Un roi trop curieux...

Les semaines, les mois et les années qui suivirent, Nicolas enfreignit les règles instaurées par sa mère. Presque trois fois dans la semaine, il se rendait dans la vallée maudite, s'asseyait sur un rocher et attendait. Il pouvait même voir le trognon de pomme pourrir au fil du temps mais lui, ce qui l'importait, c'était de revoir cette créature.

Parfois, il en rêvait, croyant entendre son rugissement féroce, voir ses yeux jaunes vifs briller dans la pénombre et sentir son souffle brûlant sur son visage. Et très souvent, il se réveillait en sursaut, effrayé et dégoulinant de sueur.

Trois ans après sa première rencontre avec la bête, Nicolas réitéra son action, encore et encore, jusqu'au jour ou les choses changèrent.

Un vieux fou qui l'accusait de sorcellerie avait choisi de le suivre ce matin là, restant discret sur le chemin et se cachant chaque fois qu'il le pouvait. Heureusement pour lui, Nicolas était encore qu'un enfant de treize ans, sa naïveté servait bien au vieillard qui en profita pleinement, souhaitant prouver ses dires.

Une heure après l'arrivée de Nicolas dans la vallée, il commençait à perdre espoir jusqu'au moment où un rugissement retentit dans le ciel et résonna à travers les montagnes dans un écho terrifiant. Nicolas bondit de son rocher, leva la tête et scruta attentivement le ciel. Quant au vieillard, ses poils se dressèrent sur ses bras lorsqu'il aperçut cette masse noire les survoler. Alienor s'était trompée, les dragons étaient toujours là, bien présents et encore plus effrayants qu'avant.

— Je te vois enfin ! hurla Nicolas un grand sourire sur ses lèvres.

La peur le faisait trembler mais l'excitation le poussait à rester. Or, la créature ne s'éternisa que quelques instants avant de s'envoler bien plus haut dans le ciel et de disparaître derrière de hauts sommets, laissant un écho de son cri bestial vibrer dans les tympans du petit garçon.

Là était sa preuve, Nicolas n'avait guère été attaqué alors qu'un être humain ordinaire l'aurait été. C'est pourquoi, le vieillard sortit de sa cachette et saisit son bras farouchement, enfonçant ses ongles crochus dans sa peau.

— Lâchez-moi ! cria le petit garçon en gesticulant dans tous les sens et ancrant ses pieds dans le sol.

— Tu vas me suivre et montrer à tout le monde ton véritable visage !

— Je n'ai rien fait de mal !

Le vieil homme le traînait, serrait son bras pour laisser une empreinte brunâtre sur sa peau. Nicolas ne put que le suivre, la poigne du vieillard étant bien trop douloureuse pour protester encore longtemps.

Alors il le ramena jusqu'à Hargon et le poussa sur la place, devant tout le monde. Nicolas tomba à genoux mais arrêta sa chute avec ses mains, des cailloux s'enfonçant dans ses paumes. Des larmes coulaient déjà de ses yeux et roulaient sur ses petites joues rosies.

— C'est un sorcier ! Il a vu le démon, il lui a parlé !

— Je n'ai rien fait ! se défendit Nicolas la voix chancelante.

— Nous devons prévenir le Royaume d'Ador, le roi doit être mis au courant !

La moitié de la foule acquiesça tandis que l'autre resta silencieuse, les yeux rivés sur le pauvre garçon en larmes. Bientôt, Alienor passa à travers les gens, en bousculant certains pour se frayer un passage. Elle s'arrêta lorsqu'elle vit que son fils était au centre de l'attention, tout comme le vieux fou qui ne cessait de crier des tas d'insanités à propos de son enfant. Elle croisa le regard effrayé et coupable de Nicolas, néanmoins, elle ne sut quoi faire, alors, elle murmura pour elle-même.

— Nicolas...


Puis les jours passèrent, Nicolas resta enfermé dans la petite chaumière. Il ne sortait que pour nourrir les poules ou pour ramener du foin à Bénédicte qui n'habitait pas très loin. Alienor pouvait le voir, il était terriblement triste. Elle avait bien essayé de discuter avec lui mais Nicolas restait fermé sur le sujet du dragon qu'il avait soi-disant rencontré. D'un autre côté, cela pouvait être tout à fait normal, il était possible que la bête ne lui ait rien fait tout simplement car elle était déjà repue même si les dragons, étant méfiant, craignaient les humains et crachaient généralement leurs flammes destructrices sur eux.

