Une allée fleurie
Ivène se promenait dans la grande allée fleurie du château où résidait Hugon. Ils furent étonné par son hospitalité. Le jeune Seigneur leur avait offert à tous les trois une chambre individuelle dans laquelle ils pourraient résider autant de temps que cela leur ferait plaisir. Ivène n'en fut que ravie. Elle n'avait jamais caché le fait qu'elle aimait le luxe et les belles choses. Se retrouver dans un château après tant d'années était pour elle comme un renouveau. Bien que cette fois-ci, quelque chose la tracassait bien plus qu'auparavant. Son fils avait disparu et rien ne laissait présager qu'elle le retrouverait.
Elle profita de cette journée ensoleillée pour couper quelques roses et s'en faire un bouquet, en veillant à ne pas se piquer sur les épines de celles-ci. Elle chantonnait une vieille berceuse que sa mère lui chantait jadis avant de s'endormir. L'air à Ilenn était aussi chaud qu'à Hargon ou Ador, bien que le vent y était frais. Les senteurs fleuries et sucrées du jardin lui mettait du baume au cœur.
— Tu as bien dormi, cette nuit ?
Ivène tourna la tête sur sa gauche et adressa un bref sourire à Archibald. Le jeune homme sortait tout juste de son bain, cela se voyait et se sentait surtout. Ivène l'avait vu plusieurs fois, et comme beaucoup de chevaliers de la garde royale, il empestait la sueur et l'alcool. Il avait quitté son habit royal pour opter pour une tunique large et un pantalon marrons serré à la taille, les lacets pendant sur ses jambes.
— Plus ou moins, j'étais fatiguée et à la fois tourmentée... soupira-t-elle en coupant une nouvelle rose.
— Nous retrouverons Amaury.
— Yelda ne sera pas de cet avis.
— Je me fiche de son avis... après ce qu'elle a pu me dire et sa façon d'agir... je peine à croire que nous sommes encore amis.
Ivène rassembla les roses entre elles et se tourna vers Archibald pour lui faire face.
— Tu es amoureux d'elle.
Ce n'était pas une question mais une affirmation. Comme si Ivène était sûre d'elle. Archibald se mordilla les lèvres et se sentit gêné, son visage expressif ne manqua pas de le montrer.
— Fut un temps où j'étais éperdument amoureux, alors qu'elle en aimait un autre.
— Est-ce toujours le cas ?
— Évidemment...
Ivène caressait les pétales de ses belles roses blanches tandis qu'Archibald triturait la poignée de son épée.
— Pourquoi ne pas lui dire tout simplement ? demanda Ivène en penchant la tête sur le côté.
— J'ai déjà essayé il y a sept ans, elle n'a pas voulu me laisser une chance. Elle prétendait que notre amitié était bien plus importante qu'une histoire d'amour. Durant six ans j'ai fait des allusions à une relation que j'aurais souhaité entamer avec elle mais chaque fois que j'essayais, elle ne mordait pas à l'hameçon.
Le jardin était fleurie par toutes sortes de fleurs, arborant différentes couleurs rappelant le printemps. L'allée dans laquelle ils se trouvaient était tracée de petit gravillons, les haies, arbustes et rosiers étaient taillés toutes les semaines, de la sorte, jamais le jardin ne paraissait mal entretenu. Comme si ici, le printemps ne se terminait jamais.
De la fenêtre de ses appartements, Yselda poussa les rideaux blancs pour apercevoir Ivène et Archibald discuter. Son cœur se serra à cette vision. Elle ne cessait de penser qu'Ivène était une croqueuse d'hommes et qu'Archibald risquait de tomber dans son piège. Malgré ce qu'elle avait pu dire sur le bateau, Archibald était pour elle plus qu'un ami. C'était aussi sa famille, son meilleur ami, son frère.
Elle serra les mâchoires et poussa un profond soupir quand on frappa à la porte. Quelques secondes plus tard, Hugon entra, son fameux sourire aux lèvres, ses fossettes toujours présentes.
— Je ne vous dérange pas j'espère ?
Yselda tira sur le rideau et secoua la tête.
— Absolument pas.
Elle portait toujours son armure noire, symbolique de la guerre passée, de son armée décimée.
— La nuit vous a-t-elle portée conseil ?
Yselda peinait à savoir s'il était bon de s'allier à un homme comme Hugon. Elle ne le connaissait pas, elle n'avait même jamais su qu'un village comme Ilenn existait. Elle avait appris durant les années passées qu'il était préférable de ne pas accorder sa confiance à n'importe qui. D'autant plus si la personne face à soi était quelqu'un issu de la noblesse.
— Oui, répondit-elle sans expressions sur le visage.
Hugon haussa les sourcils, le regard incitant à poursuivre.
— Je n'accepte pas votre proposition.
Elle put instantanément lire la déception sur le visage de son interlocuteur. Elle se doutait fortement de sa réaction mais pour elle, créer une nouvelle guerre, se battre pour un seigneur et le suivre dans une affaire qui pouvait être totalement inventée ne lui inspirait rien de bon pour le futur.
— Pourtant, je vous aurais permis de retrouver votre ami, déclara-t-il.
— C'est ce que vous dites, mais des paroles ne valent pas des actes.
— Laissez-moi vous le prouver dans ce cas.
— Je ne ferai jamais partie de votre armée et je ne la dirigerai pas.
— Pourtant vous avez parfaitement tenu votre poste durant la guerre.
