Talent caché
— Ta garde ! Ne baisse jamais ta garde !
Yselda poussa un grognement et leva à nouveau son épée pour l'abattre contre la lame de son père. Il arrivait toujours à parer ses attaques. Pourtant, elle était vive et agile, mais Alaric combattait depuis bon nombre d'années déjà. Et Yselda n'était encore qu'une débutante. Elle avait quelques lacunes pour les défenses, c'est pourquoi Alaric perdait souvent patience et finissait par lui crier dessus. Ce n'était pas méchant, elle le savait. Elle préférait qu'il soit dur que trop gentil et qu'elle n'apprenne rien.
Quelque chose retint son attention, alors sans le vouloir, elle baissa son bras. Son père pointa son épée juste sur son estomac et l'appuya contre sa cotte de maille. Yselda posa son regard sur son paternel et baissa les yeux pour voir qu'elle était morte.
— Tu es distraite bien trop vite, jamais tu ne seras prise dans la chevalerie avec ce comportement. Un ennemi n'aurait fait qu'une bouchée de toi sur le champ de bataille.
— Nicolas est ici.
Alaric se retourna pour voir le jeune homme s'approprier une épée. Il ne semblait pas du tout à l'aise avec. Elle était lourde, longue et difficile à manier. Il observa longuement la lame en acier avant que son maître ne lui ordonne de se mettre en place.
Nicolas le fit, sans grande confiance. Il imita l'homme face à lui et commença à arrêter ses attaques. Sa technique était ridicule, sa défense faible et ses pieds étaient mal placés. De plus, ses mouvements étaient bien trop lents.
Beaucoup de personnes arrêtèrent leur entraînement pour les regarder s'exercer. Les plus jeunes se moquaient de lui, les plus vieux paraissaient dubitatifs. Yselda ne l'avait pas revu depuis qu'elle s'était introduite dans sa chambre et qu'il lui avait avoué avoir un quatrième dragon. Elle n'en avait parlé à personne, mais cette révélation ne cessait de la tourmenter.
Pourquoi personne n'avait vu ce dragon ?
— Il se débrouille vraiment mal, soupira cette dernière.
— Regarde ses mains, c'est normal.
Les mains de Nicolas étaient particulièrement abîmées, notamment celle de droite, pleine de cicatrices et marques blanchâtres. Comme celle qu'il avait dans le cou, Yselda était persuadée que c'était des brûlures. S'il avait été longuement coincé avec des dragons, cela ne faisait aucun doute. Il avait dû être confronté à tellement de choses douloureuses...
Le maître de Nicolas tapa trop fort contre son arme, son épée vola quelques mètres plus loin et pour couronner le tout, il tourna sur lui-même tout en balayant ses chevilles avec son pied. Nicolas tomba sur le dos dans le boue. Cette chute fut guère douloureuse mais honteuse. Il serra les dents et fixa le ciel gris.
— Lève-toi et bats-toi, cracha son maître.
Il se tourna sur le côté et appuya sur ses mains pour se relever. C'est alors qu'il remarqua que Yselda et Alaric l'observaient. Il détourna aussitôt le regard et se remit sur pieds. Mais à peine fut-il debout que son maître tenta de lui asséner un coup tranchant de sa lame. Nicolas se baissa au bon moment et évita de justesse la catastrophe. Il écarquilla les yeux et fusilla du regard l'inconnu devant lui.
— Espèce de fou ! Je ne suis pas armé ! s'exclama-t-il.
— C'est donc comme ça que se défend le garçon aux dragons ? Pathétique...
Quelques ricanements vinrent jusqu'à ses oreilles. Il esquiva la seconde attaque du rouquin et se jeta sur le sol pour attraper son épée. Une fois en main, il se retourna sur le dos et la pointa sur son adversaire.
— C'est donc cela ? Ta défense ?
— Je ne sais pas me battre ! Je ne veux pas me battre ! gronda-t-il.
Quand le rouquin leva à nouveau son épée et qu'il voulut l'abattre sur le crâne de Nicolas, ce fut de trop pour Alaric qui ne put qu'intervenir. Il quitta son poste et leva sa main pour arrêter le rouquin. Bientôt, il allait le blesser et ce n'était pas ce que Djafar souhaitait s'il le gardait en vie.
— Assez ! s'interposa-t-il.
