Prise de risque

    Yselda avait eu beaucoup de mal à dormir. Ne trouvant ni la bonne position ni l'envie de s'abandonner aux bras de Morphée. En effet, les paroles de Theobald et de son père ne cessaient de se répéter inlassablement dans sa tête. Elle avait toujours su que le Seigneur de Paraviel était en contact avec le roi Djafar, mais cette fois, les choses semblaient complètement différentes.

Elle n'avait pas non plus adressé la parole à son père depuis qu'il lui avait confisqué Jade, son épée qui pour elle, était la chose la plus importante à ses yeux.

    Au petit matin, elle avait attendu qu'il sorte le premier pour le suivre discrètement, se cachant derrière des charrettes, des murs ou bien en se camouflant comme elle le pouvait. Elle s'était promis de trouver ce qu'il se passait et de découvrir la vérité, pour cela, il suffisait de suivre son père avant d'aller s'aventurer près des cages pour entretenir une conversation avec le sauvage arrêté la veille.

    Elle ne fut pas étonnée de voir son père rentrer dans le manoir de Theobald. Alors, les épaules en arrière, le dos droit et le menton levé, Yselda franchit les portes en adressant un signe courtois de la tête aux gardes qui la dévisagèrent. Ils savaient qui elle était mais tout le monde la jugeait de part son jeune âge et car c'était une fille et non un homme.

    Elle traversa les longs couloirs, ignora les remarques de quelques servants et s'arrêta devant les deux grandes portes donnant dans la salle principale, celle où Theobald se trouvait le plus souvent.

    Deux soldats armés de leur épée bloquaient l'entrée et la toisaient avec intensité sous leur casque qui rongeait la moitié de leur visage.

— Vous n'avez pas entendu la nouvelle ? commença Yselda tout en essayant de rester naturelle.

   Les deux hommes se jetèrent un regard avant que l'un d'entre eux ne secoue la tête négativement.

— Mais enfin ! Il y a un nain complètement fou qui essaie de s'introduire par la porte arrière du château ! On n'attend plus que vous pour l'arrêter !

        Le soldat aux yeux bleus se pencha vers elle pour lui glisser quelques mots à l'oreille.

—  Si tu nous mens petite peste, je te ferai la peau.  

—  Entendu ! 

      Il se redressa, la fixa encore quelques secondes avant de suivre son camarade. Yselda colla aussitôt son oreille contre la porte pour entendre ce qu'il se disait de l'autre côté. Il était difficile de reconnaître les voix, mais elle put percevoir quelques bribes de conversation...

— Il ne mange pas, il ne boit pas et refuse de communiquer avec qui que ce soit ! Il reste caché derrière ses cheveux sales et ne nous jette pas même un seul regard !

      À en entendre l'air grognon, c'était forcément Theobald qui parlait. Yselda posa ses deux mains doucement sur la porte, sa curiosité la poussant à continuer d'écouter.

— Laissez lui un petit peu de temps. Nous l'avons enfermé dans une cage comme un animal, il est normal qu'il refuse de nous parler.

      Le ton calme, la voix rauque, c'était sans aucun doute son père qui venait de répondre.

— Je ne le garderai pas des semaines en cage, le roi attend une réponse de ma part et le temps que...

— On devrait lui mentir, lança quelqu'un.

      C'était une voix nasillarde, probablement Edwin, un grand barbu et vieil ami d'Alaric.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda Theobald.

—  Oui, qu'est-ce que tu veux dire... chuchota Yselda concentrée.    

      Un court silence plana et Yselda en profita pour jeter un coup d'œil par dessus son épaule, vérifiant que personne n'arrivait derrière elle. Écouter aux portes était un crime, surtout venant de l'un des chevaliers...

— Il nous faut une preuve, celle qui nous confirmera qu'il est bel et bien l'individu que le roi recherche. Pour cela, il faut lui mentir, le manipuler, l'endoctriner...

— Comment comptes-tu faire cela ?  

      Yselda trouvait cette conversation de plus en plus intéressante, en revanche, elle n'était pas pour un mensonge. L'une des premières règles instaurées par Theobald était la confiance et l'honnêteté. Aujourd'hui, il ne la respectait pas.

— Lui faire croire qu'on le relâchera, ne pas lui parler du roi et surtout, lui promettre aucune maltraitance, expliqua Edwin.

      Yselda n'en croyait pas ses oreilles, est-ce que son père était réellement d'accord avec cela ? Lui qui avait toujours été franc, fidèle et servant. Que réservaient-ils à ce sauvage ? Et quel traitement Djafar lui préparait-il ?  Mais alors que la conversation devenait de plus en plus importante,  quelqu'un lui attrapa les cheveux et la tira en arrière.

