Nathaniel
Nicolas se baladait entre les barils de poudre à canon, une main posée sur le manche de son épée. Elle pesait lourd sur ses hanches, elle était longue et son fourreau le gênait lorsqu'il marchait. Il devait pourtant s'y habituer car cette épée, il allait la porter encore pour longtemps.
Des marins chargeaient leur bateau, quelques rares villageois se promenaient sur les quais et un vieux chien aux poils crasseux reniflait de vieilles charrettes sur lesquelles étaient disposées de la marchandise venue probablement d'autres régions.
— Reviens-là espèce de satané voleur ! hurla un vieil homme.
Un jeune garçon bouscula Nicolas, puis ce fut au tour du vieil homme. Il se retourna sur leur passage, apparemment, le jeune garçon avait volé de la nourriture, il portait des bottes, un pantalon qui devait être blanc auparavant et un vieux pull troué.
Avançant de cette façon, Nicolas bouscula à son tour quelqu'un. Il se retourna brusquement et ramassa précipitamment les papiers qui avaient volé des mains de l'individu avant qu'ils ne tombent à l'eau.
— Vous ne pouvez pas regarder où vous mettez les pieds ?! grogna l'homme en arrachant des mains les papiers que Nicolas venait de ramasser.
Il se redressa et fit face à un jeune homme, certainement pas plus âgé que lui. Il était beau, grand, élégamment vêtu. Des jolies boucles blondes encadraient son visage pâle et carré, puis, des iris bleues comme l'océan le toisèrent. Il sentait bon, comparé à toutes les personnes que Nicolas avait pu croisé jusqu'ici.
— Et bien ? fit l'homme en haussant ses sourcils de la même couleur que ses cheveux. Vous ne vous excusez pas ?
— Je ne vous avais pas vu, je regardais ...
— Un chevalier est censé avoir l'œil partout, notamment sur les quais, il y a des voleurs ici, des clandestins et même des assassins.
— J'ai l'œil mais ...
— Savez-vous à qui vous parlez ? J'ai l'impression que vous ignorez mon identité. Vous me tenez tête et je dois avouer que ça commence à m'énerver.
— Pardonnez-moi mais ...
— Je me nomme Nathaniel. Enfin, vous devriez le savoir !
Nicolas plissa les paupières. Si ledit Nathaniel ne s'était pas présenté, il n'aurait jamais pu deviner qu'il était le fils de Djafar ! Ils ne se ressemblaient aucunement, sauf peut-être la couleur de leurs yeux. Mais les cheveux clairs et la forme de son visage portaient à confusion. Après tout, peut-être ressemblait-il à sa mère.
— Excusez-moi, je viens d'arriver.
Nicolas ne savait pas s'il devait faire une révérence, se mettre à genoux, baisser la tête ou simplement rester planté là, yeux dans les yeux. Nathaniel le considéra de son air ingrat, les lèvres retroussées.
— Mais oui ... souffla-t-il en le montrant de son doigt ganté. Mais tu es Nicolas ! Mon père m'a parlé de toi.
Alors soudainement, les formules de politesse avaient disparu.
— Tu es celui qui "apparemment" communique avec les démons !
Nathaniel mima des guillemets avec ses doigts tout en souriant pour dévoiler des dents bien trop blanches et de belles fossettes. Le fait qu'il soit si beau énervait secrètement Nicolas. Lui qui semblait si sombre et mauvais. À côté de Nathaniel, il passait bel et bien pour un sauvage avec ses cheveux sombres passés derrière ses oreilles, sa peau plus matte et ses yeux étranges. Ivène se marierait avec cet homme. Il était jaloux. Bien trop jaloux.
— Je ne communique pas avec les dragons, expliqua Nicolas d'une voix calme.
— Mon père n'inventerait pas une telle histoire. Lorsque j'étais encore jeune enfant, il me racontait cette histoire. Celle de son voyage à Hargon, la vallée maudite ! Il me parlait de toi, cet enfant qu'il avait pourchassé dans la vallée. Cet enfant qui s'était enfui sur le dos d'un dragon.
— Le dos d'un dragon ? répéta Nicolas une faible esquisse aux coins des lèvres.
Les histoires étaient toujours déformées. Jamais il n'était monté sur le dos d'un dragon, il détestait la hauteur et se voyait très mal s'agripper aux piques de la colonne vertébral de Edouard. Il glisserait certainement et mourrait d'une chute à une telle altitude.
— Tu me sembles modestes, c'est appréciable.
— Probablement ... marmonna Nicolas qui voulait déjà fuir cette conversation.
— Tu es alors chevalier.
— Je voulais être archer.
— Sais-tu tier à l'arc ?
— Bien mieux que manier l'épée.
Nathaniel sourit. Il tendit finalement sa main à Nicolas qui l'interrogea du regard. Pourquoi semblait-il plus gentil que son père ? Même s'il avait ce même air ingrat et arrogant ... Peut-être n'était-il pas si détestable.
Djafar restait tout de même un personnage à part entière.
— Je suis ravi de faire enfin ta connaissance, Nicolas, déclara-t-il la main tendue.
