La haine brûlante du Dragon
Nue devant son miroir, Yselda se posta de profil, la main sous son nombril, elle observait son ventre arrondit, qui grossissait à mesure que les semaines défilaient. Elle avait avalé difficilement cette nouvelle, elle priait chaque soir avant d'aller dormir pour que cet enfant ne soit pas de ce pirate Ingrat.
Lorsqu'on toqua à sa porte, Yselda s'enroula dans ses draps et autorisa qu'on entre. C'était Désirée, elle referma la porte en bois derrière elle et lui sourit. Elle paraissait toujours réservée et ne semblait cacher en elle aucun vice.
— Nous sommes prêts à embarquer, nous n'attendons plus que toi, dit-elle en croisant les mains devant elle.
Yselda retira les draps, Désirée avait vu son corps nu des dizaines de fois ces derniers mois. La jeune femme l'aida alors à enfiler son armure. Elle avait quitté celle offerte par Bénédicte et avait opté pour les nouvelles armures commandées par Theobald. Elles étaient simples, grises, en acier épais, les épaulettes étaient larges, les bottes remontaient jusqu'à leurs genoux. Yselda inspira profondément alors que Désirée prenait soin de lui tresser ses cheveux épais et noirs. À un petit peu plus de six mois de grossesse, à force de porter des armures serrées, Yselda paraissait à peine enceinte, si bien que ce détail était passé sous les yeux du roi. Elle espérait que cela reste un secret encore longtemps.
— Les dragons sont assez grands pour voler à présent, Theobald compte monter l'un d'eux.
Yselda regardait Désirée à travers son miroir, elle ne réagit pas comme elle l'aurait fait auparavant. Elle avait à présent l'habitude, elle avait servi Theobald durant six longs mois et elle avait dû faire des horreurs pour qu'il croit pleinement en elle et lui livre sa confiance.
— Qu'ai-je fait pour que le roi me demande ? avait questionné l'homme qu'Yselda escortait.
Elle marchait fièrement, le regard droit, le menton levé, elle ne démontrait aucune émotion.
— Le roi a besoin de vous, répondit-elle d'un ton monocorde.
— Pour quoi donc ?
Ils descendirent les escaliers sombres qui menaient jusqu'aux sous-sols. Il s'arrêta et s'accrocha à elle. Elle se tourna alors vers lui, les sourcils froncés, surprise de cette étreinte soudaine.
— Pitié, je sais ce qu'il fait aux personnes qui descendent aux sous-sols. Je vous en conjure, j'ai une femme et deux enfants !
Yselda le repoussa brusquement tout en tenant ses deux poignets fermement.
— Vous devez me suivre, grogna-t-elle.
Elle le tira avec elle alors que le pauvre homme pleurait. On lui ouvrit la porte, elle entra dans la pièce qui contenait plus qu'un seul dragon et s'arrêta à côté de Theobald. Elle poussa l'individu devant la créature qui prenait presque toute la place. Le dragon avait bien grandi, il était si grand qu'on était à présent obligé de lever la tête pour le regarder. Ils avaient grandi à grande vitesse, nourris chaque jour de chair humaine, ils se développaient à toute vitesse. Theobald croisa ses mains derrière son dos, quant à Yselda, elle resta droite, comme un soldat.
L'homme, à quatre pattes, releva sa tête pour croiser le regard brûlant de la bête face à lui. Celle qui scellerait son destin. La créature n'eut guère pitié de ses larmes qui inondaient son visage et elle n'en fit qu'une bouchée, lui arrachant des hurlements de douleur chaque fois que l'un de ses os se brisaient sous ses mâchoires puissantes. Yselda ferma les yeux, tout en contrôlant sa respiration, bien que son coeur heurtait sa poitrine comme pour la punir d'un tel acte.
— Un jeune dragon peut-il vraiment porter le poids d'un homme ? souffla Yselda.
Désirée finit de tresser ses cheveux puis haussa les épaules.
— Je ne sais pas, cela fait deux mois qu'ils volent maintenant et ils reviennent toujours à Theobald. Je crois qu'ils le considèrent comme leur maître...
— Ne dis pas cela ! gronda Yselda en lui coupant la parole.
Désirée entrouvrit la bouche, ne sachant quoi dire. Yselda se tourna alors vers elle et sonda son regard.
— Il n'y a toujours eu qu'un seul maître, reprit-elle d'un ton ferme. C'était Nicolas, bien qu'il soit mort, il n'y aura jamais d'autre maître des dragons, m'as-tu comprise ?