      Elle poussa un grognement, une douleur envahissant son coccyx. Malgré tout, elle se releva aussitôt, contourna le garde en colère et courut aussi vite que possible dans les couloirs.

— Reviens ici petite peste ! hurla-t-il à ses trousses. 

    Elle poussa une servante qui tenait un plateau dans ses mains, le contenu de celui-ci vola puis s'étala sur le sol. Yselda s'excusa puis reprit sa course effrénée à travers les couloirs du grand manoir. Elle passa les grandes portes, descendit rapidement les marches en ignorant les gardes qui voulurent l'attraper à son passage.

   Elle se faufila dans les plus petites ruelles et se cacha derrière un gros bidon d'eau. Elle attendit qu'ils passent pour sortir de sa cachette et se diriger vers les cages. Theobald les avait placées derrière le village, là où personne n'allait sauf les chiens errants.

    Triturant ses doigts nerveusement, Yselda avança à travers les cages, ignorant les remarques salaces de certains et l'odeur nauséabonde qui régnait. Il n'y avait aucun garde et c'était bien là sa seule chance d'engager une conversation avec le sauvage.

     Elle s'arrêta devant sa prison et l'observa quelques secondes avant qu'il ne remarque sa présence. Il était assis dans un coin, portant toujours les vêtements volés la veille, ils étaient trop petits pour lui, ce qui ne le mettait pas en valeur et accompagné de cette coiffure disgracieuse, rien n'allait. Il était laid, maigrichon, sale et mystérieux.

    Elle déglutit avant de parler, comme s'il l'effrayait. Pourtant, rares étaient les fois où Yselda avait peur. Son courage repoussait toujours plus loin ses limites.

— N'aimerais-tu pas manger ? Tu parait si frêle...

    Démarrer une conversation avec ce genre de remarque ne l'aidait pas, elle s'en rendit compte seulement trop tard.

— Et toi, tu es laide, ce n'est pas pour autant que je te demande pourquoi tu n'essaie pas de t'embellir, grogna-t-il.

    Sa voix était grave et pourtant douce à la fois, ce qui la surprit. Cette remarque la vexa quelque peu mais elle en avait l'habitude avec toutes ces personnes qui ne faisaient que juger sans jamais connaître les attentions et les motivations des gens.

— Je m'appelle Yselda, et toi ? 

    Un long silence plana et seule la toux d'un vieillard dans une cage voisine résonna. Cet endroit était sombre, glauque, humide et boueux. Généralement, Theobald enfermait les plus dangereux ici, notamment ceux qui y laissaient leur vie. Pourquoi ne pas l'avoir enfermé dans les cachots du manoir ? Ce n'était pas luxueux mais bien mieux qu'ici.

— Tu devrais sincèrement me répondre, je ne suis pas ton ennemie. Oui, je t'ai menacé avec Jade mais c'est là le réflexe des chevaliers ! Qu'étais-je censée faire d'autre ? Tu avais volé les vêtements d'un pauvre voyageur !

   Elle laissa tomber ses bras le long de son corps tout en poussant un profond soupir. Le sauvage se leva doucement puis se rapprocha des barreaux de sa cage. Yselda fit un pas en arrière lorsqu'elle croisa son regard sous cette montagne de cheveux. Ses yeux, ils étaient jaunes, elle ne rêvait pas. Beaucoup l'auraient traité de sorcier, d'autres de démon... Elle, elle le trouvait encore plus fascinant bien qu'un tantinet effrayant.

— Libère-moi, grommela-t-il en entourant les barreaux de ses mains abîmées.

    Elle releva le menton, pour garder son air fier et balança sa longue tresse par dessus son épaule.

— Pourquoi ferais-je une telle chose ? Tu es un voleur !

— Tu ne comprends rien ! J'ai besoin de rentrer chez moi.

—  Où c'est, chez toi ?

—  Pas ici, en tout cas.  

      Sa voix était légèrement enrouée, peut-être ne parlait-il pas souvent ? Peut-être criait-il beaucoup ? Devant elle, il paraissait calme mais l'était-il vraiment ? Yselda prit une grande inspiration puis croisa les bras.

— Écoute moi œil-de-démon, je ne suis pas venue pour te libérer. Je suis venue seulement pour avoir des réponses parce que mon père me cache la vérité ! Et puis... ils ont parlé de dragons. Toi, qu'en penses-tu ? Est-ce que tu crois que les dragons existent ? Mais j'ai tout de même l'impression qu'ils te lie à cette affaire... 

     Elle parlait surtout pour elle-même, c'était comme penser à voix haute. Elle secoua la tête comme pour se reprendre et redressa les épaules.

