Dîner en famille

   La lame de rasoir parcourait sa peau, un seul faux mouvement et une coupure était vite arrivée. Les poils tombaient dans le lavabo tous à la suite et quand il eut fini, il se rinça le visage à l'eau froide. Il avait besoin de froid, car son sang, lui, était bouillant. Depuis sa conversation avec Aalis, il ne pouvait s'empêcher de penser à elle. Qu'espérait-elle ? Elle devait certainement s'imaginer son mari heureux dans sa petite chaumière, sur le flanc d'une colline, à prendre soin de ses élevages et éduquer ses trois merveilleux enfants comme il se devait. Il n'en était rien, Gadriel et d'autres assassins du roi s'étaient amusés à les immoler, à leur arracher la vie. Ce fut la première tuerie avant que d'autres ne suivent et que Hargon soit touché à son tour.

  Il posa ses mains de part et d'autre du lavabo, baissa la tête et s'appuya dessus en poussant un profond soupir. Il avait vu sur son corps encore nu et sur ses cicatrices immondes qui abîmaient sa peau. Il était marqué à vie par tous les événements qu'il avait traversé mais il se dit, à cet instant, que toutes ces marques faisaient partie de lui.
Elles raconteraient son histoire quand lui ne le pourra plus.


  Il se décida finalement à enfiler ce qu'on lui avait offert en guise de vêtements. Cet accoutrement ne lui plaisait pas, c'était tout sauf lui. Une chemise parfaitement lisse, blanche comme neige, accompagné d'un veston sombre comme ses cheveux et d'un pantalon à la même couleur. Les manches étaient trop courtes, la chemise le serrait beaucoup trop et les chaussures étaient loin d'être confortables.

  Il fut ensuite escorté par des soldats et on lui ouvrit deux grandes portes ornées de symboles dorés. Elles donnaient sur une grande salle à manger, la table en faisait tout le long et des chandeliers étaient posés sur celle-ci, pour éclairer les convives. Ils étaient debout quand Nicolas entra dans la pièce, et leur regard était braqué sur lui.

  Nathaniel se tenait sur la gauche, habillé comme un prince devait l'être, tout de blanc vêtu, une veste longue, des bijoux, des cheveux impeccables et une peau sans imperfection. À sa droite se trouvait Ivène, habillée d'une longue robe embrassant ses courbes, ses cheveux étaient tressés, très longs et brillants, elle portait un léger maquillage, ni trop excentrique, ni trop discret. En face de lui, il put voir Djafar et ses vêtements sombres, son regard froid et son visage caché sous une longue barbe fournie. Il lui sourit, dévoilant ses dents avant de l'inviter à s'asseoir.

  Nicolas les regarda tous les trois avant de s'asseoir face à celui qui était supposé être son oncle. Sur la table était dressé un repas très appétissant, du riz, des pommes de terre, de la volaille et même des fruits. L'odeur était envoûtante, il faut dire que Nicolas n'avait pas mangé depuis des jours. Mais dans sa tête, il était impossible pour lui de se nourrir de ce que Djafar lui offrait. Il ne lui ferait jamais cet honneur.

  Ils s'assirent à leur tour tous les trois et le silence qui s'installa fut long et gênant. Nicolas ne lâchait pas des yeux Djafar face à lui, ce dernier se fit servir un grand verre de vin, un liquide à la couleur du sang qu'il avait fait coulé ces derniers mois. Il ne remercia pas la servante et elle servit ensuite Nathaniel avant d'essuyer un refus de la part d'Ivène qui ne quittait pas son assiette vide des yeux depuis l'entrée de Nicolas.

— Les invités se servent en premier ici, alors Nicolas, je t'en prie, à toi l'honneur, lança Djafar d'un air faussement courtois.

— Je n'ai pas faim, grogna-t-il sans le lâcher des yeux.

— Bien, alors les dames d'abord.

  Ivène se servit quelques grains de riz et un maigre bout de viande. Nathaniel l'imita et Djafar remplit son assiette de tout ce qui se trouvait sur la table. Nicolas aurait aimé apprécier ce repas, mais face à Djafar, son appétit était coupé.

