Le Mont Ered, la maison des Mestres
— N'as-tu jamais imaginé un monde sans failles ?
Yselda balançait ses pieds dans le vide du haut du mur sur lequel elle était perchée avec Paul, ils observaient le soleil se coucher au loin, ils étaient si hauts en altitude, si loin de tout. Cet endroit au cadre sombre laissait pourtant place à un sentiment de sérénité et de sécurité. Perchées sur une montagne, les bâtisses avaient été construites dans la roche. C'est pourquoi cet endroit figurait dans de nombreux livres et seuls les grands blessés pouvaient s'y rendre mais peu de gens connaissaient le chemin pour y aller.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda-t-il en se tenant aux rebords du mur.
Paul n'aimait pas vraiment les hauteurs, il avait le vertige, c'était en partie pour cela qu'il avait refusé d'être la garde du roi. S'il devait se trouver en hauteur et surveiller tout Ador, il aurait alors eu des vertiges et des nausées. Son travail revenait donc à patrouiller dans les rues pour la sécurité des villageois.
— Un monde sans méchants, sans maladies. Une sorte de paradis, où tout être vit heureux, sans jugement ni vices.
— Non, pas vraiment.
— J'aimerais que ce soit vrai et pas seulement des rêves. Les personnes comme Nicolas ne méritent pas un tel acharnement de la vie sur eux.
— Tu dis ça parce-que t'es folle amoureuse de lui.
Yselda écarquilla les yeux et lui mis un coup de poing sur le bras. Paul se le frotta et la fusilla du regard.
— T'es pas obligée de me taper !
— Et toi t'es pas obligé de raconter des sottises ! Je ne suis pas amoureuse de Nicolas, berk !
— C'est pour ça que tu l'as embrassé le soir de la veillée ? Tu croyais que personne ne t'aurait vu ? Sauf que ce n'est pas le cas, vous aviez beau être dans un coin sombre, on l'a tous vu et même le roi sans oublier ton père.
Elle détourna le regard, secoua la tête tout en poussant un grognement de frustration, puis descendit du mur comme elle y était montée : à l'aide de ses mains et de ses pieds. Elle commença à avancer, ses pieds s'enfonçant dans l'herbe sèche.
— Attends ! Tu vas où ? Aide-moi à descendre.
— Débrouille-toi tout seul, imbécile !
— T'es vraiment qu'une gamine Yselda !
Elle ne rétorqua rien et rentra à l'intérieur du grand château. Il se confondait parfaitement avec la montagne lorsqu'on arrivait de loin. Sur son cheval, quand ils s'étaient rapprochés du Mont Ered, Yselda avait eu du mal à en croire ses yeux. Qui avait bien pu construire une bâtisse de la sorte ? Elle trouvait cela magnifique, mais depuis toute petite, elle s'était toujours extasiée sur la beauté des paysages qu'elle traversait ou découvrait pour la première fois. Son père lui avait alors dit qu'elle tenait cela de sa mère, cette dernière réagissait pareille lors de voyage d'une ville à une autre.
Elle déambula dans les couloirs, croisant des hommes en robe blanche. C'était eux, qu'on appelait les Mestres, aussi bien connu comme des médecins, ils faisaient en sorte de soigner les maladies incurables, certains disaient même qu'ils avaient la science infuse mais Yselda n'y croyait pas. Malgré tout, ils avaient tout son respect pour tenter de sauver des vies, malheureusement la maladie tuait bon nombre de malheureux et même les Mestres n'y pouvait rien.
Yselda s'arrêta devant un grand homme, robuste, habillé d'une armure, aux cheveux blancs, longs et peu soignés, la barbe naissante. Ils se regardèrent quelques secondes avant qu'elle ne sourie et se jette à son cou, ses pieds ne touchants plus le sol. Il la serra dans ses bras comme si c'était la dernière fois et une vague de bien-être les envahit tous les deux.
— Je suis désolée papa, je n'aurais jamais dû partir comme ça, sans rien te dire et en ne laissant qu'une lettre derrière moi. J'ai désobéis aux règles, je mérite la sanction que le Seigneur Theobald me donnera.
