Prisonniers
Yselda se trouvait à genoux, devant une malle fermée déposée sur un sol poussiéreux. Ses deux mains reposaient sur ses cuisses et elle l'observait dans un silence imperturbable. La lumière du soleil s'infiltrait par les trous dans les murs, sous ses rayons, on pouvait distinguer des particules de poussière qui voltigeaient autour d'elle, comme une danse endiablée sans pour autant venir perturber son silence monotone.
Elle savait parfaitement ce qui s'y trouvait mais le simple fait de devoir l'ouvrir lui pinçait le cœur. Non pas parce qu'elle le craignait mais plutôt car elle avait aimé le porter et pourtant, cela lui rappelait de durs souvenirs. Depuis huit ans, Yselda ne se reconnaissait plus comme l'intrépide jeune fille qui voulait tout faire comme un homme, comme la fille d'un père qui souhaitait lui ressembler. Elle n'avait plus de père, et elle n'était plus une petite fille. Dorénavant, elle était devenue une femme solitaire, sans parents, orpheline. Son deuil fut long, difficile puisque chaque soir, en fermant les paupières, elle revoyait son père perdre la vie juste sous ses yeux et son assassin prendre la fuite pour disparaître et ne plus jamais laisser de traces. Elle regrettait ne pas l'avoir tué quand elle en avait eu l'occasion, puisque Nicolas avait disparu et Djafar était mort, son sacrifice avait été vain.
Elle releva le petit loquet, posa ses mains de chaque côté de la malle et poussa un soupir avant de l'ouvrir, comme pour se donner du courage. Quand elle l'ouvrit, de la poussière vola et le soleil commençait à disparaître derrière les falaises. Son armure y était, encore complète, sombre, sculptée. Elle esquissa un faible sourire puis la sortit de la malle pour la regarder. Elle se souvenait de ce jour où Bénédicte la lui avait offerte, de ce jour où elle avait découvert tous ces dessins, ces ailes de dragons, cette couleur noire et rouge, cette armure féminine qui laissait voir à tous les hommes qu'une femme se trouvait sur le champ de bataille, ainsi, impossible de la confondre.
Yselda n'avait pas revu Bénédicte depuis des années, cette dernière avait enfreint les règles du roi et avait quitté Ador un soir où la lune était pleine. Nathaniel avait évidemment envoyé des hommes à sa recherche pour la punir mais personne ne l'avait jamais retrouvée et la pauvre semblait n'être devenue plus qu'un lointain souvenir, emportant avec elle, son don maudit.
C'était ainsi qu'Yselda considérait ce don. En revanche, Nicolas qui en était porteur, était tout sauf quelqu'un de maudit pour elle. Elle l'avait tant aimé, elle s'était tant attaché à lui, sans vraiment savoir à quel moment elle avait pu le trouver attirant ou bien aimable. Elle se souvenait très bien de ces moments difficiles à ses côtés, de cette haine qu'elle avait pu ressentir à son égard, bien que ses sentiments prenaient parfois trop vite le dessus. Aujourd'hui, c'était différent. Elle ne pouvait guère être amoureuse d'un fantôme. En revanche, sa dévotion et sa loyauté la poussait à partir à sa recherche, à découvrir ce qui était arrivé à ce pauvre dragon mort car tout laissait à croire qu'il avait été blessé par des hommes. Yselda était maligne mais également très curieuse, d'après elle pour qu'un dragon s'écrase sur Ador après huit ans sans en revoir n'était pas une malheureuse coïncidence, bien au contraire. Cette créature savait pertinemment où elle allait.
Ce soir-là, tout comme le soir où Bénédicte avait disparu, la lune était haute dans le ciel et ronde comme un ballon, brillant de milles feux d'une lumière argentée et apaisante. Yselda se trouvait près du port, à observer le bateau au loin, prêt à prendre le large. Elle savait que les minutes étaient comptées, mais elle attendait, parce-qu'elle n'avait qu'une parole.
Très vite, Ivène apparut de l'obscurité, la main de son fils dans la sienne, essoufflée. Elle se posta face à Yselda et reprit son souffle. Sous la lumière de la lune, on pouvait distinguer une marque rouge, à moitié violacée sur sa joue, près de son œil gauche.
— Que t'est-il arrivé ? demanda Yselda en s'approchant de la barque qui l'attendait, flottant sur l'eau dans un silence de mort.
Ivène la détailla de la tête aux pieds.
