L'Orage, le Dragon, les Pirates

    Tous levèrent la tête vers le ciel nuageux, l'orage grondait au loin et de toutes petites gouttelettes de pluie commençaient à tomber. L'une d'elle atteignit le front d'Yselda, elle ferma les yeux quelques secondes puis baissa la tête, le bras toujours tendu, la pointe de son épée contre le torse de son ami. Archibald croisa son regard quelques instants avant qu'un éclair ne les fasse sursauter tous les deux et que la lumière de celui-ci ne révèle deux gros bateaux voguant autour d'eux.

Yselda baissa son arme et se retourna aussitôt vers Hugon.

— Ces bateaux sont avec nous ? demanda-t-elle alors que la pluie commençait à déferler.

Le teint blafard du jeune seigneur lui suffit comme réponse. Aussitôt, les marins se mirent à crier et courir sur le pont, ils s'équipèrent tandis que d'autres se précipitèrent dans la soute pour armer les canons. Hugon ramassa l'épée qu'Archibald avait lâché lors de son combat, le pauvre était toujours contre le bois du bateau, terriblement triste d'admettre que sa relation avec Yselda était terminée pour de bon. Le jeune seigneur tendit l'arme à Archibald, ce dernier la prit sans un mot.

— Vous en aurez besoin, il faut défendre ce navire si on ne veut pas finir à l'eau...

— Et... et ce rugissement ? balbutia Archibald.

Il n'eut guère de réponse puisqu'ils furent attaqués la seconde qui suivit. Il se décala du bord, l'épée en main aux côtés d'Yselda. Tous les deux se jetèrent un regard, elle le détourna rapidement. Leurs ennemis jetèrent des ancres qui entaillèrent la poupe du bateau, comme s'il était tiré en arrière. Les vagues se déchaînèrent, les nuages devinrent noirs et l'orage ne cessait plus, tout comme la pluie qui rendait le pont terriblement glissant.

— Défendez le navire ! hurla le capitaine.

Le combat débuta aussitôt, les marins s'attaquèrent aux pirates, Yselda les accompagna tout en poussant un cri de rage. Ce combat tombait à pic, elle avait besoin de se défouler. Elle monta sur une caisse et sauta sur le premier ennemi qui se présenta à elle. Elle leva haut son épée et l'abattit sur le crâne de sa victime. L'homme s'écrasa sur le sol, elle l'acheva en enfonçant la pointe dans sa poitrine, se retourna et para le coup de son nouvel assaillant. Elle le repoussa d'un coup de pied dans le ventre, tourna sur elle même et le tua en lui tranchant la gorge. Elle jeta un coup d'œil autour d'elle, la pluie éclaboussant son visage.

Archibald se battait lui aussi, il avait fait déjà cinq victimes, encerclé, il ne pouvait s'arrêter de combattre, le bras blessé par Yselda. Cette dernière l'observa un instant, un pincement au cœur avant de se centrer de nouveau sur son but premier : éviter que le navire ne sombre. Les coups de canon retentirent et le premier atteint la proue du bateau, elle tomba en avant, sur ses deux genoux et ses oreilles se mirent à siffler. Quand elle releva la tête, elle vit une épaisse fumée s'élever haut dans le ciel sombre et des cris de douleurs résonnèrent tout autour d'elle.

On lui attrapa les cheveux et la tira en arrière. Elle se remit sur ses deux pieds tout en poussant un grognement. Son agresseur tenta de la plaquer contre le mât du navire, elle posa ses deux pieds dessus et replia ses jambes quand l'individu voulu la faire basculer en avant. Elle eut le temps de glisser sa main dans sa botte et d'en sortir une dague qu'elle planta à trois reprises dans les côtes du pirate. Ce dernier couina et la lâcha. Elle tomba sur les fesses mais se releva aussitôt, ignorant la douleur qui assaillit son coccyx. Elle se retourna et planta sa dague dans le cou de son adversaire cette fois-ci, quand elle la retira, du sang coula à flot de sa plaie et l'homme à la barbe négligée s'écroula.

