Hissez les voiles

— Yselda, calmez-vous...

— Certainement pas ! gronda-t-elle en se tournant vers Hugon.

Elle rangea sa précieuse épée dans son fourreau. Hugon ne pouvait cacher qu'il admirait l'armure qu'elle portait. Si belle et féminine, qui pourtant, pouvait en effrayer plus d'un. Il était rare de voir des femmes combattre ou porter des armures, cette fois, en voir une vêtue de cette façon pouvait peut-être changer les mœurs.

— Cette fille est une vipère, un piège à homme ambulant ! Je sais qu'elle tient à son fils mais...

— Êtes-vous sans cœur ? l'interrompit Hugon.

Yselda pencha la tête sur le côté, l'interrogeant de son regard glacial. Le fait qu'on ose lui dire cela lui brisait le cœur, justement. Elle ne s'était jamais pensée méchante ou mauvaise, bien au contraire. Elle avait toujours pensé être une bonne personne, qui pensait aux autres avant elle-même.

— Vous ne pouvez pas comprendre, grogna-t-elle, vous n'étiez pas là.

— Certes... mais c'est un enfant, on ne peut pas haïr un enfant, quel qu'il soit, peu importe sa naissance, peu importe les rancœurs. Ce garçon est venu au monde et n'a rien demandé. Alors qu'importe ce que vous cachez et ce que vous détestez chez lui. Cette femme n'a pas piégé votre ami, en réalité, elle a juste quémander de l'aide pour retrouver la chair de sa chair, le sang de son sang...

Yselda se mordilla les lèvres avant de lui passer à côté et de quitter la pièce. Elle longea les longs couloirs décorés de cadres majestueux, suivie de près par Hugon qui ne souhaitait pas la lâcher. Elle dévala les escaliers, main sur le manche de son épée puis quitta la demeure. Elle traversa l'allée fleurie du domaine, sans y prêter grande attention, bien que l'endroit était incroyable. Puis elle s'engagea dans une rue, sans vraiment savoir où elle allait, puisqu'elle ne connaissait rien d'Ilenn.

— Laissez-moi dont vous aider à retrouver votre ami ! couina Hugon sur ses talons.

— Je sais me débrouiller seule, j'ai voyagé durant des jours à cheval, seule, sans personne pour me servir, et je m'en portais bien mieux.

— Vous ne connaissez pas ce village.

— J'apprendrai !

Hugon trottinait derrière elle, insistant.

— Mais quelle haine cachez-vous au fond de vous pour être aussi odieuse et fermée ?

Yselda s'arrêta et se retourna vers lui, il manqua de lui rentrer dedans mais s'arrêta avant.

— J'ai vu la mort, de bien trop près, bien trop de fois. Cette quête devait être la mienne et seulement la mienne. Me voilà à rechercher mon ami, parce qu'il a suivi une mère endeuillée qui elle-même, cherche son fils kidnappé par des pirates !

Yselda marqua une pause pour jauger l'expression qu'affichait Hugon.

— Ce n'est pas de la haine, Sir.

— Alors qu'est-ce que c'est ?

— Trop d'amour, trop d'inquiétude. Je me fiche de ce gamin ou de cette putain, en revanche, jamais je ne me ficherai de mon meilleur ami.

Elle lui tourna le dos et arpenta les rues durant de longues minutes. Elle chercha derrière les stands de fruits et de poissons, dans les bidons de vin, dans les chaumières aux portes ouvertes, sous les charrettes, derrière les caisses de bois. Rien. Même dans la foule, elle était certaine de pouvoir reconnaître Archibald, bien qu'il n'était pas grand, son allure, sa posture, ses cheveux foncés... elle savait qu'elle pouvait le voir, qu'importe où il se trouverait.

Les soirs de beuveries, alors qu'Archibald se mêlait à la foule et qu'Yselda, par manque d'attention le perdait, elle devait tant bien que mal le retrouver. Au fil du temps, elle apprit à le reconnaître entre milles, parce que personne ne lui ressemblait.