Alaric la lâcha, ce qui permis à la jeune fille de toucher de nouveau la terre ferme. Il plongea son regard bleu dans le sien et passa une mèche rebelle brune qui lui cachait le visage derrière son oreille.
— Tu ne rentreras pas à Paraviel.
— Pourquoi ?
Quand Paul, Archibald et Yselda arrivèrent aux portes de Paraviel, transportant un mort ambulant, les soldats leur ordonnèrent de l'abandonner mais Yselda avait refusé et avait même défié ce dernier au combat. Par chance, Alaric n'étant pas loin, ce dernier s'en était mêlé et avait reconnu sa fille. Avant que Theobald ne se rende compte que Nicolas était de retour et en piteux état, il vola des chevaux avec ses deux amis Edwin et Edgar. Ils voyagèrent alors durant deux nuits jusqu'au Mont Ered sans s'adresser un mot, tout deux pressés par le temps. Maintenant que Nicolas était entre de bonnes mains, ils pouvaient se retrouver après des mois sans s'être vu.
— Theobald voudrait ta peau, Yselda et il hors de question que ma fille se fasse punir. Tu as dérogé les règles de la chevalerie mais le pire, trahis ton serment, tu as infiltré le château du roi, tu t'es enfuie et des tas d'innocents sont morts lors de votre évasion. Le roi Djafar a envoyé tous ses meilleurs mercenaires à votre poursuite, il tentera par tous les moyens de vous avoir, tous les quatre mais vous trois, vous avez moins de valeur à ses yeux que Nicolas.
— Je sais... dit-elle en baissant les yeux.
Alaric l'interrogea du regard.
— Que sais-tu que tu ne me dis pas ?
— Et toi ?
Elle releva ses yeux vers son père, il était tout pour elle mais les paroles de Nicolas résonnaient dans sa tête, elle était blessée mais ne pouvait le détester. Elle devait savoir la vérité, elle connaissait son père mieux que quiconque et pouvait facilement desceller un mensonge à travers ses prunelles.
— Où veux-tu en venir ?
— As-tu, oui ou non, empoisonné la mère de Nicolas ?
Yselda avait posé cette question un poids sur le cœur et un nœud dans la gorge. Alaric parut surprit de la question de sa fille, puis blessé.
— Me crois-tu capable d'un tel acte ?
— Je ne sais pas, si on t'en avais donné l'ordre, oui. Ce n'aurait pas été la première fois et certainement pas la dernière, je me trompe ?
— Comment peux-tu douter de ton propre père ?
— Quelqu'un a tué la mère de Nicolas et bizarrement tu l'as mené jusqu'à elle, peut-être parce-que tu culpabilisais ?
Alaric se frotta le visage de ses mains gantées, les questions de sa fille le blessait et le touchait en plein cœur. Mais un homme comme lui avait une fierté et cachait donc ce qu'il ressentait. Malgré tout, Yselda savait lire en lui, et elle était bien la seule.
— Theobald l'a empoisonné, il lui a offert un vin qui venait de Paraviel. Alienor l'a accepté sans se poser de questions et tout en discutant avec lui, elle l'a bu, sous mes yeux.
— Et tu le savais, tu savais que ce vin était empoisonné.
— Oui, avoua Alaric un goût d'amertume sur la langue.
— Et tu n'as pas empêché cette pauvre femme de le boire.
— Non.
Elle savait son père honnête, elle savait que lui poser directement la question la mènerait à la vérité. Nicolas s'était trompé, elle n'en était pas surprise mais savoir que son père avait regardé cette femme boire du poison et n'avait rien fait pour éviter cela la blessait malgré tout.
— Quand Nicolas est revenu à Paraviel... commença-t-elle.
— Pour toi, l'interrompit-il.
— Je te demande pardon ?
— Nicolas était revenu pour toi.
Yselda haussa les sourcils et esquissa un faible sourire pincé, elle ne savait pas si elle devait se sentir rassurée ou trouver cela ridicule après les atrocités qu'il lui avait craché en pleine figure.
