Chapitre 16: L'île aux mille couleurs
Le bateau fut amarré dans une petite crique. Hywel trépignait d'impatience à l'idée de découvrir cette terre nouvelle, ce monde à l'opposé du sien. Elle observa les pirates installer une passerelle en bois pour descendre, Azra à ses côtés. La dirigeante ne se défaisait pas du sourire collé à ses lèvres. Elles avaient réussi.
Au moment de descendre du bateau, Raïna arriva en courant. Elle triturait ses mains nerveusement.
— Selio ne se réveille pas... J'espère que je vais réussir à trouver un guérisseur à temps.
Hywel passa une main sur sa nuque engourdie. L'état de Selio s'était dégradé et elle ne savait pas quoi dire pour rassurer son amie. Elle ne voulait pas lui assurer qu'il irait mieux alors qu'elle n'en savait rien.
— Bah, je suis sûr qu'il va s'en sortir, dit finalement Raïna. Il est costaud. Quant à toi, tu as intérêt d'être là dans trois jours.
Hywel sourit. Elle n'avait que trois jours pour accompagner Azra à la cour de l'île, puis revenir pour retourner à Méridia. Elle avait été séparée déjà que trop longtemps de sa sœur.
— Promis, je serai de retour à temps.
Raïna se jeta alors dans ses bras. Le corps d'Hywel se crispa, elle détestait les contacts physiques. La jeune pirate dût voir sa gêne, car elle s'éloigna de quelques pas en ramenant ses cheveux vers l'avant.
— Tu as intérêt, dit-elle.
Hywel la salua, puis elle descendit par la passerelle en bois. Lorsqu'elle arriva sur le sable noir de la crique, aux côtés d'Azra, elle ne put s'empêcher de s'émerveiller. Elle leva les yeux et admira la forêt tropicale qui s'étalait au loin.
— Allons-y, déclara Azra.
Les deux femmes pénétrèrent dans la forêt, laissant derrière elles le bateau pirate. Elles devaient se rendre à la cour de l'île Astrale, dans la villa du roi. Selon Azra, une heure de marche devrait suffire.
Elles avancèrent le long des gorges bordées de verdure, dont les arbres portaient des fruits colorés. De multiples oiseaux voletaient en piaillant, et de petits singes se balançaient de liane en liane. Hywel ne savait plus ou donner de la tête. Elle avait l'impression de ne jamais avoir vu autant de couleur au même endroit.
Azra marchait devant elle, sa boussole en main. Lorsqu'elles arrivèrent à mi-chemin, la dirigeante proposa de se reposer quelques minutes pour boire quelques gorgées. Hywel accepta. Le climat chaud et humide de l'île l'avait épuisé elle aussi.
Azra puisa dans son sac une gourde et la tendit à Hywel. La jeune femme la porta à ses lèvres, puis lui la rendit.
— Comment se porte votre jambe ? Vous n'avez pas de mal à marcher ? la questionna Azra.
— Tout va bien.
C'était la vérité. Sa cuisse avait complètement cicatrisé, et ses douleurs avaient disparu pendant cette nuit de pleine lune. Seules ses crampes l'empêchaient d'avancer comme elle l'aurait souhaité.
— Et vous ? demanda Hywel. Comment allez-vous ? Je n'ai pas été très présente ces dernières semaines.
Azra lui sourit faiblement. Hywel s'en voulait de l'avoir délaissé, la laissant récurer le pont au milieu des pirates, tandis qu'elle se reposait dans la cabine du capitaine.
— Je vais bien. J'ai juste hâte de retrouver la civilisation.
Hywel se doutait que le voyage avait été rude pour elle. Azra poussa un soupir.
— J'aurais aimé que tout cela ne soit pas arrivé.
Hywel compatit. Même si elles ne venaient pas du même monde, leur univers avait éclaté en même temps. Hywel aussi aurait voulu que tout ne soit qu'un cauchemar. Elle avait prié longtemps pour se réveiller. Elle voulait retrouver sa vie tranquille, sa sœur... Pourtant, elle avait enfin ce qu'elle désirait. La liberté. Mais cette liberté était entravée. Elle n'oubliait pas qu'elle était toujours recherchée, et qu'au premier pas sur Méridia, elle prendrait le risque d'être pendue.
