Le roi Nathaniel

Arrivés enfin sur la terre ferme, les prisonniers furent escortés jusqu'aux cachots. Nathaniel ordonna à ses hommes de guider Ivène et son fils dans l'une des chambres de son château. Pour le moment, Yselda, Archibald, Désirée et Hugon furent exilés dans les cachots du domaine et Nicolas dut suivre docilement Theobald et le roi lui-même à travers les couloirs du château. Séparé des siens.

Il fixait le sol, ses poignets étaient liés devant lui, deux gardes de chaque côté, il ne levait pas la tête. Se retrouver dans cet endroit après tant d'années faisait renaître une angoisse enterrée en lui. Il put seulement s'apercevoir que tous les rideaux sombres avaient été retiré.

Nicolas n'avait eu le temps de voir Ivène ou l'enfant, il avait surtout pensé à ses amis qui se retrouveraient enfermés, sans lui.

Ils entrèrent dans une salle où se trouvait une grande table, des chaises au dossier orné de pierres précieuses l'entouraient. Nathaniel s'assit en bout de table sur la plus grande chaise digne d'un trône, Theobald à sa droite et Nicolas face au roi, toujours surveillé par deux soldats, les mains ligotées. Nathaniel le fixait, il le détaillait même. Ses cheveux, sa barbe de quelques jours, ses cicatrices, son léger amaigrissement, le teint de sa peau, sa tenue... absolument tout. Face à son cousin, face à celui qui avait scellé le destin d'Ador, celui qui avait marqué les esprits d'un pays entier.

— Où sont les œufs ? Demanda Nicolas d'un ton cinglant.

— En lieux sûrs pour l'instant, répondit le roi sur la même intonation.

— Ici, rien n'est sûr.

— Tant que tu es en vie, tu as raison : rien n'est sûr, intervint Theobald.

Nicolas ne répondit pas, il ne lui jeta pas un seul regard. Un traître comme lui ne méritait pas qu'on s'y intéresse ne serait-ce qu'un tout petit peu. Lui, l'assassin de sa mère.

— Vous ne comprenez pas, vous avez mis une mère en colère.

Nicolas regardait son cousin qui semblait bien loin de lui. Il savait ce qu'il avait fait le jour de la guerre. Archibald lui avait tout expliqué. Nathaniel avait assassiné son propre père. Pour cela, il le respectait, néanmoins pour ce qui était du reste, Nicolas ne concevait pas ses décisions.

— C'est un animal, rétorqua Theobald, elle se rendra compte qu'ils ont disparu et le lendemain, elle les oubliera.

Nicolas esquissa un faible sourire ironique, il fixait le bois de la table. Un bois épais et sombre, parfaitement sculpté.

— Vous espérez qu'il n'y ai pas de lendemain pour eux.

Nathaniel jeta un regard à Theobald qui affichait un rictus fier et fourbe. Huit ans en étant roi c'était long et tout ce que Theobald lui avait dit le tracassait. En plus d'être un régicide, il n'avait pas de descendant, ni même de femme. Qui pouvait respecter un roi qui n'avait ni femme, ni enfant, ni honneur ? Beaucoup respecterait un roi qui change le monde. Peut-être était-ce un choix idiot, mais la reconnaissance pour un gouverneur était bien trop importante pour laisser place aux émotions. Dans un monde aussi cruel, les sacrifices étaient de mise.

— Et ce sera le cas, déclara Theobald. Cette fois-ci, tu ne pourras rien y faire, Nicolas.

Ce dernier serra les mains, tellement que ses ongles pénétrèrent sa chair. Il luttait, il luttait pour ne pas regarder son ennemi. Difficile de se contenir. Nicolas était une personne emplit de haine, de tristesse et de souffrance. Toutes ces marques... ce n'était rien comparé aux blessures profondes qui hantaient son être et détruisait son esprit.

— Tes amis souffrent par ta faute, les dragons meurent parce que tu n'as jamais été à la hauteur, poursuivit le seigneur.