L'homme baissa son épée et affronta le regard puissant d'Alaric.
— Tu es un chevalier, pas un assassin ! Pourquoi le traites-tu ainsi ? Personne ne t'as appris à entraîner un apprenti ? cria-t-il.
— Je ne comprends pas pourquoi le roi le garde en vie, pesta le rouquin.
— Cela ne te regarde pas.
Alaric se tourna vers Nicolas toujours allongé dans la boue. Il lui tendit une main courtoise. Le jeune homme hésita, il lui en voulait toujours pour l'embuscade qu'on lui avait tendu mais lui était reconnaissant d'avoir pris sa défense aujourd'hui. Alors il l'attrapa fermement et se remit debout. Sa cotte de maille toute neuve était déjà souillée.
— Es-tu à l'aise avec une épée ? le questionna Alaric.
— Non, je déteste ces armes, je n'aime pas le contact direct, rétorqua-t-il en jetant l'arme sur le sol, aux pieds du rouquin qui lui lança un regard assassin.
Yselda les rejoignit peu de temps après, heureuse que son père soit intervenu. Elle cacha son sourire fier et rangea son épée dans son fourreau dorsal. Elle avait le droit de la porter seulement quand elle s'entraînait. Son père ne voulait toujours pas lever sa punition.
— Peut-être devrait-il essayer avec les archers ? proposa-t-elle d'une voix innocente.
— Djafar veut un chevalier, pas un archer, grommela son père.
— Qu'est-ce qu'un archer ? demanda Nicolas.
Pour lui répondre, Yselda tendit son bras pour montrer quatre hommes en train de tirer à l'arc. Tous visaient le milieu de la cible, tous ou presque. Parfois ils la rataient de justesse. Étrangement, cette idée plaisait beaucoup plus à Nicolas que de se battre avec une épée. Tirer à l'arc semblait demander de la concentration et de la patience. Il aimait cela. C'était un garçon calme.
Sans rien dire, il se dirigea vers les quatre hommes et tapota l'épaule de l'un d'entre eux. Un blond aux longs cheveux attachés en queue basse. Il se tourna vers lui et l'interrogea de son regard bleu.
— Je veux essayer, dit-il simplement.
Le blondinet sembla surpris mais lui sourit. Alors il lui tendit son arc que Nicolas prit aussitôt. Il l'observa brièvement, il était beau, en bois sculpté, lourd et épais. L'inconnu retira le petit sac qu'il avait sur le dos pour le mettre sur les épaules de Nicolas puis il lui montra comment se placer face à la cible.
— Munis toi de ta flèche, place la correctement, tire la corde et vise. Surtout, sois précis, il ne faut pas trembler et plus la corde est tendue, plus l'impact est puissant et mortel pour l'adversaire.
Nicolas exécuta tout ce que lui dit le blondinet. La corde était plus raide que ce qu'il pensait mais il eut tout de suite le coup de main. La flèche était bien placée, ses pieds aussi, il suffisait de viser avec la pointe. Ce qu'il fit sans trop de difficultés.
Quand il pensa que la pression était assez forte, il lâcha et la flèche partit à toute vitesse pour siffler dans les airs et s'abattre au centre de la cible.
— Tu as déjà tiré à l'arc ? s'étonna Yselda.
— Jamais, mais j'aime bien, avoua Nicolas.
Il tira encore plusieurs heures, parfois il ratait sa cible de peu mais la plupart du temps, les flèches se logeaient au centre. Il aimait beaucoup tirer à l'arc, il aimait que la corde lui lacère les doigts, que la pression soit difficile à faire et qu'il faille de la rigueur et de la précision pour tirer. Pour lui, se battre à l'épée était un contact trop brutal, trop direct. Il aimait la distance et la fourberie. Tirer à l'arc semblait donc parfait pour lui.
Et étrangement, il s'y était découvert un talent. Voire même une passion.
Il continua une bonne partie de l'après midi, sous les encouragements de ce blondinet nommé Rudolph. Nicolas n'était pas emballé à l'idée de se faire un ami, mais il était de bon conseil et c'était en partie grâce à lui s'il commençait à se sentir à l'aise un arc dans les mains.
En fin d'après midi, alors que le soleil caché derrière les nuages commençait à disparaître. Djafar se rendit dans le grand jardin du manoir, là où Theobald organisait les entraînements et examens pour les chevaliers.
