Pour l'amour d'un Dragon

La corde tendue, les doigts repliés, un œil fermé, une flèche aiguisée prête à siffler...
Il décocha et la petite lame vola dans les airs, elle se brisa contre le mur de pierre, puisque sa cible l'avait esquivée.

Yselda se redressa, la flèche avait filé si rapidement qu'elle avait laissé derrière elle un courant d'air. Elle retira son épée de son fourreau et s'avança vers Nicolas. Ce dernier tendit de nouveau sa corde, l'arc armé et tira une nouvelle flèche, Yselda l'évita de justesse, seule une mèche de cheveux fut touchée.

Il rangea son arc et s'arma de son épée lui aussi, il para aussitôt le coup qu'Yselda voulut lui infliger. Archibald, les yeux grands ouverts, ne cessait de leur hurler d'arrêter de se battre. Il ne comprenait pas pourquoi Yselda agissait ainsi soudainement.

Elle frappait l'épée de celui qui fut son ami avec puissance, plus elle frappait, plus les bras de Nicolas faiblissaient. Il n'avait pas mangé depuis longtemps, il avait considérablement maigri, il était fatigué, épuisé...

Elle le désarma rapidement, puisqu'il n'avait jamais été doué avec une épée. D'un coup sec, elle lui entailla la cuisse, le genou de Nicolas frappa le sol, il ne poussa aucun cri pour ne pas faire connaître sa douleur. Elle lui tourna autour et leva son épée au dessus de sa tête.

— Arrête ! hurla Archibald.

Elle lui jeta un regard, il remarqua alors qu'elle pleurait, son visage était noyé par les larmes, alors pourquoi avait-elle agi ainsi si cela lui faisait autant de mal ?

Nicolas profita de ce moment pour se relever, quand elle voulut le rattraper, il la repoussa violemment, elle se cogna contre le mur. Il lui jeta qu'un bref regard avant de se diriger vers la fenêtre brisée par laquelle une brise agréable passait. Il monta sur le rebord, en dessous, c'était le vide. Le fort avait été construit sur le flanc d'une falaise. Des rochers aiguisés étaient prêts à l'accueillir tandis que l'Océan lui, était prêt à l'engloutir.

— Nicolas ! Ne fais pas ça ! cria Archibald.

Yselda saisit une arme sur la table, une arbalète déjà armée. Elle visa, décidée à tirer. Malheureusement, Nicolas se laissa tomber avant que le carreau ne le touche. Archibald s'appuya sur le bord de la fenêtre tout en hurlant. Bizarrement, cette scène lui rappelait cette fois là, sur les falaises d'Ador, alors que leur pacte était brisé et que Nathaniel avait tenté de tuer son ami.

Un dragon fondit dans les airs juste devant lui et rattrapa Nicolas au vol, il poussa un rugissement lorsqu'il reprit de la hauteur et survola l'Océan sous les yeux écarquillés d'Archibald. C'était le dragon noir, puissant et terrifiant. Le jeune homme n'eut guère le temps d'admirer la créature sous ses yeux, des voix d'hommes résonnèrent dans les couloirs.

— Archers, en place ! Abattez le dragon !

Yselda rejoignit le groupe de soldat qui avançait dans le couloir et Archibald fit de même pour la suivre, il tentait de la rattraper mais les hommes étaient bien plus nombreux que ce qu'il avait pensé. Arrivé dans la cour du domaine, le dragon survolait l'Océan pour s'éloigner de l'ennemi, des archers prirent place tous en ligne.

— Tendez ! ordonna un homme parmi eux.

Archibald s'arrêta à côté d'Yselda, cette dernière observait les individus préparer leur assaut.

— Décochez !

Les flèches sifflèrent dans les airs, certaines atterrirent dans l'eau, d'autres ne semblèrent pas retomber. La créature poussa un long cri, battit des ailes plus fort encore et finit par disparaître derrière les montagnes de l'île. Des montagnes encore plus hautes que celles qu'Archibald avait pu voir durant sa courte vie.