— N'est-ce pas bon de tous se retrouver autour de cette table ? reprit Djafar en prenant une bouchée de sa viande. Mon fils et sa femme, mon neveu...

  Il leva les yeux vers Nicolas tout en mâchant bruyamment son morceau de viande. Nicolas crut sentir ses lèvres trembler tant il aurait aimé le frapper en plein visage. Tout chez cet homme le rebutait et le poussait à le détester. Absolument tout.

— Où est le corps de mon dragon ? demanda Nicolas entre ses dents serrées.

  Djafar but une gorgée de son vin pour faire passer la viande et s'essuya la moustache avec une serviette en tissu.

— Le beau dragon aux yeux de glace... marmonna Djafar en se léchant les lèvres. Il est en lieu sûr.

— Aucun lieu n'est sûr quand vous n'êtes pas loin.

— Ton dragon n'est pas mort, Nicolas. Il est en vie, les flèches qui l'ont touché n'étaient que des flèches empoisonnées. La vieille dame qui me les a vendu m'a expliqué que le poison sur les pointes venait d'une plante qu'on ne trouve pas dans ce pays. Elle était un peu folle, je suis persuadé qu'elle a trouvé ces plantes quelque part dans le coin, parce-que personne ne traverse les océans, pas même les dragons.

— Alors où est-il ? demanda Nicolas en ignorant les explications de Djafar.

  Il avait les deux mains qui reposaient de chaque côté de son assiette, mais il serra les poings, déjà très en colère alors que cela ne faisait même pas une heure qu'il était en présence de son oncle.

— Je t'emmènerai le voir, si c'était ce que tu te demandais. Tu te doutes que j'ai besoin de toi si je veux le dompter.

— Le dompter ? répéta Nathaniel en posant sa fourchette.

  Djafar lui jeta un regard.

— Oui, Nat, crois-tu que je vais laisser Nicolas promener ses dragons comme on promène son chien ?

— Non, mais...

— Bien, alors cesse tes interventions inutiles, l'interrompit son père.

  Nathaniel ne rétorqua rien, il jeta un bref regard à Nicolas puis porta son attention sur son assiette. Nicolas pouffa de rire et il ne put s'empêcher de sourire d'un air ironique.

— Je crois que vous ne comprenez pas à quel type d'animal vous avez affaire. Un dragon n'est pas un chien et un dragon n'a qu'un maître.

— Tu te définis comme son maître ? s'enquit Djafar.

— Oui.

— Nicolas, le puissant maître des dragons, railla Djafar.

  Il rigola. Il fut le seul. Ce repas s'annonçait long et fort en émotion. Ivène ne touchait pas à sa nourriture, à l'aide de sa fourchette, elle s'amusait à trier tout ce qui se trouvait dans son assiette quand Nathaniel mangeait de tout petits morceaux comme si son appétit avait été coupé. Il n'y avait que Djafar qui s'empiffrait, à croire qu'il avait un appétit d'ogre.

— Justement, reprit Nicolas en appuyant ses coudes sur la table, comme pour se rapprocher de lui. Pourquoi vouloir un dragon ?

  Djafar cessa de rire et posa l'os qu'il était en train de ronger pour ne rien laisser autour. Il le fusilla du regard, son sourire avait quitté son visage et son expression changea complètement.

— Pourquoi pas ? Pourquoi tu pourrais en avoir mais pas nous ?

— Vos yeux ne vous le permettent pas.

  Djafar tapa du poing sur la table, Ivène sursauta et en lâcha sa fourchette. Nathaniel se redressa et jeta un regard surpris à son père qui ne le remarqua guère.

— ASSEZ ! hurla-t-il. Tu te moques de moi et je ne le conçois pas. Pour qui te prends-tu pour me parler comme ça ?

— Pour votre neveu. Une personne de votre famille, Majesté.

  Djafar grinça des dents, ses yeux clairs n'envoyaient que des éclairs et plus rien autour n'existait sauf Nicolas.