Et, parmi la foule du marché matinal ce jour-là, elle reconnut sa chevelure brune. Alors elle se hissa dans la horde et se fraya un chemin parmi tout ce petit monde. Elle se retrouva rapidement sur le port, là où des bateaux s'apprêtaient à partir. Elle reconnut également le pirate qui les avait amené ici et qui avait tenté de la voler.

Archibald le suivait, épée à la main, prêt à l'attaquer sans qu'il ne s'en rende compte. Le pirate quant à lui, semblait rechercher quelque chose. Yselda songea aussitôt à Amaury. Elle s'arrêta, jeta un coup d'œil autour d'elle. Un pressentiment lui faisait savoir que l'enfant n'était probablement plus très loin. En premier lieu, elle trottina jusqu'à son ami, saisit son épaule et le força à s'arrêter pour se retourner. Lorsqu'il lui fit face, il ne cacha pas son mécontentement qui pinça le cœur de l'intrépide. Elle devait lui prouver qu'elle avait du cœur.

— Tu veux m'empêcher de sauver un enfant ? Je ne te reconnais plus...

— Je veux t'empêcher de le faire seul.

Archibald resta figé un instant avant d'esquisser un faible sourire satisfait. Yselda le lui rendit, scruta les environs autour d'elle, en ignorant Hugon qui semblait, lui aussi, heureux de sa démarche.

— Où est Ivène ? demanda-t-elle.

— Elle cherche Amaury, on s'est séparé elle et moi, le village est grand et je lui ai promis de le retrouver avant que les bateaux ne partent.

— Je pense qu'il n'est pas loin... mais attaquer ce bon à rien ne t'aidera pas, Archibald. Il suffit de retrouver Amaury et de le ramener chez Hugon.

Archibald haussa un sourcil.

— Chez le jeune Seigneur ?

— Je suis là et j'entends tout, déclara ce dernier.

Archibald ne lui jeta qu'un bref regard.

— Tu as accepté ? questionna-t-il à voix basse.

Yselda s'apprêta à répondre mais des exclamations attirèrent son attention. Le pirate tenait un jeune garçon par le bras, il le tirait vers lui, le forçant à le suivre. C'était Amaury et ce dernier ne semblait pas vouloir coopérer. Archibald et Yselda se précipitèrent vers l'individu, Yselda s'empressa de dégainer son épée, appuyant la pointe contre le cou du pirate et Archibald se chargea d'éloigner Amaury de son agresseur.

— Halte, ordonna Yselda.

— Pourquoi devrais-je écouter les ordres d'une gamine ?

— Je suis bien plus adulte que vous, grogna-t-elle le bras tendu. Et je suis en meilleure posture.

Le pirate feignit un sourire avant de se mordre les lèvres. Des lèvres gercées et abîmées. Juste après, une dizaine d'hommes se postèrent autour d'eux, épée à la main. Ce n'étaient que des pirates, mais la plupart étaient de vrais barbares. Hugon se munit du poignard qu'il cachait dans sa botte et se rapprocha d'Yselda. C'était un poignard en or, le manche orné de pierres précieux à la lame dentelée.

— Ils n'attaqueront pas le Seigneur d'Ilenn, assura-t-il.

— Vous en êtes vraiment sûr ? souffla Yselda en guettant ses adversaires.

Hugon grimaça.

— Pas vraiment...

Yselda gardait son bras tendu, or ses yeux ne surveillaient pas son prisonnier mais plutôt la dizaine d'hommes qui les menaçaient.

— Si vos hommes font un pas de plus, la lame de mon épée transpercera votre gorge.

— Fais-le dont ma jolie, tu verras par toi-même quelles seront les représailles de tes gestes.

— Je les tuerai tous.

— Je n'en doute pas une seconde. Mais tu seras traquée jusqu'à ta mort. N'oublie pas que tu es déjà la cible du roi et de ses mercenaires, si en plus de cela, les pirates te poursuivent, tu finiras pendue, écartelée, violée, poignardée ou que sais-je encore. Une chose est sûre, tu finiras en pièce.

