Sous un nouveau règne
Certaines scènes peuvent heurter la sensibilité du lecteur. Vous êtes avertis.
Le hennissement du cheval fut camouflé par le hurlement d'Yselda. Archibald cessa de caresser la crinière de l'animal et s'avança vers la barrière des écuries, lesquelles se trouvaient sous des taules, juste à côté de la demeure du roi, non loin des falaises. Il put voir Yselda se faire arrêter par des soldats et eut à peine le temps de voir le roi et Nicolas tomber dans le vide. Theobald semblait parler à la jeune femme, entouré de soldat. Il paraissait fier, un léger rictus déformait son visage ingrat.
Le pirate qui les avait capturé quelques semaines plus tôt rejoignit son supérieur, il se tourna vers Yselda et la gifla. Si fort qu'elle en tomba sur ses deux genoux. La claque se fit entendre jusque là. Archibald écarquilla les yeux et voulut s'avancer mais l'écuyer à ses côtés posa sa main sur son épaule et lui fit comprendre que c'était une mauvaise idée.
L'Ingrat se saisit du bras d'Yselda et la releva avec brutalité. Elle se débattit, le griffa au visage mais fut rapidement maîtrisée par les autres. Elle fut emmenée vers l'entrée des cachots, sous le regard victorieux de Theobald.
Archibald laissa tomber la selle qu'il avait dans les mains et poussa la porte, le pas lourd.
— Arrête ! Que fais-tu ? Tu te feras trancher la tête pour t'en être mêlé ! Cria le jeune écuyer.
— J'ai évité la guillotine deux fois, j'ai pas peur de la frôler une troisième fois !
Il attrapa une fourche et s'en alla sous les yeux ahuris du jeune homme.
Dans les cachots, des hurlements résonnaient et cassaient les oreilles des détenus. L'Ingrat jeta Yselda à côté d'Adrien et la surplomba de toute sa hauteur. Il rigola, ce son était grave et glaçant. Elle releva la tête vers lui, les lèvres pincées. Sans un seul mot, son terrible bourreau détacha son fourreau et posa sa sublime épée contre le mur de pierres sur lequel une légère moisissure naissait.
Adrien se leva d'un bond.
— Arrêtez ! Grogna-t-il.
En guise de réponse, il reçut une claque. Deux pirates vinrent aussitôt retenir le jeune soldat, le plaquant contre le mur et l'empêchant d'exercer quelques mouvements que ce soit.
L'Ingrat saisit les longs cheveux d'Yselda et la releva. Elle serra les dents, il la retourna et la colla contre le mur, sa main appuyée contre sa joue.
— Ça m'avait manqué tu sais... dit-il de sa voix rauque. Ton corps si frêle, ton corps qui marque si facilement.
Yselda ferma les yeux, des larmes coulèrent sur ses joues et ses jambes tremblaient déjà.
— Que trouves-tu à ce garçon ? Son visage est brûlé... sa bite ne l'est-elle pas ?
Les deux pirates ricanèrent tandis que l'Ingrat s'occupait de déboutonner son pantalon crasseux.
— Il a tout ce que vous n'avez pas... vociféra Yselda entre ses dents.
Les pierres froides et humides écrasaient son faciès, absorbaient ses larmes. Les rires de ses camarades cessèrent. L'Ingrat lui empoigna une touffe de cheveux et lui tira la tête en arrière. Elle grogna sous la douleur et regarda droit devant elle. Sentant alors la bouche hideuse de son truand près de son oreille, humant son haleine alcoolisée, ressentant la chaleur et l'ivresse contre son corps.
— Le monde dans lequel tu vis devient sombre petite brebis... souffla-t-il au creux de son oreille tout en relevant sa chemise.
— Arrêtez ! Hurla Adrien en se débattant.
Deux coups de poings malmenèrent son estomac, il se pencha en avant, la respiration coupé. Il avait été dépouillé de son armure royale.
— Ce monde ne t'appartient plus, poursuivit l'Ingrat. Il nous appartient à nous.
