Chapitre 31




Alena était en train de rassembler les dossiers qu'elle venait de trier quand Tamara arriva pour l'emmener déjeuner.

Elle avait besoin de parler à son amie après avoir passé ces quatre derniers jours à ruminer sur sa décision de laisser Sergueï retrouver sa mère.

Le chauffeur les déposa devant un café à la l'ambiance feutrée qui se trouvait à quelques mètres de la tour.

Depuis plus de trois heures elle n'avait plus de nouvelles de Sergueï qui avait quitté son bureau plus tôt dans la journée. Bien sûr Alena essayait de ne pas se poser trop de questions, mais savait au fond d'elle que son départ précipité avait un lien avec la mafia.

- Nous serons bien ici, décréta Tamara en choisissant une table à l'abri des autres.

Alena s'installa l'esprit envahi de questions et elle espérait que son amie l'aide à faire les bons choix.

- Tu as l'air perdu dans tes pensées, nota son amie en la regardant avec inquiétude.

- Je vais bien, s'empressa de dire Alena en esquissant un sourire rassurant. En fait si je voulais te voir c'est pour te parler de quelque chose qui ne concerne pas Sergueï.

- Je t'écoute.

Le serveur les interrompit pour déposer les deux cafés commandés.

- J'ai demandé à Sergueï de retrouver ma mère biologique et je voulais savoir ce que tu en penses.

Tamara afficha une mine grave et retira sa main posée sous son menton.

- Ce n'est pas une bonne idée ?

- Eh bien pour ma part je n'ai jamais voulu savoir qui était celle qui m'a abandonné et encore moins savoir avec quel homme cette femme m'a conçue. Après c'est un choix personnel Alena. Certaines personnes veulent des réponses, et d'autres n'en ont pas besoin.

- J'ai l'impression que ça m'empêche de vivre de ne pas savoir pourquoi cette femme m'a abandonné, mais j'ai peur de connaître les raisons.

- C'est pour cette raison que je n'ai jamais voulu savoir, déclara Tamara en posant ses mains sur son café. Je ne veux pas entendre qu'elle m'a abandonné parce qu'elle ne m'aimait pas ou qu'elle se droguait. J'ai attendu des années qu'elle se manifeste et elle ne l'a jamais fait ce qui signifie que je ne compte pas pour elle.

Alena exhala un soupir tremblant parce que Tamara avait raison sur certains points.

Elle avait également souhaité du plus profond de son cœur que sa mère biologique se manifeste et elle ne l'avait jamais fait.

Que devait-elle en conclure ?

Qu'elle ne voulait pas la connaître ? Qu'elle s'en fichait de savoir ce qu'elle était devenue ?

- Tu ne t'es jamais demandé si elle était encore en vie ?

- Bien sûr que oui, répondit son amie en ayant quelques difficultés à respirer. Je me suis souvent demandé si elle était morte et si c'était la raison de son silence pendant plus de vingt ans, et je préfère ne pas le savoir. Parfois vouloir connaître la vérité peut être encore pire que de ne pas savoir et je préfère rester dans l'ignorance.

Alena déglutit sous le regard réconfortant de Tamara posa sa main sur la sienne.

- Si tu as besoin de réponses alors laisse Sergueï la retrouver, mais il faut que tu sois certaine d'être prête à accepter la vérité. Es-tu prête Alena ?

Si elle était prête ?

Non, elle ne l'était pas, mais elle était fatiguée de se torturer l'esprit et voulait des réponses qu'elles soient bonnes ou mauvaises.

- Je ne suis pas prête, mais je veux savoir, j'ai besoin de savoir.

Tamara serra sa main en souriant tristement.

- Dans ce cas laisse Sergueï la retrouver.

Une douleur lancinante dans la poitrine, elle hocha faiblement la tête et essuya furtivement les larmes qui menaçaient de couler.

Elle avait l'impression qu'elle ne pourrait jamais être heureuse si elle ne connaissait pas la vérité.

Elle avait désespérément besoin de savoir si un jour elle avait été aimée ou rejetée dès le début de sa vie.

- Je pensais que c'était Sergueï qui avait un problème mais je me rends compte que c'est moi qui ai un problème, lui révéla-t-elle des sanglots dans la voix. Je m'efforce de le croire, je m'efforce de lui faire confiance, mais à chaque fois que je m'autorise à un peu de bonheur j'ai l'impression que je vais le perdre et jusqu'ici la vie m'a montré qu'il ne fallait pas s'attacher.

- Sergueï est sans doute l'homme le plus impassible que je connaisse avec Nikolaï, mais une chose est sûre c'est que dès qu'il s'agit de toi, il ne l'est plus. Tu lui as fait quelque chose et j'ignore ce que c'est, j'ignore si ça a un rapport avec votre relation de dominé-dominant ou si c'est autre chose, mais je t'assure qu'il est différent avec toi.

