Le cri du dragon

    C'est dans les plaines neigeuses, près de montagnes glaciales que Nicolas fit face au dragon noir. C'était rare qu'il se retrouve si près de lui. La dernière fois fut la fois où la bête l'avait sauvé de la noyade. Après cela, elle ne faisait que le suivre et le protéger s'il se trouvait en danger.

    Son genou s'était posé dans la neige. Jamais encore, il n'avait compris pourquoi ces plaines étaient enneigées alors qu'Ador ne se trouvait plus qu'à quelques lieux. Il ne supportait pas le froid, il avait la sensation que son sang ne devenait plus qu'un glaçon, ralentissant son cœur et congelant ses articulations. Il n'était pas habillé convenablement, son armure ne lui servait qu'à se protéger d'éventuelles attaques, mais jamais à empêcher le froid d'atteindre ses entrailles.

    Le dragon, qui le suivait depuis là-haut, se posa devant lui. Ses immenses pattes griffues s'enfoncèrent dans la neige et chaque flocon qui touchait sa peau fondait instantanément. Nicolas releva la tête vers lui pour croiser son regard brûlant. Cette créature était si belle et effrayante à la fois. De ses jambes flageolantes, il se remit sur pieds pour ne pas paraître faible devant elle. La créature pencha la tête sur le côté, ses yeux vifs le scrutant sans ménagement.

— Pourquoi tu me regardes comme ça ? grogna Nicolas sur les nerfs. Je n'ai pas la même peau que toi ! Allez, envole-toi et cesse de me fixer comme si tu me jugeais !

    Le dragon poussa un râle étrange, avait-elle compris ce qu'il venait de lui dire ? Nicolas avait toujours pensé que les animaux, quels qu'ils soient, se référençaient davantage aux intonations de la voix qu'aux paroles prononcées. 

    Il fut surpris de voir la bête se coucher dans la neige glaciale et s'aplatir de sorte à ce que Nicolas se retrouve pratiquement à sa hauteur. La gueule du dragon n'était plus très loin de lui et elle pouvait le croquer à n'importe quel instant. Or, elle ne le fit pas. Ses yeux jaunes le fixaient toujours et Nicolas compris ce qu'elle voulait lui faire comprendre.

— Jamais je ne monterai sur ton dos ! bougonna-t-il. Je risquerai de tomber.

    Ceci dit, le chemin était encore long et il n'était pas sans risques que Nicolas n'arrive trop tard pour retrouver Yselda. Une perte de plus serait de trop, sa colère éclaterait et plus rien ne pourrait l'arrêter. Alors monter sur le dos de cette créature lui ferait gagner du temps, en revanche, les risques n'étaient pas inexistants. La selle qu'ils avaient conçu, Archibald, lui et Nathaniel n'aurait pas été de trop ce jour-là. Malheureusement, il allait devoir se contenter de la peau rugueuse du dragon.

    Il s'approcha alors de lui, ses pieds glissaient dans la neige, ce qui l'agaçait encore plus. Il prit appuie sur la membrane de son aile, ce qui valut au dragon un souffle fort par ses narines. Nicolas s'empressa d'attraper sa crête de pique que le dragon hérissait parfois sur son dos, comme armure. Il s'assit alors sur son large dos, dur et chaud. Il s'accrocha à ses piques et les serra très fort, peu rassuré à l'idée de se trouver sur le dos d'un dragon sans matériel pouvant sécuriser la chose tel qu'une selle, comme pour les chevaux.

    Quand le dragon jugea le moment de partir, Nicolas ferma les yeux aussi fort que possible. Il sentit tous les muscles de la bête se contracter. Elle bougeait, puis il sentit du vent, chaud et non froid comme celui des montagnes neigeuses. Il ouvrit un œil, curieux, et vit qu'elle avait déployé larges ses ailes et qu'elle les faisait battre. Son corps, pourtant énorme, ne touchait à présent plus le sol. Plus elle battait des ailes et plus elle prenait de l'altitude. Nicolas préféra fermer à nouveau les yeux et faire confiance au dragon.