— Cette armure...
— Je sais, l'interrompit Yselda. Crois-tu que j'allais partir avec les couleurs du roi Djafar ? J'aurais été sotte. Je pars avec mes couleurs, moi qui suis la seule à les porter. Maintenant, si tu le veux bien, viens m'aider.
Amaury regardait autour de lui, ne semblant pas comprendre ce qu'il se passait, un gros sac dans les mains. Ivène le lui prit et le jeta dans la barque, elle le fit monter à bord et s'installa, les rames dans les mains tandis qu'Yselda détachait la corde du ponton.
— Besoin d'un coup de main ?
La jeune intrépide se demanda comment Ivène pouvait avoir une voix aussi grave. Quand elle releva la tête, elle reconnut Archibald qui lui souriait, les cheveux hirsutes.
— Qu'est-ce que tu fais là ? grogna-t-elle en se redressant.
— Quel bon camarade laisserait une idiote comme toi partir seule ?
— Je n'ai pas besoin de toi, je sais me débrouiller.
— Je sais... mais moi je ne sais pas me débrouiller sans toi. Ici ou ailleurs, je préfère qu'on soit ensemble.
Yselda esquissa un faible sourire, ne sachant pas si elle devait lui sauter au cou pour l'enlacer ou bien le gifler pour risquer de se faire jeter d'une falaise pour haute trahison.
— Tu sais ce que tu risques ? gronda-t-elle la corde à la main.
— Oh, tu sais... on a déjà été à deux doigts de se faire trancher la tête tous les deux. On a l'habitude, pas vrai ?
Elle le toisa quelques secondes, son esquisse toujours présente puis elle lui ordonna de monter dans la barque. C'est Archibald qui rama tant bien que mal jusqu'au bateau un petit peu plus loin. Amaury restait contre sa mère, tandis que celle-ci observait le Royaume s'éloigner petit à petit. Un Royaume endormit qui, à première vue, semblait paisible.
Quand ils arrivèrent, des marins s'empressèrent de les faire grimper et Yselda fit face au capitaine qui la dévisagea, une pipe au coin des lèvres. Son regard passa d'elle à Archibald, puis d'Ivène à son fils qui se cachait derrière sa longue robe souillée.
— On avait dit un seul passager, en l'occurrence, toi jeune imbécile. Pourquoi tu as ramené trois autres morveux ?
— Ils se feront tout petit, assura Yselda.
— Tu ne m'as pas payé assez pour que j'emmène trois clandestins de plus.
— Je n'ai plus d'or...
Le capitaine caché sous sa longue barbe emmêlée la détailla de la tête aux pieds. Ses yeux s'arrêtèrent sur le manche de son épée, précieusement gardée au chaud dans son fourreau. Yselda suivit son regard et se dressa comme un piquet, la main sur le manche.
— Hors de question, cette épée est destinée à quelqu'un d'autre !
— Alors tu peux déjà sauter par dessus bord ma jolie.
— Cette épée ne vous revient pas !
— Bien-sûr que si, je trahis le roi pour une pauvre misérable comme toi et ton épée me paraît si précieuse qu'elle me paierait très certainement un tout nouveau bateau !
Évidemment qu'elle l'était, précieuse... C'était l'épée d'Edouard qui revenait de droit à Nicolas. Cette épée était une arme noble, forgée par le meilleur des forgerons, Edouard lui-même. Son manche était orné de toutes petites pierres précieuses que seul un mordu d'argent aurait pu repérer. Le capitaine était visiblement fou de richesse et cette épée faisait briller ses petits yeux sournois.
— Si vous voulez, j'ai du pain dans ma sacoche... tenta Ivène.
— Toi tu me sembles bonne qu'à culbuter ! Alors ferme-là avant que je ne te gifle ! gronda-t-il tout en postillonnant.
Yselda restait droite comme un piquet, la main sur le manche de son épée, tout comme Archibal. Le bateau voguait déjà sur l'Océan et Ador s'effaçait tout doucement du paysage. Le chemin du retour n'était plus possible, ils étaient encerclés de marins, pour la plupart ivres et personne ne les laisserait quitter le navire. Archibald se tenait comme elle, le menton relevé, prêt à dégainer son arme. Le capitaine s'approcha de lui, retira sa pipe de sa bouche et le dévisagea. Il était si près de son visage qu'Archibald pouvait sentir son odeur de sueur et son haleine pestilentielle.