— Ne me prends pas pour un idiot ! vociféra-t-il. Tu te crois malin à me parler ainsi, sale gosse ! Je peux te faire enfermer, je peux te faire trancher la tête si je le souhaite.

— Faites-le dans ce cas, mais le dragon mourra, il ne se laissera jamais dompter par un inconnu.

  Nathaniel se mordit les lèvres alors qu'Ivène restait discrète, aussi invisible qu'un fantôme. Djafar tremblait de colère, il ne s'empiffrait plus, il devenait rouge et ce n'était pas sous l'effet de l'alcool.

— Tu te penses plus rusé que moi ? Mais sais-tu au moins ce que tu as fait de ma vie ?

  Nicolas fronça les sourcils.

— Ma vie s'est transformée en cauchemar, j'ai dû te chercher durant des années, parce-que je ne pouvais pas laisser un gamin comme toi dans la nature, Dieu seul sait ce que tu aurais pu faire. On m'a d'abord pris pour un fou avant de me croire lorsque des élevages de moutons disparaissaient mystérieusement. Aujourd'hui, le peuple me verra comme leur sauveur. Je les protège de ce que tu pourrais engendrer... juste avant de gagner toutes les guerres.

— Vous parlez de protection alors que vous détruisez des villages entiers ? Qu'est-ce que vous cherchez au juste ?  Le pouvoir absolu ? Votre père était comme ça lui aussi ? Il aimait le chaos ? Il aimait le sang et la mort ?

— Mon père aimait la guerre et le pouvoir.

  Nicolas se redressa sur sa chaise et haussa les sourcils. Il n'arrivait pas à accepter le fait de faire partie de cette famille. Une famille de tueur et d'hypocrites.

— Et le mien ? demanda Nicolas.

  Le visage de Djafar changea complètement, il s'installa dans le fond de sa chaise et posa ses bras sur les accoudoirs tout en dévisageant Nicolas. Au fond, ce qu'il ne concevait pas, c'était d'avoir un rival. Un membre de sa famille qui plus est.

— Edouard était détesté par son père, c'était l'avorton de la portée comme le disait-il si bien.

— Et Bénédicte ?

  Cette fois, il crut voir une étincelle dans les yeux de Djafar, ce n'était pas de la colère mais de la surprise. Comme s'il venait de toucher un point sensible.

— Elle ne voyait que par son grand frère et elle ne comprenait pas ce que voulait dire régner. C'est dommage car elle aurait pu avoir une belle vie au royaume, une vie bien meilleure que celle qu'elle vit actuellement.

  Nicolas tourna sa langue dans sa bouche, toisant Djafar d'un regard dédaigneux.

— Vous savez qu'elle vit à Hargon et vous avez tout de même ordonné à vos hommes de détruire le village. Je ne comprends pas.

— Je ne fais que suivre les traces de mon père, pour lui prouver que je suis digne d'un roi. Un roi ne doit avoir aucun ennemi se dressant sur son chemin. Je posséderai les terres au delà des océans s'il le faut et je terminerai ce que mon père n'a pas su faire. Je serai lui, en une meilleure copie.

— Alors Nathaniel suivra vos traces par la suite.

   Le concerné releva la tête, comme s'il se réveillait juste et s'amusa à faire tourner son couteau sur la table de bois.

— Bien évidemment que Nathaniel suivra mes traces, c'est mon successeur, depuis tout petit, il sait déjà ce qu'il a faire.

   Djafar avait répondu cela en regardant son fils, comme s'il cherchait à authentifier ses dires. Peut-être se trompait-il et peut-être que Nathaniel ne souhaitait pas le suivre dans cette histoire. Quel homme sensé aurait pu vouloir faire la guerre ?

— Évidement, répondit Nathaniel en souriant à son père.

   Nicolas ne s'y connaissait pas vraiment pour ce qui était d'étudier le comportement des gens mais il était persuadé que ce sourire n'était pas sincère.

— Je ne comprends pas vos intentions et tant que je ne connaîtrai pas toute la vérité, je ne pourrai pas vous aider, annonça Nicolas en reportant son attention sur le roi.

