Une île maudite

— Lâchez-moi !

Ce cri réveilla Hugon. Il cligna plusieurs fois des paupières avant que sa vue ne devienne nette. Il vit alors les pieds d'Yselda décoller du sol, c'était elle qui criait. Il ouvrit grand les yeux et se redressa. Trois pirates s'acharnaient sur elle. L'un d'eux la portait, les bras autour de sa taille, pendant qu'un autre tentait d'attraper ses pieds pour l'empêcher de gesticuler. Elle avait été désarmée et à présent, ils semblaient vouloir s'amuser avec elle.

Hugon, encore assommé par leur naufrage, se releva tant bien que mal. Il faillit perdre l'équilibre mais se retint. Il sortit son épée de son fourreau et c'est titubant qu'il s'opposa aux pirates. Celui qui portait l'épée d'Yselda se tourna vers lui et lui rit au nez. Hugon ancra ses pieds dans le sable et para le premier coup qu'il faillit se prendre en plein visage. Yselda donna un coup de tête à la brute qui la tenait par la taille, il la lâcha mais un coup de poing en pleine mâchoire la fit tomber sur le sol, les oreilles sifflantes.

Hugon fut déconcentré en observant son amie se faire battre, il reçut un coup de coude sur l'épaule, ce qui le fit tomber à genoux et pousser un grognement. Il arrêta l'épée qui manqua de s'enfoncer dans son crane avec la sienne mais la semelle du pirate vint s'écraser contre son visage, il tomba en arrière, la lèvre ensanglantée.

— Dépouillez-le et emmenez la fille, dit l'un d'entre eux.

Hugon voulut se débattre mais on le frappa dans les cotes, puis les hanches et les genoux. Il fut alors plus que simple spectateur de la perte de sa dignité. On lui retira son manteau qui valait très cher, son fourreau orné de pierres précieuses, son épée, ses bagues, ses chaussures... Il ne lui restait plus que ses culottes et sa chemise toute débraillée. Après cela, on le frappa de nouveau en plein visage, le plongeant dans le noir complet.

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À son réveil, on le secoua légèrement. Des petites mains étaient appuyéeS sur son torse et le balançaient d'avant en arrière dans l'espoir de le voir ouvrir les yeux. Ce qu'il fit. Amaury se tenait au dessus de lui, il parut soulagé de le voir en vie. Hugon s'assit dans le sable, une migraine désagréable et du sang sur le visage. Sa lèvre inférieure était fendue et le sang se mêlait à sa barbe, son arcade sourcilière n'avait guère été épargnée par les coups, son sourcil coupé en deux et ne parlons pas de ses bras ou ses jambes, des bleus disgracieux les recouvraient.

— Où est Yselda ? balbutia-t-il en se frottant les cheveux.

— Les pirates l'ont emmenée...

— Et toi, où étais-tu ?

— Caché... Je suis désolé, j'ai pris peur en les voyant arriver alors je suis allé me cacher, je n'aurais pas dû mais...

Hugon posa sa main sur l'épaule du petit garçon.

— Tu as bien fait.

Amaury poussa un profond soupir, l'air triste. Hugon se releva tout en grognant pour jeter un coup d'œil autour de lui. La mer ne paraissait plus déchaînée, le soleil était haut dans le ciel et la chaleur étouffante, derrière s'étendait une grande forêt où se trouvaient des arbres entremêlés les uns aux autres et au loin, comme si elles touchaient le ciel, des montagnes bien plus hautes que ce qu'il avait pu voir durant ses voyages.

Roman avait disparu, peut-être mangé par l'Océan, ou kidnappé comme Yselda. Hugon se retrouvait alors seul avec Amaury, tout deux échoués sur une île inconnue qui ne semblait pas très accueillante.

Il marcha, les pieds enfoncés dans le sable chaud, l'enfant à ses côtés, bercés par le chant des vagues, enivrés par l'odeur marine.

— Maman me parlait beaucoup des dragons, commença Amaury tout en avançant. Je pensais que c'étaient des histoires qu'elle me racontait pour m'endormir.

— On a tous pensé cela un jour, répondit Hugon les yeux dans le vague.

— Pourquoi le dragon ne nous a pas tué ? Pourquoi Yselda a dit qu'il nous montrait le chemin ?

Hugon lui jeta un regard et esquissa un faible sourire.

— Parce qu'il nous montrait le chemin.

