Chapitre 25
Le mafieux poussa la porte vitrée du bar vintage et balaya les personnes installées aux tables jusqu'à ce qu'il trouve du regard l'homme qui l'attendait. Sergueï tenta de masquer le sourire qui dansait sur ses lèvres et planta ses yeux quelque peu menaçant dans les siens qui l'étaient tout autant.
- Quel étrange plaisir de te revoir Sergueï, déclara l'homme quand il se glissa sur la banquette en face de la sienne.
- Étrange plaisir partagé.
Vladimir Iankovsky était le patron de la mafia qui avait pris certaines terres à Moscou avec son aval, mais qui possédait aussi l'ouest de la Russie. Il affichait la même dangerosité que lui, et Sergueï adorait ça.
Le retrouver était comme retrouver son double, mais avec moins de cheveux, pensa-t-il en souriant intérieurement.
- J'ai été surpris quand tu as demandé à me voir, déclara Vladimir en plissant les yeux.
- Figure-toi que je me suis surpris moi-même.
Le mafieux leva la main en direction du serveur pour commander la même chose que lui puis allongea son bras sur le haut de la banquette.
- Comment se porte ta femme ? Lily c'est ça ?
Tel un prédateur sur ses gardes, Vladimir se contenta d'un bref hochement de tête.
- Ah les femmes, soupira Sergueï.
- Et toi ? Lança Vladimir d'une voix curieuse, j'ai cru comprendre que tu étais avec une jeune femme depuis peu.
- Eh bien, les nouvelles vont vite, nota Sergueï en soulevant la tasse de café que venait de lui apporter le serveur.
- Je dirais même qu'elles vont extrêmement vite.
- Pourquoi ai-je l'impression quand je te regarde que j'ai commis un crime ?
- Parce que plonger une innocente dans notre monde est un crime et je suis bien placé pour le savoir, commença-t-il en recouvrant son sérieux. Et nous savons tous les deux que tu ne t'appelles pas le boucher de Moscou pour rien.
Sergueï sourit diaboliquement à ce surnom qui lui allait à merveille.
- Sois tranquille Vladimir, je n'ai pas l'intention de la tuer, mais elle oui.
Il fronça des sourcils.
- As-tu déjà rêver d'une femme qui dort à côté de toi ? Parce que moi ça m'arrive sans arrêt et j'ai l'impression que je suis en train de devenir fou, ajouta-t-il en esquissant une moue faussement torturée.
- Tant que tu ne rêves pas que tu la tues, répliqua calmement Vladimir.
- Aucun risque, chuchota-t-il en soutenant son regard qui le défiait.
Sergueï trouvait cela un peu culotté de sa part de lui faire une leçon de morale alors que cet homme assis en face de lui avait autant les mains souillées de sang que les siennes.
- Et puis-je savoir comment tu vas lui dire ? Le questionna-t-il en levant un sourcil.
- Lui dire quoi ? S'enquit Sergueï en faisant mine de ne pas comprendre.
- J'ai accès au registre, et quand tu m'as indiqué son nom de famille, j'ai tenté de la trouver, et j'ai fini par la trouver, mais récemment, elle a soudainement changé de nom de famille et devine lequel ?
- Laisse-moi deviner ! Dit-il en faisant mine de réfléchir. Ça commence par un A ?
- Quelle perspicacité, nota Vladimir, l'air faussement impressionné. Pourquoi ai-je l'impression qu'elle n'est pas au courant ?
- Parce qu'elle ne l'est pas, dit-il sans ambage, du moins elle ne l'est pas encore.
- Tu t'es marié sans dire à la mariée qu'elle était en train de se marier ?
- Quelle perspicacité, répondit Sergueï dont les lèvres s'étaient creusées d'une moue faussement épatée.
- Et tu comptes lui dire un jour ou tu vas sagement attendre qu'elle le découvre par elle-même ? Aurais-tu envisagé la possibilité qu'elle ne soit pas d'accord ?
Avec nonchalance, le mafieux souleva la tasse pour la porter à ses lèvres et se joua du suspens avant de répondre.
- J'ai tout prévu, finit-il par dire avec un sourire dansant. Je lui dirais quand elle sera au porte de l'orgasme et elle sera tellement embrouillée par le désir qu'elle me criera un grand " oui "
Vladimir ne put s'empêcher de sourire, mais reprit très vite son sérieux.
- Tu prends un grand risque Sergueï et je peine à comprendre pourquoi tu es allé jusqu'à te marier avec elle.
Sergueï dressa un sourcil légèrement irrité.
