Faire preuve de clémence
Hugon avait été jeté dans le même cachot qu'Archibald, ce dernier s'était empressé de venir en aide au jeune seigneur encore blessé par sa rencontre avec l'animal féroce. Hugon s'assit contre le mur, les bras ballants et les yeux fixés sur les barreaux, Archibald posa sa main sur son bras pour avoir son attention. Un homme de si haute importance, enfermé et traité comme un moins que rien. Il était tombé bien bas et cela ne semblait pas lui plaire.
— Je suis désolé... commença Archibald.
Bien qu'au fond il était heureux d'avoir enfin de la compagnie.
— Nous ne savions pas qu'Yselda...
— J'avais foi en elle, l'interrompit Hugon les yeux fixés droit devant lui. Tous mes espoirs reposaient sur elle, je croyais en elle, je voyais la victoire en elle...
Archibald baissa les yeux, agenouillé devant le jeune seigneur, tout deux salis par leur périple, fatigués par cette île.
— Elle me livre alors aux monstres qui ont détruit des familles entières à Ilenn. Je ne comprends pas, tous ces récits que j'avais pu entendre sur la guerre qu'elle avait mené, toute cette foi qui vient de s'envolée. Je me sens humilié. Je déteste perdre, je hais la défaite. Cet échec est le plus brutal que je n'ai jamais eu.
— Elle va forcément revenir à la raison, je connais Yselda, je...
— Et le petit garçon... loin de sa mère, loin de tout, encore une fois prisonnier.
Amaury n'avait pas été enfermé, il était resté avec Théobald et ses disciples, Yselda en faisait partie. Théobald lui avait offert à manger et l'avait longuement observé sans un mot. C'était un beau garçon, les cheveux bruns, le teint halée, les yeux noisettes, pas très épais mais au visage lumineux. Il avait mangé sans trop se faire prié mais les multiples regards qu'il lançait à Yselda étaient déchirants. Il ne comprenait pas ce qu'il faisait là, pourquoi Hugon avait été enfermé, pourquoi Yselda semblait éteinte.
Au fil des jours, rien ne s'arrangea, Archibald et Hugon avaient été oublié au trou, Amaury restait le petit prisonnier du chef et Yselda ne répondait plus d'elle-même. Amaury avait essayé plus d'une fois de lui parler, mais elle avait fait mine de ne pas l'entendre. Il savait qu'elle ne l'appréciait pas, mais de là à l'ignorer de la sorte...
Amaury se trouvait près des ruines, les bras appuyés contre la pierre détruite, à observer le ciel aussi bleu que l'Océan juste en dessous, le vent caressait ses cheveux et le son des vagues ronronnait dans ses petites oreilles. Son regard fut attiré par un gros bateau au loin et aux canots qui se rapprochaient de la plage. Des hommes armés en descendirent pour faire le tour de la bâtisse, visiblement décidé à entrer dans les lieux. Des cris résonnèrent, Amaury se laissa glisser contre le mur et plaqua ses mains contre ses oreilles. Des hommes se faisaient tuer quelque part et les bruits résonnaient de toute part. Il préféra rester dans les ruines, les mains sur les oreilles, les yeux fermés à attendre que cela passe. Pourvu que cela passe.
Yselda de son côté para le coup d'un ennemi, puis celui d'un autre, elle blessa l'un des deux hommes à la jambe et le second au bras. Quand elle le désarma, elle pointa son épée vers son cou et le dévisagea. Les couleurs du roi, ils n'étaient pas là pour Théobald. Ils étaient là pour elle.
— Assez ! ordonna quelqu'un.
Les hommes derrière la victime d'Yselda s'écartèrent pour laisser passer Nathaniel en personne. Les yeux d'Yselda s'arrondirent, elle garda néanmoins son épée levée, la lame pointée vers son ennemi, pourtant, elle regardait le roi s'arrêter devant elle, la main sur le manche de son arme dorée.