    Le trajet parut moins long et ce moment procura à Nicolas un sentiment de sécurité. Finalement, de quoi avait-il peur ? Cette créature le suivait partout, le défendait et le sauvait. Tout comme ses quatre dragons auparavant... Il se sentit alors plus proche de la bête, comme si un lien s'était finalement créé et toutes les craintes qu'il avait pu avoir s'envolèrent en même temps qu'ils survolaient des paysages grandioses.

Les dragons ne lui feraient jamais de mal.


    Le dragon se posa non loin d'Ador, Nicolas le savait puisqu'il entendait l'océan et reconnaissait cette odeur qui l'avait fasciné. Il descendit du dos de son dragon et sans un mot pour la bête, il avança vers le Royaume. Vêtu d'une armure de chevalier, il passerait inaperçu et son dragon, non loin de là, écouterait les moindres bruits. Il savait qu'il ne craignait rien et que s'il le voulait, il pouvait ordonner à la créature de tous les tuer.

    Quand il pénétra dans Ador, sans un regard pour les gardes qui le dévisagèrent méfiants, il remarqua qu'il semblait y avoir foule sur la place. En effet des petits groupes de villageois se dirigeaient vers celle-ci. Quand Nicolas arriva à cet endroit, il comprit que quelque chose était en train de se passer. Il se faufila à travers la horde de citoyens pour pouvoir voir ce que eux regardaient.

    Deux gardes étaient là, sur une estrade, armés de leurs épées, ainsi qu'un homme vieux, aux cheveux grisonnants et au visage ridés. Ses yeux se posèrent ensuite sur une montagne de muscles, cet homme était si grand qu'il en était terrifiant, vêtu d'une armure noire et d'une épée aussi longue que la queue d'un petit dragon.

    Caché au milieu de la foule, Nicolas assistait sans même le savoir, au jugement de ses amis Archibald et Yselda.

    Quand ils furent poussés devant tout Ador, Nicolas les reconnut mais ne cilla pas, les yeux rivés sur eux. Il reconnut d'abord Archibald et ses vêtements pour le moins ridicules, puis Yselda et ses longs cheveux noirs tressés. Elle portait une armure de chevalier, celle-ci semblait avoir été détruite mais restait reconnaissable. Les chevaliers savaient se reconnaître entre eux.

    L'homme aux cheveux gris dictait tout un tas de choses dont Nicolas n'avait que faire. Ne manquant pas une goutte de ce qu'il se passait sur cette place. Il se fichait bien de savoir pourquoi ils se trouvaient là et toutes les paroles qu'avaient pu déballer ce vieillard en quelques secondes seulement ne l'intéressaient pas le moins du monde. Ses deux amis étaient en danger de mort, devant une ville toute entière, et le roi devait assister à ce spectacle, bien caché et protégé par ses soldats. Nicolas l'imaginait jubiler à l'idée de tuer une si jeune fille et un pauvre écuyer innocent. Un monstre. Ce n'était qu'un monstre.
S'il avait su sa position, il se serait jeter sur lui pour lui couper la tête.

    Son cœur commença à s'emballer quand il vit Archibald s'agenouiller de force devant la planche de bois tachée, totalement immaculée de sang séché. Il allait subir la guillotine, une sanction terrible et sanglante. Il pleurait à chaudes larmes quand il posa sa tête dessus, les mains nouées dans le dos tandis que Yselda, elle aussi privées de ses mains, assistait impuissante à cette scène.

    Quand la Montagne brandit son épée et la leva bien haut au dessus de la nuque d'Archibald, Nicolas ferma les yeux. Non pas pour éviter de voir son ami mourir, mais pour appeler son seul et unique allié.