— Tout n'est pas perdu, dit finalement Hywel. J'ai confiance en vous. Je suis sûr que vous serez capable de reprendre le pouvoir.
Azra sourit, la détermination dans le regard. Hywel savait qu'elle ne laisserait pas les prêtresses leur gâcher la vie. Elle se battrait.
— J'ai reçu un message du général, au fait. La rébellion s'organise. Les gardes qui ont réussi à s'échapper avant le coup d'État de Svelina ont rejoint ses rangs. Si je parviens à former une alliance avec l'île Astrale, et avec les autres territoires, nous aurons une chance de gagner.
Hywel hocha la tête. Elle ne pouvait pas imaginer un monde gouverné par les prêtresses. Elle n'avait pas d'autre choix que de faire confiance à la dirigeante.
Azra regarda sa montre. Elle reboucha ensuite sa gourde et la rangea dans son sac, puis les deux jeunes femmes reprirent leur route.
Environ une demi-heure plus tard, elles arrivèrent à la lisière de la forêt. Au loin, Hywel vit une villa immense, dont les murs blancs reflétaient la lumière du soleil. Elles traversèrent un village, dont les habitants portaient des tenues traditionnelles de l'île. Hywel fut frappée par leurs vêtements colorés. Les femmes portaient des bandeaux dans les cheveux, et les hommes les portaient aux poignets.
— Les couleurs indiquent la classe sociale, expliqua Azra. L'île Astrale a beaucoup évolué ces dernières années, mais le système de castes perdure...
Le reproche transparaissait dans la voix d'Azra. Depuis qu'elle était au pouvoir, elle avait au contraire tout fait pour que les inégalités sociales soient amoindries. Hywel savait qu'elle avait fait beaucoup pour les classes populaires. Elle avait été élue par le peuple et voulait tout faire pour qu'il vive décemment.
Lorsqu'ils arrivèrent devant la villa royale, Hywel resta bouche bée. Jamais elle n'avait vu un bâtiment aussi imposant. La tour de Méridia était tout en hauteur, mais cette villa était, elle, tout en hauteur et en largeur. Ses murs blancs étaient portés par d'imposantes colonnes, décorées de mosaïques aux teintes bleutées. La bâtisse était surélevée, surplombant le village. Deux escaliers de marbre menaient à une terrasse, où se trouvait une porte colossale.
Les deux femmes montèrent les escaliers, puis Azra prit le heurtoir de la porte pour annoncer leur arrivée. Une servante vint leur ouvrir. Elle fronça les sourcils lorsqu'elle les vit et les jaugea de la tête aux pieds.
— Bonjour. Je suis Azra Balcan, dirigeante de Méridia. J'ai dû fuir pour éviter la mort, ce qui explique mon accoutrement peu correct. Je demande une audience au roi de toute urgence.
La servante dut mettre sa main devant sa bouche pour s'empêcher de rire. Hywel vit les mâchoires d'Azra se crisper. La jeune femme comprit son humiliation, mais elle ne pouvait pas en vouloir à la servante. La dirigeante n'avait aucune crédibilité, avec ses vêtements sales et troués, ses cheveux en bataille et son visage fatigué. Personne ne pouvait croire qu'il s'agisse véritablement de la cheffe d'État de Méridia.
— Je suis consciente que mon état porte à confusion, déclara Azra sans desserrer les dents. Toutefois, le roi Lavez m'a vu plusieurs fois, alors je suis certaine qu'il me reconnaîtra. Allez le chercher, si vous ne voulez pas perdre votre place.
Devant le ton autoritaire qu'Azra employa, la servante se décida finalement à aller chercher le roi. Hywel observa la dirigeante avec un sourire. Ainsi, l'on reconnaissait bien Azra, avec ses bras croisés, sa tête haute et son regard dédaigneux. Lorsqu'elle agissait ainsi, son autorité naturelle resurgissait. Hywel avait toujours détesté cette attitude auparavant. Désormais, elle avait compris que cela n'était qu'une carapace. Le poids du pouvoir était tombé si tôt sur ses épaules qu'Azra avait été contrainte d'ériger des barrières autour d'elle pour se protéger. Derrière cette femme forte et indépendante, Hywel avait vu une femme douce et toujours prête à protéger son peuple. Elle avait été témoin de ses doutes, de ses faiblesses et ses peurs.