— Baisse ton épée, dit-il d'un ton cinglant en détaillant l'armure noire qu'elle portait.
— Ils viennent de tuer des hommes...
— Ton armée, peut-être ? l'interrompit Nathaniel. Je ne crois pas.
Yselda serra les mâchoires, elle baissa et rangea son épée tout en fusillant du regard le jeune roi qui se tenait fièrement devant elle. Nathaniel arborait des cheveux courts à présent, blonds, une barbe naissante et des yeux glacials. Il portait une grosse armure dorée et sa fine couronne ornée de pierres précieuses. Une couronne que Djafar refusait de porter la plupart du temps. Nathaniel, lui, aimait l'exposer sur son crâne.
— Comment nous as-tu retrouvé ? demanda Yselda.
— J'ai eu la chance et le privilège de faire un arrêt à Ilenn, fort heureusement pour moi, j'y ai croisé Ivène, la douce Ivène... elle était terrifiée, elle m'a supplié de ne pas la punir et surtout, m'a imploré de retrouver son fils disparu. J'ai dû alors lui tirer les vers du nez, mais cela n'a pas été compliqué, elle m'a tout de suite expliqué tes intentions et celles d'Archibald. Mais je te le répète, Yselda, Nicolas est mort.
Yselda releva le menton, Nathaniel était un homme grand et imposant avec cette armure.
— Tu as tort, dit-elle, je l'ai vu.
Nathaniel haussa un sourcil. Il gardait cet air hautain qu'il tenait de son père, et à savoir ce dont il était capable de faire lorsqu'on trahissait ses règles, il pouvait être terrifiant.
— Alors où est-il ?
— Probablement loin à présent.
Nathaniel la toisa un long moment, il descella dans ses yeux bleus, une détresse inconnue. Jamais encore elle n'avait eu ce regard, comme un appel à l'aide...
— Que caches-tu ?
Yselda jeta un coup d'œil autour d'elle, à ses côtés se trouvait un jeune chasseur, certainement du même âge qu'elle. Elle détourna les yeux un instant et poussa un profond soupir avant de dégainer son épée et de la planter dans le ventre du jeune homme. Il ouvrit grand la bouche, du sang en coula et vint coller à son cou avant qu'elle ne retire son arme et qu'il s'affale sur le sol, mort. Les yeux écarquillés, Nathaniel la dévisagea.
— Tes soldats sont puissants, déclara-t-elle en rangeant son arme.
Elle ferait passer cela pour une attaque du roi. Déconcerté, Nathaniel l'interrogea du regard, ne comprenant pas pourquoi elle venait de tuer l'un de ses alliés. Elle se rapprocha aussitôt de lui et ses hommes brandirent leur épée mais il les arrêta d'un geste de la main. Elle plongea alors son beau regard dans le sien, Nathaniel restait sous le choc d'un tel geste.
— Emmène-nous loin d'ici, dit-elle, mais pitié... pitié... ne puni pas Archibald pour ce qu'il a fait. Puni-moi, banni-moi, mais épargne-le.
— Pourquoi je ferai une telle chose ? Tu m'as trahi alors que je te faisais confiance et visiblement, tu viens de faire la même chose à cet homme.
— Je veux seulement que tu l'épargnes. Tout est ma faute.
— Certes.
— Tout ce que je te demande, c'est de nous emmener loin de cette île. Ivène retrouvera son petit garçon, Archibald reprendra le cours de sa vie, Hugon rentrera chez lui et moi... moi je veux endosser toute cette responsabilité.
— Je ne te comprends pas, je ne t'ai jamais comprise...
— Une guerre se prépare, Nathaniel. Tu avais raison, on aurait dû rester à Ador, on n'aurait jamais dû partir. Tu essaies de nous protéger et nous avons été incapable de t'écouter. Tout ce que tu souhaites, c'est éviter un nouveau drame. Alors... laissons Nicolas régler ses problèmes tout seul et sauvons nos amis...
