À jamais

Hugon l'aidait à avancer, la pauvre était prise de violentes contractions. Elle poussait des gémissements, des gouttes de sueurs perlaient sur son front et ses pieds glissaient dans le sable. Les coups de canon, les hurlements, le chaos, tout s'était arrêté si vite, d'un seul coup, comme un éclair foudroyant la terre. Était-ce terminé ? Qui avait gagné ? Nicolas était-il encore en vie ?  Quand ils parvinrent à remonter la falaise par les grands escaliers creusés dans la roche, Yselda écarquilla les yeux. Le décor face à elle était incroyablement sinistre et son cœur se serra. Le château du roi était partiellement détruit, toute la partie supérieure avait été arrachée par les flammes et coups des créatures qui s'y étaient frottées. Des gravats avaient enterré des gens vivants et une partie du corps du grand dragon noir dépassait, sa longue queue couchée sur le sol et l'une de ses ailes accrochées aux murs, l'autre demeurait à l'intérieur de la bâtisse avec le corps de Theobald.

Elle se laissa tomber à genoux, la main sur son ventre arrondi, dissimulé sous son armure. Hugon tenta de la relever mais il n'y parvint pas, Yselda sentit ses larmes inonder son visage. Elle n'avait pas le même lien que Nicolas avec ces créatures, mais elle les avait monté, elle les avait aidé, elle les avait admiré. Le rugissement de Hargon lui fit tourner la tête, le dragon était perché sur une roche, les ailes déployés, il rugissait. C'était terrible à entendre, elle ressentit absolument toute la peine de l'animal, ce qui fit hérisser la totalité des poils de son corps.

— À qui prendra le temps d'écouter... comprendra que le monstre peut pleurer... marmonna-t-elle.

Elle pleurait, réellement. Il ne restait que Hargon et son bébé, seulement deux dragons sur sept dragons en comptant les trois jeunots. L'homme avait détruit la plus belle espèce jamais découverte. Tout cela, pour le pouvoir.

— Vive le roi ! hurla quelqu'un sur la place à travers la foule de blessés et de survivants.

Parmi eux, les villageois étaient sortis de leur maison. Les moins chanceux avaient péri, soit car leur demeure avait été détruite, soit mort tués par les pirates qui s'y étaient donnés à cœur joie. Djafar avait été difficile à arrêter, tandis que Theobald était mort à cause de son égoïsme et sa fierté. L'un avait gardé une ville debout, l'autre avait absolument tout détruit.

— Vive le roi ! répéta une femme en levant le poing.

Bientôt, tous répétèrent la même chose à plusieurs reprises, le poing en l'air, acclamant Nathaniel qui les regardait, de sa hauteur, fier. Yselda reconnut Nicolas, Ivène et Amaury à ses côtés, une vague de soulagement l'envahit. Elle ne s'était pas battue cette fois, pour la première fois, elle n'avait pris part à la guerre mais ils avaient gagné.

— Vive le roi... souffla-t-elle en souriant légèrement.

Elle s'aida de Hugon pour se relever, ce dernier la tenait pour ne pas qu'elle flanche. L'ambiance ce jour là était étrange, légère et l'espérance qu'on y décelait était incroyable.

Rapidement, ils rejoignirent Hugon et Yselda. Elle regarda un moment Nicolas qui ne dit rien, lui aussi la toisait, sans un mot, bien que ses yeux parlaient pour lui. Finalement, ils s'enlacèrent, si fort, comme s'ils ne se reverraient plus jamais. Il saisit son visage et poussa les quelques mèches de cheveux de ses pouces pour ne regarder que ses yeux.

— J'ai eu si peur, Yselda...

Elle hocha la tête.

— J'ai eu peur moi aussi...

Il l'embrassa, un baiser brutal et réconfortant. Il se détacha d'elle toujours pour sonder son regard. Elle l'aimait, elle l'aimait si fort. Depuis si longtemps, elle attendait que lui aussi agisse ainsi et voilà que c'était le cas. Il ne cachait guère ce qu'il ressentait et ce, même devant Ivène qui gardait son fils près d'elle. Il posa doucement sa main sur son ventre sans la lâcher des yeux, comme s'il voulait se souvenir à jamais de son visage.

