Au grondement de l'orage

— Ils sont affamés et si vous voulez qu'ils grandissent rapidement il faut combler leur faim !

Theobald avançait dans les couloirs sombre des sous sols, les rugissements des bébés dragons se mêlaient au grondement de l'orage qui s'abattait sur la capitale. Il se tourna brusquement, la personne qui s'adressait à lui manqua de lui rentrer dedans. Theobald leva sa main et serra le poing, les lèvres retroussées.

— Quel est le meilleur aliment à donner à un dragon ? Enfin... trois dragons ?

Trois semaines s'étaient écoulées et les bébés grandissaient vite, leur faim avec. La femme devant lui le regarda un instant droit dans les yeux.

— Un être vivant.

— Animal ou humain ?

— Tout dépend quel type de dragons vous souhaitez qu'ils deviennent.

Theobald haussa un sourcils et un faible rictus étira ses lèvres.

— C'était la réponse que j'attendais.

Il la laissa là, dans les sous sols, satisfait de ce qu'il venait d'entendre.



Yselda se tenait devant son miroir, elle accrochait tout juste sa barrette dans ses doux cheveux bruns, ils étaient soyeux et brillants, ils avaient été lavé avec dextérité.

— Comme tu es belle... souffla Désirée.

Yselda se tourna vers elle et feignit un sourire. Elle se positionna face à son reflet et se détailla. Sa lèvre fendue commençait à cicatriser, ses bleus étaient presque imperceptibles maintenant. La douleur qu'elle avait subi, la torture qu'on lui avait infligé, toutes ces marques qui le lui rappelaient commençaient à disparaître.

Soudain, elle fut prise d'une violente douleur abdominale. Elle posa sa main sur son ventre et gémit, elle s'empressa de se pencher au dessus du saut d'eau qui lui avait servi pour se laver et elle régurgita ce qu'elle avait mangé la veille. Désirée s'empressa de la rejoindre et posa sa main sur son bras.

— Est-ce que ça va ?

Yselda respirait vite et se redressa rapidement tout en s'essuyant la bouche.

— Ça va, grogna-t-elle. Je peine à digérer ce que nous avons mangé hier.

Elle quitta la pièce et se mêla aux personnes qui déambulaient dans la demeure plus vivante que jamais. Yselda renifla de belles fleurs posées sur le bord d'une fenêtre, puis écouta les ragots de deux demoiselles qui gloussaient dans un coin. Elle admira l'armure royale qui était exposée dans le couloir du jardin, détailla sa grande épée et son casque parfaitement sculpté. Cette armure la faisait rêvé, cette épée la faisait languir. Tout cela lui manquait.

Elle voulut se rendre dans la grande salle à manger mais trois personnes entrèrent par l'autre côté. Yselda se colla au mur habillé d'un papier peint rouge et or pour ne pas être vue, elle reconnut rapidement la carrure de Theobald.

— Où m'emmenez-vous ? Demanda un jeune homme.

Yselda le reconnut, c'était le jeune qui travaillait dans les écuries avec Archibald. Theobald posa sa main sur son épaule, suivit par une femme qui portait une longue tresse, des cheveux bruns et le teint hâlé... Yselda se pencha légèrement et plissa les paupières pour mieux voir.

— Nous avons quelque chose à te montrer, rétorqua Theobald. Je suppose que tu en as assez de t'occuper des chevaux. Je suppose également que tu aimerais rendre service à ton roi.

Le jeune homme hocha rapidement la tête. Ils se tenaient non loin de la table à manger, elle était grande en bois sculpté, sur celle-ci se dressait un buffet appétissant, quelques bougies pour éclairer la pièce et des fleurs cueillies le matin même, sans oublier les carafes de vin.

— Évidemment votre Majesté.

— Les dragons ont besoin de toi.

— Les dragons ? Répéta-t-il.