Désirée hocha la tête. Elle servait Yselda depuis bien des mois à présent. Il faut dire que c'était bien l'une des seules femmes présentes dans ce château qui n'était pas désagréable et narcissique. Yselda était un soldat et une femme brisée. Elle avait un honneur et du respect pour les personnes qui l'entouraient. Elle s'était même liée d'amitié avec Ivène, chose qu'elle aurait pensé impossible quelques mois plus tôt.
— Je suis désolée... souffla Désirée.
Yselda ne répondit rien, elle accrocha son fourreau, attrapa son casque qui reposait sur une chaise et sortit de la pièce. Elle rejoignit les bateaux sur le port et se posta en ligne avec les autres soldats du roi Theobald, ceux qui, auparavant, servaient Nathaniel. Elle enfila son casque, cachant alors la quasi totalité de son visage pour ne laisser entrevoir que ses deux prunelles bleus comme le ciel à Ador ce jour-là.
Archibald se tuait à la tâche, il portait des sacs, et les ramenait sur les bateaux, sous les yeux d'Yselda. Ils ne s'étaient plus reparlé depuis le jour où elle avait prêté serment face à Theobald. Elle se pinça les lèvres, détaillant son ami qui lui manquait terriblement. Il n'avait pas changé, bien que ses cheveux avaient légèrement poussé, il restait imberbe puisqu'il se rasait chaque jour et restait écuyer. Il embarquerait avec eux, il servait l'Ingrat, il était son écuyer, même s'il aurait préféré être celui d'un véritable soldat et non d'un pirate proclamé chevalier par un roi usurpateur.
Un rugissement attira l'attention d'Yselda, elle détacha son regard de son ami et le leva vers le ciel comme tous les autres soldats présents. Un dragon survola le bateau tout en rugissant, suivit d'un deuxième, puis d'un troisième. La poitrine de la jeune femme se soulevait à un rythme anormalement rapide, elle rebaissa son regard, les lèvres retroussées mais ne cilla guère. Elle gardait le parfait contrôle de ses émotions, de sa posture... c'en était presque douloureux tant elle s'efforçait à être une autre personne.
— Levez l'ancre ! cria un pirate.
Les hommes s'exécutèrent avec rapidité et efficacité, en quelques minutes, les bateaux voguaient sur les océans, prêts à amarrer sur une île dangereuse et impitoyable pour dérober un trésor impossible à avoir.
Après quelques heures à voguer sur la mer, Yselda s'était retirée pour observer l'horizon. Au fond d'elle, à travers ces parfaits rayons de soleil, elle espérait apercevoir l'ombre d'un dragon, monté par un homme aux yeux jaunes...
— Comment te sens-tu ? demanda Adrien qui se posta à ses côtés.
Il portait lui aussi un casque. Tout deux n'étaient pas très proches mais Adrien ne s'était jamais remis de ce qu'il avait vu. Sans savoir pourquoi, il se sentait à présent rattaché à Yselda, peut-être était-ce aussi parce qu'il avait foi en Nicolas et que c'était elle, la femme qu'il aimait.
— J'ai espoir que l'on trouve de l'or sur cette maudite île mais je ne suis pas fière d'y remettre les pieds.
Il sourit légèrement mais cela ne put se voir qu'aux plis de ses yeux à travers son casque argenté.
— Désirée m'a l'air heureuse d'y retourner.
— Elle vient de cette île, c'est chez elle et elle la connaît mieux que quiconque. Theobald peut voler mais nous, nous flottons sur l'eau... la tempête emportera la moitié des navires.
— Espérons alors que ce ne sera pas le notre.
Yselda lui jeta un regard tandis que le jeune homme gardait ses yeux rivés sur l'horizon à perte de vue.
— C'est notre chance, Adrien, dit-elle seulement.
Il détacha son regard de cette ligne interminable et hypnotique pour se concentrer sur l'intrépide qui le regardait d'un air grave.
— Désirée vit au bout de cette île, près de la Vallée Oubliée, elle compte rester là-bas et nous pourrions y rester nous aussi. Elle m'a expliqué qu'il n'y a qu'un seul coin pour amarrer et mis à part Theobald et Nathaniel les marins ne le connaissent pas. De plus, on ne peut pas franchir les montagnes. Le temps que Theobald cherche son trésor seul, nous aurons le temps.
— Comment ?
— Theobald a beaucoup d'hommes, il n'y verra que du feu.
— Non, il sait que tu fais partie de son armée.
— Mais si je péris en pleine mer...
Adrien pencha la tête sur le côté.
— N'y pense même pas.
— Il faut que ce bateau sombre dans l'océan, Adrien. Je préviendrai Archibald et nous pourrions reconstruire notre vie sur cette île, loin de tout.
— Mais en restant les proies d'un roi qui a trois dragons !
