Chapitre 30: Derrière le masque

Lorsqu'Hywel arriva sur le seuil séparant les deux ailes de l'institut, elle crocheta la serrure. Le déclic retentit, puis elle entra. Le bureau de Svelina devait se trouver, selon les dires, au bout de ce couloir. Elle avança donc à tâtons, tentant de se repérer malgré la faible luminosité. La nuit était tombée depuis plusieurs heures déjà et toutes les apprenties dormaient dans leur chambre.

Soudain, un bruit de porte se fit entendre. D'un bond, Hywel se cacha derrière une colonne et effleura la dague cachée sous sa jupe. Ses membres se crispèrent à l'idée d'être repérée. Elle ferma les yeux un instant en se mordillant la lèvre, ignorant son cœur battant. Les prêtresses ne devaient pas la voir. Que deviendrait-elle sinon ? Jamais elles ne la croiraient si elle affirmait s'être perdue. Elle serait condamnée pour haute trahison ou espionnage, et elle avait déjà assez d'une seule condamnation à mort.

Pourtant, Hywel n'entendit aucun pas se rapprocher d'elle. Soit la porte s'était refermée à cause d'un courant d'air, soit la prêtresse n'avait fait que passer d'une pièce à l'autre du couloir. Elle soupira et son corps se détendit légèrement. Elle poursuivit alors son chemin vers le bureau de la doyenne.

Lorsqu'elle arriva devant le seuil, elle remarqua que la porte était entrouverte. Svelina était encore dans son bureau à cette heure tardive de la nuit. Son cœur s'arrêta un instant et elle mit sa main sur sa dague en reculant de quelques pas. Cachée derrière une colonne, elle entendit alors la voix de la prêtresse s'élever. Cette berceuse Véridienne, Hywel la connaissait très bien. Sa mère la lui avait beaucoup chantée lorsqu'elle était enfant.

Un courant d'air ouvrit davantage la porte, puis Svelina apparut dans l'encadrement. Une petite fille d'environ sept ans était installée sur une chaise devant elle, et elle lui coiffait ses longs cheveux blonds en chantant. La prêtresse arborait un sourire sincère qui illuminait son visage. Le regard d'Hywel fut happé par cette scène. Jamais elle n'aurait pensé que la doyenne pourrait être aussi attentionnée avec qui que ce soit. La jeune femme n'arrivait pas à croire que la personne devant elle était la même qui avait orchestré sa condamnation, et qui mettait le pays à feu et à sang depuis le coup d'État. Svelina était responsable de toutes les restrictions des libertés, notamment pour les sans-pouvoirs. Cette grand-mère aimante ne pouvait pas être la même personne. Comment pouvait-elle conserver un tel masque ? En la voyant ainsi, Hywel ne la crut pas capable de voler le cœur de la déesse.

Et si, c'était elle qui s'était trompée ? Et si l'image qu'elle s'était faite des prêtresses était fausse ? Elle revit le sourire chaleureux de Hessa, et surtout, elles n'avaient cessé de répéter qu'elles œuvraient pour le peuple et pour la paix. Ce qu'elle découvrait à l'institut ébranlait ses convictions. Hywel secoua imperceptiblement la tête. Non. Tout ce qu'elle avait vu n'était pas le fruit de son imagination. Elle n'avait pas le droit de se laisser endoctriner par les discours et les mensonges de celles qu'elle avait toujours haïes.

Après quelques instants, elle se décida à tourner les talons. Svelina ne quitterait pas son bureau de suite, alors elle ne pouvait prendre le risque d'être découverte en l'attendant. Elle fit quelques pas dans le couloir sombre et froid, puis elle frictionna ses mains pour les réchauffer. Mais alors qu'elle était presque arrivée à la porte séparant les deux ailes de l'institut, un chant parvint à ses oreilles. Elle s'immobilisa un instant et tendit l'oreille. Le murmure venait de sa droite. Que faisaient les prêtresses à une heure aussi tardive de la nuit ? Hywel fut poussée par un besoin irrépressible. Elle tenta de se raisonner, consciente qu'elle prenait un peu plus de risque à chaque seconde qui passait, mais elle n'oubliait pas pourquoi elle était là. Elle n'avait encore découvert aucun indice qui reliait les prêtresses au vol du cœur.