Un beau matin d'été, Nicolas jetait du pain aux poules mais se précipita jusqu'à la barrière de sa chaumière lorsque le clocher retentit, annonçant l'arrivée du roi. Beaucoup de villageois sortirent de chez eux pour se rendre sur la place, là où ils pourraient voir le roi et lui quémander quelques biens.

— Le roi Djaffar est arrivé ! cria quelqu'un au loin.

Ce qui ne fit que grossir la foule. Le roi était connu pour sa générosité et sa clémence. Malgré tout, il restait un roi et certains continuaient à se méfier. Lui était riche et eux pauvres. Des personnes cultivaient pour lui alors qu'ils se détruisaient la santé pour quelques grains de riz le soir au dîner...

— Nicolas, rentre à l'intérieur, ordonna Alienor.

— Mais maman, le roi est là !

Cette dernière s'avança vers lui, prête à lui empoigner le bras mais Nicolas ouvrit le petit portillon, jetant le quignon de pain qu'il avait dans la main pour courir dans les rues dallées jusqu'à la place. Alienor avait beau l'appeler en haussant la voix, le petit garçon était déjà bien trop loin.

Il s'enfonça dans la foule, prenant soin de ne se frotter à personne pour ainsi se trouver aux premières loges. Ce n'était pas tous les jours que le roi se rendait à Hargon, ce devait même être la première fois ! Il resta caché derrière deux grandes personnes lorsqu'il l'aperçut descendre de son carrosse et adresser des sourires courtois aux villageois.

Il portait un long manteau noir et effrayant qui touchait ses chevilles, des bagues ornées de pierres précieuses décoraient ses doigts dodues et sous son chapeau de la couleur de son manteau, des cheveux bruns et bouclés tombaient sur ses épaules.

Il s'arrêta puis se tourna vers l'endroit où se trouvait Nicolas, ce dernier se figea et son sang se glaça lorsqu'il croisa le regard du roi. Ses yeux étaient bleus et froids comme la glace, il s'approcha d'un pas, puis d'un autre, faisant signe aux personnes présentes de se décaler -ce qu'elles firent sans rien dire. Nicolas ne bougea point, intimidé.

Le roi était grand, majestueux et beau. Sous sa barbe, on pouvait deviner une étrange cicatrice coupant sa lèvre supérieur et remontant jusqu'à l'une de ses narines. Il était imposant, dégageant une prestance hors du commun. Certaines personnes dans la foule furent surprises de le voir se baisser à la hauteur de Nicolas, ainsi, il put le regarder droit dans les yeux. Les siens pétillèrent comme s'il avait devant lui un trésor enfouie depuis des millénaires.

— Tu as leurs yeux, murmura-t-il au petit garçon.

Un sourire inquiétant se dessina sur son visage alors que Nicolas sentait ses jambes devenir fébrile sous son petit corps.

— Quel est ton nom ? demanda-t-il de sa voix grave.

— Ni-Nicolas...

— Noble prénom pour un garçon de ton ordre.

Nicolas ne comprenait pas où voulait en venir le roi, même si le doute lui laissait penser qu'il parlait de sa classe sociale. Lui était un paysan portant le nom d'un noble, ce qui était rare et même interdit...

— Nicolas !

Le roi se releva lorsqu'il aperçut Alienor se précipiter vers son fils, posant ses deux mains sur ses petites épaules. Elle lança un regard désolé au roi qui lui répondit par un sourire clément.

— Alors c'est lui, souffla Djaffar.

— Que voulez-vous dire ? s'enquit-elle n'étant pas sûre de savoir comment parler à un homme comme lui.

— Le sorcier, le démon, l'enfant qui communique avec les dragons.

Alienor serra les épaules de son fils qui frémit et baissa les yeux, au plus grand damne du roi qui semblait apprécier les observer, fasciner par cette couleur dorée et brûlante jamais vu encore sur un être humain...

— Ce sont des sottises, mon fils n'est pas un sorcier !

— Puis-je vous parler ? demanda le roi.

Alienor parut surprise, elle hésita, jetant un regard aux personnes autour d'elle. Finalement, elle lâcha Nicolas et suivit le roi dans son carrosse, un valet refermant la petite porte derrière eux. Les regards fusèrent en direction de Nicolas qui ne savait plus s'il devait pleurer ou bien rigoler de la situation.