Elle savait qu'il ne blaguait pas. Elle savait que ses mots étaient vrais et non exagérés. Les pirates étaient redoutables. Elle en avait entendu des histoires bon nombre de fois dans les Tavernes qu'elle avait visité avec son camarade. Elle en avait même croisé quelques uns. Évidemment, ils paraissaient toujours amicaux, jusqu'à ce que l'opportunité de dérober des trésors ne viennent gâcher leur sympathie.

— Faisons un marché, lança-t-elle après un court silence à détailler les individus qui l'encerclaient elle, le Seigneur d'Ilenn, l'enfant et son meilleur ami.

— Un marché ? répéta le pirate des étoiles dans les yeux.

Yselda détacha son regard de ses adversaires pour le poser sur son prisonnier. Il ne paraissait pas effrayé par sa lame. Il se moquait d'elle. Pour lui, les femmes ne pouvaient combattre, d'après lui, aucune femme ne pouvait être chevalier.

— Libérez l'enfant...

— Et... ?

— Et je vous donne mon épée.

Yselda avait dit cela le cœur serré. Mais entendre de la bouche de son meilleur ami comme celle d'un inconnu qu'elle était sans cœur ne lui plaisait guère. Elle voulait, aujourd'hui, prouver qu'elle était tout sauf une personne sans cœur. Hugon se retourna vers elle, les yeux ronds, tout comme Archibald qui n'en revenait pas. Cette épée, c'était tout ce qu'il restait de Bénédicte et Nicolas. Cette épée était une promesse, un espoir. Elle comptait s'en détacher, pour un enfant qu'elle ne portait pas dans son cœur. Elle croisa le regard de son ami mais l'évita très rapidement pour se concentrer sur le pirate.

— Tu ferais ça ? s'étonna le pirate.

— Oui. Vous repartirez alors voguer sur les mers.

— Tu sais que je retournerai à Ador un jour ou l'autre et que lorsqu'on me posera des questions, je donnerai ta position.

— Je serai déjà loin.

Il sourit, comme si ses réponses lui plaisaient. Yselda baissa son bras, la pointe de l'épée frôla le sol tant elle était grande. Elle serra le manche dans sa main, baissa la tête quelques instants puis finalement, rangea l'épée. Elle retira son fourreau de ses hanches et le tendit à son ennemi tout en le regardant droit dans les yeux. Il le prit, sans la lâcher du regard, les lèvres pincées et un air satisfait sur son visage crasseux.

— Maintenant partez, dit-elle les dents serrées.

— J'en prendrai soin, assura-t-il en la retirant du fourreau pour en admirer son argenterie.

— Faites dont ce que vous voulez mais ne recroisez plus jamais mon chemin.

Il releva ses yeux vers elle les sourcils haussés.

— Je vous la déroberai, poursuivit-elle.

— C'est une menace ?

— C'est une promesse.

— Nous nous recroiserons le jour où tes amis et toi seront jetés de la falaise à Ador, par le roi lui-même. J'applaudirai lors de ce fabuleux spectacle.

Elle ne rétorqua rien, elle soutint seulement son regard. Lorsqu'il en eut assez, il ordonna à ses hommes de baisser les armes, leur tourna le dos en jetant un dernier coup d'œil à Amaury, puis monta sur son bateau, le fourreau autour des hanches, l'épée avec lui. Peu de temps après, ils hissèrent les voiles et le bateau pris le large.

Ivène arrivait tout juste sur le port, en voyant le bateau quitter les lieux, elle perdit espoir, jusqu'au moment où ses yeux se posèrent sur Archibald, puis sur son fils. Son visage s'illumina aussitôt et elle se précipita vers lui. Amaury se jeta à son cou et la serra de toutes ses forces.

Quant à Archibald, il saisit le poignet d'Yselda et la força à le regarder.

— Pourquoi tu as fait ça ? demanda-t-il serrant son poignet dans sa main.