- Je suis si horrible que ça pour qu'aucun de vous n'ait envie de me voir légèrement heureux ? En quoi tu es différent de moi Vladimir ? Dois-je te rappeler ton passé ?
- Non c'est inutile, mais j'ai des échos sur toi depuis des années et ce que tu as fait ces derniers jours ne correspond pas à l'homme que je connais. Le mariage est un engagement basé sur l'amour et les sentiments. Toi en revanche, tu donnes l'impression de l'avoir épousé parce que tu ne veux pas qu'elle t'échappe.
Sergueï serra les dents, l'air rembrunit.
- Qu'est-ce que l'amour humm ?
- À toi de me le dire étant donné que tu exprimes une pointe de dégoût quand tu en parles.
- Je n'ai jamais eu le temps pour ça, répliqua-t-il sur un ton coupant. J'étais trop occupé à reprendre mon pays. Vas-tu aussi me le reprocher ?
- Je ne te reproche rien, je dis simplement que tu ne peux pas épouser cette femme sans même lui dire simplement parce que tu ne veux pas qu'elle te glisse entre les doigts. Si ce n'est pas déjà fait, elle finira par avoir des sentiments pour toi et quand tu lui diras, elle pensera que tu l'as fait parce que tu as des sentiments et si ce n'est pas le cas, alors tu lui briseras le cœur.
Dans le silence qui s'ensuivit, Sergueï serra les dents de toutes ses forces et resta durement impassible.
- Je ne suis pas venu ici pour que tu me fasses une leçon de morale, j'ai Nikolaï pour ça, trancha-t-il en se redressant. Je veux que tu surveilles ta frontière.
Sergueï glissa un dossier sur la table.
- Voici le nom de l'homme que je vais commencer à traquer, c'est l'ex d'Alena et même si elle est persuadée du contraire, je pense qu'il n'est pas passé à autre chose. Alena Black ne s'oublie pas comme ça.
- Tu penses qu'il pourrait remonter jusqu'à la Russie ? A-t-elle semé des indices qui pourraient le conduire ici.
- Si elle l'a fait, ce n'est pas intentionnel, mais je veux être prudent.
- Très bien, compte sur moi pour faire le nécessaire.
Sergueï hocha la tête et se leva en ajustant sa veste gris anthracite.
- Je t'ai quelque peu agacé, n'est-ce pas ?
Il lâcha un rire sec en se tournant vers lui.
- Il en faut plus pour m'agacer mon ami, répondit-il le plus calmement possible. Passe le bonjour à Lily de ma part.
Le mafieux quitta le café avec un goût amer dans la bouche car Vladimir avait peut-être raison.
En voulant cette jeune femme à tout prix, n'ayant aucune maîtrise sur ce qu'un homme normal aurait dû faire, Sergueï avait agit comme Sergueï.
Diaboliquement et avec détermination.
L'amour ?
Que connaissait-il de l'amour pour en parler ? Il ne s'était jamais penché sur le sujet et son cœur de pierre n'était pas enclin à laisser ce genre de sentiment l'envahir.
Ce dont il était certain en revanche, c'est que Alena Black était importante pour lui, bien plus que n'importe quelle femme.
S'il lui avait fait signer ce contrat, c'est qu'il y avait une raison.
S'il s'était démené avec tant d'ardeur pour qu'elle soit à lui, c'est qu'il y avait une raison.
Cependant Vladimir marquait un point.
Alena le voulait-elle ?
Lui mentir n'était peut-être pas la solution, mais il s'en contenterait jusqu'à ce qu'il choisisse le bon moment pour lui dire.
Maintenant, il voulait la retrouver et savourer cette sensation qui le transcendait chaque fois qu'il la regardait.
Sans doute valait-il mieux prendre le temps de comprendre, songea-t-il en montant dans sa voiture sans se départir de son agacement.
Trente minutes plus tard, il se gara dans le parking souterrain et fut surpris d'y voir Stanislas l'un de ses hommes de mains.
- J'ai ce que tu voulais, annonça-t-il quand il quitta la voiture.
- Tu as fait vite, s'étonna-t-il en récupérant le dossier pour le mettre dans sa poche intérieure.
- Toujours quand il s'agit de toi, répondit le russe en marchant à ses côtés.
- Tu devrais faire une pause Stanislas, tu en as trop fait ces derniers mois.
- Nous sommes des hommes de guerre, répondit Stanislas. Tu n'es pas sans savoir que j'ai suivi la même formation que toi.
Sergueï ralentit le pas et se tourna vers lui.