Ignorant sa raison, elle se dirigea vers sa droite, dans un autre couloir. Plus elle avançait, plus le chant s'accentuait. Elle arriva alors devant une salle, et elle se cacha derrière la porte ouverte pour observer la scène par l'entrebâillement. Seule la lumière blanche de la lune éclairait l'endroit. Une dizaine de prêtresses étaient installées en cercle, et au dessus d'elle, des triangles suspendus en acier posaient leurs ombres sur elles. Au centre, une des prêtresses écrivait sur un papier, tournant la feuille pour écrire en spirale. Les poings d'Hywel se serrèrent.

La jeune femme reconnut de suite cette procédure interdite, même si elle ne l'avait jamais faite. De la magie noire. Une magie interdite par les prêtresses elles mêmes, car jugée trop dangereuse. La colère serra la gorge d'Hywel. Combien de mages avaient été tués seulement pour avoir acheté des objets ensorcelés ? L'injustice lui brûla les entrailles.

Lorsque la prêtresse posa la plume, elle versa la sève de l'Arbre de Gëa dans une coupelle en cristal. Elle prit ensuite une petite lame en acier, avant de s'entailler la peau de la main. Quelques gouttes de sang coulèrent dans le récipient. La prêtresse versa alors le liquide au centre de la feuille, puis elle prit un sceau pour le tamponner. Une fumée bleue s'éleva à cet instant.

Hywel en avait assez vu. Cette scène la répugnait, et elle ne souhaitait pas s'attarder dans ces couloirs sombres. Elle recula alors de quelques pas en remettant sa capuche sur sa tête, puis elle entendit un cri étouffé. Cachée derrière la porte, elle n'avait pas vu arriver la prêtresse de l'autre côté. Son corps se paralysa un instant, et elle hésita entre fuir ou faire taire la femme qui se tenait devant elle, les yeux écarquillés. Cette dernière ouvrit alors la bouche. Trop tard.

— Qui êtes-vous ? s'écria-t-elle. Que faites-vous là ?

Hywel tourna les talons et s'élança vers l'aide nord, ignorant son cœur tambourinant dans sa poitrine. Derrière elle, elle entendit les prêtresses accourir. La jeune femme se concentra sur sa respiration pour ne pas se laisser envahir par la panique, elle devait à tout prix rejoindre sa chambre avant qu'on ne la rattrape. Elle se mit à courir plus vite que jamais, bien consciente qu'elle signait son arrêt de mort si les prêtresses découvraient son identité. Même cachée par le sortilège de la montre, elle ne s'en sortirait pas sans encombre.

Hywel se jeta sur la poignée de la porte séparant les deux ailes, puis elle reprit sa course effrénée sans se retourner et sans prêter attention aux ordres qu'on lui lançait. Les pas du groupe de prêtresses résonnaient encore entre les murs de l'institut. Lorsqu'elle arriva dans le couloir du dortoir, elle jeta un seul coup d'œil derrière elle. Elle devait rejoindre sa chambre avant que les prêtresses n'arrivent, sinon elles mettraient un nom sur l'identité de la fuyarde.

Lorsqu'Hywel arriva devant la porte de sa chambre, elle s'agrippa à la poignée pour s'arrêter, puis elle l'ouvrit à la volée. Elle la referma derrière elle avec un claquement, avant de se mettre le dos contre celle-ci. Elle ferma les yeux et serra les dents, faisant tout son possible pour calmer sa respiration sifflante. Son cœur pulsait encore dans ses tympans et ses muscles la brûlaient.

Elle entendit alors les prêtresses tambouriner aux portes des chambres, s'écriant que toutes les apprenties devaient sortir. Hywel eut encore plus de mal à respirer, et elle eut l'impression qu'un poids lui compressait la poitrine. Elle devait absolument se calmer au plus vite. D'un bond, elle se dirigea vers sa commode et empoigna une bouteille. Elle versa un peu d'eau sur ses mains, puis tapota ses joues brûlantes. Elle prit ensuite de grande inspiration en fermant les yeux.