Yselda lui fit signe de parler moins fort. Ils jetèrent des regards furtifs autour d'eux pour s'assurer que personne ne les avait entendu.
— Il croira que nous avons péris...
— Et tu penses à Ivène ? Amaury ?
— Le petit risque moins que nous. Je suis enceinte, Adrien...
Ce dernier se redressa. Il retira son casque et afficha une mine déconfite. Yselda continuait de le fixer, les larmes aux yeux.
— J'ai tout fait pour survivre jusqu'à présent, j'ai tué des innocents, je me suis alliée à mon ennemi, j'ai capitulé face à mon violeur... je ne le supporterais pas encore longtemps. C'est notre seule opportunité, celle de pouvoir enfin vivre libre. Ici, nous n'aurions aucun ennemi, juste nous quatre... et mon bébé.
— Est-ce que cet enfant est de...
— Son père mourra, je m'en assurerai, l'interrompit-elle.
— Il est le bras droit du roi...
— Il périra avec nous.
Après cette brève conversation, les deux amis reprirent leurs occupations. Les heures défilèrent, dont une nuit entière durant laquelle Yselda peina à garder les yeux ouverts tant la fatigue la tirait vers le sommeil. La journée suivante, elle continua à se faire passer pour un soldat aux ordres du roi. Avec Adrien, ils ne cessaient de se lancer des regards, pour savoir quand le moment serait venu de tout faire pour que le bateau sombre. Il devenait de plus en plus dur de jouer à ce jeu de masques, bien heureusement, Theobald n'était pas présent et d'ailleurs, personne ne savait vraiment s'il était à dos de dragon.
Le ciel s'assombrissait à mesure qu'ils approchaient de l'île, Yselda avait connu cela. Alors qu'elle fixait l'horizon et son faible bout de terre qui commençait à se rapprocher, un détail retint son attention. Elle plissa les paupières, les mains sur le bois humide du bateau. Une ombre... l'ombre qu'elle avait toujours espéré voir et ce, depuis presque sept mois.
Sa respiration s'emballa, elle recula de quelques pas alors que l'ombre grossissait à vue d'œil, se rapprochant dangereusement de la flotte du roi. En se retournant, elle bouscula un pirate, tourna sur sa droite et s'appuya contre une grosse caisse. Elle inspira par le nez puis expira par la bouche.
C'est le roi Theobald et ses dragons.
C'était ce qu'elle se répétait, parce que rien d'autre ne semblait plausible. Nicolas avait disparu aux fonds des mers et les dragons de ce dernier se terraient forcément sur cette île.
— Des dragons ! hurla un pirate en pointant les deux gigantesques créatures qui les survolèrent de près.
Ils n'eurent le temps de dégainer qu'un jet de flammes vint couper le bateau en deux. Yselda fut pousser en avant par le choque brutal du feu contre le bois humide. Elle s'appuya sur ses mains, les poumons se remplissant rapidement de fumée.
— Armez les arbalètes ! ordonna un soldat.
Elle tenta de se relever mais un pirate la bouscula. Elle roula sur le parquer, un douleur tiraillant son ventre. Elle serra les dents mais on lui saisit la main. Elle releva la tête, à travers l'épaisse fumée noire qui s'élevait dans les airs, elle reconnut Archibald. Il l'aida à se remettre sur pieds, ils se regardèrent quelques secondes avant que de nouvelles flammes viennent s'abattre sur les autres bateaux alentour, créant des vagues précipitée sous la soute. En plus de la tempête dans laquelle ils étaient en train d'entrer.
— Empêchons-les d'armer les arbalètes, dit-elle essoufflée.
— Alors tu penses que c'est lui ?
Elle se contenta de hocher la tête et confia sa dague à l'écuyer qui s'en empara sans hésiter. Elle dégaina son épée et se jeta sur l'un des pirates qui visait avec son arbalète. Djafar les avait fait concevoir et s'en était servi une fois, il avait même réussit à endormir un dragon avec ses flèches empoisonnées. Elle l'attrapa par derrière et lui trancha la gorge d'un coup sec, Achibald s'occupa du second qui s'apprêtait à attaquer l'intrépide, il le poignarda à trois reprises. La plupart des pirates avaient refusé de porter l'armure et ils le regrettaient à présent.
— Cette île est foutrement maudite ! grogna Archibald en lâchant sa victime.
— La vallée l'est encore plus ! rétorqua Yselda.
Le dragon noir, Aldaïde, fondit sur le bateau tout en rugissant. Elle ouvrit grand la gueule et cracha de nouvelles flammes destructrices. L'eau commençait à s'infiltrer dans le bateau, ils ne pouvaient plus avancer, ses voiles étaient rongées par le feu, des soldats gisaient déjà sur le sol, complètement carbonisés.