  Djafar se pencha en avant pour se munir de son verre, il en but une grosse gorgée. Bientôt, il serait ivre. Il ressemblait à un monstre buveur de sang, assis sur cette grande chaise digne d'un trône, sa coupe à la main, remplie de liquide rouge et fruité. Il humecta ses lèvres presque entièrement recouvertes par sa sombre moustache avant de lever ses yeux vers Nicolas, assis seulement à deux mètres de lui.

— Tu veux vraiment tout savoir ? Savoir ma vie, celle de ton père et de Bénédicte ? Tu veux vraiment savoir la vérité sur cette famille que tu détestes tant ? Malgré qu'elle ne rapportera rien.

— Oui.

  Peu importe ce qu'il allait entendre, il voulait savoir. Il voulait se projeter dans le passé, connaître la vérité. Djafar n'avait pas pu naître ainsi, il l'était devenu, à l'effigie de son paternel. Alors le départ d'Edouard serait résolu. Peut-être avait-il la tête sur les épaules, peut-être avait-il compris que semer le trouble autour de lui n'était pas la clé pour détenir le pouvoir et le respect de ses prochains.
Parce-que la guerre ne fait pas des miracles. Non, elle détruit tout sur son passage et ne laisse aucun homme indemne.





20 ans plus tôt...


   Ador était au summum de sa beauté. L'Océan aussi majestueux était-il, indomptable et sauvage avec ses vagues toutes plus fougues les unes que les autres. Le village semblait paisible, comme si au-delà des murs du Royaume, la même beauté dominait sur des terres semblables. L'Océan semblait venir de partout, comme si aucune forêt, aucune prairie, aucune colline, aucun village, n'en était privé. Mais seuls les voyageurs, les armées et quelques courageux savaient que ces croyances étaient fausses.

   Pourtant, au château du roi Martin, la beauté n'était pas au rendez-vous. Il avait demandé à ce qu'on installe les rideaux les plus sombres du Royaume à chaque fenêtre. L'endroit en comprenait plus d'une centaine. Il n'aimait pas le soleil, ni le bonheur de son peuple. Il n'avait même jamais aimé celui de sa femme, comme lorsqu'elle lui assurait qu'elle l'aimait.

— J'ai dit, que je voulais TOUS les rideaux les PLUS sombres de ce Royaume. Pourquoi les fenêtres à l'Ouest ne sont-elles pas couvertes ?

— Il n'y en a plus, votre Majesté, mais nous pouvons en faire parvenir d'ailleurs d'ici quelques mois.

— J'espère que vous vous moquez de moi ! J'ai dit que...

— Papa, papa, regarde mon oiseau en papier ! cria une petite voix fluette.

   Le roi qui menaçait de son doigt potelé son valet se retourna pour faire face à sa fille qui courait autour du trône. Elle s'amusait à faire voler une petite figurine de papier au dessus de sa tête tout en sautillant. Elle croyait à un oiseau, mais les ailes étaient bien trop longues.

— Qui a fait cela, Bénédicte ? demanda-t-il de sa voix grave.

— C'est Edouard ! Et il m'a dit que je volerai au dessus de l'Océan comme un oiseau moi aussi, mais seulement quand je serai grande !

  Martin se leva de son trône, arrêta sa fille qui courait et lui arracha l'oiseau des mains. Il le déchira juste sous ses yeux qui se mirent à briller. Elle ne retint pas ses sanglots qui se firent entendre dans tout le Royaume.

 

   Non loin d'ici, Edouard se battait contre son frère. Tout deux étaient rivales, leur père les avaient élevé de cette façon. Depuis leur plus jeune âge, ils se battaient à l'épée pour voir qui gagnerait après des années d'entraînement. Ils étaient nés jumeaux, bien qu'ils ne se ressemblaient aucunement. Il était rare qu'un tel phénomène arrive et Martin avait haït sa femme pour cela. Il avait donc fait en sorte qu'ils soient en perpétuelle compétition, pour voir qui mériterait le trône après sa mort.

