Le Maître déchu
À travers toute la forêt, par delà les sommets, on pouvait entendre un terrible rugissement, bestial, menaçant, terrifiant. Un cri à en glacer le sang. Un cri de haine et de souffrance indescriptible. Les oiseaux s'envolèrent des arbres dans lesquels ils étaient perchés, tandis que dans la clairière au cadre idyllique, un combat s'apprêtait à éclater. Un combat qui ne laisserait aucun survivant.
Yselda, les pieds ancrés dans le sol, gardait bien en main l'épée qu'elle avait volé avant de fuir Ador et Paul à ses côtés tremblait de tout son être. Il savait qu'ils ne feraient pas long feu tous les deux, à s'opposer à une telle créature, bien qu'elle était jeune, leur épée ne lui ferait rien.
— Ne restez pas là ! leur hurla Nicolas. Vous n'avez aucune chance !
— Et toi alors ? couina Archibald terrorisé en équilibre sur ses deux béquilles.
Quand le dragon se tourna vers eux et qu'au fond de sa gorge, ils purent en distinguer du feu, Paul attrapa le bras d'Archibald et le tira avec lui, abandonnant ses béquilles dans l'herbe. Yselda courut sur la droite, ramassa une pierre près d'un arbre et la jeta sur le dragon qui s'intéressait un petit peu trop à ses amis. La bête se retourna en poussant un étrange grognement, de la fumée sortait de ses narines et ses yeux ne montraient plus qu'une rage folle, dans lesquels semblait se cacher une peur refoulée.
— Allez, viens-là ! cria Yselda pour se donner du courage même si au fond d'elle, elle était terrorisée.
Nicolas en profita pour se munir de son arc et de ses flèches, il n'était pas certain que seul, il pourrait lui faire grand mal, mais Hargon n'était pas adulte et restait plus faible que le dragon noir. Il tendit la corde, si fort qu'il s'en lacéra les doigts, ses bras tremblaient et de la sueur perlait sur son front. Il visa alors son aile, celle qui n'était pas abîmée par le temps. Il tira une première flèche, quand le dragon poussa un cri strident, Nicolas s'empressa d'armer à nouveau son arc et de tirer une nouvelle fois sur sa cible. Néanmoins, faire du mal à son dragon lui brisait le cœur.
Jamais il n'avait eu à faire une telle chose, et jamais il ne s'était imaginé combattre Hargon, le dragon à qui il avait tout donné.
Yselda profita de cet instant pour rejoindre Archibald et Paul cachés dans les fourrés à observer la scène silencieusement. Nicolas quant à lui, ne cessait de tirer ses flèches sur la créature qui à chaque fois rugissait et dévoilait de longues rangées de dents tranchantes comme des haches. Le dragon se leva de toute sa hauteur, déploya ses ailes et ouvrit grand la gueule, juste face à Nicolas.
Yselda, détestant se sentir inutile, se leva d'un bond mais Paul la retint par la taille. Il entoura ses bras autour d'elle et la serra contre lui, l'empêchant alors de faire quelque chose de stupide.
— Lâche-moi ! s'écria-t-elle en gesticulant dans tous les sens. Laisse-moi aller l'aider !
Hargon se tourna vers eux, attiré par les cris, alors Yselda s'immobilisa et écarquilla les yeux, il était qu'à quelques mètres d'eux et sa taille imposante les menaçait. Il voulut cracher ses flammes dévastatrices sur eux, mais au lieu de cela, Nicolas se rua sur la bête pour l'en empêcher.
— Hargon ! Ne fais pas ça ! ordonna-t-il.
Bien que cela ne servait à rien, il le savait.
En courant, il brandit son épée et abandonna son arc et ses flèches, il se laissa glisser sur le sol et l'entailla alors à niveau de l'abdomen. Le dragon se redressa, rugit suite à la douleur et cracha ses flammes à l'aveuglette, tournant sur lui même et dégageant un immense nuage de fumée noire. Le feu brûla une bonne partie de la végétation. Sa lourde queue habillée de piques pointues frappa Nicolas de plein fouet, l'expulsant quelques mètres en hauteur, l'écrasant contre le vieux tronc d'un arbre faible, il s'affala alors dans la terre et l'herbe sèche. Ses oreilles sifflaient, sa peau le brûlait et il ne sentait plus aucun de ses membres. La chute fut brutale et sans pitié.