Les trois individus disparurent derrière les grandes portes qui donnaient dans les corridors Ouest de la demeure. Yselda retira ses souliers et s'empressa de les suivre discrètement. Ils descendirent de longs escaliers raides et poussiéreux avant d'arriver dans les sous sols. Là, Yselda se contenta de rester dans la cage d'escalier, les mains sur le mur. Elle put les voir saluer le soldat qui guettait les lieux et entrer dans une pièce. Quand la porte claqua derrière eux, un lourd silence demeura avant que des hurlements ne viennent le briser. C'était des cris terribles, déchirant, des plaintes d'un homme qui semblait souffrir terriblement, des cris mêlés à des pleurs.

Le cœur d'Yselda s'emballa, elle remonta les escaliers à toute vitesse, à peine mit-elle le pied à l'étage qu'elle tomba nez à nez avec Ivène.
La jeune femme arborait un visage fatigué aux traits tirés, elle portait une robe bleue, très bien cintrée et ses beaux yeux verts étaient cernés. Les deux femmes se regardèrent un moment dans le silence.

— Comment va Amaury ? Demanda Yselda pour casser le silence pesant qui régnait.

Ivène releva le menton et déglutit.

— Si seulement je le savais, grommela-t-elle.

— Je suis désolée...

— Où est le roi ? Demanda la rouquine.

Yselda cligna plusieurs fois des paupières. Elles ne s'appréciaient pas toutes les deux et la tension entre elles était palpable. De l'électricité émanait des deux jeunes femmes.

— Il nourrit ses bêtes...

Ivène ne répondit rien.

— Pourquoi ? S'enquit Yselda.

— Je suis veuve, souffla-t-elle. Et je suis prête à tout pour récupérer mon fils.

— Tu n'es pas obligée de te donner aux hommes de cette manière.

— Tu penses ? Répondit Ivène aussitôt. Nous ne sommes pas pareilles toi et moi. Mon seul moyen de survie, ma seule façon d'arriver à mes fins, c'est de me donner aux hommes. Theobald craque pour les femmes jeune, alors je vais en profiter. Et s'il faut que je l'épouse, s'il faut que je couche avec lui, que je mange sa peau... je le ferai. Après tout, je suis une putain, non ?

Yselda ne rétorqua rien et pour la première fois depuis longtemps, elle avait de la peine pour Ivène. Finalement, toutes les deux souffraient de leur corps, ce n'était certes pas la même chose, mais elles étaient salies l'une comme l'autre.
Des bruits de pas résonnèrent derrière elles et quand Yselda se retourna, elle fit face à Bénédicte. Son cœur rata un battement et avant même de pouvoir parler, une nouvelle nausée vint la secouer. Elle se pencha en avant et vomit de nouveau, sous les yeux des deux femmes. Quand elle se redressa, elle dut s'aider du mur pour tenir sur ses deux pieds. Elle releva ses yeux bleus vers Bénédicte, son expression ahuris n'échappa pas à la tante de Nicolas.

— Tu es malade, commenta Bénédicte, tu devrais te reposer.

— Elle n'est pas malade, intervint Ivène.

Bénédicte lui jeta un regard et releva le menton.

— C'est donc vous, la mère du petit Amaury.

Le visage d'Ivene se décomposa.

— Rendez-moi mon fils !

— Ne vous en faites pas, tant que je suis en vie et que je m'occupe de lui, il ne risquera rien. J'ai élevé Nicolas, votre fils sera digne de son père.

— Vous avez tué cet homme... souffla Yselda.

Bénédicte lui lança un regard, les pas de Theobald se firent entendre derrière les portes.

— Allez-vous en maintenant, s'il apprend que vous êtes au courant, il vous fera tuer toutes les deux. Je ferai nettoyer...

Ivène attrapa le bras d'Yselda et la tira avec elle.

— J'avais foi en vous ! Grogna Yselda en suivant la rouquine. Vous trahissez votre propre sang !

L'orage éclata au même moment, de la grêle dégringola du ciel en masse, les éclairs fendaient le ciel et le vent s'était levé. Yselda s'arrêta dans un couloir, le grondement de l'orage vibrait dans les fenêtres. Elle passa ses mains sur son visage, la respiration rapide.