— J'en suis sûre, souffla-t-elle. Je suis certaine que cet enfant est le tiens.

Ivène baissa les yeux un instant, elle s'en voulait terriblement d'avoir joué avec les sentiments de Nicolas, bien qu'elle l'avait réellement aimé. Amaury n'était guère son fils et tout le monde le savait. Il ne pouvait être le fruit que d'une seule union et c'était bel et bien celle qu'elle avait eu avec Djafar.

Nicolas hocha la tête, lui aussi l'espérait. Yselda posa sa main sur la sienne et la serra, très fort, le visage grave.

— Mais jamais je ne pourrais accepter de te perdre, tu entends ?

Ces douleurs qu'elle ressentait, elles s'atténuaient, comme si le fait d'être près de lui guérissait tous les maux.

— Je ne peux pas rester ici.

— Pitié...

— Je dois les emmener loin, ailleurs, là où aucun homme ne mettra les pieds...

— La Vallée Oubliée... intervint Désirée.

Nicolas hocha la tête. Son amie arborait une méchante balafre sur la joue.

— Non... ne me laisse pas, pas encore, supplia Yselda.

Il posa sa main sur sa joue et d'un geste tendre, la lui caressa de son pouce. Il se rapprocha d'elle, cette chaleur, son corps, plus jamais elle ne pourrait le ressentir... ce pouvoir immense qu'il avait en lui, ce brasier qui vivait dans ses veines. Il colla son front contre le sien et déposa un doux baiser sur ses lèvres.

— Tu garderas à jamais une partie de moi, Yselda, dit-il tout en restant collé à elle. À jamais.

Il se devait de partir, d'emmener ses dragons le plus loin possible des hommes. Personne ne méritait un tel pouvoir, pas même lui. Il était temps que ces animaux vivent en paix et la Vallée Oubliée était leur maison, il l'avait compris, Aldaïde le lui avait montré. Elle s'était égarée, enceinte, et n'avait eu d'autres choix que de couver ses œufs dans les montagnes de Hargon. Lorsqu'elle avait senti le feu chez Nicolas, elle s'était réveillée de son long sommeil et son lien lui avait permis de faire perdurer la lignée des Dragons. À présent, il était temps de rentrer à la maison.

Il se détacha d'elle et jeta un regard à Hugon qui releva le menton, respectueux.

— Prenez soin d'elle.

— Je te le promets, Nicolas.

Ce dernier lâcha la main de sa bien aimée qui le suppliait de rester. Elle s'écroula dans les bras du jeune seigneur, pleurant le départ de Nicolas. Ils s'étaient retrouvés et se quittaient de nouveau. Une nouvelle déchirure. Il se tourna finalement vers Nathaniel, il posa sa main sur son épaule et lui sourit légèrement.

— Tu feras un bon roi, déclara-t-il.

Nathaniel l'enlaça et le serra contre lui, un pincement au cœur.

— Ton souvenir perdurera et je serai toujours fier d'assurer faire partie de la même famille que toi.

Nicolas s'approcha de Hargon qui terrifiait bon nombre des personnes présentes, son dragon lui permis de lui monter sur le dos en se couchant sur le sol, bien que sa hanche était douloureuse. Au moins, son dragon pouvait voler, et ce, grâce à son frère, Archibald.

Le dragon rugit en déployant ses ailes, son bébé l'imita et les deux animaux s'envolèrent, leur maître sur le dos, sous les yeux de ses amis, sa famille, son amour et un peuple réuni.



Seulement une semaine s'écoula avant qu'Yselda, tout juste remise de ses blessures, ne soit pris de violentes contractions à nouveau. Elle hurlait et se tordait de douleur, sur le lit où Ivène l'avait allongée. Désirée épongeait son front couvert de sueur. Les coups de l'Ingrat avaient déclenché son accouchement prématuré. Ses cris résonnaient jusqu'à dehors où les hommes s'affairaient à rebâtir Ador. Elle attrapa fermement le bras d'Ivène et la regarda droit dans les yeux.