Nathaniel demeurait silencieux, au plus grand damne de Nicolas qui aurait espéré du soutien de sa part. C'était peine perdue. Nathaniel restait le fils de Djafar et un roi à la recherche de pouvoir.

— Yselda, si j'ai bien compris, t'aime énormément. Tu sais, elle t'aime si fort qu'elle a tout sacrifié pour toi.

Par le passé, Nicolas avait fait l'erreur de se laisser guider par sa haine. Aujourd'hui, il devait se contrôler. Il savait ce dont il était capable, son sang brûlant, le pouvoir de calciner les autres par le toucher... mais Theobald attendait certainement ce moment. Il souhaitait que Nicolas entre dans une rage folle, si bien que le roi serait alors forcé de le tuer sur le champ. Ainsi, le maître des dragons serait mort et les dragons sans protecteur deviendraient des proies faciles. Peu civilisé, certes, mais Nicolas restait rusé et intelligent. À côtoyer Djafar, il en avait appris des choses et savait reconnaître un monstre quand il en avait un sous le nez.

— Elle a tenté de tuer, parce qu'elle a souffert par ta faute. À à peine seize ans, elle a tout fait pour te sauver, elle a perdu son père...

— Non vous l'avez assassiné, l'interrompit Nicolas les dents serrées.

Theobald supposa alors que ses amis lui en avait parlé.

— Elle à découvert un monde blessé, des innocents tués et brûlés par tes monstres. Mais ce n'était pas suffisant pour qu'elle tente de te nuire. Il fallait plus. Beaucoup plus. Les pirates sont les individus les mieux placés pour faire basculer une personne.

— Non, elle vous a manipulé mais votre fierté vous pousse à penser le contraire.

— Penses-tu vraiment qu'elle ne te déteste pas ?

Nicolas savait qu'Yselda le détestait. Peut-être même l'aimait-elle autant qu'elle le haïssait tant ces deux sentiments étaient similaires. Confondre l'amour et la haine, ce n'était pas une surprise. Bon nombre d'individus se détestait au point de vouloir la mort de celui ou celle qui avait volé leur cœur.

— Ils l'ont battues, ils l'ont humiliée...

Nicolas serrait de plus en plus les dents, elles grinçaient entre elles et ses ongles charcutaient sa peau, si bien qu'il se faisait saigner sans même le vouloir.

— Ils l'ont violée. Un par un, ils lui ont arraché sa dignité et l'ont piétiné...

Nicolas se leva d'un bond, ses mains nouées frappèrent la table. Ce bruit sourd fit sursauter Nathaniel et Theobald se redressa sur sa chaise. Cette fois ci, il croisa le regard de Nicolas. Son regard qui brûlait de rage.

— Détachez-moi, ordonna-t-il.

Nathaniel gardait ses yeux grands ouverts. Dans la pièce, la chaleur devenait insoutenable et il était persuadé que c'était Nicolas qui émettait ce phénomène inquiétant.

— Si seulement mes poignets n'étaient pas liés, croyez-moi Theobald, j'aurais fait bouillir votre sang de mes propre mains et tout votre corps aurait brûlé, si lentement, que vous m'auriez supplié de vous épargner.

Nicolas avait dit tout cela en le fixant droit dans les yeux. Theobald n'avait pas cillé, les lèvres retroussées.

— Tu es jaloux ? Lança le seigneur. Tu es jaloux car toi tu n'as pas pu goûter au plaisir de sa chair ?

— FERMEZ LA ! Hurla Nicolas.

Nathaniel se leva à son tour. Les deux gardes empoignèrent aussitôt les bras de Nicolas, qui respirait soudainement vite. Son cœur tambourinait contre sa poitrine. Impossible de se contenir. Il détourna son regard de Theobald pour regarder son cousin.

— Comment peux-tu accepter une telle monstruosité ?! Qu'attends-tu de lui ?

— Le monde doit être guéri, répondit Nathaniel.