Il attrapa le bras d'Yselda et la tourna violemment vers lui, elle en fut même surprise. Ils se regardèrent droit dans les yeux. Pour la première fois, dans ceux d'Archibald, elle y lisait de la colère, comme si son admiration pour elle s'était volatilisée.

— Pourquoi tu as fait ça ?! gronda-t-il. Qu'est-ce qui te prend ?! Tu voulais le retrouver !

— Lâche mon bras, dit-elle entre ses dents serrées.

— C'est toi qui a voulu tout cela, et maintenant que tu te retrouves face à lui, tu tentes de le tuer ?! Qu'est-ce qui ne va pas chez toi pour être incapable de ressentir quoi que ce soit ? Ton comportement est contraire aux paroles que j'ai pu entendre de toi.

Elle retira brusquement son bras et le fusilla du regard, le menton levé.

— Qui te dit que je veux le tuer ? grogna-t-elle.

— Tu l'as blessé !

— Il est parti avec son dragon !

— Et alors ? Il croit que tu lui veux du mal !

— Ce que je veux, c'est la justice.

Archibald haussa les sourcils.

— La justice ? répéta-t-il.

— Les dragons ont beau être magnifiques, ils ont détruit des villes et tués des innocents. Edgar était sur le champ de bataille, il a fini carbonisé parce qu'un dragon ne réfléchit pas comme un homme. Lorsqu'il crache son feu, il détruit tout sur son passage, sans chercher à protéger les gens, hormis Nicolas. Sa vie à lui ne vaut pas celles de milliers d'innocents.

— On a gagné la guerre grâce à cela ! Dans chaque guerre, des innocents meurent, rétorqua Archibald.

— Non, Archi... souffla-t-elle.

Ce petit surnom qu'elle lui donnait sans arrêt... Ce surnom si amical, si intime, un surnom qui n'avait pas lieu d'être prononcé, pas maintenant, pas ici, sur cette île au beau milieu de l'Océan. Elle ne pouvait pas lui parler ainsi, après avoir tenté de le tuer lui, puis ensuite Nicolas.

— On a perdu la guerre, reprit-elle.

Il ne répondit rien, il la dévisageait et semblait terriblement déçu.

— Sais-tu au moins qui est à la tête de cette armée de chasseurs ? Demanda-t-il.

— Théobald, dit-elle aussitôt.

Le visage d'Archibald se décomposa. Elle était donc au courant, elle avait donc rencontré l'assassin de son père et n'avait rien fait ? Au lieu de se venger, elle s'était liée à l'ennemi ? À celui qui avait décidé d'ôter la vie à un chevalier honorable tel qu'Alaric ? Les épaules du jeune homme s'affaissèrent, il poussa un soupir qui peina à passer le seuil de ses lèvres. Fatigué et déçu, Archibald n'avait plus grand chose à lui dire.

— Théobald n'a pas tort, peut-être que les dragons sont mauvais pour nous, les Hommes. Ils sont obligés de se nourrir et pour cela, ils tuent des élevages entiers. Archi, ils sont adultes maintenant, ce ne sont plus les dragons que nous avions connu il y a huit années de cela. Ils sont plus gros et plus forts, ils prennent plus de place, mangent encore plus qu'auparavant. Ils sont dangereux, ils...

— Je me souviens de cette chanson que tu chantais souvent, cette chanson que ta mère avait inventé sur les dragons. Je me souviens que tu les admirais, que tu n'avais pas peur d'eux et que tu les respectais. Je me souviens du discours d'une autre Yselda, elle avait à peine seize ans et elle espérait qu'un jour les Hommes et les dragons cohabitent. Où est-elle... ? Où est cette Yselda ?

Cette dernière ne cacha pas sa peine, elle se mordilla les lèvres et déglutit avec difficulté. Archibald l'avait toujours regardée de la même façon. Les pupilles qui brillaient, cet air admiratif, ce respect qu'il lui portait... son regard aujourd'hui était sombre, noir de tristesse et déception.

— Elle est morte... souffla-t-elle.