— Nicolas est ton ami. Il fait partie de ma famille alors je veux que tu me racontes exactement ce qu'il s'est passé.
Yselda hésita mais lui conta tout depuis le début. De son départ, sa rencontre avec Hugon, leur marché, les chasseurs de Dragon, son altercation avec Archibald, ses retrouvailles avec Nicolas, les aspirations de Théobald. Nathaniel ne l'avait pas coupé une seule fois, il l'avait longuement écoutée sans dire un mot. Elle se dépêchait de tout lui expliquer, comme si elle risquait de se faire prendre la main dans le sac. Ce qui fut le cas.
L'arrivée de Theobald sur les lieux la força à se taire. Il vint de poster près d'elle, les mains croisées, il salua poliment le roi et ses hommes tout en ignorait les cadavres des quelques chasseurs. Yselda pouvait sentir la colère de son bourreau mais ne cilla pas. Nathaniel le considéra de longues secondes sans cacher son étonnement de le voir ici.
— Quel bel homme vous êtes devenu, dit Theobald en détaillant le roi.
— Vous chassez les dragons, déclara Nathaniel.
— Je chasse ce qui est néfaste pour nous. J'ai cru comprendre que vous aspiriez à la paix, vous avez raison. Pour cela, il faut éliminer la menace première. C'était à cause de cela que votre père avait perdu la raison. Savoir que nous pouvons approcher les dragons, c'est savoir que nous pouvons acquérir plus de pouvoir. Aujourd'hui et demain, de mauvaises personnes pourraient tenter de vous voler le trône.
— Une seule personne est capable de diriger un dragon, grogna le roi.
Theobald esquissa un sourire narquois.
— Cette personne est de sang royal. Il suffit que le peuple apprenne qu'il est en vie et votre pouvoir disparaîtra.
— Foutaises ! Intervint Yselda. Nicolas ne cherche pas...
— Tais-toi ! Hurla Theobald. Toi qui ose me trahir. Tu ne sais faire que cela !
— Ce que je fais et ferai toujours, c'est protéger mes proches.
— Tu ne sais protéger personne. Ton père est mort par ta faute.
Yselda dégaina son épée pour menacer le seigneur de Paraviel. Les hommes de ce dernier derrière lui l'imitèrent et les soldats du roi s'empressèrent de faire de même. À présent, une lourde tension pesait sur le groupe.
— Réfléchissez Nathaniel, reprit Theobald en ignorant toutes ces armes menaçantes autour d'eux. Vous êtes un régicide, l'assassin du roi, au moment même où quelqu'un se présentera pour vous voler la place, le peuple le suivra. Personne n'aime servir un assassin. Personne.
— Vous mentez, mon peuple me soutien.
— Il a peur de vous, de vos actes, on ne fait pas confiance aux méchants. Je le sais.
— Nathaniel ne l'écoute pas, je suis ton amie, tu dois me faire confiance !
Theobald profita de cet instant d'inattention pour donner un coup de pied dans le ventre de l'intrépide, elle recula de quelques pas, voûtée. Le pirate qui ne cessait de la martyriser s'avança derrière elle et la saisit à la gorge pour la maintenir contre lui. Il frappa à trois reprises son avant bras pour qu'elle lâche enfin son épée.
— Tu oses dire au roi que tu es son amie alors que tu as dérogé ses règles ? Reprit Theobald en ramassant l'épée d'Edouard. Tu es ridicule.
Yselda jeta un regard à Nathaniel, elle cherchait son soutien mais elle le voyait penaud, complètement perdu.
— Tu n'es pas un assassin ! Tu as fait ce qui était bon pour Ador ! Tenta-t-elle.
Elle le savait fragile et facilement manipulable. Il avait certes eu le bon réflexe d'éliminer Djafar, mais cela après que le drame ait frappé le monde.