   Il poussa les lourdes portes de la pièce, elles claquèrent derrière lui ce qui déstabilisa Edouard, son frère en profita pour le désarmer et le faire tomber par terre. Il pointa ensuite son épée sur sa gorge, comme s'il était prêt à le tuer.

— Excellent travail, fils. Il n'en est pas de même pour ton frère.

   Edouard se releva et se tourna vers son père en essuyant ses mains sur son pantalon souillé.

— J'ai été déstabilisé par votre entrée, père.

   Martin l'assassina de son regard de glace avant de lui jeter à la figure tous les petits morceaux de papier qu'était devenu l'oiseau qu'il avait conçu pour sa petite sœur. Le visage d'Edouard se ferma. Il était à peine âgé de dix neuf ans et depuis toutes ces années, il était traité comme un moins que rien par son père.

— Je peux savoir ce qui t'es passé par la tête lorsque tu as fabriqué cette babiole pour ta sœur ? gronda-t-il.

— Rien du tout, je voulais seulement lui faire plaisir pour qu'elle joue.

  Martin s'avança vers son fils, il le dépassait d'une tête. Il était grand, large des épaules, une véritable montagne comparé à Edouard qui était frêle certainement dût à son jeune âge et au fait qu'il ne buvait jamais d'alcool.

— Qu'on soit clair, toi et moi, Edouard. Si tu conçois une nouvelle fois un dragon à ta sœur, je te fais couper les mains.

— Un dragon ? répéta Djafar.

— C'est ce qui a tué votre mère.

— C'est faux, elle est morte en mettant au monde Bénédicte ! rétorqua Edouard.

— Elle est morte car elle n'avait rien de normal ! cria son père. Cesse de me tenir tête ou je te ferai enfermer !

— Je le suis déjà ! Je n'ai ni le droit de sortir, ni le droit de concevoir des origamis ! Tout ça parce-que tu crois que les dragons sont des monstres ! Ce ne sont que des histoires ! Je suis jeune et toi tu m'enfermes dans un château duquel on ne peut même pas voir l'Océan à cause de tes immondes rideaux sombres !

  La main de son père vint faucher son visage juvénile. Sa tête valsa sur le côté et il faillit perdre l'équilibre. Il porta aussitôt sa main à sa joue devenue rouge et fusilla son père du regard. Ce dernier lui attrapa farouchement le menton pour approcher son visage du sien. De son côté, Djafar assistait à tout dans le plus grand des silences, entièrement dévoué à son père. Il l'avait toujours respecté, il avait toujours suivi ses règles, il s'était toujours plié à ses volontés quand Edouard n'en faisait qu'à sa tête. Il ressemblait bien trop à sa mère et trop peu à son père.
Martin avait la réputation du roi fou, et lorsqu'on découvrait ce qui se passait entre les murs de sa demeure, les rumeurs se confirmaient.

— Si quelqu'un doit avoir le don d'approcher ces bêtes, comme ta mère l'avait, c'est bien ton frère. Tu n'es pas digne de ce pouvoir alors cesse de t'obstiner à créer des origamis ridicules et à vouloir sortir de ce château. Tu resteras enfermé jusqu'à ta mort, n'étant pas digne du trône, tu seras alors voué à assister ton frère qui deviendra ton roi.

   Martin le haïssait. Il était jaloux, tout comme il avait été jaloux le jour où sa femme lui avait avoué avoir approché un dragon un jour. Ça s'était arrêté là, elle était jeune et ils venaient de se rencontrer, Martin avait tout de suite compris que quelque chose clochait. Il était tombé amoureux de ses yeux, ils étaient différents, étincelants comme la braise, jaunes comme le feu. Alors il s'était marié à elle et avait fait en sorte qu'elle ne quitte plus le château. Le jour où elle mit au monde leur troisième enfant, un bébé non désiré qui était né d'un adultère, il l'avait empoisonnée. Elle mourut les jours qui suivirent et tout le monde crut qu'elle était tombée malade, affaiblie par l'accouchement de sa fille.
Il avait alors espéré que son fils préféré, Djafar, ait hérité du même don que sa mère.