Amaury ne sut s'il devait réellement prendre Hugon au sérieux. Tous les deux marchèrent de longues minutes avant que Hugon ne se décide à s'aventurer dans la forêt, pieds nus. Ils n'étaient pas armés, peu protégés mais il fallait retrouver Yselda ou bien une civilisation quelconque. Tout sauf des pirates. Hugon n'était pas un imbécile, il savait très bien que son espoir de trouver des gens accueillants était ridicule. Cette île appartenait très certainement à des pirates, de plus sur la plage, à quelques mètres de l'endroit où ils s'étaient échoués, se trouvaient des carcasses de bateaux, certains rongés et moisis par le temps qui passe.
Cette île n'annonçait rien de bon.

Alors qu'ils s'enfonçaient dans la forêt, avec pour seul bruit, le piaillement des oiseaux et quelques cris d'animaux, des bruits de pas alertèrent Hugon. Ce dernier attrapa Amaury par le bras et se jeta derrière un rocher et un arbre au tronc proéminent. Amaury voulut parler mais Hugon plaqua sa main sur sa bouche.

Deux hommes marchaient dans les hautes herbes, enjambaient des racines, l'un d'eux était armé. Avec les feuillages devant ses yeux, Hugon peinait à savoir si ses yeux lui jouaient des tours ou non mais ces cheveux bruns lui disaient quelque chose. Puis il se rappela qu'Archibald était mort lors de la bataille, alors pourquoi serait-il ici sur cette île ?

Il laissa alors passer les deux individus, ne souhaitant prendre aucun risque. Il attendit d'être sûr qu'ils soient assez loin pour sortir de sa cachette mais se retrouva alors nez à nez avec ce qui ressemblait le plus à un loup, seul et affamé. Il poussa Amaury derrière lui et s'immobilisa devant la bête. L'animal montrait ses crocs, de la bave dégoulinait de ses babines et ses yeux montrait une rage terrifiante. Probablement que cette bête tentait de survivre elle aussi et dans ce genre d'endroit, c'était la loi du plus fort.

— Amaury, ne fais pas un seul geste brusque... marmonna Hugon.

L'enfant restait immobile, caché derrière lui, le cœur battant à cent à l'heure. Mais d'un seul coup, le loup se jeta sur Hugon, serrant ses mâchoires autour de son bras. Avec le poids de la bête, Hugon tomba sur le sol et poussa un hurlement de douleur, tandis que l'enfant lui, hurla de terreur. Dans un cri, Hugon ordonna à Amaury de fuir pendant qu'il empêchait la bête de planter ses crocs dans son cou.

Amaury tourna les talons et courut à travers l'épaisse forêt, les larmes ruisselants sur ses joues. Les branchages lui fouettaient le visage et les bras mais il ne s'arrêta pas de courir, alors que les cris de Hugon continuaient au loin.

Il jeta un coup d'oeil par dessus son épaule tout en courant et lorsqu'il se remit face à sa trajectoire, heurta le torse de quelqu'un. On lui attrapa les bras alors qu'il gesticulait dans tous les sens, à bout de souffle. Il releva la tête vers l'individu et reconnut aussitôt Archibald.

— Pitié ! Aide-moi ! Hugon est en train de se faire dévorer !

— Mais qu'est-ce que... souffla Archibald.

— Aide-moi !

Amaury lui attrapa la main et l'entraîna avec lui dans la forêt, ils rejoignirent Hugon qui était couvert de griffures et se battait encore avec l'animal. Le loup ne lâchait pas son bras et du sang coulait de sa gueule.

Nicolas se munit d'une pierre sur le sol qu'il jeta sur l'animal. Le loup se rua alors sur lui, Nicolas se mit à courir, la bête à ses trousses. Il sauta et s'accrocha à la branche d'un arbre. À l'aide de ses pieds nus il grimpa à l'arbre. Il avait toujours été agile lorsqu'il s'agissait d'escalader. Alors qu'il était coincé sur une haute falaise, il avait appris à se débrouiller seul.

La bête finit par s'épuiser à tenter de grimper l'arbre et abandonna le combat, se faufilant à travers les fourrés pour finalement disparaître totalement.

De son côté, Archibald débarrassa Hugon de sa chemise pour l'enrouler autour de son bras blessé. Le pauvre ne cessait de gémir, ses yeux se révulsant par moment. Archibald lui mit des petites claques sur le visage pour le garder éveiller.

— Restez avec moi, Hugon, on a pas le temps pour une petite sieste.