Alors Nicolas la serra, tout en tentant d'avoir une poigne ferme pour paraître plus viril. Au dessus d'eux, des mouettes voltigeaient tout en poussant leur cri.
— Moi de même, Nathaniel.
— Dieu merci, tu ne m'appelle pas "mon prince" ou "majesté" ! Beaucoup me respectent bien trop ici. Je t'avoue n'avoir que peu apprécié l'air que tu avais lorsque tu m'as bousculé mais ... étant donné que tu manques de manières au vue de ton passé, je comprends mieux et ne t'en veux donc pas.
— Je ne manque pas de manières.
Nicolas lâcha sa main et reposa la sienne sur le manche de son épée. Autour d'eux, les marins vaquaient à leurs occupations, sans se soucier du prince ou bien de lui. L'endroit était vivant, ça grouillait comme dans une fourmilière. Il y avait toujours du bruit, jamais un silence inquiétant. Ici, on se sentait en sécurité.
— Oui, enfin, je me suis compris ! railla Nathaniel d'un air hautain.
Nicolas se força à sourire puis détourna son regard pour le poser sur un bateau prêt à larguer les amarres.
— Que dirais-tu d'un dîner au château ce soir ? Je suis persuadé que mon père serait ravi de t'inviter, maintenant que tu fais partie du Royaume ...
Nicolas reporta son attention sur lui. Dîner en présence de Djafar avait le don de lui couper l'appétit. Il préférait de loin rester à l'écart et dans le pire des cas, passer une soirée en compagnie de Paul.
— C'est courtois de m'inviter mais je n'ai pas ma place à un dîner, je suis chevalier et non ami de la famille. J'ai déjà des projets ce soir, je suis navré de devoir refuser cette invitation.
Il tenta de rester poli mais le sourire de Nathaniel disparut. Il ne paraissait pas apprécier qu'on lui dise non. Malgré tout, Nicolas ne revint pas sur sa décision, il ne voulait pas se confronter à Djafar, il n'était pas prêt. Il le haïssait plus que tout pour avoir tuer son dragon, se retrouver à nouveau face à lui était impensable. Rien que de s'imaginer à table en sa présence lui donnait des frissons terribles.
Alors il mit un terme à leur discussion en assurant devoir rejoindre son poste de surveillance, qu'il ne connaissait pas en réalité. Nathaniel ne posa pas plus de questions, il garda son air renfrogné jusqu'à ce que Nicolas déguerpisse.
Même de dos, il sentait le regard pesant du prince sur lui. C'était gênant, mais il garda la tête haute et quitta les quais d'un pas lent et contrôlé. Un chevalier ne devait laisser paraître ses faiblesses.
Il déambula dans les différentes rues, il y avait beaucoup d'habitants, des enfants et même des animaux errant. Dans certaines petites rues, des étendages passaient d'un bâtiment à un autre pour étendre du linge et autres tissus étranges que Nicolas ne prit pas le temps de détailler.
La journée passa péniblement, rôder à Ador devenait ennuyant même si observer l'animation du village était plutôt plaisant. Ce n'était pas chez lui ici et cela se ressentait. Puis, chaque fois que quelqu'un posait ses yeux sur lui, il avait la nette impression qu'on savait qui il était et pourquoi il était là. C'était dérangeant et le mettait très mal à l'aise.
Le soir, quand le soleil disparut pour laisser place à une belle lune ronde et brillante. Nicolas rejoignit le lieu du rendez-vous convenu avec Paul plus tôt le matin. Il s'appuya contre un mur et suivi des yeux un homme trapu et dégoulinant de sueur longer la rue. Il sortait du bordel et paraissait ivre mort. Il parlait tout seul d'une voix nasillarde, et ce qu'il disait était tout bonnement incompréhensible. Son odeur de transpiration embauma quelques longues minutes la rue avant qu'une main ne se pose sur l'épaule de Nicolas et ne lui fasse oublier cette senteur désagréable.
Il se redressa brusquement et fut victime du rire peu banal de Paul.
— Tu aurais dû voir ta tête ! Le preux Chevalier aurait-il peur de son ami ?
— Nous ne sommes pas amis.
— Mais si ! Bien-sûr que si !
Paul passa son bras sur les épaules de Nicolas et le fit avancer jusqu'à l'entrée. À en sentir l'haleine pestilentielle qu'il avait, cela ne faisait aucun doute, il avait déjà bu pas mal de verres avant de le rejoindre.
— J'ai tellement hâte de te faire découvrir le paradis, souffla-t-il dans ses narines.
Nicolas tourna la tête de l'autre côté pour ne pas avoir à subir cette haleine alcoolisée.
— Ce n'est pas la définition que je donnerais au paradis mais ... si tu le dis.
— Oh, oui je le dis, Nicolas. Je le dis, crois-moi.
Ils entrèrent dans le bordel en question, longèrent un fin couloir puis passèrent sous un rideau rouge. Ici, il faisait chaud, des tables étaient disposées partout dans la pièce principale. Deux hommes jouaient de la musique et des femmes à moitié nues étaient installées sur les genoux de quelques heureux élus.