- Je le sais, mais Nikolaï m'a dit que tu ne dormais pas depuis plusieurs semaines or ce n'est pas ce que je veux. Tu as besoin de dormir et de profiter un peu.
Stanislas opina du chef.
- Ce soir va te détente au club, essaye de prendre du temps pour toi.
- Si c'est un ordre.
- En effet c'en est un, confirma-t-il en lui donnant une tape amicale sur l'épaule. À ce soir mon ami.
Les deux hommes se séparèrent dans le parking et Sergueï emprunta l'ascenseur pour monter aux étages supérieures.
Alena était en train de taper son tout premier rapport quand elle entendit un autre bruit dans le couloir. Elle se pencha instinctivement et découvrit qu'il s'agissait du rendez-moi de Sergueï.
Elle se leva promptement, lissa sa jupe longue et serrée tout en lui souriant.
Bien sûr, elle aurait préféré que cet homme quinquagénaire ne lui inflige pas un regard lubrique qui la mit aussitôt mal à l'aise. Gardant une attitude professionnelle, Alena esquissa un sourire poli et décida de le faire attendre dans l'espace salon.
Avec une inspiration assez forte elle se demandait où était passé Sergueï et son absence l'envahissait d'une humeur morose.
Cette humeur disparut quand soudain il apparut dans le couloir et dans ce costume anthracite qui lui avait fait battre le cœur plus tôt dans la matinée.
Sous sa forme la plus dure, le mafieux vrilla son regard dans le sien et lui fit un simple signe de tête. Il s'exprima en russe puis fit entrer son rendez-vous dans son bureau.
Dire qu'elle avait apprécié cette attitude professionnelle serait un mensonge. Cette distance qu'elle s'efforçait de comprendre contrastait avec la chaleur torride de leurs deux corps emboîtés l'un contre l'autre.
Alena posa ses mains sur son front en exhalant un long soupir.
Bien sûr elle savait au fond d'elle que cette journée dans le monde du travail était tout à fait normale, mais Alena avait du mal à la supporter.
Ça y est ! S'écria-t-elle intérieurement.
Elle commençait à perdre la tête et elle avait l'impression d'être accro au plaisir charnel.
Elle marmonna toute seule en tapotant son stylo sur le bord du clavier puis se remit au travail.
Son rendez-vous dura plus d'une heure et quand il raccompagna l'homme jusqu'à la porte elle fut saisie par une profonde irritation quand il repartit dans son bureau sans lui parler.
Alena serra les dents, agacée par ce terrifiant contraste. Elle resta seule à son poste pendant quinze longues minutes avant qu'il la fasse appeler dans l'interphone.
Alena entra dans son bureau avec le rapport et marcha jusqu'à son bureau pour le déposer. Elle sentait sur elle son regard mais refusait de le regarder en retour.
- Ça sera tout monsieur Azarov ?
- Oh non ce n'est pas tout, dit-il d'une voix basse et vibrante qui l'incita à relever les yeux.
Un mélange de colère et de chaleur brûlait dans ses yeux métalliques.
- Que se passe-t-il ? Demanda-t-elle en plissant le front.
- C'est à toi de me le dire. Tu as l'air maussade et mécontente.
Les avant-bras allongés sur les accoudoirs, bien installé dans son fauteuil, Alena ne put s'empêcher de ressentir des ondes de chaleur devant cette image follement virile.
- Eh bien tu as décidé de m'ignorer alors je fais de même, osa-t-elle dire en levant le menton.
Il ricana en se passant une main dans la barbe.
- Je suis ton patron ici et tu es ma secrétaire, j'essaye ou du moins je m'efforce d'adopter une attitude professionnelle pour ne pas te mettre mal à l'aise.
Il darda sur elle un regard dont lui seul avait le secret.
- Mais si tu le souhaites je peux te pencher sur le bureau et m'occuper de tes adorables fesses, proposa-t-il d'une voix suave.
Alena inspira imperceptiblement pour échapper aux images qui se dessinaient déjà dans son esprit.
- Désirez-vous un café avant votre prochain rendez-vous monsieur Azarov ?
Il plissa les yeux avec un grondement de gorge qui lui ficha un frisson dans la nuque.
- Avec plaisir mademoiselle James, répondit-il en la défiant du regard.
Alena lui glissa un sourire neutre et tourna les talons.
Derrière elle, le mafieux se mit à parler en russe et si elle se référait à la tonalité dangereuse de sa voix, Alena se surprit à traduire le sens de ses mots.
" Tu ne vas pas y couper "
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