— Mère avait un don ? s'étonna Djafar.

— Bien-sûr, fils, et tu as le même don.

   Martin n'avait pas les gênes de sa femme, il n'avait donc pas ce don. Mais si son fils adoré l'avait, alors ils pourraient aller plus loin que l'Océan, faire grandir la guerre et posséder encore plus de terres. Ils seraient adulés, respectés et personne n'oserait s'opposer à leur règne. Le père de Martin avait déclaré une guerre que peu de personne pouvait voir, elle se déroulait bien trop loin d'Ador. Martin avait suivi la marche et avec des dragons, alors il entrerait dans l'histoire. Djafar lui ressemblait comme deux gouttes d'eau, les cheveux sombres, la peau claire, les yeux glaçant. Il avait la même prestance, les mêmes envies. Il était le futur d'Ador et la fierté de son père alors qu'Edouard était une erreur de la nature, ressemblant bien trop à sa génitrice, ce qui ne faisait qu'attiser la haine qu'il entretenait à son égard.




Aujourd'hui ...


— Mon père avait subi des sévices qu'aucun homme ne devrait subir un jour dans sa vie, même le plus grand des criminels. Son père était cruel, bien plus que lui ou que moi.

   Nicolas toisait Djafar sans un mot. Ce récit en était devenu étrange. Bénédicte était née d'un adultère, ce qui voulait dire qu'elle n'était pas réellement la sœur d'Edouard, qui lui, était en fait le jumeau de Djafar. Cette soif de pouvoir avait suivi des générations, jusqu'au jour où Martin découvrit qu'on pouvait approcher les dragons, ces créatures qui, auparavant, étaient leurs ennemis. Si l'homme pouvait voler et cracher du feu, la guerre prenait une toute autre tournure.

— Vous avez les mêmes envies que lui, alors vous m'enfermerez comme il a enfermé sa femme, pas vrai ? souffla Nicolas secoué par ces révélations.

   Ce don venait alors de sa grand-mère, ou bien de son père... Edouard l'avait certainement caché à tous ses proches, pourtant, c'était un dragon qui lui avait arraché la vie.
Pas n'importe lequel.

— Je t'enfermerai jusqu'à ce que tu coopères. Je suis né pour cela, j'aurai ce que mon père a toujours voulu.

— Vous vous rendez compte que c'est sordide ? C'est le discours d'un fou ...

   Djafar releva le menton, considérant Nicolas comme un vulgaire objet. Il jeta un regard à ses soldats dans son dos et leur ordonna, d'un signe de tête, d'emmener Nicolas. Ils le levèrent brusquement, saisissant ses bras. Les pieds de Nicolas traînèrent sur le sol. Il croisa d'abord le regard effrayé d'Ivène avant de se concentrer sur son oncle.

— Ça ne vous conduira qu'à la mort ! C'est vous le roi fou !

   Puis les portes se refermèrent dans un bruit sourd. Ils le conduisirent jusqu'à une petite chambre, tout en haut du château et ils fermèrent la porte derrière eux. La pièce était semblable à un placard, le lit était poussiéreux et la chaise de bureau était presque détruite.

   Nicolas s'avança vers la fenêtre aux rideaux sombres. Il les observa en se rappelant le récit de Djafar avant de les ouvrir pour observer l'extérieur. Il avait vu sur une grande partie d'Ador là-haut et il pouvait voir l'Océan et l'horizon, comme s'il était infini.

   Peu de temps après, on frappa à sa porte avant que le cliquetis du verrou ne retentisse. Il se retourna vers celle-ci, croyant faire face à Djafar mais ce ne fut pas le cas.

  Nathaniel referma la porte derrière lui et plongea son regard bleu azur dans celui de son cousin. Il n'avait plus l'air dédaigneux qu'il avait eu le jour où il lui avait tiré dessus. Il semblait différent, totalement changé.

— Nous devons parler de mon père.











Je vous remercie d'avoir lu !

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