À nouveau, le navire fut frappé par un boulet de canon, à tribord cette fois. Yselda s'affala dans des bidons vides et manqua de se planter toute seule la dague dans la poitrine. Elle se retourna sur le dos, étouffée par l'odeur de poudre. La bateau tanguait, l'eau s'infiltrait déjà dans la soute et la plupart des marins étaient morts.

Quand un nouvel éclair illumina le ciel, elle écarquilla les yeux lorsqu'elle aperçut l'ombre d'un dragon. Elle reconnaissait ce corps immense et ces ailes triangulaires, cette longue queue pointue, cette agilité...

Elle s'agenouilla, sans lâcher son poignard, à l'aide de sa main gauche, elle passa en arrière la masse de cheveux qui lui cachait la vue et put remarquer que Archibald était agenouillé face à un homme de près de deux mètres de haut, massif, une hache dans la main. Juste derrière, Hugon fut frappé en plein dans le torse, il recula de quelques pas et trébucha pour alors tomber dans un trou qu'un boulet de canon avait percé sur le pont. Yselda crut entendre le fracas du corps du jeune seigneur dans l'eau, mais ce pouvait être une illusion. Au même moment, le manche de la hache du géant heurta le visage d'Archibald, sa tête valsa en arrière, du sang gicla de sa bouche et il s'affala aux pieds de son bourreau.

À travers le vacarme des vagues, de l'orage, de la pluie et des cris, Yselda reconnut de pleurs. Malgré les battements de son cœur contre son crâne, elle tourna la tête vers la provenance de ce bruit. C'était Amaury, recroquevillé sur lui-même, contre le seul mât encore debout du navire. Les autres étaient tombés, les voiles déchirées, le bateau en plus d'être troué commençait à être submergé.

Yselda se releva tant bien que mal et tituba jusqu'au petit garçon. Un pirate défiguré le releva rapidement par le bras, intensifiant les pleurs de l'enfant. Il le retourna et le colla contre lui, déposant la lame froide et ensanglantée de son épée contre la fine gorge de l'enfant.

— Non ! hurla Yselda.

Sans réfléchir, elle jeta sa dague, celle-ci se planta dans l'épaule du pirate. Elle courut et se jeta sur lui avant qu'il ne tranche la gorge d'Amaury. Ils roulèrent sur le pont, le pirate à califourchon sur l'intrépide, il lui infligea deux coups de poing dans la mâchoire. Ce fut suffisant pour qu'Yselda sente son visage s'engourdir. Amaury s'empressa de frapper l'individu à l'aide du manche de son balai. Le pirate se releva, écrasant alors plus le corps d'Yselda. Avant qu'il ne s'empare du petit, Yselda lui saisit la cheville et le fit trébucher tête la première sur le bois. Elle s'agrippa à ses vêtements mouillés, lui grimpa dessus et passa son bras autour de son cou. Elle serra aussi fort que possible, son autre main sur le front du pirate qui tentait de se débattre, le dos tordu. Yselda utilisa toutes ses forces pour l'étouffer. Au bout de deux longues minutes, il cessa tout mouvement, alors elle le relâcha et laissa pendre les bras le long de son corps, assise sur le dos d'un mort.

— Merci... marmonna Amaury tout tremblant.

Yselda détourna son regard pour observer les bateaux ennemis. À travers le rideau de pluie, elle aperçut faiblement ce qui ressemblait à une arbalète, bien plus grosse, armée par trois hommes. Le carreau avait été remplacé par une grande lance épaisse à la pointe aiguisée et cette arbalète n'était pas tournée vers le navire en train de sombrer mais vers le ciel.

— Ce ne sont pas des pirates... souffla-t-elle.