    Il serra les poings, l'estomac noué et espéra que, par miracle, on l'ait entendu.

— Maintenant... murmura-t-il entre ses dents.

    Ni une ni deux, un rugissement à en glacer le sang retentit dans toute la ville. Les villageois levèrent la tête, tout comme la montagne et les soldats. Un dragon les survolait. Un immense dragon noir. La panique s'empara des plus vulnérables et la foule se mit à chahuter, les gens hurlaient, se bousculaient et se piétinaient. Tandis que les archers s'empressèrent de prendre place pour viser la créature volante.

    Le dragon ouvrit grand sa gueule, planant dans les airs, il cracha ses flammes destructrices sur des archers qui tirèrent leurs flèches au dernier moment avant de brûler vifs et de pousser d'horribles cris.

    Remarquant que les soldats étaient plus occuper à maîtriser le monstre qui détruisait la place, Yselda s'approcha d'une des poutres de bois et tenta par un quelconque miracle de couper les cordes qui lui nouaient les poignets. Tandis que Archibald rouvrit les yeux, surprit d'être toujours en vie. Il se releva rapidement mais la Montagne se jeta sur lui, il le fit tomber sur le sol, écrasant ses bras sous son dos. Archibald le repoussa en mettant ses pieds sur son abdomen, puis il roula sur la droite. Quand il voulut se relever, le dragon le survola de si près qu'il recula de quelques pas, se tordit la cheville au bord de l'estrade et tomba en arrière, sur les fesses, à travers les villageois paniqués qui ne manquèrent pas de lui marcher dessus.

    De son côté, Yselda s'était libérée de ses cordes, elle attrapa alors l'épée d'un soldat qui avait disparu, une trace de sang près de celle-ci. Elle devina alors que le dragon s'était fait plaisir à le dévorer et l'odeur de chair brûlée ne manquait pas de lui rappeler qu'elle pouvait à tout instant subir le même sort. Elle descendit aussitôt de l'estrade, contourna des flammes qui brûlaient encore des cadavres et para l'attaque d'un soldat qu'il s'était jeté sur elle. Elle poussa un cri pour se donner de la force et le repoussa en lui donnant un coup de pied dans le ventre. Elle leva son épée et l'abattit sur celle de son adversaire, les deux lames s'entrechoquèrent et glissèrent l'une contre l'autre avant qu'Yselda ne tourne sur elle-même et ne plante son arme dans l'abdomen du soldat en geste précis et fluide.

    Nicolas avait pu voir Archibald tomber de l'estrade et se faire piétiner, alors il s'était précipité vers lui pour lui venir en aide. En chemin, deux soldats s'étaient postés face à lui. Il s'était alors muni de son épée et avait tenté de se battre comme il le put mais le corps à corps n'avait jamais été son point fort. Leur combat fut suspendu le temps de quelques secondes, lorsqu'ils entendirent plusieurs rugissements. Quand ils levèrent la tête, il n'y avait plus un dragon, mais trois qui volaient au dessus d'eux et crachaient leurs flammes. Le dragon noir se posa sur le sol et frappa de sa queue tous les soldats essayant de s'en prendre à lui, elle en prit certains entre ses dents et n'en fit qu'une bouchée.

    Nicolas profita de ce moment d'égarement pour venir à bout de ses deux ennemis, l'un eut la gorge tranchée, tandis que l'autre sentit la lame se planter dans sa poitrine, touchant inévitablement son cœur.

    Après cela, Nicolas courut à travers les corps piétinés et carbonisés, il ramassa l'arc d'un mort ainsi que son sac de flèches, s'équipa de ceux-ci puis rejoignit Archibald et l'aida à se relever, se dernier poussa un cri quand ses deux pieds touchèrent le sol.

— J'ai mal, j'ai très mal à la cheville ! se plaignit-il à travers la boucan.

    Il releva la tête vers Nicolas et son visage changea complètement, les yeux sortant presque de leurs orbites.