Archibald attrapa le jeune Seigneur sous les aisselles et le redressa, adossé contre un arbre. Le pauvre était couvert de sueur, certaines griffures semblaient profondes et sa morsure était grave. Son avant bras était salement amoché, sa peau partie en lambeaux.

— Il est parti ? gémit-il la tête posée contre l'écorche.

— Il est parti, affirma quelqu'un.

Hugon rouvrit les yeux et observa un moment Nicolas. Ce dernier avait plaqué ses cheveux en arrière à l'aide de l'eau et arborait un visage très abîmé ainsi qu'une barbe mal entretenue. Nicolas s'accroupit près d'Archibald et pencha la tête sur le côté pour détailler Hugon qui ne cessait de le dévisager. Le jeune Seigneur était hypnotisé par ses yeux hors du commun.

— Tu le connais ? demanda Nicolas à Archibald.

Ce dernier hocha la tête.

— C'était son bateau, c'est lui le jeune Seigneur.

— Comment a-t-il pu arriver ici ?

— Nous nous sommes échoués, répondit Hugon d'une faible voix.

Nicolas lui jeta un regard méfiant. Il n'aimait pas les Seigneurs, de quelques villes que ce soit.

— Et Yselda ? souffla Archibald.

— Ils l'ont enlevée... rétorqua Amaury agenouillé dans la terre.

Nicolas le regarda lui aussi, pourquoi un enfant était-il avec eux ? Cela n'avait aucun sens. Toute personne sensée aurait refusé qu'un gamin monte sur un navire.

— C'est qui ? C'est votre fils ? questionna Nicolas à Hugon.

Ce dernier s'apprêta à répondre négativement mais Archibald fut plus rapide.

— Entre autre oui... Il faut qu'on retrouve Yselda.

Nicolas se releva et Archibald l'imita.

— Retrouvez la tout seul, moi je m'en vais.

— Où comptes-tu aller Nicolas ?

— Nicolas ... ? répéta Hugon.

Ce dernier se tourna vers lui mais Archibald retint de nouveau son attention. Il n'était pas prêt à avouer à Nicolas qu'il avait écrit deux lettres en se faisant passer pour lui et que c'était pour cela qu'ils s'étaient tous retrouvés. Il n'était pas prêt non plus à lui dire qu'Amaury était le fils d'Ivène.
Encore des mensonges... Songea-t-il.
Mais Nicolas était instable, il avait perdu presque tous ses dragons, des chasseurs étaient à leurs trousses et si seulement il savait que le Roi Nathaniel avait envoyé des mercenaires pour les retrouver. Il était trop tôt pour tout lui avouer. Mais il n'était pas question de le laisser filer.

La main sur son bras, Archibald sonda le regard de Nicolas.

— Nicolas, je sais que ça a toujours été compliqué pour toi de faire confiance. Mais moi, tu me connais, je suis ton ami. Je comprends ce que tu vis, je comprends que tu n'aimes pas être en compagnie d'autres personnes. Mais Yselda, c'est ton amie... Hugon est blessé, je n'ai plus que toi comme seul espoir de la libérer avant qu'il ne lui arrive malheur. Tu as déjà oublié tout ce qu'on a vécu tous les trois ? Penses-tu qu'Yselda, même huit ans après, t'aurais laissé tomber ?

Yselda ne l'aurait jamais laissé tomber et cette quête en était la preuve. Nicolas ne pensait pas comme eux et n'avait même jamais pensé comme eux. Il était différent d'eux en revanche, il ressentait des choses comme n'importe quel homme.

— Non, je n'ai pas oublié. C'est justement pour cela que je veux partir. J'apporte le malheur ou que j'aille. Et je n'appellerai pas les dragons alors je ne te suis pas utile.

— J'ai besoin de toi... souffla Archibald. J'ai besoin de toi et pas de tes dragons, tu comprends ? Yselda a besoin de toi.

Archibald savait qu'il y avait toujours eu quelque chose entre Yselda et Nicolas. Leur relation était ambiguë, voire impossible. Mais il n'était pas idiot et savait pertinemment que Nicolas était, certes, amoureux d'Ivène mais qu'il avait toujours ressenti quelque chose pour Yselda.

Archibald lâcha le bras de Nicolas mais ne le quitta pas du regard pour autant. Il le suppliait parce qu'il était son dernier espoir. Nicolas hésita longuement, il n'avait pas confiance en Hugon mais ne pouvait nier qu'il connaissait Archibald et Yselda assez bien pour savoir qu'il pouvait leur faire confiance.

— Très bien, allons sauver Yselda.

Je vous remercie d'avoir lu !

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