Lorsque les prêtresses frappèrent à sa porte, Hywel attendit encore quelques instants. Elle gonfla ses poumons d'air une dernière fois, lissa sa jupe, puis sortit de sa chambre. Elle détestait mentir et jouer un rôle qui n'était pas le sien, mais en cet instant, son destin dépendait de sa performance d'actrice.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle d'une voix faussement pâteuse, les paupières tombantes.

— Rejoignez les autres dans la grande salle, déclara Vespera d'une voix sèche.

La jeune femme s'exécuta sans un mot, suivant la foule d'apprenties encore à moitié endormie. Elle croisa alors Elina, qui s'empressa de la rejoindre dès que leurs regards se croisèrent. Hywel fit tout son possible pour ne pas lever les yeux au ciel.

— Que se passe-t-il ? la questionna-t-elle. Tu penses que c'est un entraînement ?

Hywel haussa les épaules sans répondre. Elle continua d'avancer, le regard rivé vers le fond du couloir. Elina remit ses lunettes en place, puis elle serra contre elle le carnet de dessins qu'elle avait emmené.

— J'espère que l'on ne va pas refaire l'expérience de la brume de verre... Enfin, surtout pour toi.

— Je n'ai pas très envie qu'on me rappelle cette humiliation, coupa Hywel.

Son malaise était connu de toutes les apprenties, et certaines ne cachaient pas leurs moqueries depuis. La jeune Véridienne n'avait pu s'empêcher d'en ressentir de la honte, comme si toutes ses failles étaient jugées sur la place publique. Elle avait déjà une assez piètre estime d'elle même, elle n'avait pas besoin qu'on lui rappelle à quel point elle avait été vulnérable ce jour-là.

— Je suis désolée, bafouilla finalement Elina. Tu sais, cela aurait pu arriver à tout le monde. Je ne me sentais pas très bien non plus.

Hywel balaya ses excuses d'un geste de la main, puis elles pénétrèrent dans la grande salle. Deux prêtresses leur demandèrent de se mettre en rang, ce qu'elle firent sans un bruit.

Lorsque toutes les apprenties se furent réunies, Vespera entra et les jaugea de son regard perçant, les mains croisées derrière son dos. Elle avança, détaillant chaque apprentie de la tête aux pieds à la recherche de la moindre faille. Hywel pria pour ne pas se trahir, pourtant elle n'arriva même pas à déglutir tant sa gorge devenait sèche. A côté d'elle, elle vit Elina trépigner sur place du coin de l'œil. Cet examen mettait toutes les apprenties mal à l'aise, alors Hywel espérait que son angoisse ne se démarquerait pas de celle des autres.

Lorsque Vespera arriva à sa hauteur, sa respiration se coupa malgré elle. La prêtresse s'arrêta. Durant quelques instants, les deux femmes s'observèrent. Elle savait. Hywel n'aurait su dire comment, mais elle en était persuadée. Vespera savait qui elle était, qui se trouvait derrière la fausse identité de Lewy. Tous les signes le montraient. Alors, en cet instant, elle allait forcément la dénoncer. Le cœur de la jeune femme fit trembler sa poitrine. La prêtresse allait l'emmener dans les cellules de l'institut, et elle ne pourrait pas échapper une nouvelle fois à la mort.

Vespera détourna finalement son regard du sien, puis elle balaya des yeux la ligne parfaite que formaient les apprenties.

— L'une d'entre vous a pénétré dans l'aile nord de l'institut, en pleine nuit, sans autorisation, déclara-t-elle. Si cette personne ne se dénonce pas de suite, les représailles seront bien plus graves.

Un murmure s'éleva parmi la foule, puis la prêtresse frappa des mains pour les inciter à se taire.

— La responsable accepte-t-elle d'assumer les conséquences de ses actes ?

Les apprenties s'observèrent en biais, mais aucune n'éleva la voix. Hywel resta les yeux fixés devant elle, les pieds ancrés dans le sol et les mains croisées derrière le dos. Elle pria pour que personne ne l'ait entendu sortir cette nuit. Ses voisines de chambres auraient très bien pu entendre la porte s'ouvrir, et aucune d'elles n'aurait de scrupules à la dénoncer.