— Alors ? Réponds-moi ! s'exclama-y-elle.

— Pourquoi ? marmonna-t-il.

— J'ai peur pour mon père...

      Elle baissa la tête et perdit toutes volontés de se montrer forte. Le sauvage face à elle ne dit pas un mot.

— Il a tellement donné à Theobald. Il m'a promis que je l'accompagnerai dans toutes ses quêtes mais finalement, une fois de plus, il me met de côté. Je ne veux pas qu'il lui arrive quelque chose. N'as-tu jamais aimé au point de vouloir donner ta vie pour cette personne ?

     Elle releva ses yeux pétillant vers lui.

— Non. 

     Elle leva les yeux au ciel.

— Mon père est tout pour moi ! C'est mon monde, ma vie, ma seule famille... Tu en as, toi ? Une famille ?

     Il lâcha les barreaux, comme s'il se détendait, ce qui surprit Yselda.

— Nicolas, c'est mon prénom.

     Elle le toisa longuement avant de sourire à pleines dents, heureuse qu'il lui dise enfin. Mais alors qu'elle s'apprêtait à parler, on lui saisit les deux bras pour la retourner brusquement. C'est alors qu'elle fit face au visage de son père, ce dernier paraissant en colère. Edwin et Edgar, les deux frères, l'accompagnaient.

— Je suis extrêmement déçu, Yselda ! Tu me désobéis, tu écoutes aux portes et maintenant, tu parles avec un prisonnier ! Quand arrêteras-tu de n'en faire qu'à ta tête ?

— Lorsque tu seras décidé à ne plus me laisser de côté ! Sache que je ne suis pas maman, jamais je ne me tairai, et je fais partie de la chevalerie, j'estime être en droit de savoir ce qu'il se passe !  

     Elle se défit brusquement de son étreinte, le foudroyant littéralement du regard. Alaric semblait étonné du ton qu'elle prenait pour lui parler et encore plus qu'elle mentionne sa défunte dulcinée.

— Papa ! Je t'en prie ! J'ai entendu ce que Edwin a proposé à Theobald ! C'est mal ! Nous sommes des chevaliers, pas des menteurs ! Nous sommes honnêtes et un exemple pour beaucoup ! Tu me l'as appris !

— Et nous suivons également des ordres, intervint Edgar.

     Yselda fit une moue agacée avant de plonger son tendre regard dans celui de son paternel.

— Si les dragons existent, quel est le rapport avec Nicolas ? s'enquit-elle.

— Qui est Nicolas ? interrogea Edwin.

     Yseda pointa du doigt le sauvage dans sa cage, ce dernier ne leur jeta aucun regard. Mais Alaric semblait plus fier qu'en colère, elle arrivait à lui parler alors qu'eux, ne faisaient que l'effrayer. Il décida alors de s'approcher de la cage et de chercher à sonder le regard du prisonnier. Ce qu'il réussit à faire après quelques secondes. Il ne fit aucune remarque quant à ses yeux, il se contenta de rester neutre tout en essayant de parler sur le ton le plus calme possible.

— Nicolas, c'est ça ?

    L'intéressé resta silencieux.

— Je me nomme Alaric, je suis chevalier et sous les ordres du Seigneur de Paraviel. Serais-tu capable de répondre à l'une de mes questions, Nicolas ?

     Cette fois-ci, il hocha la tete même s'il parut hésiter. Derrière, Edwin et Edgar l'observaient comme un animal sauvage alors que Yselda restait sceptique quant aux intentions de son père.

— Peux-tu confirmer que les dragons existent ?

— Pourquoi ? s'enquit le sauvage.

     Il était sur la réserve, méfiant et observateur. Une chose qu'Alaric ne put qu'apprécier.

— Parce que j'ai cru comprendre que tu avais un lien avec eux.

    Alaric jouait la carte de l'honnêteté, espérant alors que ça marcherait.

— Je pourrais les appeler, là maintenant, en espérant qu'ils m'entendent, avoua Nicolas.

— Pourquoi ne le fais-tu pas ?

     Yselda gardait ses sourcils haussés mais enfin heureuse de ne plus être mise à l'écart.

— Parce que je ne suis pas un assassin.

     Alaric se redressa, perplexe. Que voulait-il dire par là ? Edwin et Edgar semblèrent comprendre, tout comme sa fille. Au fond, il le savait aussi mais préférait ne pas le montrer. Comment croire un jeune homme comme lui ? Il ressemblait plus à un fou qu'à une personne saine d'esprit. Remarquant la mine de son père, Yselda s'avança d'un pas tout en décroisant ses bras. Si les dragons existaient bel et bien et que Theobald était persuadé que ce sauvage était lié à ces créatures, il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir.