Paul s'installa à une table vide et commanda aussitôt de l'alcool à une jolie blonde à la poitrine généreuse. Nicolas ne semblait pas à l'aise, il regardait partout. L'ambiance qui régnait ici était étrange, d'autant plus que le nom bordel convenait parfaitement à cet endroit.
— Imagine que l'on meurt demain, tu me remercieras avant de fermer les yeux, déclara Paul en buvant une gorgée de sa choppe.
— Pourquoi devrais-je te remercier ? demanda Nicolas.
— Parce que tu auras goûter au plaisir de la vie. Je suis persuadé qu'après ce soir, tu reviendras toujours ici.
— J'ai vraiment d'autres choses à penser.
— Oublie tes dragons ! Ils sont peut-être morts et même s'ils le sont pas, ils sont loin, bien trop loin pour toi. Et ce ne sont pas des bébés, ils savent très bien se débrouiller seuls.
— Un ami ne m'aurait pas dit ça.
Paul haussa les sourcils et posa sa choppe sur la table, un petit peu de liquide se renversa à côté.
— Car c'est vraiment ça ton problème ? Tu penses trop à tes dragons ?
— Tu ne peux pas comprendre.
— Laisse-moi essayer de comprendre, dans ce cas.
Paul le regardait droit dans les yeux, et malgré qu'il soit embrumé d'alcool, une part de sincérité traversa son regard brun. Mais alors que Nicolas s'apprêtait à parler, une jolie femme s'assit sur ses genoux sans même en demander la permission. Elle plongea son doux regard ténébreux dans les yeux de feu de Nicolas, elle lui sourit d'un air malicieux et caressa ses cheveux.
— Tu es nouveau ? demanda-t-elle.
— Oui ...
Paul les regardait, le sourire béat.
— Tu es chevalier ?
— Oui.
— J'adore les chevaliers ! Ils sont si courageux ...
Nicolas jeta un regard au rouquin qui dévorait des yeux l'inconnue à leur table. Elle se leva, toujours sans prévenir, et attrapa la main de Nicolas. Elle le fit se lever et l'emmena avec elle sans quitter son sourire d'ange.
— Vas, Nicolas, vas ! railla Paul. Tu es bien meilleur élève dans ce domaine-ci que pour apprendre à combattre à l'épée !
Nicolas suivit la demoiselle jusqu'à l'étage. Là où devait se passer les ébats, mais il n'avait pas vraiment envie de s'amuser de cette façon. Tout en avançant dans le couloir, il ne pouvait s'empêcher de regarder autour de lui comme si sa curiosité était un vice. Et quand il passa devant une des chambres, il crut rapidement reconnaître ces boucles blondes et cette tenue de noble.
Nathaniel était ici, et pas avec Ivène mais avec une fille à la peau matte, elle semblait occuper avec sa braguette et ne pas faire attention à qui passait dans le couloir. Nathaniel, lui, le remarqua et parut reconnaître Nicolas puisqu'il écarquilla les yeux et repoussa la jeune femme.
— Il y a un problème ? demanda l'escorte de Nicolas.
— Je suis navré, mais je ne me sens pas très bien, mentit Nicolas. Vous êtes très belle, commenta-t-il avant de dévaler les escaliers à toute vitesse.
Il ne manquait plus que ça ! Croiser le prince dans ce genre d'endroit, que dirait-il à Djafar ? Et Ivène ? Le savait-elle ? Nicolas ne prit pas la peine de rejoindre Paul puisqu'il était entourer de deux jeunes filles. Il quitta aussitôt le bordel pour apprécier l'air frais de cette nuit paisible.
Il inspira profondément et expira lentement par la bouche. Il passa une main moite dans ses cheveux et commença à se diriger vers le château pour rejoindre sa chambre.
Malheureusement, quelqu'un l'apostropha.
— Nicolas !
Il tourna sur lui-même et put voir Nathaniel courir jusqu'à lui. Une fois à sa hauteur, il replaça correctement ses boucles blondes et souffla un grand coup.
— Ne répète cela à personne, ordonna-t-il d'un ton ferme.
— Pourquoi le ferais-je ?
— Car je suis le prince et je ne suis pas censé me trouver dans de tels endroits !
— C'est votre vie, pas la mienne. Je me fiche de ce que vous faites avec ces filles.
— Alors tout va bien.
Nicolas hocha la tête. Nathaniel, les mains sur les hanches et les joues rosies, finit par le saluer et lui tourner le dos pour avancer en sens contraire.
— Le dîner était bon ? demanda Nicolas d'un air bien trop provoquant.
Nathaniel lui lança un regard noir avant de tracer sa route.
Et Nicolas rentra dans sa chambre où il s'affala sur le lit. La nuit ne fut pas de tout repos étant donné qu'il fut la proie à des cauchemars incessant.
Dans ces cauchemars, il y voyait un dragon.
Un dragon aussi sombre que les ténèbres et bien plus féroce que n'importe quelle autre créature.
Je vous remercie d'avoir lu !
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