Elle baissa la tête et commença à sangloter en silence. Yselda pleurait rarement, parce qu'elle avait toujours dit qu'il ne fallait pas montrer ses faiblesses.

— Elle est morte, elle est détruite... reprit-elle d'une voix tremblotante. Je me suis retrouvée seule, seule avec des hommes qui ont joué avec moi. Ils m'ont battue, ils m'ont fait tellement de mal... et je me suis rendue compte que c'était de ma faute.

Elle releva ses yeux larmoyants vers lui.

— Tu as beau avoir écrit cette lettre, j'ai été sotte de penser une seule seconde que c'était une bonne idée de partir. Après ce qu'on avait vécu, j'aurais dû me douter de ce qui m'attendait. J'aurais dû savoir que ce serait pire, parce que Nathaniel nous le dit sans arrêt. Le monde de l'autre côté est dangereux et sans pitié. Il ne devient pas fou... il est sain d'esprit, il est protecteur. Archi... c'est nous qui sommes fous.

Archibald demeura muet un moment, incapable de lui parler, incapable de s'exprimer. Il ne voulait pas imaginer ce qu'elle avait pu endurer, prisonnière des pirates. La seule chose qui le traversa, ce fut une peine démesurée, parce qu'il l'aimait de tout son cœur et qu'il retrouvait une Yselda détruite.

Doucement alors, il lui saisit les mains qu'il caressa du gras de son pouce. Il la regarda, droit dans les yeux et la colère et la déception venaient de s'envoler. L'empathie remplaçait le tout. L'empathie oui, mais surtout l'amour.

— Je sais que le Seigneur de Paraviel est capable de manipuler, tout comme l'était Djafar. Mais je sais aussi que tu te mens à toi-même. Yselda, tu es la fille d'un grand chevalier, tu es la première femme à avoir dirigé une armée. Tu t'es battue sur un champ de bataille et tu as triomphée, tu n'as jamais renoncée devant rien, parce que tu es comme cela... intrépide et courageuse. Pitié, réveille-toi.

Elle se colla contre lui et le serra de toutes ses forces. Archibald fut si surpris de cette réaction qu'il en resta immobile. Cette étreinte dura quelques longues secondes avant qu'elle n'approche sa bouche de son oreille.

— Je suis réveillée, murmura-t-elle. Je vous protège.

Elle se détacha de lui et plongea ses beaux yeux bleus dans les siens. Il ne réussit à comprendre ce qu'elle venait de lui dire. Était-elle consciente ? Si c'était le cas, pourquoi disait-elle de telles choses ? Comme si elle était brisée en milles morceaux ? Avant même qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, elle le frappa de son poing, visant sa mâchoire. La tête d'Archibald valsa sur le côté et il s'affala de tout son poids sur le béton, tombant inconscient aussitôt.


_


— Lâche-moi ! criait Nicolas tout en se tordant de douleur.

À force de répéter les choses, les serres du dragon s'ouvrirent en plein vol et Nicolas roula dans du sable chaud, ce dernier entrant dans sa bouche, ses yeux et même son nez. Heureusement, le dragon volait près du sol. Cette roulade fut très longue mais finit par se terminer. Nicolas se redressa et cracha le sable qu'il avait dans la bouche. Il mit un temps avant de reprendre ses esprits. Sa cuisse était douloureuse, il en avait oublié son doigt cassé et les griffes du Dragon restaient sans pitiés, heureusement, l'armure était amochée, mais pas sa peau, néanmoins, les douleurs restaient présentes.

La créature se posa dans le sable, devant lui et un nuage de poussière virevolta autour d'elle. Nicolas se releva et la regarda. Aldaïde approcha sa gueule de lui et l'observa de ses yeux jaunes vifs. Un terrible monstre à première vue, ces écailles noires et rugueuses, ces yeux terrifiants dans lesquels on y voyait le feu, ces griffes acérées, ces dents aiguisées, ces immenses ailes triangulaires... quelques flèches étaient plantées dans son gigantesque corps écailleux et elle semblait en souffrir.

— Tu peux partir maintenant, dit-il seulement.