— Yselda... marmonna Ivène.

— Je ne peux pas y croire...

— Yselda écoute moi...

— Elle m'avait demandé de te tuer ou bien de tuer ton fils si jamais il voyait le jour, elle voulait que sa lignée s'arrête mais s'en prendre à Nicolas... je croyais en elle, je la sentais sincère... qu'est-ce qui lui passe par la tête !

— Yselda ! Cria Ivène.

Cette dernière ouvrit de grands yeux et se tut, surprise de se faire hurler dessus.

— Tu es enceinte.

Yselda resta immobile un moment, le teint pâle avant de rigoler, mais elle ne se moquait pas, en réalité, elle riait parce qu'elle ne savait pas comment réagir autrement.

— Je ne suis pas enceinte, railla-t-elle.

— Quand as-tu saigné pour la dernière fois ?

Yselda cessa de rire rapidement.

— Je ne sais plus...

— Yselda...

— J'ai été violée, j'ai été violé plusieurs fois, je ... il faut que je tue cet enfant !

Elle bouscula Ivène et traversa le couloir d'un pas rapide, sous la danse des éclairs, le chant lugubre de l'orage. Ses larmes coulaient sur ses joues en même temps que la pluie recouvrait le sol, humidifiait les murs de la demeure. Ivène lui courut après pour la suivre et ne pas la lâcher.

— Non, ne fais pas ça !

— Je vais m'enfoncer quelque chose de pointu et l'enfant mourra !

— Yselda, je t'en prie !

Elle lui saisit le bras, ce qui freina l'intrépide brusquement. Elle se retourna vers elle, ses cheveux longs fouettèrent son visage et quelques mèches s'y collèrent avec la transpiration qui brillait sur sa peau, peut-être était-elle fiévreuse.

— Tu ne peux pas tuer un être innocent... reprit Ivène.

— Je ne peux pas mettre au monde un être que je ne veux pas. Je ne l'aimerai pas, je...

— Tu ne peux pas savoir de qui est cet enfant.

Yselda se pinça les lèvres et un air de dégoût traversa son visage.

— Je ne suis pas enceinte, vociféra-t-elle, je suis malade ! Oh, et si seulement je pouvais en mourir ! Quelle joie ce serait que de quitter ce monde horrible qui n'a plus aucun sens pour moi sans mon père, sans Nicolas !...

— Et avec moi ?

Yselda se retourna vers cette voix qui avait résonné dans son dos. Archibald se tenait là, les bras ballants, trempé jusqu'aux os, dans son habit d'écuyer. Yselda renifla et essuya ses larmes d'un revers de la main.

— Je suis désolée... souffla-t-elle.

— Je cherchais juste Alfie... vous ne l'auriez pas vu ?

Évidemment qu'elle l'avait vu, il venait d'être dévoré par trois dragons affamés. Quand Archibald remarqua la mine déconfite de son amie, il comprit qu'il ne reverrait probablement jamais Alfie. Il baissa les yeux puis la seconde d'après, il partait du côté opposé. Yselda le suivit, il se retourna pour lui parler mais elle se jeta à son cou et l'enlaça aussi fort qu'elle le put. Archibald resta immobile, surpris par son geste.

— Aide-moi...

Yselda suppliait rarement, elle demandait jamais d'aide. Elle était bien trop fière pour cela. Brisée comme elle l'était, elle ne pouvait plus que se résigner à demander de l'aide.

— Que dois-je faire ? Murmura-t-elle dans le creux de son cou.

Archibald ferma les yeux et la serra contre lui. Il avait entendu leur conversation, malgré l'orage qui avait brouillé quelques bribes.

— Garder espoir.

— Et même si cet enfant était de lui... commença-t-elle d'une petite voix. Il ne pourrait voir le jour...

— S'il est de lui et que Nicolas n'est plus de ce monde à ce jour... alors il naîtra.

Yselda se détacha de lui et le regarda un instant, ses larmes coulaient toutes seules.