— Absolument pas, des tas d'hommes sont morts ce jour-là, dont mon père que je n'ai su protéger.
— On ne peut protéger tout le monde. Soit on se sacrifie pour la vie des autres, soit on sacrifie les autres pour sa propre vie.
Yselda plissa les paupières et releva le menton.
— Votre fierté est respectable, Yselda, commença Hugon en s'approchant d'elle. Mais toute seule, sans amis, sans alliés, sans bateau pour voguer sur l'Océan, vous ne retrouverez jamais votre ami. Les mercenaires du roi finiront par vous tomber dessus et au mieux vous finirez vos jours au fond d'un cachot, au pire vous terminerez sans tête, devant la Capitale toute entière.
Il se trouvait maintenant à à peine un mètre d'elle, à la toiser de ses yeux sombres et sournois. Il avait tout l'air d'un enfant pourri gâté selon Yselda et d'un parfait manipulateur doublé d'un beau parleur. Il savait trouver les bons arguments pour mettre le doute, il savait où et comment titiller. Alors n'était-ce pas une simple ruse pour avoir un nouvel atout dans son armée ? N'avait-il pas inventé cette histoire de chasseur de dragon ? Bien que tout coïncidait avec la mort de Bën.
Comment des hommes pouvaient réussir à blesser une telle créature ? Certes, Djafar avait réussi à en tuer un mais ses hommes l'avaient piégé avant que la bête ne se fasse tuer. Bën, lui, volait... ce qui voulait dire qu'il s'était battu, très certainement défendu mais que malgré tout, les hommes avaient réussi à le blesser, si bien que l'un de ses yeux avait été touché, ce qui avait probablement signé la fin de son existence.
— Qu'est-ce qui me prouve que vous ne me mentez pas ? demanda-t-elle.
— Le fait que je ne vous ai pas fait arrêté alors que vous avez tué des pirates sur mon port. Le fait que je ne vous ai pas livré au roi, qui vous recherche actuellement. Avec moi, vous pouvez vivre, avec le roi, vous mourrez.
— Les rois, qu'importe qui ils sont, sont mauvais, déclara Yselda un pincement au cœur.
Elle avait apprécié Nathaniel, bien qu'elle ne l'eut guère connu comme avait pu le connaître Ivène. En revanche, elle avait vu l'acte de bravoure dont il avait fait preuve le jour où il s'était rebellé contre son Royaume tout entier, le jour où il avait pris la décision d'assassiner son géniteur. Voilà qu'aujourd'hui, il empêchait quiconque de quitter la capitale, quiconque de déroger ses règles sous peine d'être jeter d'une falaise. Plus les années passaient, plus Yselda le voyait se transformer en un second Djafar. Certes, moins fou, moins cruel, mais toujours plus autoritaire.
— Qu'en est-il d'un petit seigneur comme moi ? Je suis comme vous Yselda, je n'ai plus de père, je n'ai plus de famille. On m'a tout pris. Mais quel gouverneur je ferais si je ne défendais pas mon peuple ? Ils ont violé les femmes, pillés, tués, pour leur plaisir vicieux... Je ne peux pas rester assis à regarder, je dois me battre. Car il n'y a qu'en prouvant son courage qu'on gagne le respect.
— Je ne veux plus me battre... souffla-t-elle en baissant les yeux.
Elle sentait le regard de Hugon insistant, sentait même son haleine tant il était près d'elle. Mais rien ne pouvait l'empêcher de songer à tous ces morts, toute cette peur, toute cette désolation, cette tristesse...
— Pourtant, vous saviez très bien qu'en quittant Ador, vous devriez vous battre. Quel bon chevalier ne le saurait pas ?
Elle lui jeta un regard tandis qu'une mèche de cheveux lui tombait sur le nez. Elle n'avait pas pris soin de soigner sa coiffure qui se résignait à n'être qu'une longue tresse négligée, accompagnée de mèches rebelles par ci par là.
— La guerre n'a jamais pris fin... mais le roi nous a enfermé dans une bulle, une bulle qui nous a empêché de voir ce qu'il se passait ailleurs...
— Entre autre, répondit Hugon.
Yselda pensait tout haut ce qu'elle voulait garder pour elle.
— Je veux retrouver Nicolas, je suis persuadée qu'il est en vie quelque part et qu'il a des ennuis. Si ces chasseurs existent réellement, ils en ont après lui.
— Après les dragons, rectifia Hugon.
— Vous ne verrez jamais les dragons sans leur maître.
— Alors vous êtes convaincu que ce dragon mort à Ador était venu chercher de l'aide ?
— ... mon aide...
Hugon haussa un sourcil puis esquissa un sourire en coin.
— J'ai une immense flotte, des soldats prêts à obéir, j'ai des armes, des vivres... je vous mènerai au delà de l'Océan...
Hugon marqua une pause, tandis que dehors, les oiseaux piaillaient, chantonnaient un air printanier matinal que bon nombre des habitants appréciaient au réveil.
— ... Si vous me menez à la victoire.
Le choix fut vite fait.
— Très bien, grommela Yselda. Mais j'ai besoin de mon écuyer.
Il était temps pour elle de mettre sa fierté de côté et de prouver à Archibald qu'il comptait bien plus qu'il ne le pensait pour elle. Or quelle fut sa surprise lorsqu'ils se rendirent compte qu'Ivène et l'écuyer manquaient à l'appel.
Je vous remercie d'avoir lu !
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