Pacte brisé
Les jours s'écoulèrent rapidement. Deux fois par semaine, Archibald, Nicolas et Nathaniel montaient à bord de leur fidèle bateau, accompagnés des marins qui devinrent leurs amis. Ils voyageaient jusqu'à la cité abandonnée et Nicolas mettait tout en oeuvre pour gagner la confiance de la bête. Ce n'était pas facile et plus d'une fois il avait frôlé la mort. Néanmoins, plus les jours passaient, plus la bête s'adaptait, et plus elle lui livrait son entière confiance.
Bien heureusement, Nathaniel et Achibald étaient, pour le moment, obligés de rester à l'entrée. Ainsi, rien n'était fait pour déstabiliser l'animal.
C'était une douce soirée, le ciel prenait des teintes orangées et une fine brise rafraîchissait les villageois de la journée passée sous un soleil de plomb.
Nicolas marchait en direction de sa chambre, non loin du château de Djafar. Cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas vu et il en était bien content, il se sentait presque libre sans avoir affaire à lui. Même si porter son armure de chevalier lui rappelait que sa liberté n'était qu'une illusion.
— Nicolas ! l'apostropha quelqu'un.
Il s'arrêta et se retourna. Ivène courait en sa direction, tenant sa robe qui traînait parfois par terre. Elle s'arrêta devant lui et lui adressa un large sourire, dévoilant ses dents bien plus blanches que les siennes.
— J'ai l'impression que je ne t'ai pas vu depuis des siècles, railla-t-elle.
— J'étais occupé.
Ivène passa une mèche dorée derrière son oreille et fit claquer sa langue contre son palais.
— J'ai vu que tu étais souvent avec Nathaniel et l'écuyer.
— Oui... ça arrive.
— Je suis contente que vous soyez amis ! Je lui ai parlé de toi et à vrai dire, nous ne sommes pas d'accord tous les deux.
Nicolas haussa les sourcils et croisa les bras. Il était fatigué de sa journée, ne souhaitait que rentrer et se coucher mais il ne se voyait pas la repousser, il la trouvait si belle et gentille... Un visage doux d'innocence.
— Sur quoi n'êtes-vous pas d'accord ? s'enquit-il.
— Nous allons nous marier, comme tu le sais déjà, et je voulais t'inviter à la cérémonie en tant que convive et non en tant que chevalier.
Nicolas ne sut quoi lui dire et pour être franc, il n'avait pas envie d'être invité à ce mariage. Nathaniel n'était pas son ami et le fait de voir Ivène se marier avec le fils de Djafar ne l'enchantait pas du tout.
— Je suis désolé Ivène, mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
— Pourquoi ?
— Je ne suis pas un ami du roi, je fais partie de la garde et...
— Justement, Nathaniel et le roi souhaitent que tu fasses partie de la garde royale lors de la cérémonie, Dieu seul sait qui pourrait bien s'y opposer, puisque je ne suis pas issue d'une famille noble...
— J'ai du travail et je n'ai pas envie de te voir te marier avec Nathaniel, désolé, mais nous ne sommes pas amis toi et moi.
Ivène sembla vexée à en voir l'expression renfrognée sur son visage. Ses yeux prirent une toute autre teinte, assombris par la colère.
— Tu ne fais aucun effort pour que nous le soyons, je le vois. Je sais que j'ai été sotte de te laisser tomber lorsque nous étions enfant, mais j'étais terrifiée... pourtant, je ne te remercierai jamais assez de m'avoir sauvé la vie ce jour-là dans la vallée.
Elle lui attrapa la main mais Nicolas la repoussa aussitôt, il secoua la tête et se frotta les yeux frénétiquement tout en poussant un profond soupir.
— Tu ne comprends pas. Tu ne comprends rien et tu ne comprendras jamais.
Elle s'avança d'un pas.
— Dis-moi, qu'est-ce que je ne comprends pas ?
— Je n'ai jamais été menteur, ou bien manipulateur ! Et te voir prononcer tes vœux pour un homme qui ne t'es pas fidèle, ça me rend malade !
Il laissa retomber ses bras le long de son corps nonchalamment et Ivène le considéra sans un mot, la bouche entrouverte. Nicolas ne savait pas s'il éprouvait pour elle de l'amitié ou juste de la rancœur en songeant à son passé. Malgré tout, elle ne méritait pas une telle trahison.