— Tu es censé être un roi ! S'exclama Nicolas. Tu es censé être un bon roi !

— Justement, je tente de l'être.

— En laissant de tels actes se produire  ? Yselda fait partie de la garde royale !

— Non... souffla Nathaniel en posant le bout de ses doigts sur la table. Non, le jour où elle a décidé de quitter le royaume, elle ne faisait plus partie d'Ador.

Nicolas le fusilla du regard. Il avait eu de l'estime pour Nathaniel fut un temps. Il avait espéré au fond de lui qu'il devienne un bon roi. Un roi juste. Tous ces espoirs fanaient à mesure qu'il découvrait ce qu'était devenu Ador. Au fond rien n'avait changé, tout avait été modifié et dissimulé pour qu'on pense à une paix. Il n'en était rien.

— Je te le ferai payer ! Menaça Nicolas. Tes actes te coûteront chers !

Nathaniel releva le menton d'un air amer.

— Faites le enfermer dans ses appartements, ordonna-t-il à ses hommes.

Nicolas fut emmené de force par trois soldats parfaitement équipé. Il avait beau insulter Nathaniel de tous les noms, une fois la porte refermée, sa voix fut éteinte.

Theobald se leva à son tour, une main derrière le dos, il se tourna vers son roi.

— Permettez-moi, majesté... commença-t-il. Pourquoi ne l'avez vous pas fait exécuté sur le champ ?

Nathaniel positionna correctement sa couronne sur sa tête et affronta le regard sournois du seigneur.

— Nous avons besoin de lui vivant pour tuer les dragons.

— Et bien commençons par les œufs.

— J'accepte que vous soyez ma main, mais j'ordonne que vous suiviez mes plans.

Theobald haussa les sourcils. Malgré son statut de seigneur et chef d'une armée, il ne pouvait contredire le roi.

— Quels sont vos plans ? Demanda-t-il en ravalant sa fierté.

Nathaniel se rassit sur sa grande chaise au dossier orné de pierres précieuses. Il posa ses mains sur les accoudoirs prévus à cet effet et fixa un point droit devant lui.

— Je veux les conserver et les faire éclore.

— Pour quelles raisons ?

— Un nouveau monde.

Nathaniel marqua une pause et inspira profondément l'air faussement serein. En réalité, savoir que Nicolas était dorénavant son ennemi ne l'enchantait pas. Néanmoins, l'enfermer dans un cachot n'était pas une bonne idée. Il s'en débarrasserait, une fois qu'il serait certain d'avoir éradiqué tous les dragons. Theobald ne répondit pas mais ne lâchait pas du regard son roi.

— J'ai, dans mes veines, le même sang qui coule. J'ai donc ce même don, enfouit quelque part. Je vais me marier et j'aurai un descendant.

Theobald se rassit lentement sur sa chaise, sans détourner les yeux. Nathaniel, lui, gardait son regard fixe, presque absent et rêveur.

— Ivène sera ravie d'apprendre qu'elle deviendra reine.

Cette dernière, dans ses appartements, ne lâchait plus son fils qui restait dans ses bras à lui conter son incroyable aventure. Elle lui caressait les cheveux, le serrant contre elle, rassurée de le savoir sain et sauf.

— Elle le sera encore plus quand elle saura que son fils, dans quelques années, sera roi à son tour.

Theobald, déconcerté, ne bougea pas d'un poil. Ce plan était étrange mais facilement compréhensible. Faire éclore des œufs de dragons, sans Nicolas, c'était là la chance de créer un nouveau maître. Et si en plus de cela, l'enfant du roi bénéficiait de ce don si particulier, toutes les chances étaient de leur côté. En premier lieu, il fallait éradiquer les deux derniers dragons de Nicolas.

Ador allait connaître des jours mouvementés, un mariage, des jugements, la mort des dragons et la naissance des nouveaux.
Un nouveau monde.

— Oui... mon fils sera roi à son tour, répéta Nathaniel.

Je vous remercie d'avoir lu !

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