— C'est trop tôt ! Pitié... c'est beaucoup trop tôt !

— Nous n'avons pas le choix...

Yselda jeta sa tête en arrière et serra les dents tout en gémissant de douleur.

— Il faut pousser, ordonna Ivène.

La jeune femme poussa sans se retenir tant la douleur était insupportable, elle crut bien mourir plusieurs fois. Elle songeait à son avenir, à son enfant mort né qu'elle était forcée de faire venir au monde. C'était le pire jour de sa vie, un moment incroyablement difficile à vivre. Désirée emmitoufla son enfant dans des linges propres. Elle put alors souffler, comme si la douleur s'était volatilisée, comme si tout était terminé. Aucun pleur ne résonna dans la chambre, Désirée secouait l'enfant au teint gris, sans souffle. Puis de nouvelles contractions poussèrent Yselda à hurler de nouveau, elle s'accrocha aux draps releva la tête et poussa à nouveau. Pourquoi ? Comment était-ce possible ?

— Il y a un deuxième bébé ! constata Ivène.

— Non, non, non, impossible... couina Yselda.

Malheureusement pour elle, c'était bel et bien le cas et elle ne pouvait s'empêcher de pousser pour trouver le soulagement qu'elle attendait tant. Chose qu'elle ressentit après de longues minutes à souffrir le martyr. Un deuxième bébé, dans les bras d'Ivène, mort né. Yselda posa sa tête sur l'oreiller et fixa le plafond, ses cheveux enduit de sueur, sa vision floue, son teint pâle. Que pouvait-elle faire de mieux que de se laisser mourir ? Sans Archibald, sans Nicolas, sans ses enfants, elle était seule. Terriblement seule. Alors elle décida que se battre n'était plus nécessaire. Elle ferma les yeux et poussa un profond soupir.

Sur l'île, dans la Vallée Oubliée, Nicolas avançait sur la plage, laissant traîner ses pieds. Hargon se posa devant lui et replia ses ailes. Les dragons étaient ravis dans cet endroit, d'autant plus que des traces dans le sol et sur les pierres laissaient penser que d'autres de ces créatures vivaient ici. Était-ce donc cela, le trésor de la Vallée Oubliée ? Des dragons ? Ou bien de l'or gardé par ces bêtes ?

Il regarda son dragon un moment avant de sourire légèrement, tandis que ses larmes perlaient aux coins de ses yeux fatigués. Il se laissa tomber à genoux, devant elle, comme s'il la vénérait.

— Tu es si forte, Hargon...

Oui, elle l'était. Elle l'avait sauvé. Plus d'une fois. Nicolas avait toujours pensé qu'elle avait besoin de quelqu'un pour survivre, plus petite que les autres, plus faible de part son aile abîmée, il faisait erreur. Ce n'était pas le cas. Elle n'avait jamais eu besoin de personne. Hargon était adulte dorénavant et elle saurait s'occuper de son bébé.

Il écarta les bras de part et d'autre de son corps, tout en restant hypnotisé par les yeux de sa créature.

— Ne le retrouve jamais, souffla-t-il.

Le dragon pencha légèrement la gueule, dans ses yeux, Nicolas y lisait la peine. Mais il savait pertinemment que sans lui, elle saurait se débrouiller.

— Fais naître mon enfant.

Hargon ouvrit grand la gueule, il put y voir, à l'intérieur, les flammes et le gaz ne former plus qu'un. Son pouls s'accéléra, la peur le tétanisa et pourtant, il se sentait serein, comme s'il était soulagé que tout prenne fin. Il ferma finalement les paupières lorsque le jet de flammes sortit de la gueule de son dragon, ne pouvant souffler que trois mots avant que son corps ne s'embrase.

— Je t'aime.


Comme vingt six ans auparavant, lorsque Nicolas poussa son dernier cri, deux bébés mort-nés poussèrent leurs premiers pleurs. Yselda rouvrit alors ses yeux. Comprenant le sacrifice qui venait d'être commis.


Je vous remercie d'avoir lu !
L'épilogue arrive bientôt.

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