Il appuya de nouveau sa tête contre les pierres et se donna à sa tâche grossière et monstrueuse. Yselda poussa un cri, les mains crispées sur les pierres, les larmes ruisselant sur ses joues. Elle n'était plus que le jouet de celui qui l'avait déjà brisée une fois. Montrer ses faiblesses n'était pas dans sa nature, alors elle serrait les dents, se mordait la langue pour ne pas hurler et lui donner ce plaisir.
Archibald de son côté entra dans les catacombes du domaine. Un pirate se tenait la, son épée à la main. Il voulut aussitôt le frapper mais Archibald para son coup avec sa fourche. Il lui donna un coup de pied et lui planta les dents de son outils dans le ventre. Il poussa un cri pour se donner de la force et appuya à nouveau, son ennemi se cogna contre un mur, du sang jaillissait de sa bouche. Archibald le laissa là, empalé, les deux mains sur la fourche qui lui ôtait lentement la vie. L'écuyer récupéra l'épée du pirate et poursuivit son chemin à travers la sombre prison d'Ador.
Des torches étaient accrochées au mur pour éclairer les lieux, les détenus demandaient tous la même chose : « sors moi d'ici », d'autres ne faisaient même plus attention à ce qui se passait autour d'eux.
Il se guida à travers cette amas de poussière et d'obscurité à l'aide des cris d'Adrien et ceux de l'Ingrat. Son cœur battait à tout rompre. Il aimait tant cette femme. Il l'aimait tant que rien ne pouvait faillir à cet amour. Quand trois soldats se pointèrent tout en discutant fort, Archibald se cacha dans une cellule ouverte, il se colla contre le mur et attendit qu'ils passent.
De son côté, Adrien se défit de l'étreinte de ses ennemis mais pas pour longtemps, il voulut attaquer leur chef mais fut de nouveau maintenu. L'Ingrat cessa ce qu'il était en train de faire et s'approcha de lui, exposant à tous sa virilité sans aucune pudeur.
— Veux-tu perdre tes fonctions de soldat ?
Adrien le fixa un moment, les yeux grands ouverts tandis qu'Yselda se laissait glisser contre le mur.
— Je suis en mesure de te faire à nouveau rentrer dans la garde royale. Le roi Theobald n'est pas au courant de tes petites manigances et si tu cesses toutes formes de résistance, tu auras à nouveau cette chance.
Adrien serra les dents, sans un mot. Lentement, Yselda s'accrochait aux pierres et se relevait. Toute son énergie s'était envolée mais une dernière tentative avait empreint son cœur d'espoir. Quand l'Ingrat se retourne, elle se jeta sur lui et enfonça ses pouces dans ses yeux. Elle appuya de toutes ses forces, il hurla, la saisit de ses deux bras et la jeta brutalement sur le sol. L'un de ses yeux saignant abondamment. Il se laissa tomber sur elle, l'écrasant de tout son poids et la maintint sur le sol.
— Espèce de...
— Allez-y faites ce que vous voulez de moi ! Grogna Yselda avec rage sans même se débattre.
Il la regarda de son seul œil encore en état de voir, le visage rouge, la sueur dégoulinant sur son front. Elle le fixait, les yeux sombres de haine.
— Je me vengerai, siffla-t-elle.
Ce fut ses dernières paroles avant qu'il ne recommence ses vices.
Archibald était resté deux longues heures dans ce cachot à entendre les cris d'Yselda. Assis contre le mur, les mains sur les oreilles et le visage inondé de larmes, il avait attendu que les pirates partent pour la rejoindre. Là haut, il devinait l'agitation qui gagnait le peuple. Le roi mort, un nouveau roi proclamé, des pirates... Ador sombrait peu à peu. Le navire coulait, et eux avec.
