L'embrasement

Nicolas toisait avec férocité l'être qui menaçait son amie. Maintenant qu'il avait découvert des œufs, que les dragons avaient disparu de l'autre côté de l'île et que Désirée était en danger, il savait qu'il n'avait d'autres choix que de se battre. Hors de question de faire la même erreur que dans le passé. Cette fois-ci, il ne se laisserait pas capturer, et il protégerait les êtres incroyables qui l'avaient protégé jadis. À son tour maintenant.

— Rends-toi immédiatement, ou je lui tranche la gorge ! Menaça le soldat.

Nicolas était certain que cet homme était un soldat du roi. Son armure, tout ce matériel, son épée... seulement, il ne portait pas de casque.
Il avait perdu beaucoup. Sa mère, ses amis, sa dignité... Aujourd'hui, c'était un homme, cela faisait vingt six années qu'il se battait. Vingt six années qu'il était persécuté, pourchassé, maltraité. Il serra les poings, la respiration saccadée, son sang bouillonnait en lui, tellement qu'il en transpirait à grosses gouttes. Il se jeta sur l'homme, Désirée tomba sur le côté et Nicolas s'empressa de grimper sur le soldat. Il lui attrapa le poignet, le serra dans sa main et lui frappa le bras sur le sol pour qu'il lâche son arme. Le soldat hurlait, il hurlait même bien trop fort pour ce que Nicolas lui faisait. Il s'empressa d'entourer sa gorge de ses mains et de serrer, serrer, serrer... le visage de sa victime devenait de plus en plus rouge et ses yeux se gorgeaient de sang. Son bras restait sur le sol, les doigts raides et il battait des pieds mais l'air ne passait plus. Son regard montrait une atroce souffrance mais Nicolas ne prit pas la peine de s'y attarder. Faire preuve d'empathie aujourd'hui c'était impossible. Quand l'homme ne bougea plus d'un poil, Nicolas le lâcha et se laissa tomber en arrière, sur les fesses, essoufflé, tout tremblant. Désirée s'était relevée et ne bougeait pas d'un poil, les yeux écarquillés.

— Il faut protéger les œufs... se justifia Nicolas.

Désirée s'approcha du corps inerte de sa victime et aperçut sur le poignet de l'homme une marque rouge encore fumante. Puis son cou... complètement calciné, de la fumée s'élevait de son corps.

— Nicolas... souffla-t-elle.

— Je n'ai fait que mon devoir, se défendit-il.

Désirée s'accroupit devant lui.

— Tu n'as pas vu ? Demanda-t-elle.

Elle posa sa main sur la sienne mais la retira brusquement en poussant un gémissement de douleur. Les yeux de la jeune fille étaient grands ouverts. Nicolas regarda sa main puis celle de son amie.

— Tu es brûlant...

Nicolas se releva et observa le cadavre. Il remarqua la fumée et les traces de brûlures qu'il avait laissé sur sa peau. Jamais encore une telle chose était arrivée. Il ne put s'y attarder, des bruits à l'extérieur de la grotte l'interpellèrent. Il en sortit, prêt à se battre mais fut aussitôt encerclé par une vingtaine de soldats, tous armés, les lames pointées vers lui et Désirée.

— Il faut que tu t'enfuies, dit-il à Désirée. Enfuis-toi avec les œufs.

— Mais comment...?

— Essaie, je vais les retenir.

Désirée respirait fort mais elle ne pouvait abandonner. S'ils se faisaient capturer, alors les œufs de Hargon seraient enlevés. Elle recula de quelques pas avant de tourner les talons et de courir vers la grotte. Deux hommes voulurent la suivre mais Nicolas se jeta sur eux, le premier se reçut un coup de poing en plein visage et le second trébucha lorsque Nicolas avança son pied sur son chemin. Le soldat au nez qui saignait riposta en tentant de lui asséner un coup de pied, Nicolas l'évita de justesse mais ne put voir venir le manche d'une épée s'abattre contre son crâne. Sa tête valsa en arrière et il s'étala sur le sol. Il regarda le ciel, à la recherche de ses dragons, mais ils n'étaient pas là. Pourquoi ? Où étaient-ils ? Il fallait qu'ils reviennent !