À cet instant, un rugissement retentit, puis des flammes tombèrent du ciel, frappant l'eau, le navire de Hugon et celui qui portait l'arbalète.

La chaleur était presque insoutenable, dorénavant, les flammes gigantesques de la créature dévoraient le reste du bateau. Yselda se releva, attrapa Amaury et le porta. Il entoura ses petites jambes frêles autour de sa taille, ses bras autour de son cou et colla sa tête contre son épaule.

— Tu vas devoir retenir ta respiration, lui dit-elle tout en avançant doucement.

Le corps d'Archibald avait disparu, le géant aussi et le pont était jonché de cadavres. Le dragon rugit de nouveau puis réitéra son action. Ses flammes crépitèrent, tuèrent des hommes et firent trembler l'épave du navire. Yselda se retint au mât survivant, inspira profondément et se mit à courir malgré le poids qu'était Amaury.

— Maintenant ! cria-t-elle.

Elle sauta du bateau avant que de nouvelles flammes ne viennent détruire définitivement le navire. Son corps heurta l'eau glaciale et fut comme attiré par les profondeur. Amaury resta accroché à elle et de toutes ses forces, Yselda nagea contre les vagues déchaînées par la tempête. L'air commençait à lui manquer, ses poumons menaçaient d'exploser et ses muscles bandés la faisaient souffrir. Malgré tout, elle réussit à remonter à la surface, elle prit une grande inspiration puis toussa à plusieurs reprises, tout comme Amaury qui ne la lâchait plus. Yselda se trouvait maintenant à plusieurs mètres des navires. Tous étaient enflammés et le leur disparaissait tout juste dans l'Océan. Des hommes se jetaient à l'eau pour survivre, certains en train de brûler, d'autres seulement blessés.

— Yselda !

Cette dernière chercha à travers la grisaille qui pouvait bien l'appeler. Hugon se trouvait sur un canot de sauvetage et ramait jusqu'à eux. Les lèvres d'Yselda devenaient violettes et ses dents s'entrechoquaient. Hugon lui tendit sa main, elle s'y agrippa, un autre marin les aida et les hissa sur le petit canot de bois. Hugon redressa Yselda et posa ses deux mains sur son visage égratigné.

— Tout va bien ? Vous n'êtes pas blessée ?

Elle secoua négativement la tête.

— L'enfant non plus... bafouilla-t-elle.

Le marin emmitouflait Amaury dans une vieille couverture poussiéreuse et empestant le poisson. Le pauvre grelottait, le teint pâle.

— Je savais que vous aviez un cœur, sourit Hugon tout en lâchant son visage.

— Je vous ai vu tomber... souffla Yselda.

— Je suis tombé dans ce canot, j'ai croisé Roman et nous nous sommes éloignés des navires.

— Vous nous auriez laissé ? s'étonna Yselda.

Roman recommença à ramer et Hugon l'imita.

— Je savais que vous vous en sortirez.

— Archibald est mort.

Hugon s'immobilisa et lui jeta un regard. La pluie ne cessait pas, elle était gelée et l'orage continuait de gronder.

— Je suis désolé...

Il reprit sa rame en même temps que Roman. À eux deux, ils arrivaient à faire avancer le bateau rapidement. Yselda baissa les yeux, les gouttes de pluies glissants sur son visage. En réalité, elle ne faisait plus vraiment la différence entre la pluie et les larmes. Son cœur était brisé par le  mensonge d'Archibald, certes.

Mais démoli par sa mort.

Elle serra les dents et ferma les yeux aussi fort qu'elle le put, ses gouttes salées se mêlant à celles glacées qui traçaient leur chemin sur sa peau froide. Elle regarda derrière elle, le dernier bateau venait d'être dévoré par l'Océan et quand elle leva les yeux vers le ciel. Le dragon avait disparu sans laisser aucune trace.

Comme s'il n'avait jamais existé...

Je vous remercie d'avoir lui !

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