— Peu importe, quand Nicolas est revenu à Paraviel, tu t'es senti tellement coupable que tu l'as emmené jusqu'à sa mère sans lui dire que tu savais pour le poison. Nicolas a regardé sa mère dépérir sous ses yeux alors qu'il ne l'avait pas vu depuis des années.
— Est-ce si grave au fond ?
— Oui ! cria-t-elle.
C'était bien la première fois qu'elle haussait le ton face à son paternel.
— Yselda, cette femme l'avait vendu au roi ! Crois-tu qu'elle méritait l'amour ou la pitié de son fils ? Oui, je me sentais coupable et je culpabilise chaque jour qui passe pour tous les actes atroces que j'ai commis ou assisté, mais suis-je vraiment à blâmer quand on sait que cette femme avait accepté un pot de vin à la place de son propre enfant ?
Yselda n'était pas au courant de cette histoire, elle avala difficilement sa salive et releva le menton, restant fière devant son père. Il était grand, penché au dessus d'elle, il l'avait toujours intimidée mais elle le savait inoffensif, seulement, elle ne savait plus qui défendre et sachant son ami dans un état de mort assurée, elle était d'autant plus désemparée.
— Ce n'était pas une raison pour la regarder ingurgiter la mort...
Elle sentait ses yeux la brûler mais tentait de retenir ses larmes, elle avait assez pleuré ces derniers jours. Pourtant rien n'y faisait, sa vie ne ressemblait plus à ce qu'elle était quelques mois auparavant.
— Je sais, mais à sa place, si le roi m'avait proposé de l'argent contre toi, ma fille, mon sang... je n'aurais jamais accepté.
— Elle le connaissait ! On ne sait pas tout !
La voix d'Yselda résonna dans le couloir. Elle poussa un profond soupir et essuya ses yeux d'un revers de la main, tout en se pinçant les lèvres, s'en voulant pour ce qu'elle venait de dire. Heureusement, personne ne se trouvait dans les parages à cet instant.
— De quoi parles-tu ?
— Rien. Je veux voir Nicolas.
— Tu ne peux pas.
— Pourquoi ?
— Parce-qu'il est brûlé Yselda !
— Et alors ?
Elle ne se fâchait jamais avec lui, le fait de crier, de lui jeter des regards accusateurs ne lui ressemblait pas et pourtant, elle ne pouvait s'en empêcher. Peut-être était-ce l'angoisse et toutes les tensions qui la faisait agir ainsi.
— Et alors ? Tu n'as certainement pas envie de voir ton ami dans un état pareil ! se justifia Alaric.
— Je l'ai vu se faire battre par un dragon ! Je l'ai vu de près, je peux le voir maintenant, cela n'y changera rien.
— Non, ses brûlures ne datent plus d'hier, tu ne le reconnaîtrais pas.
— Cesse de me dire quoi faire. Je sais que je le reconnaîtrai, Nicolas est reconnaissable entre mille.
— Les yeux fermés, c'est un homme comme un autre.
— Je suis chevalier maintenant, je peux faire mes propres choix.
Elle se tint droite, les yeux plongés dans ceux de son père. Elle passa alors à côté de lui, le menton levé et l'air déterminé, même si elle ignorait où se trouvait Nicolas. Alaric lui saisit le bras et la retint, elle lui jeta un regard et voulut le prendre dans ses bras. Son père, celui qui l'avait élevée. Pourquoi tout semblait si différent à présent ?
— Il ne se réveillera pas, tu es au courant ?
Une larme perla au coin de son œil, elle roula lentement sur sa joue et cette vision brisa le cœur de son père impuissant.
— Quand j'ai collé mon oreille contre sa poitrine, son cœur ne battait plus.
Elle marqua une pause pour contrôler ses émotions. Cette scène de dragon enragé hantait son esprit.