Mais qu'est-ce qu'elle était belle. Qu'est-ce qu'elle était impressionnante. Nicolas ne pouvait nier à quel point il aimait ces bêtes. Son lien restait plus fort avec ses bébés, mais il n'avait pas revu Hargon depuis des années et les autres étaient morts dorénavant.

La bête ne bougea pas d'un poil, elle rugit seulement, fort et terrifiant.

— Allez, il faut que tu partes ! Je pourrai me débrouiller seul !

Le dragon resta immobile ou presque, chaque réponse résonnait comme un terrible rugissement de mécontentement. Aucun homme hormis Nicolas n'auraient pu rester face à une telle créature. Aucun.

— Je sais ce que tu as fait à mon père, dit-il. Je te vois, je te vois chaque nuit dans mes rêves. Je sais qui tu es, je sais que tu m'as enlevé quand j'étais enfant et que tu m'as laissé avec ces quatre œufs. Je sais pourquoi. Mais tu as fait une erreur. Je ne suis pas celui que tu crois, je ne suis ni ton maître, ni ton ami. Ils sont tous morts et toi tu ne t'en rends même pas compte. Toi tu es là, toujours prête à m'aider, à me protéger, à tuer pour moi. Qu'ai-je fait pour toi ?

Des grognements du fond de sa gorge résonnaient comme dans une grotte et ses yeux vifs toisaient Nicolas avec intensité. Comprenait-elle ce qu'il disait ?

— Qu'ai-je fait pour toi ?! répéta-t-il en haussant le ton.

Il serra les poings et les mâchoires.

— Rien ! Je n'ai rien fait, tu entends ?! La seule chose que j'ai su faire, c'est te libérer, ce qui a engendré une guerre ! Je ne suis pas mon père et surtout, je ne te pardonne pas ce que tu lui as fait ! Tu l'as brûlé vivant ! POURQUOI TU AS FAIT ÇA ?!

Nicolas ferma les yeux et se mordit la lèvre, une seule larme roula sur sa joue.

— Si tu ne l'avais pas fait... si seulement tu ne l'avais pas fait... aujourd'hui serait un autre jour. Ma mère serait en vie, mon père aussi et je serais auprès d'eux, je serais forgeron, peut-être même aurais-je eu un enfant ? C'est toi... toi qui a fait tout cela, toi qui a fait l'erreur de croire en moi.

Il secoua la tête et essuya d'un revers de la main sa larme.

— Alors pars ! Je ne compte plus sur toi ! Je veux que tu partes ! Que tu disparaisses !

Il ne sut retenir ses larmes, elles dégringolèrent une par une sur ses joues sales.

— Je suis un poison...

Il se laissa tomber à genoux devant elle et il pleura, lui exposant sa faiblesse. La bête aurait pu n'en faire qu'une bouchée tant elle était imposante. Au lieu de cela, elle se coucha dans une ronronnement étrange et laissa pendre ses longues ailes, ainsi elle put sentir le sable pour la première fois sur sa peau rugueuse.

Toujours agenouillé, Nicolas releva ses yeux vers elle, étonné de la voir réagir de cette façon. Elle ne partait pas et ce comportement était sa réponse.

Non. Je ne t'abandonne pas.
Oui. Je crois en toi.

Aldaïde posa sa gueule dans le sable chaud, chaque fois que l'air sortait de ses naseaux, le sable formait des petites envolées de poussières. Nicolas, lui, restait agenouillé devant elle, à à peine un mètre d'elle. Il renifla et lentement, tendit sa main qu'il déposa doucement sur son nez brûlant. Le dragon ferma ses yeux intimidant et seule de la fumée sortit de ses narines. Toujours d'un geste lent, Nicolas la caressait et ce contact, sa peau contre celle de la créature, c'était indescriptible. Une énergie les connectait tous les deux, une force invisible les aimantait. C'était indestructible. Cette admiration qu'avait la bête pour lui. Ce respect qu'avait Nicolas pour elle.


Ce lien.





Je vous remercie d'avoir lu !

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