— Bien, je vous donne une heure. Vous avez interdiction de bouger, de vous asseoir, ou de parler. Que cela serve de leçon à la responsable, et d'exemple pour les autres.

Des murmures de protestation s'élevèrent, mais Vespera les fit taire d'un seul regard. Elle se dirigea ensuite vers Hessa afin de lui demander de surveiller la promotion, puis elle sortit.

***

Une heure plus tard, Hywel se balançait d'un pied à l'autre pour dégourdir ses jambes ankylosées. Sa chair fourmillait et ses talons devenaient douloureux. De plus, la fatigue commençait à devenir insurmontable. Ses paupières se faisaient de plus en plus lourdes et elle faillit basculer en avant à plusieurs reprises. Chaque fois, elle se réveilla en sursaut et secoua la tête pour se réveiller.

Lorsque Vespera arriva enfin, Hywel entendit Elina soupirer de soulagement. Hessa se leva ensuite de son siège après posé son livre sur une table, avant de se diriger vers l'accompagnatrice spirituelle. Elles échangèrent quelques mots à voix basse, puis Vespera se tourna vers les apprenties.

— La responsable est-elle décidée à se dénoncer ?

Hywel n'ouvrit pas la bouche. Elle ne pouvait pas se dénoncer. Elle ne perdrait pas seulement sa place à l'institut, elle en perdrait la vie.

— Je m'en doutais, accusa la prêtresse. Soit. Puisque c'est ainsi, la sanction sera appliquée pour toute la promotion. Vous jeûnerez pendant deux jours, et les heures du repas seront consacrées à un travail imposé. Ce devoir sera bien évidemment noté.

Les contestations s'élevèrent, et cette fois Vespera ne les fit pas taire. Elle se retourna sans un mot, faisant tournoyer sa robe rouge, puis elle quitta la salle. Hywel resta quelques secondes sans esquisser le moindre geste, les yeux toujours rivés sur la porte que venait de passer la prêtresse. Les conséquences de ses actes s'étaient abattues sur toutes les apprenties. Par sa faute. Un frisson lui parcourut l'échine et la culpabilité lui fit serrer les dents.

— Jeûner pendant deux jours, grommela alors Elina, la sortant de sa stupeur. Tu te rends compte ? La responsable n'a vraiment aucune dignité et aucun courage. Une vraie lâche.

Ces mots eurent l'effet d'un coup de poing pour Hywel et son abdomen se contracta. La vérité de ses propos l'atteignit plus qu'elle n'aurait pu le penser. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle condamnait ses consœurs à être victime de la peine qu'elle seule aurait dû recevoir. Pourtant, elle n'avait pas le choix. Comment aurait-elle expliqué sa venue dans l'aile sud ? Et surtout, comment l'aurait-elle justifiée auprès de Vespera ? La jeune femme sentait que cette dernière savait quelque chose, et si elle avait découvert sa véritable identité, la prêtresse voudrait comprendre pourquoi une défaillante en fuite pénétrerait dans l'institut. Elle devait rester prudente pour le moment, même si elle ne perdait pas de vue son objectif.

— Bon, allons nous recoucher, marmonna Elina en bâillant. La nuit va être courte.

Hywel hocha la tête, puis elle la suivit. Elles arpentèrent les couloirs sombres sans un mot, avant d'arriver devant leurs chambres. La Boréalienne y entra après lui avoir souhaité une bonne nuit, et Hywel poussa ensuite la porte de la sienne.

La jeune femme se laissa tomber dans son lit de toute sa hauteur. Elle soupira en fermant les yeux, puis elle croisa ses mains sur son ventre. Soudain, alors qu'elle commençait déjà à être gagnée par le sommeil, elle entendit une voix.

— Mais que recherche donc une défaillante dans l'aile sud ?

Hywel se releva d'un bond et balaya la pièce du regard d'un mouvement brusque de la tête. Personne.