— Je me suis rendue compte qu'il était mort, alors qu'il venait de me sauver des griffes d'un loup quelques minutes plus tôt. Et je ne l'ai pas remercié... Quand j'ai cru que c'était fini, qu'on ne se pardonnerait jamais lui et moi, j'ai entendu son cœur repartir comme par magie... comme si nous avions une seconde chance pour tout arranger.
Elle humecta ses lèvres devenue sèche et inspira profondément. C'était une femme à présent, une guerrière. Elle le savait et elle pouvait tenir tête à son père, celui qui l'avait entraîné à devenir ce qu'elle devenait aujourd'hui.
— Alors, je suis désolée, papa, mais je ne suis pas d'accord. Nicolas n'est pas comme toi et moi, il survit à toutes sortes d'épreuves. Ce n'est pas celle-ci qui l'achèvera.
Elle sentit la poigne de son père sur son bras se desserrer à mesure qu'elle parlait.
— Contrairement à ce que tu as pu penser de lui aux premiers abords, moi, j'ai toujours su qu'il avait quelque chose de spécial. Il apportera la paix. Je crois en lui.
— Pour le moment, c'est le chaos qui s'est déchaîné sur Ador.
— Et parfois on combat le mal par le mal pour arriver à la paix.
Alaric lâcha le bras de sa fille d'un geste mou et contrôlé. Elle était si heureuse de revoir son père mais si triste de savoir son ami entre la vie et la mort. Elle essayait de se convaincre qu'il rouvrirait les yeux un jour ou l'autre, elle ne pouvait pas s'imaginer Nicolas abandonner, pas après ces révélations, pas après ce que Djafar et Theobald avait fait à sa mère.
— Yselda, je pense que les idées que tu as sur ton ami sont faussées par des sentiments que tu ne contrôles pas.
— Arrêtez avec ça ! Nicolas est amoureux d'Ivène, et moi, je ne suis que son amie, c'est clair ? Maintenant, arrête de tenter de rester lucide, papa. Tu vois bien qu'il n'a rien de normal ! Il apprend plus vite que les autres et a vécu cinq ans avec des dragons !
— Regarde où ça l'a mené ? Brûlé sur la moitié du corps, inconscient pour un temps incertain, balafré, les os brisés, que veux-tu qu'il fasse à présent ?
— Qu'il se relève.
Les épaules d'Alaric s'affaissèrent, ne trouvant plus les mots pour raisonner sa fille. Ce n'était pas pour être méchant, ni parce-qu'il ne croyait pas en Nicolas. Mais il ne voulait pas la voir souffrir le jour où ce dernier rendrait son dernier souffle, un jour qui viendrait bien assez tôt d'après lui.
Il lui caressa la joue du dos de la main, admirant sa fille, la battante qu'il avait construit. Il s'était résigné, il était temps de se quitter. Lui et ses amis devaient rentrer à Paraviel avant que Theobald ne se pose des questions.
— Je reconnais bien ta mère, tu es elle, en plus forte. Je t'aime, Yselda.
Il laissa glisser sa main, puis lui tourna le dos, traînant des pieds dans ce couloir infini, la main sur le manche de sa fidèle épée. Yselda resta immobile un moment en observant son père s'éloigner, jamais encore, il ne lui avait dit ces mots.
Je t'aime.
Jamais.
— Papa ! l'appela-t-elle.
Il s'arrêta mais ne se retourna pas. Elle aurait aimé lui dire de choisir son camp, de se battre à leurs côtés, mais Alaric était un chevalier, un combattant loyal qui avait prêté serment lorsqu'il fut sacré chevalier. Elle savait que son camp était déjà choisi depuis le début, malgré ses écarts et les espérances qu'il avait pu laisser.
— Je t'aime...
Il reprit alors sa marche et disparut au fond du couloir. Yselda s'appuya contre un mur et se laissa glisser contre celui-ci, enfouissant sa tête entre ses mains.
Le jour où elle reverrait son père, serait un jour de guerre.
Le jour où leur regard se croisera de nouveau, sera le jour où l'un d'eux aura tué l'autre.
Je vous remercie d'avoir lu !
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