Chapitre 28: L'institut des prêtresses


Lorsqu'Hywel vit l'institut au loin, ses jambes refusèrent de lui obéir plus longtemps. Elle s'immobilisa et observa l'immense bâtiment bleu clair, dont la coupole dominait les alentours. Que lui avait-il pris ? Pourquoi diable voulait-elle entrer dans la fosse aux serpents ? Elle pouvait encore faire demi-tour, fuir le plus loin possible, rejoindre Asterin. Pourtant, elle savait que la meilleure chose à faire était d'intégrer l'institut. Sa vie avait volé en éclat, et la seule chose qui pouvait donner un but à son existence était de découvrir ce que cachaient les prêtresses. Pour que les choses redeviennent comme avant. Pour qu'elle retrouve Asterin, mais aussi Azra.

Après avoir pris une grande inspiration, Hywel poursuivit donc sa route. Elle remonta une fois de plus la montre à gousset, afin d'être protégée par le charme de l'objet. Plus elle s'approchait du bâtiment, plus il lui paraissait majestueux. Il n'était pas aussi imposant que la tour de Véridia, mais son architecture et son décor étaient bien plus travaillés.

Hywel monta les marches de marbre pour arriver devant l'immense porte d'entrée. Elle ferma les yeux quelques secondes, puis elle la poussa. Elle pénétra dans un hall d'entrée sombre, illuminé seulement par quelques vitraux bleus en hauteur. Dans le fond de la pièce, un bureau trônait, et une femme d'une quarantaine d'années y travaillait. Cette dernière ne daigna pas lever la tête.

Hywel traversa alors le hall, tout en longueur, et admira les représentations de Gëa peintes sur tout un pan de mur. Seul le bruit de ses pas se fit entendre. Une fois devant le bureau, elle se racla la gorge pour signaler sa présence. La secrétaire releva les yeux et remonta ses lunettes sur son nez.

— C'est pour quoi ? demanda-t-elle d'une voix nasillarde.

— Je voudrais m'inscrire à l'institut en tant qu'apprentie prêtresse.

— Les prochaines épreuves ont lieu dans cinq jours, annonça-t-elle en prenant une feuille. Remplissez-moi ça.

La femme lui donna le document et un crayon, puis elle baissa à nouveau la tête dans ses papiers. Hywel lut en diagonale, puis elle inscrivit les informations. Nom. Âge. Pouvoir. Lieu de naissance et de résidence. Précédentes professions. Elle affirma se nommer Lewy Vera, avoir vingt-cinq ans, être née dans le sud de la Véridie et être vendeuse dans une épicerie.

Ensuite, le document indiquait le déroulé de la formation. Elle devrait tout d'abord passer les épreuves d'admission, qui dureraient une journée entière, puis elle intégrerait la nouvelle promotion si elle les réussissait. Seules cinq apprenties sur les trente personnes acceptées deviendraient prêtresses. Mais la seule chose que voulait Hywel était de pénétrer dans l'institut. Le certificat ne l'intéressait pas, elle devait seulement réussir les épreuves d'admission.

Une fois le document complété et signé, elle le déposa sur le bureau.

— Les épreuves commenceront dès huit heures du matin, annonça la secrétaire.

— Très bien, merci. Bonne journée.

Hywel tourna les talons et se dirigea vers la sortie.

Dehors, la nuit venait de tomber. Les lucarnes de l'institut scintillaient dans le noir, et la lune se reflétait dans la coupole de verre. Au loin, Hywel vit l'Arbre de Gëa. Son cœur gonfla dans sa poitrine, jamais elle n'avait pu s'y rendre. Ce chêne millénaire, plus haut encore que la tour de Véridia, surplombait toute la vallée.

Hywel se dirigea vers lui, attirée par sa splendeur. Pour la première fois de sa vie, elle allait pouvoir approcher le lieu où dormait Gëa depuis plusieurs siècles. Un frisson lui parcourut l'échine.

Lorsqu'elle arriva à la hauteur de l'Arbre, elle remarqua enfin les objets suspendus aux branches. Chaque objet appartenait à un défunt. Elle savait que, parmi ceux-là, se trouvait celui de son père. Il était mort peu après sa naissance et elle n'en gardait aucun souvenir. Son cœur se serra à cette vue. Jamais elle n'avait ressenti le besoin de se recueillir, et pourtant, en cet instant, elle pouvait presque entendre chanter la voix de l'âme de son père. L'endroit paraissait être habité.