— Votre envie de tuer les dragons est-elle réelle ? Vous ne me mentez pas ? Demanda Nathaniel d'une faible voix. Vous voulez protéger ma place ? Protéger le peuple ?
— Oui, mon roi. J'ai été sot de suivre votre père, j'aimais le sentiment de pouvoir devenir plus puissant. Mais tous ces morts... pour des Dragons ?
— Promettez moi que vous dites la vérité. Ployez le genou et promettez le.
Theobald sembla hésiter un instant mais posa son genou à terre, face au roi et ses soldats armés, face à ses hommes qui le dévisagèrent. Pourquoi vivre comme un pirate quand finalement, nous pouvons obtenir l'aide et le soutien d'un roi ?
— Je vous le promet. Notre avenir est entre nos mains. Si le sauvage vit encore, alors jamais la paix ne durera. Il suffit qu'il se reproduise... pour que son poison continue de se déverser.
— J'ai le même sang, pesta Nathaniel.
— Oui, mais vous pouvez changer les choses. Tuez les dragons, tuez Nicolas, et votre lignée sera nouvelle. Vous serez vu comme un vrai roi, puissant et redouté. Le peuple comprendra alors que les dragons ne sont pas tout puissant, mais que vous, oui, vous l'êtes.
— Nathaniel ! Pitié ! Cria Yselda toujours maintenue.
Nathaniel releva le menton à l'entente de sa voix. Il se mordilla les lèvres mais se devait de prendre une décision rapidement. Ses soldats le penseraient faible sinon.
— Je propose que nous trouvions Nicolas, puisqu'il ne doit pas être bien loin. Ensuite, nous rentrerons à Ador et j'ai le sentiment, Theobald, que vous savez beaucoup de choses sur ma famille.
Theobald hocha la tête tandis que Nathaniel le regardait de haut.
— J'ai rencontré la bonne personne au bon moment, dit-il seulement.
— Bien, récupérez les prisonniers, rassemblez vos affaires. Je vous laisse jusqu'à la nuit tombée pour retrouver mon cousin. Après cela, notre marché ne tiendra plus. Ne tardez pas.
Theobald accepta aussitôt et ordonna à ses chasseurs de commencer le travail. Nathaniel lui confia quelques uns de ses soldats les plus aguerris. Yselda se débattit et ne cessa de hurler pour que Nathaniel l'écoute. Il ne pouvait pas être si naïf. Theobald voulait autre chose, il avait été l'ami le plus proche de son diable de père, impossible qu'il le laisse s'en tirer ainsi !
— Nathaniel ! Je t'en prie ! Ouvre les yeux, il est tout aussi manipulateur que Djafar ! Tu vas revivre la même chose ! Ne le laisse pas t'endoctriner !
Nathaniel la regarda un long moment, impossible de savoir ce qu'il pensait.
— Emmenez-la.
Les pieds d'Yselda ne touchèrent plus le sol et elle fut emmenée pour rejoindre les autres prisonniers. Son plan avait lamentablement échoué. Elle avait espéré que le roi l'a retrouve, pour qu'il l'aide à arrêter Theobald. Pourquoi une autre guerre ? N'avaient-ils pas tous assez souffert ? Savoir que Theobald en savait un rayon sur toute cette histoire lui donnait l'avantage. Qui avait bien pu lui révéler tant de choses ? C'était comme avoir confié une bombe à la mauvaise personne, à présent, le roi était sa marionnette.
Amaury, toujours caché dans son coin fut emmené par les soldats du roi. Hugon et Archibald aussi, sur son bateau, dans des cachots légèrement plus propres, chacun dans une cellule séparée. Ils ne purent rien faire.
Ils seraient jugés, puis exécutés.
Nicolas, lui, ne pourrait se défendre contre autant d'hommes, le seul espoir reposait à présent sur Aldaïde.
Je vous remercie d'avoir lu !
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