Alena inspira profondément.

- Il n'y a pas un jour qui passe sans qu'il dise que jamais il ne va m'abandonner, murmura-t-elle d'une voix inaudible. Qu'il me retrouvera toujours.

- Nikolaï m'avait fait cette promesse et il n'a pas manqué de la tenir.

Tout en reniflant, elle porta la tasse de café à ses lèvres.

- Parlons d'autre chose s'il te plaît, j'ai besoin de me changer les idées.

Tamara leva les yeux au ciel en faisant mine de réfléchir puis lui lança un regard malicieux.

- Je t'aurai bien parlé de sexe, mais nous ne sommes pas dans un lieu approprié, dit-elle en la regardant par-dessus sa tasse de café.

Alena ne put s'empêcher de sourire en secouant de la tête.

- Et dire qu'avant tu étais la plus timide de l'orphelinat.

- Je le suis toujours, sauf que j'ai grandi et j'ai rencontré un homme qui m'a redonné confiance en moi.

C'était également le cas pour elle, sauf qu'elle aurait rêvé être comme Tamara qui ne cherchait pas à fouiller son passé et ne trouvait pas l'utilité de le faire.

- Tu veux que l'on parle de ton mariage ? La taquina-t-elle. Je n'en reviens pas que tu sois mariée avant moi.

- Moi non plus je n'en reviens pas, admit-elle en esquissant un mince sourire. Je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi il a rédigé un contrat de mariage.

- Il est obsédé par toi Alena, il te voit différemment des autres femmes.

- Tu sais des choses que j'ignore n'est-ce pas ? Grâce à Nikolaï.

- Il n'y a pas que Nikolaï qui sait pour le passé de Sergueï, commença-t-elle sur un ton hésitant. Chaque membre de la mafia a eu au cours des années quelques bribes d'informations sur son passé, mais celui qui en sait le plus c'est Nikolaï.

- Pourquoi il ne veut rien me dire ?

- Parce que le savoir ne changera rien à votre histoire. Néanmoins si tu souhaites savoir je peux te dire que...

- Attends ! Je ne veux pas que tu aies des ennuis.

- Il t'a fait signer un contrat sans t'en informer, riposta Tamara. Considère ceci comme une petite revanche et de toute façon je suis sûre que tu ne diras rien.

Alena se pinça les lèvres en silence.

- Sa mère a détruit son père, et Sergueï la maudit depuis qu'il a dix-huit ans. Le père de Sergueï était un homme bon, peut-être trop bon. Sa mère en revanche était une femme qui n'était jamais satisfaite peu importe ce que son mari pouvait lui donner. Igor travaillait dans un grand bureau d'avocats et il gagnait plutôt bien sa vie. Hélas, quand Sergueï avait dix-sept ans, son père est tombé gravement malade. Il ne pouvait plus assumer son travail et comme tu t'en doutes sa mère a blâmé son père pour tous les problèmes financiers qu'ils ont eu. Elle l'a humiliée alors qu'il était de plus en plus malade. Sergueï est parti dans l'armée dans le but d'avoir un bon salaire afin d'aider son père. Sergueï pensait que pendant son absence sa mère s'occuperait de lui. Elle lui avait fait la promesse de s'en occuper pendant qu'il faisait son service.

- Elle ne l'a pas fait n'est-ce pas ?

- Non, répondit Tamara avec un air triste. Sergueï a obtenu une permission après sept mois d'engagement et il est rentré en urgence parce qu'il n'avait plus aucune nouvelle de sa mère ni de son père. Lorsqu'il est arrivé au domicile l'odeur était si terrible à l'intérieur qu'il n'a pas eu besoin de rentrer pour savoir ce qu'il s'était passé.

- Donc quand il m'a dit qu'il avait eu une enfance heureuse, c'était un mensonge, murmura-t-elle en posant la naissance de ses doigts sur sa bouche.

- Sa mère est partie en laissant son père mourir, termina Tamara difficilement. Son père ne pouvait pas sortir du lit, il avait besoin d'une aide et Sergueï pensait que sa mère tiendrait sa parole et au lieu de ça, elle est partie. J'ignore si quand il était petit il a eu une enfance heureuse, mais ce que je sais c'est que sa vie de jeune adulte ne l'a pas été. Je crois que le pire c'est que lors de l'autopsie, il a été révélé que son père avait reçu un mauvais traitement, laissant supposer qu'il a été affamé pendant des jours voire des semaines.

- Mon dieu, murmura-t-elle d'une voix tremblante.

Soudain ses malheurs lui parurent pathétiques contrairement aux siens et son cœur se serra violemment dans sa poitrine.

- Que s'est-il...que s'est-il passé ensuite ?