Hywel s'approcha du tronc et posa sa main dessus. Ses paupières se fermèrent, puis elle se connecta avec les esprits. Soudain, elle les entendit. Des milliers de voix, comme un chuchotement constant et incompréhensible. Les âmes de ses ancêtres murmuraient au creux de son oreille.

Lorsqu'elle enleva sa main de l'écorce, son cœur battait encore dans ses tympans. Elle avait l'impression qu'elle venait de quitter la terre ferme. Pendant quelques secondes, elle s'était sentie en fusion avec les défunts.

Hywel inspira longuement pour se ressaisir. Elle ne pensait pas que l'expérience la bouleverserait autant. C'était comme si elle avait vécu mille vies durant un instant, passant de la joie à la tristesse, de l'extase à la douleur.

Après un tel mélange d'émotion, elle n'osa pas pénétrer à l'intérieur de l'Arbre. Voir le tombeau de Gëa ne pourrait être qu'aussi éprouvant. Pourtant, elle ne pouvait pas passer à côté de cette occasion. Hywel ne savait pas si elle pourrait revenir sur ces lieux, alors elle ne put s'empêcher d'avancer.

Elle fit le tour de l'Arbre pour trouver l'entrée creusée dans le tronc, puis elle entra au cœur de la demeure de la déesse. Elle descendit les escaliers en spirale vers les sous-sols, puis elle arriva dans la pièce où se trouvait le tombeau. L'endroit était éclairé par de nombreuses torches, et un halo lumineux entourait Gëa.

Hywel se dirigea vers le sépulcre, les mains légèrement tremblantes. Elle enleva alors sa montre à gousset pour retrouver sa véritable identité. Devant la déesse, elle se devait d'être elle même. Sans artifices. Sans barrières. Juste Hywel Zaltar, avec ses failles et ses défauts.

Elle s'approcha du tombeau, plus long que trois êtres humains, sculpté comme s'il était l'enveloppe même de Gëa. Sur sa poitrine, un trou béant creusait la roche. L'endroit où aurait dû se trouver son cœur, cette pierre d'opale renfermant une partie de son âme. Le lieu était pourtant protégé par des charmes, alors aucun voleur n'aurait dû pouvoir le subtiliser. Le doute émergea davantage dans l'esprit d'Hywel. Elle ne pensait pas les prêtresses capables de commettre un tel crime religieux, pourtant, elles étaient les seules à pouvoir s'approcher du cœur. Elle espérait que son entrée à l'institut lui apporterait les réponses à ses questions.

Hywel s'approcha un peu plus du tombeau et effleura la roche du bout des doigts, au niveau de la main de la déesse. Un frisson lui parcourut tout le corps. Sous ce monument de pierre se trouvait le corps de la Créatrice de ce monde. Être si proche de la divinité était déroutant, Hywel n'arrivait pas à le réaliser. Elle savait qu'avant le vol de la pierre opaline, l'on pouvait entendre les battements du cœur de la déesse. Gëa avait veillé sur eux pendant des siècles, puis elle les avait laissés, continuant de garder un œil sur eux durant son sommeil.

Et si le mal d'encre n'était que la contestation de la déesse ? Les membres d'Hywel se crispèrent lorsque cette pensée s'insinua dans son esprit. Les éléments parurent s'emboîter comme par magie dans sa tête, et elle s'immobilisa, la main toujours sur celle de la déesse. Les nervures partaient toutes de l'Arbre. Mais dans ce cas, pourquoi les prêtresses auraient-elles volé le cœur ? Et surtout, pourquoi ne l'auraient-elles pas remis en place en voyant la réaction de Gëa ? Hywel désira davantage entrer à l'institut. Trop de ses questions restaient sans réponses. Si les prêtresses étaient vraiment responsables de ces maux, le peuple ne leur accorderait plus jamais sa confiance. Azra pourrait revenir au pouvoir plus légitime que jamais.

***

Pendant cinq jours, Hywel était restée dans le village le plus proche de l'institut. Elle avait fait de nombreuses parties de jeu des gemmes, qu'elle avait pour la plupart gagnées, ce qui lui permit de payer l'hôtel et de se trouver une tenue plus adaptée pour son examen d'entrée.