Désirée avait raison, Nicolas avait un don et lui-même le savait. Aujourd'hui plus qu'un autre jour, il ne devait pas le nier, il devait l'accepter et s'en servir. Il ferma les yeux et cessa de lutter contre le feu qui l'embrasait à l'intérieur. Ce feu qui faisait bouillir son sang. Ce feu qui rendait sa peau brûlante. Il inspira profondément puis hurla. Il hurla si fort que ce cri fut entendu jusqu'à l'autre bout de l'île. Jusqu'aux cachots dans les bateaux où étaient retenus ses amis. Ses veines saillirent, ses tendons se raidirent...

Son cri se mêla au rugissement d'un dragon. Désirée, les trois œufs dans les bras, s'arrêta à l'entrée de la grotte, étonnée de voir Nicolas dans un tel état. Les soldats étaient autour de lui mais lorsque Aldaïde se posa sur la montagne au dessus d'eux et déploya ses ailes, leur attention se porta sur la bête. Nicolas se tut, essoufflé et épuisé. Lorsqu'il ouvrit les yeux, ils brillaient de milles feux. La seule personne qui le remarqua, ce fut Theobald qui venait d'arriver. Nicolas le toisa un long moment, la rage au ventre. Il se releva, sans lâcher son ennemi des yeux. Tant que Nicolas n'agissait pas, le dragon ne bougeait pas de son perchoir.

— Tes amis ont été capturés, déclara Theobald tout en cachant sa fascination pour la couleur de ses yeux.

Nicolas serra les poings, le dragon rugit, ce qui fit frissonner les hommes sur place.

— Vas-t-en... retourne d'où tu viens, marmonna Nicolas sans se retourner.

La bête poussa un dernier cri avant de déployer ses ailes et de s'envoler. Elle tourna autour d'eux un moment avant de disparaître de nouveau derrière les montagnes. Theobald arborait un rictus satisfait bien qu'impressionné par l'incroyable obéissance de la créature.

— Emmenez-le, ordonna-t-il. Et la fille aussi.

Nicolas se retourna pour riposter et les empêcher de s'en prendre à Désirée et aux œufs mais Theobald l'assomma d'un coup de pommeau, celui de son épée. Il s'affala sur le sol, le front ouvert et ses paupières se fermèrent, ce qui éteignit le brasier en lui.

Lorsqu'il ouvrit les yeux, tout tanguait autour de lui. Non pas car sa tête lui tournait mais bien parce qu'il était sur un bateau. Il se trouvait dans une petite cage étroite, dans la soute sombre, seulement éclairé par quelques bougies encore debout. Il se redressa et passa sa main sur son front duquel coulait encore un petit peu de sang. Des sanglots le firent tourner la tête. Dans la cage à sa gauche se trouvait Désirée, recroquevillée sur elle même, elle sanglotait sans s'arrêter en essayant d'être le plus discret possible.

— Je n'ai jamais quitté cette île... commença-t-elle d'une voix tremblante. Je me sens si mal. Je suis navrée... je ne sais pas ce qu'ils ont fait des œufs, je...

Elle sanglota de nouveau ce qui l'empêcha de poursuivre. Nicolas détourna le regard et inspira pour expirer lentement par la bouche.

— Merci Yselda de nous avoir fait capturé. Merci Yselda de nous avoir emmené ici. Grâce à toi, on va tous être exécuté et les dragons seront rayé de l'humanité.

Archibald se trouvait à sa droite, dans un coin de sa cage, l'air renfrogné et une sacrée bosse sur la tête. Nicolas chercha aussitôt Yselda des yeux et il la vit, dans la cage face à lui, elle était assise, les jambes repliée et regardait sur le côté, pour ne pas les affronter eux. Hugon était dans celle à côté d'elle et le petit avait disparu. Nicolas resta fixé sur Yselda. Devrait-il la détester ? La blâmer pour ce qu'il se passait ?

— Si seulement tu n'avais pas écrit cette lettre... maugréa Hugon.

Le pauvre était blessé et personne n'avait pris le temps de s'occuper de cette morsure. Heureusement, on lui avait tout de même prêté des vêtements.

— Je ne pensais pas qu'il se passerait ce qui est en train de se passer, se défendit Archibald. Oh, et je ne pensais pas qu'Yselda s'allierait à l'ennemi !