— Très bien, alors mène nous jusqu'à eux, dit-elle d'une ton ferme.

    Nicolas secoua la tête tout en grognant.

— Pourquoi ne le ferais-tu pas ? se renseigna Alaric.

— Si je le fais, vous vous en prendrez à eux. Je connais les personnes de votre espèce, elles sont barbares et sans cœur ! Jamais je ne vous mènerai jusqu'à eux, ce serait risquer votre vie et la leur. Je pourrais perdre leur confiance en un claquement de doigts et vous n'imaginez pas tout ce que j'ai dû endurer pour la gagner. Je ne mettrai pas en danger ma misérable vie pour la votre et votre scepticisme ridicule.

    Alaric lança un regard à ses deux confrères avant de pousser un profond soupir. Il fit un signe de la main à Edgar qui s'avança vers les barreaux tout en sortant un trousseau de clefs. Nicolas recula et le laissa déverrouiller sa porte. Lorsque ce fut fait, Edwin entra avec son frère dans la cage et tous deux se jetèrent sur le sauvage. Yselda voulut intervenir mais son père l'en empêcha.

   À peine quelques minutes plus tard, ils ressortirent avec Nicolas, les poignets ligotés comme lors de son arrestation. Il lança un regard noir en direction d'Alaric puis avança, guidé par Edgar.

   Avant de les suivre, Yselda attrapa le bras de son père pour s'entretenir avec lui, sans que personne d'autre ne vienne les déranger.

— J'aimerais savoir ce que tu as en tête et ce que Theobald t'as demandé de faire.

— Il m'a demandé de lui emmené.

— Et tu vas le faire ? interrogea-t-elle.

— Que cherches-tu ? demanda-t-il en croisant les bras.  

     Son regard ne montrait plus du mécontentement mais de l'amour envers sa fille. Elle en était même surprise, pourquoi changeait-il aussi soudainement ? Nicolas n'avait rien dit de pertinent comparé aux paroles probablement convaincantes de Theobald. Malgré tout, elle répondit à sa question, c'était son paternel, son supérieur et son modèle. Un infime espoir naissait en elle, elle ne savait pas encore ce que c'était, mais quelque choe lui disait que les choses allaient changer. En bien, ou en mal.

— Je cherche la vérité.

— Moi aussi et je veux la connaître, avant Theobald, rétorqua Alaric.

— Ai-je le droit de savoir pourquoi ? demanda-t-elle en croisant les bras contre sa poitrine.

     Il prit une grande inspiration, et expira bruyamment.

— Parce-que je ne veux faire aucune erreur et si un jour, le regard que porte ma fille sur moi changeait, je serai alors le plus malheureux des hommes. Je n'ai pas envie que tu me regardes avec dégoût ou haine. Je ne veux pas non plus que tu penses que je ne peux pas prendre mes propres décisions. Et par dessus tout, je ne souhaite pas perdre ta confiance qui m'est précieuse.

      Les petits yeux bruns de Yseda se mirent à briller et ses joues rosirent.

— Où veux-tu en venir ?

— Je n'ai jamais eu foi en Djafar. Je me dis que si ce sauvage a un réel lien avec les dragons, cela pourrait être dangereux de le laisser entre les mains d'un roi à la recherche de toujours plus de pouvoir.

— Et ce règlement ? Et Theobald ? Et connais-tu personnellement le roi ?

— Pour le moment, trouvons d'abord réponse à nos questions. Et un jour peut-être, je te raconterai.

     Le visage de la jeune fille s'illumina et un sourire vint le faire rayonner davantage.

— Alors, où est-ce qu'on va ? s'empressa-t-elle de demander.

     Alaric passa son bras autour de sa fille, l'entraînant avec lui à la suite de Edwin et Edgar. Peut-être regretterait-il son choix. Peut-être pas. Dans le regard de sa fille, lorsqu'elle lui avait crié dessus, elle avait cru voir le reflet de la femme qu'il avait tant aimé dans le passé. Elle était son portrait tout craché, elle lui ressemblait tellement dans sa façon de parler. C'est pourquoi il avait pris la décision d'enfreindre les règles et la parole du Seigneur de Paraviel ce jour-là. Juste pour une journée. Juste pour sa fille.

— À la chasse aux dragons.

    Mais peut-être que ce choix n'apporterait que des ennuis...

    Qui dit chasse, dit mort.








Je vous remercie d'avoir lu !

Ce chapitre est certainement le moins bien jusqu'à maintenant. Je promets un meilleur pour le prochain, avec plus de détails, de paysages, de fantastique et d'aventure !

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