Elle inspira profondément, comme si elle tentait de rester calme même si ce qu'il venait de dire avait eu l'effet d'un coup de poing en plein dans l'estomac. Elle resta le dos droit, le menton levé et les yeux pétillants, contrôlant ses émotions à la perfection.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? souffla-t-elle, une main sur son ventre.
— Que Nathaniel se rend tous les soirs dans un bordel, une femme s'occupe de lui, peut-être plusieurs, je ne sais pas... je l'ai vu, un soir, dans une chambre avec une autre.
Ivène se mordilla la lèvre inférieur et leva sa tête vers le ciel à présent étoilé. Elle sourit. Oui, elle sourit à Nicolas, les yeux certainement embués de larmes. Or, elle était bien trop fière pour pleurer devant lui.
— Très bien, commença-t-elle la gorge serrée. Je te remercie d'être honnête avec moi.
— Je suis désolé...
Nicolas se rendait compte de son erreur, il venait de révéler un secret qu'il était censé garder avec Nathaniel. Il avait trahi sa propre parole et s'en mordrait certainement les doigts. Comment éviter le pire ? Devait-il assumer ses actes ? Risquer la prison ou bien la mort ? Tout ce qu'il souhaitait, c'était partir d'ici avec ce dragon.
— Je veux venir avec toi, annonça-t-elle.
Nicolas haussa un sourcil l'air inquisiteur. Que voulait-elle dire ? De plus, sa voix était chancelante, elle retenait ses sanglots. Peut-être qu'elle était bel et bien amoureuse de Nathaniel, alors la révélation de Nicolas venait de lui briser le cœur. Là n'était pas son attention. Il n'avait pas ce fond fourbe et odieux.
— Où ? Où veux-tu venir avec moi ?
— Dans ta chambre.
Nicolas pouffa de rire.
— Pardon ? Non, je voudrais dormir.
— Bien, alors nous dormirons.
Nicolas ne sut quoi lui répondre, alors il se retourna et avança les pieds traînant jusqu'à sa chambre, Ivène sur ses talons. Il la fit enter en première, les remords le rongeant déjà avant de fermer sa porte. Il se libéra de sa cotte de maille, de son épée et son fourreau lourds puis il retira ses chaussures qui lui serraient les pieds et lui coupaient la circulation du sang.
Il s'assit au bord de son lit tandis que Ivène examinait les lieux, les mains derrière son dos.
— Je suis désolé, je n'ai rien à manger.
Elle lui adressa un faible sourire et haussa les épaules, elle n'avait probablement pas faim après cette nouvelle douloureuse. Son estomac était noué, son cœur serré, la faim ne lui tiraillait pas le ventre ce soir-là.
Elle s'assit à côté de Nicolas et lui prit la main. Il ne portait plus ses gants, et elle put voir l'état dans lequel était sa peau. Des cicatrices blanchâtres la déformaient, c'était des traces de brûlures. Sur ses doigts, on n'y voyait même plus ses empreintes, cette main était détruite.
— As-tu eu mal ? demanda-t-elle.
— Oui.
Il ne voulait pas repenser à ce moment, quand Hargon avait bien failli y rester et que pour se défendre, le petit dragon désorienté avait craché ses flammes sur Nicolas.
Il regardait droit devant lui, se sentant mal à l'aise, l'impression de faire quelque chose de mal. Mais c'était le cas, il avait brisé leur pacte, il était maintenant en danger et en plus de ça, Ivène, la fiancée du prince, était dans sa chambre avec lui. Il y avait de quoi passer pour un traître. Si Nathaniel l'apprenait, alors il révélerait le plan à Djafar et les conséquences seraient lourdes de cause.
Ivène posa sa main sur sa joue et lui fit tourner sa tête vers elle, pour qu'ainsi, leurs regards se croisent.
— Tu te souviens de ce jour-là, dans la vallée ? Quand tu m'as embrassé ?
Bien-sûr qu'il s'en souvenait, c'était le plus beau jour de sa vie. Il avait découvert un lieu formidable et avait pu le partager avec la fille qu'il aimait.