Le silence sur la place était d'autant plus gênant, plus personne ne parlait. Les gens se regardaient dans le blanc des yeux, tous désireux de quémander quelque chose au roi, rêvant de sa fortune...

— Tu n'es pas un sorcier, toi, tu es un voleur, lança une petite voix non loin de son oreille.

Nicolas se redressa et se tourna vivement vers la droite, faisant alors face à la petite rousse et son visage angélique.

— Tu ne m'as pas défendu, l'accusa-t-il.

— Ma mère m'aurait punie !

— Pourquoi tu reviens me parler ? C'est parce que le roi s'est adressé à moi ?

— Non !

Ivène attrapa sa main pour la serrer dans la sienne, ce geste banal fit frissonner Nicolas et battre son coeur. Malgré cela, il la retira brusquement et fusilla du regard la jeune fille.

— Je sais ce que tu es en train de faire ! grogna-t-il. Tu rêves de faire partie de la cour du Royaume d'Ador, tu te sers de moi !

Avant même qu'elle puisse rétorquer quoi que ce soit, Nicolas tourna les talons et se mit à courir en direction de sa chaumière. Il jeta un coup d'œil par dessus son épaule puis put voir sa mère descendre du carrosse, la mine déconfite et l'air incertain.

Quand il se remit face à sa trajectoire, il put l'entendre l'appeler mais il ne s'arrêta que lorsqu'il fut chez lui, claquant la porte et se laissant glisser contre un mur, les genoux contre la poitrine et la tête entre ses mains.

Il entendit la porte s'ouvrir et grincer sur ses gonds. Puis il sentit une présence se poster juste devant lui, le regard qui pesait sur lui, il savait que c'était sa mère.

— Tout le monde me déteste, sanglota-t-il.

— Non, pas tout le monde...

— Si ! cria-t-il en relevant la tête pour la regarder. Qu'a-t-il demandé ?

Le visage d'Alienor se décomposa.

— Nicolas...

— Je sais qu'il t'as demandé quelque chose ! Je veux savoir ce que c'est !

Mais elle ne put répondre, elle sanglota sans se retenir, se sentant coupable et impuissante.

— Tu es tout ce qu'il me reste de lui mais je vais devoir te perdre toi aussi...

Nicolas ne savait de quoi elle parlait mais voir sa mère pleurer lui tordait l'estomac et lui faisait beaucoup de peine. Elle paraissait si forte pourtant, comme si rien ne pouvait jamais l'atteindre. Finalement, c'était tout le contraire.

Elle essuya ses larmes d'un revers de la main avant d'attraper le visage de son fils et de le regarder droit dans les yeux.

— Tu dois partir, Nicolas.

Le cœur de l'enfant se serra dans sa poitrine, il secoua la tête de droite à gauche, n'étant pas prêt à quitter sa maison.

— Le roi m'a proposé de l'argent, en échange, tu devais le suivre. Tu es, pour eux et pour le autres, une menace, c'est pourquoi tu dois quitter Hargon avant le crépuscule.

— Non ! Je n'ai rien fait ! Je n'ai rien fait ! répéta-t-il.

— Nicolas ! Je t'en conjure, laisse Hargon derrière toi, cet endroit est maudit. Fais ce que je n'ai jamais su faire. Pars.

Nicolas repoussa brusquement sa mère, il renifla, sécha ses larmes et se releva rapidement, les poings serrés et les yeux pétillant de tristesse.

— Tu as accepté l'argent ! s'exclama-t-il.

En guise de réponse, Alienor baissa simplement la tête. Cette simple action brisa le cœur du petit garçon.

Sans même prendre le temps de réfléchir, il ouvrit la porte de la chaumière, évita les poules et passa par dessus la barrière. Sans se retourner, il courut à nouveau, les yeux brûlants à cause de ses larmes qu'il retenaient.

Avec autant d'agilité que possible, il escalada le mur pour atteindre la vallée plus rapidement. Une fois fait, son atterrissage raté le forçant à rouler dans l'herbe sèche et piquante, il se remit sur pied et courut le long de la colline, ne pouvant s'arrêter dans la pente.

Il put entendre des cris derrière lui, quelqu'un l'avait sûrement vu fuir Hargon. Alors il courut toujours plus vite, le souffle court, un goût âpre dans la bouche et le cœur serré dans sa poitrine.

Ce soir là, la vallée perdait toute sa magie et prenait tout son sens.





Je vous remercie d'avoir lu !

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