Lorsqu'elle arriva devant l'institut, un poids lui écrasa la poitrine. Son angoisse l'envahit. Et si elle échouait ? Si elle ne parvenait pas à pénétrer dans le monument ? Que ferait-elle alors ? Elle ne supporterait pas de passer sa vie à se cacher, bafouant son identité et mettant en danger toutes les personnes qu'elle approcherait. Elle ne se donnerait jamais le droit de faire davantage du mal à Asterin. Tant qu'elle était hors-la-loi, Hywel ne voulait plus vivre avec sa sœur.

Elle avança vers l'institut, puis elle gravit les marches pour entrer dans le hall. Lorsqu'elle poussa la porte, elle fut étonnée de l'agitation qui y régnait. Cinq jours plus tôt, pas un bruit ne se faisait entendre. Mais en ce jour, le lieu était occupé pas une cinquantaine de personnes, et le brouhaha résonnait entre les murs.

Hywel se faufila parmi la foule de jeunes femmes présentes, sans trop savoir où aller. Soudain, des gouttes de pluie tombèrent dans son dos et la glacèrent. Ses membres se crispèrent et elle ouvrit la bouche pour pousser un cri, les yeux écarquillés. Elle leva alors son regard au-dessus de sa tête et découvrit un petit nuage grisonnant.

— Oh, non, je suis vraiment désolée ! s'exclama une personne à sa droite.

Hywel observa la jeune femme qui lui faisait face. Son visage était crispé par le stress, et elle ne cessait de remettre ses lunettes sur son nez. Elle tenait de sa main droite un calepin, et elle fouilla de sa main gauche dans la poche de sa jupe. Elle en sortit un mouchoir en tissu et le tendit à Hywel, le bras légèrement tremblant. La jeune Véridienne le prit et s'essuya la nuque, les traits légèrement tirés.

— Pardonnez-moi, vraiment, le stress me fait faire n'importe quoi. Je n'arrive même plus à contrôler mon pouvoir.

Hywel n'était pas habituée à ce qu'on lui parle. Elle était souvent invisible, et les seules personnes qui la regardaient le faisaient avec mépris. Elle se souvint alors que le charme cachait ses tatouages, dont le « D » sur sa joue. Elle doutait que cette jeune femme l'aurait approché si elle avait eu son véritable visage. Elle aurait probablement tourné les talons sans un mot.

— Je m'appelle Elina, se présenta-t-elle alors. Je suis une Dessinatrice de Boréal.

Hywel fit tout son possible pour ne pas lui jeter un regard glacial. Elle tenta de sourire, mais il se transforma en une grimace. Jamais elle n'avait su faire semblant.

— Lewy, dit-elle simplement, ne désirant aucunement faire la conversation.

— Enchanté !

Elina lui adressa un immense sourire et ses traits se relâchèrent un peu. Elle remonta une fois de plus ses lunettes puis serra son calepin contre sa poitrine.

— Je dessinais un nuage quand tu es passée à côté de moi, poursuivit-elle d'une voix enjouée. Mais, avec mon stress, il s'est matérialisé sans que je m'en rende compte.

— Pas de soucis, c'est oublié. Bonne journée.

Hywel tourna les talons, mais la jeune Boréalienne la suivit. Elle marcha à ses côtés, remettant en place ses cheveux coupés en un carré court.

— C'est la deuxième fois que je passe l'examen d'entrée, déblatéra-t-elle. La première fois, j'étais tellement angoissée que je n'ai pas réussi à écrire une ligne. J'étais complètement tétanisée. Et toi, tu...

— Excuse-moi, je dois aller aux toilettes. Bonne chance.

Hywel s'éloigna sans attendre sa réponse, se mêlant à la foule. Lorsqu'elle se retourna, elle ne vit plus Elina. Elle s'arrêta alors et soupira. La jeune Boréalienne parlait trop. Beaucoup trop. Hywel n'avait aucune envie de faire la conversation, et surtout, elle devait se faire discrète. Plus elle parlerait, plus elle prendrait le risque de se trahir.

Soudain, une cloche sonna. Les discussions se tarirent et une voix s'éleva à travers la foule.

— Veuillez vous diriger vers la porte à droite du bureau, vous pourrez ensuite vous installer.