Quelques minutes plus tard, la servante ouvrit à nouveau les portes de la villa.
— Le roi va venir vous rencontrer à la fin de sa réunion, déclara-t-elle. En attendant, vous pouvez faire le tour des balcons pour découvrir les paysages de l'île.
— Bien, merci.
La servante se retourna et referma la porte derrière elle. Même si le roi donnait son accord pour les recevoir, il ne voulait probablement pas laisser entrer des inconnues entrer dans sa villa sans avoir vérifié leur identité. Les deux femmes commencèrent alors à marcher le long du balcon qui encerclait la villa. Les paupières d'Hywel s'agrandirent lorsqu'elles arrivèrent au dessus du lac des eaux roses. Le balcon était perché en haut d'une roche de granit rouge, et il surplombait l'étendue d'eau calme.
— Le lac est réputé pour ses vertus thérapeutiques, expliqua Azra devant le regard ébahi d'Hywel. D'après les croyances, l'eau permettrait de ralentir le vieillissement du corps.
Au loin, Hywel perçut les montagnes et les volcans, dont les cascades se jetaient dans le lac. Elle se sentit minuscule. L'immensité des reliefs l'écrasait, elle qui n'avait vu que les vastes étendues planes du désert.
— Vous étiez déjà venue ici ? demanda Hywel dans un murmure.
— Quelques fois, oui, lorsque j'étais enfant. Depuis que je dirige Méridia, je n'y suis pas retournée.
Hywel ne lui répondit pas, trop absorbée par sa contemplation. Le monde était plus vaste encore qu'elle ne l'aurait imaginé. Elle ne se lassait pas de ses découvertes, et chaque endroit lui paraissait encore plus merveilleux que le précédent.
Ce fut le roi qui l'interrompit dans son admiration béate.
— Azra Balcan ! Quelle surprise, très chère, c'est un plaisir de vous revoir.
Hywel se retourna et vit un homme richement vêtu, entouré de deux gardes et de plusieurs domestiques. Le roi, dont la barbe brune naissait sur ses joues, portait une couronne recouverte de pierreries. Même sans cela, Hywel l'aurait reconnu. Sa démarche assurée et son attitude pleine d'arrogance témoignaient de son charisme.
Le roi Laslev, après avoir accordé un immense sourire à Azra, posa alors son regard sur Hywel. Son sourire se transforma en une grimace de dégoût.
— Ma chère, que nous avez-vous donc apporté ? Une défaillante, rien que cela ! Les rumeurs étaient arrivées jusqu'à l'île, mais je n'aurais jamais pensé qu'une femme aussi délicate que vous ne s'encombre de... Cela.
Il accompagna son dernier mot d'un geste désinvolte. Hywel croisa les bras sur sa poitrine, peu atteinte par cette humiliation. Ce n'était ni la première ni la dernière. Mais pour la première fois, Azra prit sa défense. Le cœur d'Hywel loupa un battement.
— Très cher Laslev, je vous présente Hywel, ma garde du corps. Une défaillante, certes, mais qui a toujours su me protéger comme il se devait. Je lui dois la vie, je vous prierai donc de ne plus lui manquer de respect.
— Soit ! Je vous invite donc, toutes deux, à entrer dans la villa.
Il se retourna et les pria d'un geste de les suivre. Azra interrogea Hywel du regard. La jeune femme ne put s'empêcher de lui sourire, le cœur encore battant. Elle sentit alors la main d'Azra effleurer la sienne et des frissons parcoururent tout son corps. La caresse, si discrète fût-elle, fit monter le rouge aux joues d'Hywel. La jeune femme rangea ses mains dans les poches de son pantalon, troublée par sa propre réaction. Elle suivit ensuite le roi sans un regard de plus vers Azra.
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