- Ensuite ? Sergueï est reparti dans l'armée et a travaillé dur pour entrer dans la force spéciale. Au fil des années il a été confronté à des situations qui ne lui plaisaient pas. Il s'est rendu compte que la justice n'était pas du bon côté, qu'il y avait du mensonge, de la corruption. Je pense que la suite, tu la connais.

- Mais...sa mère ?

Tamara pâlit instantanément.

- Lorsqu'il est devenu un mafieux et plus précisément le chef de la mafia, Sergueï n'était plus du tout le même homme. Au fil du temps, il a forgé son caractère déjà tranché et implacable. Il s'est transformé en un monstre impitoyable, un justicier avec des méthodes d'exécutions terrifiantes.

Alena frémit en redoutant la suite.

- Il a retrouvé sa mère et lui a fait subir le même traitement qu'elle a fait subir à son père. Elle a été emprisonnée sauf que le jour où il a fermé la grille en fer, il n'est jamais revenu la voir.

La bouche sèche, Alena sentit un frisson glacé se figea dans sa nuque.

- Il est revenu la voir sept mois plus tard, soit le nombre de mois identiques que son père avait passé seul.

Tamara marqua une pause et son regard se perdit sur la table.

- Sergueï aimait beaucoup son père et Igor était un homme bon.

- Donc il a tué sa mère et ça s'arrête là ? Pas de traumatisme ?

- Je ne dirais pas que c'est un traumatisme, mais il déteste les femmes qui agissent comme elle. Le moindre détail qui pourrait être identique à sa mère le rend très dangereux et imprévisible. C'est pour ça que j'avais peur pour toi ainsi que Nikolaï. Un jour l'une de ses soumises Katia s'est mise à râler parce que Galina voulait qu'elle passe chez-elle à sa place pour nourrir son chat car elle devait s'absenter toute la journée. Ce détail...ce petit détail...ce seul petit détail la mit dans un état tel qu'ils ont dû extraire Katia du club avant qu'il se passe un drame. Alors je dirais qu'il n'est pas traumatisé, il déteste seulement les femmes qui ressemblent à sa mère ou qui adoptent un comportement similaire et le moindre petit détail peut être fatal. Quelque chose en lui se déclenche instantanément.

Alena déglutit et réalisa trop tard qu'elle n'aurait jamais voulu savoir.

- Alena tu ne ressembles pas à sa mère, s'empressa-t-elle de lui dire en posant sa main sur la sienne. Si j'avais le moindre doute, j'aurais déjà demandé à Nikolaï de te faire partir loin d'ici. J'avais peur pour toi au début mais plus maintenant.

Quelque peu soulagée, Alena se passa une main sur le front en exhalant un soupir tremblant. Cependant cela n'effaçait en rien ce qu'elle venait d'apprendre. Sergueï avait souffert même s'il cherchait toujours à garder ce masque impassible sur son visage. Elle était presque sûre que la mort de son père était la raison qui l'avait poussé à faire taire ses émotions.

- Maintenant je sais et je te promets que je ne dirais rien.

- Je l'espère parce que je le fais uniquement parce que tu es mon amie, mais ce n'était pas à moi de t'en parler.

- J'attendrai qu'il m'en parle.

Automatiquement son regard se posa sur son téléphone portable tout en se demandant pour quelle raison il ne l'avait toujours pas contacté.

À l'autre bout de Moscou, Sergueï commença à fredonner un air de musique alors que l'odeur du sang atteignait son paroxysme.

Avec des mouvements délicats, il essuya la lame de son couteau puis le rangea. La porte de la salle froide et installée au sous-sol s'ouvrit sur Nikolaï. Ce dernier jeta un regard sur le corps pendu par les pieds sans expression sur le visage.

- Tu as réussi à l'avoir finalement.

- Personne ne peut m'échapper, lui rappela-t-il d'une voix sombre en prenant son téléphone sur le bureau.

- Tu devrais essuyer ton visage, lui conseilla-t-il en s'approchant.

- Quand j'aurai contacté ma douce épouse, dit-il en essayant de déverrouiller son téléphone. Le sang devrait être ajouté à l'option tactile, c'est agaçant.

- Avant de la contacter, tu devrais lire ça.

Sergueï releva les yeux sur le dossier qu'il agitait devant lui et qu'il posa ensuite sur le bureau.

- C'était rapide.

- Merci.

Sergueï ouvrit le dossier en oubliant que ses mains étaient tachées de sang et le survola. Il fronça des sourcils puis releva son regard vers Nikolaï.

- Dieu t'a contacté depuis l'au-delà pour m'envoyer une bonne sœur ?

- Non, mais l'église Saint-Thomas oui et elle sera là dans une semaine.

Sergueï plissa les yeux en fermant le dossier.

- Si tu veux qu'elle obtienne des réponses, c'est la seule à pouvoir lui en donner...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top