Tout le monde s'exécuta et Hywel suivit. Une fois arrivée dans la grande salle, elle s'installa à une table individuelle dans le fond de la pièce. Devant elle se trouvait un crayon et un encrier. Elle observa ensuite les alentours. L'endroit était éclairé par deux grands vitraux sur le mur de droite, et l'emblème du Gëanisme était gravé au-dessus du bureau de la personne qui allait les surveiller. Un arbre d'or à cinq branches, où était écrite la devise des prêtresses : foi, piété, rédemption, ordre et justice.

Lorsque toutes les personnes furent installées, deux femmes commencèrent à distribuer des copies. Les entrailles d'Hywel se contractèrent, et elle serra la montre à gousset dans sa main pour gérer son stress.

Une fois toutes les copies sur les tables, les deux prêtresses se placèrent près du bureau.

— Vous avez deux heures, déclara l'une d'elles. Vous pouvez commencer.

Ignorant son cœur battant, Hywel retourna la feuille. Elle balaya les questions des yeux et fut soulagée de voir qu'elle connaissait la réponse de beaucoup. Même si elle n'allait plus au sanctuaire depuis de nombreuses années, Milo lui avait enseigné tout ce qu'elle devait savoir sur le Gëanisme.

***

Deux heures plus tard, Hywel rendit sa copie avec le sentiment d'avoir réussi. Elle était assez confiante quant aux réponses qu'elle avait données.

La prochaine épreuve concernait les pouvoirs, les sans-pouvoirs n'ayant pas le droit d'intégrer les ordres. Chacun devait attendre un entretien avec une prêtresse, et Hywel fut l'une des premières à être appelée. Elle suivit une femme d'une soixantaine d'années environ dans une salle. L'endroit était sombre et ne comportait qu'un petit bureau ainsi qu'une chaise. La prêtresse s'y installa puis nota quelques mots sur une feuille. Hywel resta debout, les mains croisées devant elle

— Bien, nous allons pouvoir commencer, déclara la femme. Vous êtes une Illusionniste, c'est bien cela ?

— C'est exact.

— Possédez-vous un don secondaire ?

Hywel déglutit difficilement. Voir les fantômes était un pouvoir peu répandu, et elle savait qu'elle ne pouvait pas le révéler sans susciter des doutes.

— Non, mentit-elle alors d'une voix cassée.

La prêtresse releva les yeux et l'observa au dessus de ses lunettes, un sourcil légèrement haussé. Hywel crut un instant qu'elle avait découvert sa couverture. Finalement, elle baissa à nouveau la tête avant d'écrire quelques mots.

— Quel niveau de maîtrise avez-vous ? poursuivit-elle.

— Faible.

— Bien, faites-moi une faille. Peu importe la taille et l'endroit.

Hywel acquiesça, puis elle ferma les yeux et prit une grande inspiration pour ralentir son rythme cardiaque. Elle n'utilisait que très peu son pouvoir, alors sa maîtrise restait faible et incomplète. Sa peur d'échouer et son manque de confiance la paralysèrent quelques instants. Lorsque ses paupières se rouvrirent, elle se concentra sur le seul tableau qui décorait la pièce. Elle imagina alors la faille en son intérieur. Ses sourcils se froncèrent sous le coup de la concentration, puis elle utilisa ses mains pour s'aider dans sa tâche. La surface du tableau s'irisa légèrement avant de retrouver ses couleurs initiales.

Ses lèvres s'étirèrent en un sourire et elle se tourna ensuite vers la prêtresse. Cette dernière se leva, avant de se diriger vers la faille. Elle y mit son bras et il pénétra jusqu'au coude, puis Hywel la vit lâcher un crayon à l'intérieur. Elle voulait vérifier que la faille avait bien une délimitation, qu'elle n'était pas qu'un vide. La femme récupéra ensuite l'objet.

— Parfait, vous pouvez disposez. Les résultats seront donnés demain, à midi.

Hywel hocha la tête, puis elle prit la direction de la sortie, un léger sourire aux lèvres.

***

Le lendemain, Hywel attendit les résultats dans le hall, entourée par toutes les jeunes femmes qui avaient passé elles aussi les épreuves d'admission la veille. A midi pile, une prêtresse commença à énumérer les noms des personnes ayant été acceptées. Trente personnes seulement intégreraient la promotion.