Il poussa la grille qui grinça sur ses gonds. Elle était seule, Adrien avait été emmené avec leurs ennemis. Yselda était allongée sur le sol boueux, recroquevillée sur elle même, les vêtements souillés et la peau couvertes de marques dont deux morsures. Archibald s'accroupit près d'elle et posa sa main sur son bras. Elle sursauta et se retourna brusquement vers lui, une pierre dans la main prête à la lui écraser sur la tête. L'écuyer s'immobilisa, quand elle le reconnut, elle lâcha la pierre et se laissa tomber dans ses bras. Elle s'accrocha à ses habits et le serra de toutes ses forces. Il s'empressa de l'étreindre, le cœur battant à tout rompre. Elle sanglota sans s'arrêter.
— Tout ira bien, souffla Archibald. Je te le promets.
Elle s'agrippait à lui, comme si elle avait peur qu'il ne la laisse. Il l'aida à se relever et l'entraîna avec lui. À travers les corridors sombres et humides, il n'y avait plus une seule trace de pirates ou de soldats.
À l'extérieur, le soleil agressa les yeux de la jeune fille, la plupart des villageois s'agglutinaient à l'entrée de la grande place. Ils les suivirent et malgré qu'ils se trouvaient loin de l'entrée du château, ils purent deviner Theobald et l'Ingrat, tout deux fiers, ils se dressaient devant le peuple. Un peuple perdu, désorienté, des questions plein la tête, et des craintes torturant leurs esprits.
— Le roi est mort ! Déclara Theobald. De ce fait, la main du roi se doit d'assurer le règne, en attendant que sa progéniture soit dans l'âge de s'asseoir sur le trône.
Des exclamations fusèrent, des protestations, des acclamations... Un seul individu voulut s'y opposer, sans que personne ne sache pourquoi. À peine eut-il le temps de dégainer son épée que la flèche d'un pirate vint se loger dans sa poitrine sous les yeux ahuris de la foule.
— Quelqu'un d'autre souhaite-t-il s'y opposer ? Lança Theobald.
Le silence plana un court instant.
— Avec moi, le monde sera guéri. Les dragons ne seront plus que des mythes... et bientôt, l'or nous tombera du ciel. C'est une promesse que je vous fait.
Yselda s'accrocha à l'épaule d'Archibald.
— Emmène moi loin d'ici, murmura-t-elle.
Archibald l'emmena avec lui jusqu'aux écuries. Là il la fit asseoir sur un tas de pailles et la couvrit d'une couverture qu'elle accepta volontiers. Elle fixait le sol, sans un mot. Elle se munit du bout de pain qu'on lui tendit et mordit dedans, les yeux dans le vague.
— Je suis tellement désolé... souffla Archibald accroupit devant elle.
Elle releva ses yeux bleus et cernés vers lui.
— Je n'ose imaginer ce qu'il a pu te faire, je...
— Ça suffit, dit-elle d'une voix bien trop calme. Culpabiliser serait idiot, tu n'y es pour rien. En réalité, j'ai voulu n'en faire qu'à ma tête et si je t'avais seulement écouter, peut-être bien qu'aujourd'hui nous serions toujours deux soldats de la garde royale. La seule personne à blâmer, c'est moi. Comme si le moindre petit choix pouvait changer tout notre futur...
Après ces quelques mots, elle mordit à nouveau dans le pain. Archibald faisait glisser des morceaux de pailles entre ses doigts, malgré ce qu'elle pouvait dire, il se sentait mal, son cœur était douloureux, si elle souffrait, il souffrait aussi, c'était inéluctable.
— Nathaniel est donc réellement mort ?
Yselda avala son morceau de pain, son regard fixe sur un point.
— J'ai pu entendre leur deux corps entrer dans l'eau... marmonna-t-elle, comment survivre face à de telles vagues ? Face aux falaises... ?
Archibald sentit ses yeux se noyer de larmes.
— Alors Nicolas...
— Ne le dis pas, l'interrompit-elle aussitôt.
— Qu'allons-nous faire ? Est-ce que nous devons arrêter de luter et accepter son pouvoir ?
— Et le laisser tuer les dragons ? Certainement pas.