— Je suis devenue faible, déclara-t-elle. Regarde-moi, à pleurer dans tes bras, à demander ton aide, tes conseils. Regarde-moi fébrile... ils m'ont tué. Ils m'ont tué...

— Non, tu es la, tu es vivante, dit-il en attrapant son visage entre ses mains. Ils t'ont forgé. Ce sera ta force, tu ne peux pas renoncer, pas maintenant que tu sais qu'une vie grandit en toi. Tu es une guerrière, Yselda. Tu es un chevalier avant tout. Débarrasse-toi de tes jupons, enfile ton armure. Tu verras de toi-même qu'ils ne t'ont pas tué.

Archibald et Ivène raccompagnèrent Yselda jusqu'à ses appartements. L'écuyer resta dans un couloir à attendre que l'orage passe, lui qui vivait dans les écuries ne supportait plus les bourrasques de vent et l'eau qui lui gelait les os. Et il pleurait son ami, en silence. Ivène s'en alla à la rencontre de Theobald, son idée bien ancrée dans sa tête et Yselda ouvrit le petit coffre que Désirée lui avait ramené des jours plus tôt. Dans celui-ci se trouvait son armure. La même armure que Bénédicte avait fait concevoir pour elle.
Une amie devenue ennemie.

Yselda quitta ses jupons, son corset et sa barrette et opta pour sa tenue masculine mais féminine à la fois. La tenue qui lui collait à la peau, celle qui la faisait exister, qui lui redonnait la force, l'envie et la détermination.

Elle se regarda dans son miroir, tout en terminant de tresser ses longs cheveux. La voilà comme dans ses souvenirs, les cheveux tressés, quelques mèches rebelles qui encadraient son visage pâle, une armure sombre épousant ses formes, un fourreau vide à présent mais qui ne saurait tarder à accueillir une épée... Elle passa son doigt sur le symbole en forme d'aile de dragon sur son épaule puis glissa sa main jusque sur son ventre protégé par son corset dur comme de l'acier.

Elle avait été brisé, salie, meurtrie.
L'intrépide avait presque succombé.
Elle était prête à abandonner.
Le chevalier en elle s'était volatilisé.

Mais il n'était jamais très loin.
Pour son père.
Pour Paul.
Pour Archibald.
Pour Nicolas.

Pour l'enfant à naître.


Elle posa un genou à terre, la tête baissée, devant le trône sur lequel était assis Theobald, à sa droite, l'Ingrat fixait Yselda tout passant sa langue sur ses dents bruyamment. Elle releva les yeux vers le roi, sans bouger.

— Veuillez pardonner mes erreurs Majesté, commença-t-elle. Aujourd'hui, je souhaite me racheter... accordez-moi votre pardon et je vous servirai.

Un chevalier se doit d'être prêt à tout.
Un chevalier doit être capable de tout.
Du pire.
Du meilleur.

— Lève-toi, ordonna Theobald.

Yselda se releva, droite comme un piquet, le menton levé, l'air fier. Comme elle avait toujours été et ce depuis son plus jeune âge.

— Jure-moi fidélité et loyauté.

— Je vous jure fidélité et loyauté.

— Si tu ne tiens pas tes engagements de chevalier, l'écuyer mourra.

Yselda ne cilla pas, elle garda la même posture et répondit d'un hochement de tête.

— Je ne vous décevrez pas.

— Oh, ça je le sais... tu ressembles tellement à ton père... espérons que tu n'aies pas le même destin tragique...

Yselda ne répondit rien bien que son cœur se serra dans sa poitrine.

— Bienvenue dans la garde royale.

Elle inspira profondément, les mains croisées derrière le dos. Elle jeta un regard en direction de l'Ingrat, elle affichait un faible rictus aux coins des lèvres, un rictus que Theobald ne remarqua guère. L'Ingrat quant à lui, la toisa sans bouger, les lèvres retroussées et son air amusé soudainement disparu. Le chant de l'orage parut inquiétant pour certains, pour d'autre, cela sonnait comme un nouveau départ.

Un chevalier doit être capable de tout, pour arriver à ses fins.

Je vous remercie d'avoir lu !

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