Hywel resta debout près d'un mur, les bras croisés contre sa poitrine et les mains moites. Plus le temps passait, plus son estomac se nouait. Les noms défilaient sans qu'elle n'entende le sien. Lenea Teleso, Eryn Lopes, Elina Felme, Salma Erat... Elle voyait les nouvelles apprenties se diriger vers la prêtresse et priait intérieurement pour les rejoindre à son tour.

— Et enfin, notre dernière élève, Lewy Vera !

Hywel mit quelques secondes avant de réaliser que c'était elle qui venait d'être appelée. Le poids sur ses épaules s'évanouit alors. Elle entrouvrit la bouche et soupira, puis elle marcha à travers la foule pour atteindre le groupe. La prêtresse prononça quelques mots pour les jeunes femmes qui avaient échoué aux épreuves, avant de se tourner vers la nouvelle promotion.

— Chères apprenties, veuillez vous diriger vers la grande salle. C'est dans cet endroit que se dérouleront la plupart de vos cours.

Toutes se dirigèrent comme une seule femme vers l'endroit qui venait d'être désigné. Lorsqu'Hywel pénétra dans la salle, la première chose qui attira son regard fut le puits de lumière qui venait du plafond. Un dôme de verre d'environ un mètre de diamètre illuminait uniquement le centre d'une table en demi-lune, montée sur une estrade. Le reste de la pièce restait plongé dans une semi-obscurité.

Deux longues tables étaient installées sur la longueur de la grande salle, et les apprenties y prirent place. Hywel se retrouva dans le fond. Elle s'assit et posa ses mains sur ses genoux, les yeux fixés sur le dôme au-dessus d'elles. Son regard fut alors attiré par une personne à quelques mètres d'elles. Elle reconnut sans mal Elina, avec ses lunettes et ses cheveux châtains. Cette dernière lui fit signe avec un immense sourire. Hywel le lui rendit du mieux qu'elle le put malgré ses mâchoires crispées.

Trois prêtresses entrèrent alors dans la salle. Elles portaient toute leur longue robe rouge, mais aucune ne se cachait derrière le masque réglementaire entre les murs de l'institut. Elles se dirigèrent vers le bureau en demi-lune, et deux d'entre elles s'assirent. La dernière resta debout, les mains posées sur la table. Elle balaya l'assemblée des yeux et s'arrêta une seconde de plus sur Hywel. Le cœur de la jeune femme s'arrêta devant son regard perçant. Et si quelque chose l'avait trahi ? Avait-elle fait un geste sans s'en rendre compte ? Instinctivement, comme toujours lorsqu'elle se sentait en danger, elle mit sa main à sa cuisse. Ses membres se crispèrent en sentant que sa dague n'y était pas. Par précaution, au cas où elle serait fouillée, elle avait préféré la laisser dans sa valise.

La prêtresse détourna finalement son regard au bout de quelques secondes. Hywel souffla et ses muscles se relâchèrent. Ses yeux se fermèrent quelques instants le temps qu'elle calme son rythme cardiaque, puis elle se retourna vers le bureau en demi-cercle.

— Bonjour à toutes, chères apprenties, déclara alors la prêtresse. Je voulais tout d'abord vous féliciter. Vous avez réussi avec brio votre examen d'entrée, et ainsi, vous avez la chance de devenir les futures messagères de la déesse.

Un sourire éclaira son visage durant un instant, puis elle s'humecta les lèvres et poussa un léger claquement de langue.

— Je me nomme Vespera, et je serai votre accompagnatrice spirituelle tout au long de votre séjour parmi nous. Je vous ferai passer la plupart de vos examens et superviserai une bonne partie de vos cours. Chaque demande particulière se fera auprès de moi.

Hywel déglutit difficilement. Que cette femme devienne sa référente durant les prochaines semaines ne l'enchantait pas le moins du monde. Avec ses cheveux gris tirés en arrière, son visage émacié et son regard perfide, Vespera paraissait être aussi autoritaire que Svelina elle même.

— Les premières épreuves auront lieu dans deux semaines, poursuivit-elle. D'ici là, vous aurez de nombreux travaux à rendre. A l'issue de cet examen, la moitié d'entre vous nous quitteront, soit quinze personnes. Puis, dans un mois, seules les cinq meilleures d'entre vous obtiendront le statut de prêtresses et entreront dans les ordres. Bon courage à toutes !