— Pour nous protéger ! Grogna le seigneur. Enfin, réfléchis ! J'ai été fortement déçu. Mais la voir se faire enfermée m'a fait comprendre que je ne m'étais pas trompé sur elle. C'est un chevalier, un vrai. Elle n'a peur de rien et ne renonce devant rien. Elle est prête à tous les sacrifices pour parvenir à ses fins.

Yselda croisa finalement le regard de Nicolas. Elle vit ses yeux jaunes, et il vit ses yeux bleus, purs et clairs, si beaux et tendres. Ils se regardèrent ainsi, sans un mot, sans bouger. Cette lueur dans son regard, cette culpabilité que Nicolas sut lire... Archibald remarqua comme ils se regardaient et son cœur se serra dans sa poitrine. Néanmoins, il était heureux que Nicolas soit avec eux.

— Appelle les dragons, dit-il.

Nicolas décrocha finalement son regard de celui d'Yselda pour le poser sur son ami.

— Pour quoi faire ?

— Nous sortir d'ici.

— Nous mourrons. Ils ne sauront pas qui tuer et qui épargner. Et surtout, je ne veux pas que les chasseurs parviennent à les tuer. Ils ont déjà trois œufs avec eux, c'est suffisant. C'est déjà trois dragons en moins...

— Des œufs ? Répéta Hugon.

— Oui... peut-être même qu'ils sont sur le point d'éclore... je n'ai jamais compris comment cela fonctionnait... répondit Nicolas. Maintenant, j'aimerais savoir de quelle lettre vous parlez ?

Hugon haussa les sourcils et jeta un regard à Archibald. Alors Nicolas fit de même pour que son ami lui explique. Le jeune homme baissa les yeux un moment et poussa un profond soupir.

— Après la guerre, après ton départ, j'ai remarqué le chagrin d'Yselda. Elle avait perdu son père puis toi... je voulais qu'elle puisse se reconstruire alors, j'ai écrit une lettre et je l'ai signé. Mais je n'ai pas mis mon nom. J'ai mis le tiens.

Nicolas ne dit rien, il observait simplement son ami avouer ses vices.

— J'ai écrit une lettre similaire à Ivène. Et durant huit ans, toutes les deux gardaient espoir de te revoir. Elles te croyaient en vie et ... elles n'avaient pas tort.

— Je ne voulais pas qu'on me retrouve, avoua Nicolas. Je ne voulais pas pour pas qu'il arrive une telle chose !

— Je suis désolé... je pensais que tu... que tu étais vraiment mort. Et je ne souhaitais que leur bien, souffla Archibald.

— Ton dragon s'est écrasé sur Ador. Blessébet en détresse. Avec ou sans lettre, je serai partie à ta recherche, intervint Yselda. Parce que je le savais, je le sentais, si ce dragon était arrivé jusqu'ici, c'est parce qu'il demandait de l'aide.

Nicolas ferma les yeux.

— Peut-être que pour les sauver, tu dois revenir chez toi, dit-elle.

— Ador ce n'est pas chez moi. Ador c'est ma prison, grommela-t-il.

— Et il faut passer par là pour retrouver la liberté. On trouvera un moyen...

Nicolas ne rétorqua rien. Quitter cette île, retourner vers son passé, cela ne lui plaisait pas. Il était terrifié. Tous ses souvenirs allaient ressurgir et le faire souffrir. Ador était un cauchemar pour lui, affronter son cousin devenu roi... c'était impensable. Revoir Ivene ? Inimaginable ! Marcher dans les rues dans lesquelles du sang avait coulé par sa faute ? Hors de question ! Remettre les pieds dans le château du roi fou... une phobie.

Mais aujourd'hui, en plus de s'être rendu compte que Hargon était une femelle. Nicolas avait appris de nouvelles choses. Comme le fait qu'il pouvait brûler les hommes par la simple chaleur de sa peau ou que les dragons lui obéissaient au doigt et à l'œil lorsqu'il parvenait à entrer en contact avec eux par le biais de son hurlement brûlant.

Une question restait dans un coin de son esprit.
D'où venait son sang bouillant ?

Je vous remercie d'avoir lu !

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