Archibald croisa le regard d'Yselda, un regard empreint de noirceur, de détresse.
— Soyons intelligent, Archibald.
Elle se leva finalement, le corps endolori. Malgré cela, elle ne montra rien à son ami même si son visage mentait.
— Nous nous verrons bientôt, reprit-elle.
— Où vas-tu ?
— Me laver... m'habiller...
— Je ne comprends pas...
— Chaque fois que la lune sera pleine, nous nous rejoindrons à l'Est des falaises.
— Quoi... ?
Elle déposa un baiser sur sa joue, ce qui sut apaiser ses doutes.
— Fais-moi confiance, chuchota-t-elle.
— Tu as besoin de repos, tu ne vas pas bien, tu...
— Fais-moi confiance, répéta Yselda.
Après cela, elle s'éloigna des écuries, la couverture sur le dos et l'âme brisée. Ployer le genou, s'avouer vaincue, tout cela ne faisait pas partie du vocabulaire de la jeune femme.
Son père le lui disait autrefois : « Il ne faut jamais donner ce qu'il souhaite à son ennemi. Il prendra peur le jour où il comprendra qu'un chevalier ne peut être brisé que par la mort. Mais il sera déjà trop tard pour dégainer son épée... »
Le vent chantait paisiblement à travers les feuillages des arbres, le soleil se couchait lentement derrière les sommets, les oiseaux piaillaient et le chant des cigales accompagnait la douceur du vent. Cet endroit paraissait serein et magique, quand on en oubliait les ruines du village d'Hargon, où la souffrance avait vaincu l'espoir.
Nicolas était assis sur une pierre, à observer les montagnes, à accepter le vent qui fouettait timidement son visage abîmé. À se noyer dans ce fabuleux paysage, il en oubliait son genou douloureux qui avait doublé de volume, ou bien toutes les horreurs qui s'étaient produites les unes à la suite des autres. Il en oubliait le fait qu'il avait une nouvelle fois abandonné Yselda et Archibald, et qu'il ne les reverrait peut-être plus jamais.
Il ne savait pas s'il regrettait son choix, si Nathaniel l'avait mérité ou non. Il était parfois difficile de savoir quelle était la bonne décision à prendre. Difficile de savoir s'il fallait oublier son humanité ou bien s'en servir...
Il inspira profondément et passa sa main dans ses cheveux. Une main sur laquelle deux doigts resteraient raides toute sa vie. Malgré les efforts d'Archibald.
Silence,
Un vent fredonnant,
Des montagnes dominatrices...
— Je suis d'accord, lança une voix dans son dos.
Il se retourna légèrement, Nathaniel se tenait là. Il venait de descendre la vallée. Sa joue était rouge et gonflée, sa brûlure boursoufflée mais il avait évité le pire, et cela grâce à Nicolas qui avait alors stoppé son dragon à la dernière minute.
Nathaniel était légèrement essoufflé, les cheveux en pagaille et les vêtements en lambeaux.
— Je suis d'accord pour qu'on arrête Theobald. Mais il va nous falloir du repos, et du temps pour concevoir un plan qui ne risque pas d'échouer.
Nicolas hocha la tête. Nathaniel s'approcha de lui, le vent faisait rougir ses pommettes ciselées.
— Mais tu dois me faire une promesse en retour, reprit-il en tendant la main. Une fois que j'aurai récupéré mon trône et que les bébés dragons seront relâchés, je veux que tu disparaisses toi et tes bêtes pour le bien de tous.
Nicolas regarda sa main un instant puis les yeux bleus de son cousin. Renoncer à l'amour qu'il pouvait trouver dans les bras d'Yselda lui fendit le cœur. Il s'était senti si proche d'elle, si vivant près d'elle... Or, parfois les sacrifices sont les plus belles preuves d'amour.
Nicolas serra la main de son cousin, d'une poigne ferme et virile.
Scellant alors un nouveau pacte à ne jamais briser.
Pour le bien de tous...
Je vous remercie d'avoir lu !
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