— Nicolas ! s'exclama-t-il, heureux de le revoir.

— Ne restons pas là, lança ce dernier en l'aidant à avancer, bras dessus bras dessous.

    Yselda tua un énième soldat et repéra Archibald et Nicolas à travers les pauvres villageois désemparés. D'abord, elle crut rêver mais ne fut pas surprise, elle se doutait qu'il était derrière tout ça, ce n'était pas les dragons qui se seraient permis de le faire seuls, ils ne s'aventuraient jamais au-delà des océans.

   Elle courut jusqu'à eux et aida Nicolas à faire marcher l'écuyer. Mais tous les trois s'arrêtèrent, lorsqu'un archer pointa son arc sur eux, la flèche prête à être tirée sur Archibald. Alors qu'il était prêt à lâcher sa flèche, ils furent tous les trois surpris de voir une lame le transpercer par l'arrière. L'archer se raidit avant de s'affaler sur le sol lorsque l'épée se retira de son corps ensanglanté.

    Paul leur fit un signe.

— Allez, suivez-moi ! s'écria-t-il en s'aventurant dans une rue plus étroites.

   Ils hésitèrent avant de finalement le suivre, Archibald ne cessant de gémir.

— Nicolas ! hurla quelqu'un.

   Ce qui le fit s'arrêter et se retourner, tandis que Yselda continuait à faire avancer Archibald. Elle remarqua que Nicolas ne l'aidait plus, alors elle se tourna vers lui. Ivène tentait de se défaire de l'emprise de Nathaniel qui la tirait vers lui pour aller se réfugier là où les dragons ne pourraient l'atteindre. Elle semblait vouloir les rejoindre plutôt que de rester à Ador.

    Nicolas croisa, le temps de quelques secondes, son beau regard émeraude, remplit de larmes, avant de baisser le sien et de lui tourner le dos, rejoignant alors les autres pour suivre Paul vers un endroit où les soldats ne les trouveraient pas. Il l'abandonna dans le chaos du Royaume, dans même se retourner.

    Ils descendirent jusque sur le port et montèrent dans le premier bateau qu'ils trouvèrent.

— Descendez de là les fugitifs, grogna un marin barbu, on n'a plus de place ! Allez, oust !

    Yselda lâcha Archibald qui faillit tomber mais fut retenu à temps par Paul, elle brandit l'épée qu'elle avait volé sous le nez du marin et le fusilla du regard.

— Écoute-moi bien, gros porc, tu vas lever l'ancre et quitter cette ville maudite sans discuter, sinon je t'assure que je me ferai un plaisir de te refaire le portrait.

    Il parut surpris qu'une fille si jeune et si frêle se permette d'agir ainsi, mais le rugissement d'un dragon ne tarda pas à le convaincre. Il ordonna à ses confrères de lever l'ancre et le bateau quitta le port.

    Nicolas jeta un dernier regard vers le Royaume d'Ador duquel s'élevaient d'épaisses fumées noires, un dragon survolait l'île tandis que deux autres n'étaient pas visibles. Non loin du port, il reconnut la silhouette robuste du roi, accompagné de plusieurs soldats armés.

— Baissez-vous ! hurla-t-il aux autres.

    À peine cinq secondes plus tard, des flèches s'abattirent sur le bateau, elles touchèrent quelques pauvres marins et se plantèrent dans la carcasse de l'engin. Ce fut la dernière attaque avant qu'ils ne se trouvent assez loin d'Ador pour être hors d'atteinte.

    Archibald fut soulagé d'en être sorti vivant et de ne plus avoir à vivre tout cela tout comme Yselda et Paul, fier d'avoir eu le courage de s'opposer aux ordres.

    Alors que pour Nicolas, ce n'était que le début d'une guerre qui ne prendrait fin que lorsque le feu en lui serait apaisé.








Je vous remercie d'avoir lu !

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