— Bonjour, dit la voix.

La jeune femme leva les yeux au plafond et découvrit un fantôme. Son corps translucide était légèrement luminescent, et il volait à quelques mètres du sol. A première vue, il paraissait être mort vers ses vingt-cinq ans environ.

Le nœud dans le ventre d'Hywel se détendit légèrement, mais elle resta sur ses gardes. Même si peu de personnes pouvaient communiquer avec les spectres, ils savaient se faire comprendre lorsqu'ils voulaient transmettre un message. Elle quitta alors son lit et se mit debout, les bras croisés et les sourcils froncés.

— Ce n'est pas très poli de rentrer dans la chambre d'une dame sans son autorisation, qui plus est la nuit, reprocha-t-elle d'une voix tranchante.

Le fantôme se mit à rire et le son cristallin résonna contre les murs de la chambre. Il s'abaissa alors pour se mettre face à Hywel, ses pieds sur le sol. Il effectua une courbette avant de lui envoyer un baiser d'un signe de la main.

— Je m'en excuse, déclara-t-il. Seule la curiosité m'a poussée jusqu'à vous, et je n'ai pas pu résister à l'idée de venir de suite. Et puis, il est rare de pouvoir parler avec des vivants, je suis ravi de pouvoir vous rencontrer.

Hywel haussa un sourcil sans répondre. Elle n'avait aucune envie de parler avec ce fantôme, pourtant il pourrait lui être utile. Un mort se faisait moins remarquer qu'un vivant. S'il vivait dans l'institut depuis longtemps, il devait connaître tous ses secrets. Et puis, elle avait toujours été plus à l'aise avec les spectres qu'avec les humains. Eux seuls n'avaient jamais eu peur de sa défaillance.

— Vous êtes ? demanda-t-elle alors.

— Samaël, pour vous servir ! Mais vous pouvez m'appeler Sam.

— Et que faites-vous ici ?

Le fantôme fit une pirouette en arrière avant de s'asseoir sur le lit, un sourire espiègle accroché à son visage.

— Je suis mort dans les cellules de l'institut pendant la Révolution, et je suis coincé entre ces murs depuis toutes ces années. Gëa me rappellera à elle en temps voulu, en attendant, je joue des tours aux prêtresses.

Ce fut à cet instant qu'Hywel remarqua l'insigne sur sa chemise blanche : une rose des vents. Le symbole du continent, mais surtout, des révolutionnaires. Cet homme avait combattu auprès du père d'Azra. Autrement dit, il s'était opposé aux prêtresses et elles l'avaient tué. Les lèvres de la jeune femme s'étirèrent. Elle avait enfin trouvé un allié, et celui-ci était de taille.

Hywel s'inclina à son tour devant lui, puis elle posa son index et son majeur sur sa tempe, et enfin sur son cœur. Ce signe, rendu célèbre par Drystan Balcan, était devenu celui des républicains. Le sourire du fantôme s'agrandit.

— Hywel Zaltar, défaillante de la tour de Véridia et ancienne garde du corps de la dirigeante Azra, se présenta-t-elle. Nous avons un point commun, Sam, les prêtresses ont voulu notre peau. Je suis recherchée depuis que je me suis enfuie après ma condamnation à mort.

Samaël se releva et planta son regard dans celui d'Hywel.

— Et que fais-tu à l'institut ?

— Je veux faire tomber les prêtresses.

— Bienvenue au club, railla-t-il.

Il amorça un geste pour lui serrer la main, mais il dut se souvenir qu'il n'avait plus de consistance car il se ravisa avec une grimace. Hywel prit alors le carnet qu'elle cachait dans le double fond de la table de table de chevet, puis elle s'assit sur le lit et le feuilleta. Samaël s'assit à son tour et l'observa d'un œil curieux.

— Cela, ce sont les notes que je prends depuis quelques semaines vis à vis des prêtresses, lui expliqua-t-elle. J'ai découvert que le cœur de Gëa avait été volé, et que toutes les nervures du mal d'encre venaient de l'Arbre, alors leur culpabilité m'a effleuré l'esprit. Si je suis entrée à l'institut, c'est pour trouver des preuves sur ce que j'avance. Sans cela, elles seront inatteignables.