— Vous savez ce que l'on risque, pas vrai ? Si j'en crois ta tenue mon garçon, tu fais partie de la garde royale. Pourquoi désertes-tu ? Pourquoi tournes-tu le dos à ton roi ?
— Pour des raisons que vous ne connaîtrez jamais, mes motivations ne vous concernent pas.
— Certainement que si ! grommela-t-il. Tu es à bord de mon bateau, je risque la mort pour emmener quatre clandestins de l'autre côté de l'Océan, tes motivations me concernent bien plus que tu ne le penses.
— Nous partons à la chasse aux dragons, lança Archibald suivit d'un rapide sourire narquois.
Le visage du capitaine se décomposa, il se redressa et le jaugea pour ensuite faire la même chose aux autres.
— C'est en rapport avec ce monstre qui s'est écrasé sur le Royaume ?
— Oui, répondit Yselda.
Il plissa ses paupières et repositionna sa pipe au coin de ses lèvres. Ils sembla réfléchir un moment avant de croiser le regard d'Yselda et de hausser un sourcil d'un air fourbe.
— Jetez les aux cachots mais gardez le gamin, il nous servira.
Ivène s'empressa de protester mais deux hommes lui empoignèrent les bras et la tirèrent en arrière alors qu'elle s'accrochait à son fils. Yselda et Archibald brandirent leur épée mais encerclés par une vingtaine d'hommes, ils ne purent rien faire. S'ils engageaient le combat, alors ils pouvaient dire adieu aux chances de quitter le navire en vie. Le capitaine récupéra les épées, dont celle d'Edouard et malgré leur résistance, les trois amis furent enfermés dans un cachot sombre et humide, au fond du bateau, entourés d'ivrognes presque morts.
Ivène se jeta sur les barreaux rouillées, ses mains furent aussitôt noircies et elle supplia l'homme qui était censé les guetter. Ce dernier s'occupait plus à boire son rhum qu'à l'écouter.
— Je vous en prie ! supplia-t-elle le visage inondé de larmes. Rendez-moi mon fils !
Il lui jeta un bref regard avant de roter et de lui tourner le dos. Elle resta ainsi, collée aux barreaux un long moment à pleurer et supplier tandis qu'Archibald faisait les cents pas dans ce tout petit cachot et qu'Yselda s'était assise contre l'une des parois du navire, résignée à attendre.
— Tu aurais dû leur donner cette foutue épée ! s'exclama-t-il.
— Non ! dit-elle en levant ses yeux vers lui, cette épée m'a été offerte par Bénédicte, tu n'imagines pas à quel point elle est précieuse !
— Certainement car elle doit valoir chère ! Seulement ce n'est qu'une épée parmi tant d'autres ! On serait peut-être en train de chanter des chansons de marin, une chope à la main à l'heure qu'il est si tu n'en avais pas fait qu'à ta tête !
— Personne ne t'a obligé à venir ici, Archibald, pesta Yselda. Tu l'as fait tout simplement car tu es incapable de te débrouiller seul. Depuis huit longues années, je suis là à te couvrir, à t'apprendre comment te comporter comme un véritable chevalier. Sans moi, aujourd'hui, tu serais un ivrogne de plus dans la rue, avec tous les autres.
Archibald s'arrêta et lui jeta un regard assassin, les lèvres retroussées.
— C'est donc ça que tu penses de moi ? Moi qui t'aies toujours soutenu ? Je pensais que nous étions amis, et finalement tu te permets de m'insulter ? M'as-tu un jour porter dans ton estime ?
Yselda le considéra quelques longues secondes avant de détourner le regard, sans réponse pour son ami.
— Que vont-ils faire de nous ? demanda Ivène en se laissant glisser contre la grille les cheveux en bataille.
Archibald s'assit dans un coin du cachot, le regard noir, l'air absent.
— S'ils ne nous tuent pas, ils nous forceront à descendre au prochain arrêt, comme des prisonniers et nous seront livrés au roi, comme des traîtres. D'ici une semaine, nous seront mort, jetés d'une falaise, dit-il sans un regard pour la rouquine.
Ivène continua de sangloter, inquiète pour son fils tandis qu'Yselda avait déjà son plan en tête. Archibald avait faux sur toute la ligne. À peine mettraient-ils le pied à terre qu'ils auront alors l'opportunité de s'enfuir avant qu'on ne les livre au roi.
Elle savait déjà comment s'y prendre.
Je vous remercie d'avoir lu !
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