Il n'entendait plus que son organe vital battre fort contre sa poitrine, comme si bientôt, celui-ci allait s'arrêter pour laisser place au silence.
Yselda voulut crier mais Paul plaqua sa main contre sa bouche, l'empêchant de faire le moindre bruit.
Alors sous leurs yeux, tous les trois désemparés, le dragon posa son énorme patte sur le corps de Nicolas, de là où ils étaient, tout laissait à croire qu'il l'écrasait sous son poids et Yselda ne put s'empêcher de hurler et de pleurer, même si la main de Paul bloquait tous les sons qu'elle tentait d'émettre. Cela ne ressemblait plus qu'à de pauvres gémissements impuissants.
En réalité, le dragon n'appuyait pas. Les griffes de ses ailes — que Nicolas appelait ses doigts — se plantèrent dans la terre, non loin du visage de ce dernier et la bête approcha sa gueule de lui, le laissant alors sentir son souffle chaud, et apercevoir ses iris brûlantes de si près...
La respiration de Nicolas sifflait, il avait déjà été blessé par ses dragons, mais jamais autant. Physiquement et mentalement, il ne serait plus jamais le même. Pas après ce terrible combat.
Sa gorge était sèche, ses lèvres gercées et fendues, pourtant, il tentait de parler, même si cette action semblait dorénavant impossible.
— Hargon... murmura-t-il dans un sifflement, une larme perlant au coin de son œil gorgé de sang.
La bête retira son énorme patte et recula de quelques pas, écrasant l'arc qui se trouvait sur le sol. Nicolas s'appuya sur ses bras fébriles. Ses jambes tremblaient, ses genoux étaient brisés et pourtant, il se releva, saisit le manche de son épée et tituba le dos voûté vers la créature.
N'en avait-il pas eu assez ?
Il se laissa alors tomber à genoux, trop faible pour avancer, il planta la lame de son épée dans le sol et appuya ses mains sur le manche. Ainsi, il put rester agenouillé sur ses os douloureux. Il baissa la tête, le front collé à son arme. Comme l'aurait fait un loyal serviteur à son roi.
— Pardonne-moi ... souffla-t-il alors que le dragon le dévisageait de ses yeux de feu. Pardonne-moi ... Hargon ... Je n'ai jamais voulu cela.
Un lourd silence s'abattit dans la clairière, comme si Hargon était figé. Il l'observa quelques secondes avant de fuir. Ses lourds pas résonnèrent en plusieurs échos que se renvoyèrent les arbres. Il courait, flottait presque dans les airs tout en faisant battre ses ailes infirmes. Il s'accrocha aux montagnes et disparut derrière l'une d'entre elles, en poussant un dernier rugissement, qui hantera les oreilles de Nicolas pour toujours.
Après cela, il lâcha son épée et s'écroula sur le sol, inerte.
Yselda se défit de l'emprise que Paul avait sur elle et sortit de sa cachette. Elle courut jusqu'à Nicolas et se laissa tomber à genoux près de lui. Son armure était en lambeau, sa peau était brûlée, calcinée à certains endroit, même son visage avait été touché... et il ne bougeait plus. Elle s'empressa de lui retirer sa cotte de mailles pour dégager son torse et elle posa son oreille sur celui-ci, dans l'espoir d'entendre son cœur battre.
Le sien battait si fort qu'elle en souffrait.
— Non... marmonna-t-elle. Non, non, NON ! finit-elle par hurler en frappant ses poings dans la terre.
Paul et Archibald la rejoignirent, l'écuyer était maintenu par le rouquin, sa cheville étant bien trop douloureuse.
— Il... il ne respire plus... chuchota-t-elle alors que des larmes coulaient sur ses joues.
Elle sanglotait sans pouvoir s'arrêter, elle haletait, son cœur se brisait en milles morceaux.
— Il ne respire plus ... !
Elle reposa sa tête contre son torse brûlant, les paupières closes, elle pleurait la perte de son ami quand derrière elle, Archibald ne réalisait pas ce qu'il se passait réellement.
Au loin, le rugissement d'un dragon retentit, ce qui leur glaça le sang. A leurs yeux, ces créatures n'étaient plus fascinantes ni magnifiques. Elles étaient dorénavant menaçantes et terrifiantes.
Un seul son alerta Yselda, envahissant tout son corps de tremblements inexplicables.
Boum. Boum.
Je vous remercie d'avoir lu !
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