Le fantôme hocha la tête en fronçant les sourcils.

— Il est possible que tu aies raison, avança-t-il. J'ai entendu une dispute entre Svelina et Vespera il y a quelques semaines, à propos d'un « vestige de la divinité », mais je n'en sais pas plus. Toutefois, je ne vois pas ce qui aurait pu pousser les prêtresses à commettre un tel crime. Le cœur n'est autre qu'un morceau de l'âme cristallisée de Gëa.

Le cœur d'Hywel s'emballa. Depuis le début, elle était seule avec ses pensées, sans aucun allié. Ses doutes lui soufflaient parfois qu'elle devenait folle et que ses hypothèses n'étaient que le fruit de son imagination. Alors, même si Samaël émettait des incertitudes, l'entendre dire que cela était possible lui redonna espoir. Elle feuilleta donc son carnet à la recherche de la page consacrée au mal d'encre.

— L'épidémie a commencé au moment où les prêtresses m'ont demandé d'assassiner Azra, et le prince est monté sur le trône quelques semaines après. Je me suis dit qu'il devait y avoir un lien.

A l'entente de ces mots, les yeux du fantôme s'écarquillèrent.

— Elles... Elles t'ont demandé de tuer la dirigeante ? balbutia-t-il. Et tu l'as fait ?

Hywel serra les dents, puis elle entrouvrit la bouche sans réussir à acquiescer. Toutes les images lui revinrent en mémoire, alors qu'elle essayait depuis des semaines de les oublier. Elle se souvint de son enfermement dans les cellules, du procès, de la visite de la prêtresse... Et surtout, elle revit clairement le moment où elle avait versé le poison dans la tasse d'Azra. Elle avait failli la tuer. Mais elle avait réagi à temps et elles avaient pu s'échapper, ensemble.

— Oui, elles ont fait un marché avec moi pour que je la tue. Non, je ne l'ai pas tué.

Le soulagement se lut dans les yeux de Samaël, et il poussa un bref soupir. Hywel hésita alors à lui dire la vérité. Tout le monde pensait Azra morte, lui y compris, mais il méritait sans doute de savoir ce qui était advenu de la fille du chef de la révolution. Et puis, un fantôme pourrait difficilement la trahir.

— Azra est encore en vie, avoua-t-elle alors.

Samaël faillit s'étouffer et il la regarda avec des yeux exorbités.

— Quoi ? S'étrangla-t-il.

— Nous avons fait croire à sa mort, mais nous nous sommes échappées toutes les deux. Elle est en sécurité maintenant, sur l'île Astrale.

— Non de non, en voilà une bonne nouvelle ! Je l'ai connue toute petite cette môme, elle avait à peine un mois quand je suis mort.

Hywel sourit à ses paroles, imaginant le bébé qu'avait dû être Azra. Dès qu'elle était née, elle avait incarné une nouvelle voie, juste après la naissance du prince Erwin et de la princesse Lyvia. Elle était devenue le symbole du renouveau, et cela avait joué beaucoup lors des élections, après la mort de son père. Le peuple avait toujours eu foi en elle, et Hywel savait que ce poids pesait chaque jour sur ses épaules.

— Tout est encore possible, alors, déclara Samaël. Avec Azra œuvrant dans l'ombre, la monarchie ne va pas durer bien longtemps, j'en suis certain.

— C'est ce que je pense aussi. Mais pour cela, il faut que le peuple tourne définitivement le dos aux prêtresses. Si l'on prouve leur culpabilité, Azra pourra reprendre le pouvoir en toute légitimité.

Le fantôme hocha la tête avec un grand sourire.

— Nous savons ce qu'il nous reste à faire, dans ce cas, dit-il.

— Nous ?

— J'étais révolutionnaire sous Drystan, ne crois pas que seule la mort va m'arrêter de combattre pour la République.

Hywel ne put s'empêcher de sourire. La détermination irradiait du corps de Samaël. Ensemble, ils feraient tout pour trouver les preuves de la culpabilité des prêtresses. 

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