Les mains croisées derrière son dos, il avança lentement sur le chemin poussiéreux. Observant de temps en temps, quelques braves jeunes hommes se battre avec soin pour attirer son attention. Mais ce qui l'intéressait, c'était de trouver Nicolas et voir comment il s'en sortait pour ce premier jour. D'autant plus qu'il n'était pas d'accord pour devenir chevalier.
Il s'arrêta lorsqu'il reconnut la carrure du sauvage et ses cheveux bouclés bruns de dos. Mais pourquoi ne se battait-il pas à l'épée ? Pourquoi tirait-il sur des cibles avec un arc ? Il voulait un chevalier, pas un archer !
— Il est vraiment nul une épée à la main, mon roi, expliqua un jeune homme roux.
Djafar lui jeta un regard en coin, le dos droit, le menton levé et son fidèle manteau noir sur les épaules.
— Je peux savoir qui tu es pour venir me parler ?
— Je m'appelle Paul, j'étais le maître du sauvage, mon seigneur Theobald m'avait donné la tâche de lui apprendre à manier l'épée. Mais il n'a pas voulu, il a préféré essayer de tirer à l'arc et depuis ce matin, il ne fait que cela.
Djafar humecta ses lèvres sèches par ce froid qui commençait à se faire ressentir. Paraviel était de loin l'un des villages les plus froid qu'il n'avait jamais visité.
D'un pas assuré et contrôlé, il se dirigea vers Nicolas et lorsque Rudolph reconnut le roi, il se poussa aussitôt sur la droite, tout en le saluant poliment. Djafar posa sa main sur l'épaule de Nicolas qui sursauta et se retourna aussitôt, lâchant presque l'arc du blondinet.
— Puis-je savoir ce que tu fais ? demanda-t-il tout en gardant son calme.
— Je tire à l'arc, je pensais que cela se voyait. Mon roi.
Il appuya sur "mon roi", comme une provocation que Djafar ignora, ne voulant pas faire une scène devant ses futurs combattants. Alors il se contenta d'esquisser un faible sourire.
— J'ai déjà le nombre d'archers qu'il me faut. Ce que je veux, c'est un chevalier. Un homme, à cheval, une épée à la main, prêt à combattre pour moi.
— Combattre avec un arc est possible aussi.
— Oui, de loin seulement.
Nicolas soutenait son regard, ne souhaitant pas paraître faible devant lui. De plus, sa haine était toujours présente et semblait dévorer ses entrailles tant elle était puissante.
— Je sais que vous ne me voulez pas comme simple chevalier, je sais qu'il y a autre chose que vous ne voulez pas me dire tant que nous ne serons pas au Royaume. Mais sachez que je suis en droit de choisir quelle arme je veux manier puisque je suis déjà prisonnier et que vous avez lâchement tué Edouard.
Djafar haussa un sourcil. Avec ce froid, ses yeux bleus étaient encore plus clairs et perçant mais Nicolas ne cilla pas. Les siens aussi pouvaient être troublant.
— Edouard ?
— Mon dragon, grommela-t-il.
— Je vois...
Il marqua une pause et inspira profondément.
— Comme bon te semble mon garçon, tu parait doué.
Nicolas sourit, fier de lui. Il lui avait tenu tête et cela avait fonctionné, il avait eu ce qu'il voulait. Djafar pressa son épaule, légèrement trop fort puis se pencha jusqu'à son oreille pour lui murmurer quelques mots.
— Mais Paul t'apprendra tout de même à manier l'épée. Lorsque je demande quelque chose, on le fait. Et si jamais tu me désobéis à nouveau, je ferai en sorte de te mener la vie dure et crois-moi, lorsque je dis cela, ce n'est pas seulement pour te faire peur. Mes menaces sont toujours vraies, crois-moi sur paroles petit, je serais capable de te couper les doigts pour que tu ne sois plus en mesure d'utiliser un arc.
Puis il lui lâcha l'épaule, sourit aux personnes qui regardaient et tourna les talons pour rentrer au chaud.
Nicolas se massa son épaule à présent douloureuse et l'observa s'éloigner.
Il savait que les menaces de Djafar étaient bien réelles. Et cela n'annonçait que plus de problèmes.
Je vous remercie d'avoir lu !
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