Hugon n'en revenait toujours pas. Pour lui, cet acte valait tout. Il savait qu'elle serait un allié précieux, alors il affichait son rictus habituel.

— Pour te prouver que je suis tout sauf une personne sans cœur.

— Yselda...

— Ne dis rien, l'interrompit-elle. En revanche, tu n'as pas le droit de me forcer à apprécier cet enfant. Je ne l'apprécierai jamais. Non pas parce qu'il est né de l'union de Nicolas et Ivène, mais parce que je sais ce que ce monde risque avec un enfant comme lui en vie.

— Rien de tout ce qui est arrivé ne se reproduira...

— J'ai compris une chose lorsque Bénédicte m'a conté son histoire, c'est que cette lignée doit s'éteindre.

— Alors pourquoi persistes-tu à espérer que Nicolas soit encore en vie ?

— Parce que lui était différent. Il avait plus de cœur que n'importe qui. Parce qu'il n'a pas grandi avec les Hommes. Il n'a pas acquis leurs vices.

Archibald ne sut quoi lui dire. Il songea, le temps d'un instant, aux moments qu'ils avaient vécu avec Nicolas. Il songea à ce pacte avec Nathaniel, à cet espoir qu'il avait eu lorsque Nicolas avait été sauvé par le dragon noir. Il ne pouvait nier qu'il avait cru en son ami et qu'il l'avait aimé autant qu'il aurait pu aimer son propre frère.

— J'ai accepté la proposition d'Hugon, reprit Yselda ce qui le fit sortir de ses pensées. Mais tu feras partie de tout cela toi aussi. Lors de notre voyage, je veux qu'Ivène et l'enfant restent ici, ils seront en sécurité. Mais toi... tu dois venir avec moi.

— De quel voyage tu parles ?

— C'est assez long à expliquer... intervint Hugon, mais pour faire court, j'ai une vengeance à assouvir et surtout... nous avons des dragons à protéger.

Archibald jeta un regard surpris à son amie. Yselda lui adressa un franc sourire puis se tourna vers Hugon.

— J'accepte votre proposition en effet, en revanche... vous n'aurez pas un mais deux services à me rendre.

La joie qu'affichait Hugon disparut aussitôt.

— Vous m'aiderez à retrouver les traces de mon ami, qu'il soit mort ou non.

Hugon acquiesça d'un hochement de tête.

— Et vous m'aiderez à récupérer mon épée.

Archibald poussa un petit cri de surprise.

— Yselda ! C'est déclarer la guerre aux pirates ! s'exclama-t-il.

— Tu croyais que j'allais lui donner cette épée ? J'ai fait la promesse à Bénédicte de la donner à Nicolas, c'est l'épée de son père... et lorsque je fais une promesse, je la tiens.

Elle se tourna de nouveau vers Hugon.

— Oh et... je ne veux pas d'hommes avec moi, je peux régler cette histoire avec vous et Archibald.

— Mais...

— Je n'ai pas besoin d'armée et vous non plus, nous avons seulement besoin d'alliés.

Archibald observa Ivène s'assurer que son fils allait bien et il ne put réprimer un sourire. Lui aussi souhaitait avoir des enfants un jour, il souhaitait se marier, fonder une famille. Il avait voulu tout cela avec Yselda mais elle l'avait toujours repoussé. Il la regarda elle et ses longs cheveux noirs, elle et ses beaux yeux clairs, elle et sa volonté. Il sourit également. Quand Yselda avait une idée en tête, rien ne pouvait la faire changer d'avis. Bien qu'il lui en voulait pour ses paroles tranchantes, il ne pouvait nier l'amour qu'il lui portait et où elle irait, il irait lui aussi. Parce qu'ils se l'étaient promis.

— Bon alors... on le prépare ce voyage ? déclara-t-il.





Je vous remercie d'avoir lu !




Image illustrant Yselda au cours de l'histoire...
(Indulgence, je suis nulle en matière de montage photo.)

Dites-moi si ce genre d'images vous plaît.
Je le ferai pour les autres personnages !

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