu'elle constata qu'Elina ne faisait pas partie de la liste. Pourtant, elle ne put se réjouir entièrement. Les autres apprenties ne méritaient pas plus de se faire exclure de la promotion sans raison. Même si Hywel haïssait la majorité des prêtresses, ses camarades n'étaient pas responsables des crimes commis par ces dernières.
Vespera lui demandait de les mettre hors d'état de nuire, mais comment devait-elle s'y prendre ? Elle pourrait toujours voler les devoirs à rendre dans deux jours, mais la disparition de cinq copies éveillerait les soupçons. Elle devait trouver plusieurs solutions, et la clé de l'infirmerie faisait probablement partie des idées de la prêtresse. Faire du mal à cinq apprenties, pour sauver sa propre vie et gagner du temps à l'institut. Au fond, Hywel savait que ce qu'elle faisait était juste, même si le moyen pour atteindre son but la répugnait. Trouver le cœur devait être sa priorité, et pour cela, elle devait se soumettre à Vespera.
l
En fin d'après-midi, Hywel avait déjà volé un devoir dans la chambre de l'une des apprenties. Elle y était entrée sans mal, personne ne séjournait dans la pièce, et elle avait trouvé la feuille sur le petit bureau. D'une simplicité sans nom. Avec une note en moins, la pauvre Salma Erat n'aurait aucune chance de rester à l'institut pour la suite de la formation.
La jeune femme se dirigeait désormais vers l'infirmerie. Elle déambula dans les couloirs vides du bâtiment, toutes ses camarades révisant dans la bibliothèque. Elles avaient eu droit à un repas, enfin, et toutes avaient pu reprendre des forces. Hywel sentait elle aussi son énergie retrouvée, même si son corps changeait. Ses entraînements quotidiens avec Kal étaient loin derrière elle, et ses muscles avaient fondu sur sa peau, même si son corps restait athlétique. Le combat lui manquait, mais ce n'était pas la priorité ici.
Lorsqu'elle arriva devant l'infirmerie, elle entrouvrit la porte et jeta un œil à l'intérieur. L'endroit était désert. La jeune femme passa le seuil sans un bruit et s'avança vers l'armoire à pharmacie, au fond de la pièce. Du bout des doigts, elle effleura la clé dans sa poche, avant de la sortir. Elle l'inséra alors dans la serrure avant de la déverrouiller. Le déclic retentit, puis sa main s'avança vers la poignée pour l'ouvrir. Ses yeux balayèrent les étagères de bas en haut. Toutes sortes de potions et remèdes colorés reposaient dessus, stockés dans des flacons en verre.
Hywel les tâta et lut quelques étiquettes, qui indiquaient le nom des substances et ses effets. Après un regard par dessus son épaule, elle subtilisa un somnifère, un vomitif, ainsi qu'une potion agissant négativement sur la mémoire. Les quatre apprenties seraient incapables de réussir leurs examens. Avec un soupir, elle plaça les flacons dans son sac puis referma la porte de verre de l'armoire à pharmacie.
Elle traversa l'infirmerie et le bruit de ses pas raisonnèrent contre les murs de granit. Elle quitta ensuite la pièce la tête haute, tentant vainement de se persuader que ce qu'elle faisait était juste.
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