— Sortez les canots de sauvetage ! hurla quelqu'un. On rentre à la capitale !
Ysela rentra dans Adrien qui lui tint les bras et croisa son regard.
— Avais-tu prédis que nous serions attaqué par Nicolas ? demanda-t-il avec hâte.
— Certainement pas ! C'est un signe !
Les archers tentaient de tirer leurs flèches mais avec le vent et les flammes destructrices, difficile de viser correctement. Aldaïde rugit puis fut frapper de plein fouet par l'un des bébés dragons qui planta ses griffes dans sa chair, ses crocs dans son cou.
Yselda arracha l'arc des mains d'un archer qui prit aussitôt la fuite vers un canot puis elle tendit la corde, ferma un œil pour viser correctement. Avec la pénombre des nuages et l'attaque acharnée du jeune dragon, difficile de voir Theobald ou bien Nicolas. Elle se rendit alors compte qu'ils n'étaient pas sur le dos de ces dragons. Néanmoins, elle tira une première flèche qui n'atteint guère sa cible puis on lui agrippa le bras. Archibald la regardait avec de grands yeux.
— Si tu ne veux pas mourir ici, abandonne et monte avec moi sur l'un de ces canots !
— Et Nicolas alors ?
— Ne t'en fais pas pour lui !
— Theobald va le tuer !
— Comme cela ton bébé verra le jour !
Yselda le regarda, le menton tremblant et les yeux inondés de larmes.
— J'ai besoin de le voir...
— Yselda ! Si tu restes, tu mourras et ton enfant avec...
Elle lâcha finalement l'arc et suivit son ami à travers le chaos qui régnait sur le pont. Des pirates hurlaient tant ils souffraient des flammes qui les rongeaient lentement, d'autres avaient sauté à l'eau mais s'étaient noyés. Elle monta dans un canot avec Adrien, Archibald, Désirée et l'Ingrat. Quand elle croisa son regard à travers la fumée épaisse qui imprégnait leur poumon, son cœur rata un battement mais il était déjà trop tard, le bateau coulait et les soldats ramaient vers l'opposé de la tempête qui était prête à les accueillir.
Elle détourna son regard pour le porter sur les deux dragons qui se battaient, Aldaïde parvenait à garder de la hauteur mais ne cessait de pousser des plaintes. Plus grande et plus lourde, elle était moins vive que le petit qui déchirait ses chairs avec ses griffes. Hargon fondit sur la bête enragée qui s'en prenait à Aldaïde et les deux créatures disparurent dans l'eau, Aldaïde put alors reprendre de la hauteur et survoler la flotte enflammée du roi, se dirigeant inévitablement vers l'île. Du sang se mêla à l'eau salée de l'océan, une grosse marre de sang...
Soudain, un silence de plomb s'abattit sur l'océan, seul le bruit des vagues violentes et du crépitement du feu résonnait. Tout le monde se regardait, sans comprendre ce qu'il venait de se passer.
Un dragon ressortit de l'eau non loin d'eux, le canot manqua de chavirer ce qui arracha quelques cris de frayeurs aux rescapés. Hargon vola très bas, ses pattes griffues caressaient l'eau et bousculaient les cadavres qui flottaient à la surface, elle se dirigeait elle aussi vers l'île, sans attaquer les rescapés qui fuyaient vers Ador.
— Plus que deux... souffla Archibald.
L'ingrat lui lança un regard noir.
— Tu parles desquels ? Ceux du monstre qui te servait d'ami et ceux de ton roi ? grommela-t-il.
Archibald le dévisagea alors, couvert de suie, les cheveux en bataille et une marque rouge sur la joue.
— À ton avis ?
L'ingrat fit claquer sa langue contre son palais.
— Nous préviendrons le roi. Si vous pensiez qu'il était venu, vous vous êtes lamentablement trompés mes petits oiseaux. Nous avons la réponse que nous attendions : Nicolas n'est pas mort. À présent, la guerre est déclarée.
Theobald avait sacrifié nombreux de ses hommes pour cette révélation. Ils venaient de faire face à la haine brûlante du dragon ainsi que celle de son maître.
La haine est comme un feu qu'on ne peut éteindre, un brasier en constante activité. Plus on la nourrit, plus les flammes grandissent.
Pour un enfant, pour un ami, pour un amour, que serions-nous prêt à faire ?
« Des innocents devront mourir.»
C'était ce qu'il avait dit.
Lui.
L'Élu aux yeux dorés.
Le Maître des Dragons.
Je vous remercie d'avoir lu !
Nous approchons à grand pas de la fin. D'ici trois quatre chapitres. Preparez-vous a sortir les mouchoirs, asseyez-vous et lisez.
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