Les apprenties se mirent à applaudir, puis les deux autres prêtresses se levèrent. Elles saluèrent la nouvelle promotion d'un signe de tête, les mains cachées dans les amples manches de leur robe.

— Je suis Hessa, déclara la prêtresse à droite de Vespera. Veuillez me suivre, je vais vous emmener vers vos chambres.

Les jeunes femmes se levèrent et se dirigèrent vers la porte. Hywel suivit sans un mot, observant chaque recoin de la salle. Elle ne pensait pas trouver des indices dans la partie consacrée à la formation, mais chaque détail pourrait peut-être lui apporter une partie des réponses à ses questions. Mais, dans cette salle, rien ne lui parut suspect. Aucun artifice, aucune décoration ne recouvrait les murs de pierres grises.

Hywel resta en bout de file et suivit les autres apprenties à travers les couloirs de l'aile sud. Lorsqu'elles arrivèrent à destination, elle se hissa sur la pointe des pieds pour repérer la prêtresse Hessa. Seul le haut de sa chevelure blonde ressortait au-dessus de la foule.

— Chacune d'entre vous aura une chambre individuelle, s'écria-t-elle alors. Nous vous laissons la journée pour prendre vos marques. Vous avez quartier libre jusque demain matin, huit heures, afin de ranger vos affaires et de visiter les lieux. Vos valises vous seront apportées d'ici une petite heure.

— A quelle heure sera servi le repas ? demanda une petite voix.

— Vous jeûnerez ce soir, votre corps en sera purifié et vous serez apte à commencer votre formation.

L'estomac d'Hywel protesta. Elle n'avait rien réussi à avaler de la journée à cause du stress, et elle n'était pas certaine de pouvoir tenir jusqu'au lendemain.

— Sur ce, je vous souhaite une bonne journée. Si vous avez des questions, nous serons, Vespera et moi, dans les bureaux de la direction.

Elle s'éloigna, puis les apprenties commencèrent à entrer dans les pièces à leur droite, avant d'inscrire leur nom sur les ardoises accrochées à la porte. Les chambres se trouvaient tout du long d'un pan de l'institut. Hywel avança et choisit la première qui était libre. Elle prit une craie dans un pot et écrivit son nom de substitution, Lewy. Elle poussa ensuite la porte et pénétra dans la pièce.

Une unique petite fenêtre éclairait tout juste l'endroit. La chambre ne comportait qu'un lit simple et une armoire à peine plus grande qu'Hywel, où était accroché un miroir. La jeune femme se dirigea vers ce dernier pour voir son reflet. La personne qui lui fit face était une étrangère. Cette Lewy, créature tout droit sortie de son esprit, n'existait que pour cacher son identité. Hywel aurait voulu lui ressembler. Et si elle n'avait pas été défaillante ? Qu'aurait été sa vie ? Tout aurait été différent. Soudain, elle eut envie de balancer son poing dans la glace. Le visage trop parfait de son reflet ne lui renvoyait que sa propre médiocrité.

Sa défaillance avait gâché sa vie. Elle était devenue un monstre que personne n'osait plus approcher. Et, plus les gens la fuyaient, plus elle se renfermait sur elle même. Sa mère lui avait dit une fois qu'elle avait été une enfant très souriante avant le drame. Hywel n'arrivait pas à l'imaginer. Elle n'avait aucun souvenir de celle qu'elle était avant cette nuit où elle avait tué sa cousine. Seules les humiliations subies dans son enfance restaient ancrées dans son esprit, et elle était certaine de les avoir méritées. Alors trouver ce dont les prêtresses étaient responsables lui donnait enfin un but. Tout ce qu'elle voulait et avait toujours voulu, c'était faire le bien pour rattraper les crimes qu'elle avait commis malgré elle.

Hywel se laissa tomber sur le lit, la gorge nouée. Elle mit sa tête dans ses mains et fit tout son possible pour ne pas craquer. Les yeux fermés, elle se concentra sur sa respiration légèrement haletante. Elle devait trouver ce que les prêtresses cachaient. Pour qu'Azra puisse reprendre le pouvoir avec le soutien du peuple. Et surtout, pour qu'elle-même puisse retrouver sa place auprès de la dirigeante, avec sa famille près d'elle. Son ancienne vie, qu'elle avait toujours méprisée, lui manquait. Elle ne voulait pas passer le reste de sa vie à fuir comme une hors-la-loi. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top