— Et toi ? Tu te souviens de ce jour-là, quand tu ne m'as pas défendu ? Quand tout le monde me jetait des pierres et des légumes au visage ? Quand on me traitait de sorcier, de démon et de monstre ? D'enfant de putain ? Tu t'en souviens ?
Elle baissa ses beaux yeux verts, comme si les remords refaisaient surface.
— J'étais jeune... ma mère avait beaucoup d'influence sur moi, elle voulait que je fasse partie de la noblesse et...
— C'est gagné, l'interrompit-il.
Le regard de Ivène était étrange, comme si elle cherchait son pardon. Yselda avait eu ce même regard après que Djafar ait tué Edouard.
— Je suis désolée, je sais que tu ne me pardonneras jamais, ta vie a sombré dans un cauchemar après ça, mais ce n'était pas mon but. Tu étais mon ami ! Et tu l'es toujours. J'étais si heureuse de te voir ici, tellement fière quand j'entendais des histoires sur toi. Ici, si les villageois savaient ton identité, ils n'oseraient pas te causer du tord. Tu es respecté.
— Tu essayes de faire quoi ? Tu attends que je te pardonne ? Comme ça, il sera facile pour toi de me manipuler ? Tu pourras te venger de l'adultère de Nathaniel ?
Nicolas se leva et se posta devant elle, elle leva la tête, toujours assise sur le lit, ne sachant quoi lui dire. Ses paroles la blessait, il était dur avec elle et il s'en rendait compte. Mais en cinq ans, il avait accumulé beaucoup trop de colère.
— Je n'ai que dix huit ans, je suis jeune... souffla-t-elle.
— Moi aussi.
— Tu parais plus vieux, plus mature, plus fort. Tu es complètement différent des autres.
— Et alors ?
— Que faites-vous lorsque vous partez en bateau ?
Nicolas tourna plusieurs fois sa langue dans sa bouche. Il ne devait le dire à personne et encore moins à Ivène, elle voudrait venir et risquerait même de parler de tout cela à Nathaniel.
— Ça ne te regarde pas.
— Tu comptes partir, c'est ça ? L'écuyer et Nathaniel t'aident pour quelque chose ? Je ne suis pas idiote et je vous vois transporter du matériel chaque fois que vous partez en escapade !
— Rester ici, c'est me laisser mourir.
— Alors tu comptes partir ? Pour de vrai ? Où vas-tu aller ? Et comment ? Tu vas traverser l'océan ? Ou bien passer des jours à affronter toutes les intempéries de ce monde ?
Nicolas secoua la tête de droite à gauche.
— Emmène-moi avec toi, peu importe le moyen que tu prendras pour quitter Ador, emmène-moi avec toi.
— Non.
— Je ne veux plus rester ici, je suis manipulée par l'homme que je vais épouser !
— Alors ne l'épouse pas !
— Je ne peux pas ! Tu ne comprends pas, j'ai dit oui, le roi est très sévère.
Nicolas le savait, Djafar n'avait aucune pitié. Il demeura silencieux, ne souhaitant plus parler de tout cela, il était fatigué et ne voulait que dormir. Mais ses yeux s'arrêtèrent sur les lacets de sa robe qu'elle détachait devant lui, dévoilant alors un bout de son corset. Que cherchait-elle ? Les femmes étaient manipulatrices, notamment les plus belles. Il était facile de jouer de leur charme pour avoir un homme à leurs pieds.
Ce fut le cas d'Ivène lorsqu'elle se dénuda devant lui, alors qu'elle ne l'avait jamais fait devant aucun homme avant.
Il ne sut quoi faire, quoi dire.
Alors ce fut elle qui le guida, prenant ses mains et l'attirant vers elle. Elle l'embrassa une première fois, un baiser étrange avant que ce ne soit plus langoureux. Dans la tête de Nicolas, une petite voix lui disait de la repousser, de l'empêcher de continuer, mais pourtant, son corps disait le contraire et jamais encore, une chose pareille ne lui était arrivée.
Il se laissa entraîner comme tout homme l'aurait fait, au risque de regretter amèrement son acte de trahison.
Un secret de plus ou un de moins, était-ce un crime ?
De toute façon, il partirait les jours suivants et retournerait à Paraviel.
Je vous remercie d'avoir lu !
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