Découverte effrayante
Nicolas se réveilla en sursaut, des perles de sueur brillaient sur son front et sa poitrine se soulevait à un rythme bien trop rapide. Assis au milieu de son vieux lit peu confortable, il posa sa main sur son torse et déglutit difficilement. Par les fins rideaux passait la lumière du jour, dehors, les rues semblaient déjà bondées de monde.
Il se leva rapidement et enfila ses vêtements. Fin prêt, les cheveux plus ou moins bien placés, il sortit de sa pauvre chambre de chevalier. Quand il se retourna après avoir fermé la porte, il tomba nez-à-nez avec un jeune garçon. Son vieux pantalon blanc et son pull troué lui disaient vaguement quelque chose ...
Le jeune homme jeta le trognon de sa pomme par terre, des mouettes s'empressèrent alors de venir le picorer, et il lui tendit une main pleine de jus.
— Salutations ! Moi, c'est Archibald ! Oui, je t'entends déjà me dire que ce prénom fait très noble mais on pourrait dire la même chose du tiens !
Nicolas haussa les sourcils et le considéra longuement sans dire un mot. Archibald gardait sa main tendue, attendant patiemment que Nicolas la lui serre. Il souriait de toutes ses dents, celles-ci étaient plus ou moins noircies par la crasse. Visiblement, il ne devait pas se laver très souvent.
— Excuse-moi, commença Nicolas. Est-ce que l'on se connaît ?
— Non ! Mais tout bon chevalier a un écuyer et surprise ! Je suis ton écuyer.
— Un écu-quoi ?
— Un écuyer, tu sais pas ce que c'est ? Est-ce que tu as un cheval ? Ah, non ... Toi ton truc, c'est les dragons, pas vrai ?
Nicolas poussa un profond soupir, ce garçon parlait beaucoup trop. Il devait être âgé du même âge que lui, il avait de longs cheveux bruns attachés dans une queue basse et négligée, ses yeux étaient aussi sombres que ses cheveux et il était petit, plus ou moins maigrelet.
— Je n'ai pas le temps pour m'amuser, j'ai du travail.
— Oui justement, je suis venu te dire que le roi Djafar souhaiterait te voir.
Nicolas ne rétorqua rien. Il savait qu'il fallait bien se retrouver face à lui un jour ou l'autre. Mieux valait maintenant plutôt que trop tard. Au moins, il se souvenait encore de l'intonation de sa voix, de ses yeux vicieux et de sa prestance malfaisante.
— Bon, avant de partir, tu comptes me serrer la main ? J'ai l'impression de passer pour un bouffon.
Nicolas hésita, mais il la lui serra tout de même, brièvement et assez fermement pour paraître viril. Il essuya sa main sur son pantalon, le jus de la pomme était collant.
Et tous deux marchèrent dans la rue, remontant jusqu'au château qui dominait tout Ador.
À l'entrée, pas la peine de se présenter, les gardes les laissèrent passer sans même se méfier. Nicolas suivit Archibald dans la cour du château, apparemment, il connaissait bien l'endroit. Des chevaliers se baladaient à côté de leur monture, de belles femmes vêtues de somptueuses robes marchaient à côté de bels hommes parfaitement apprêtés et la verdure ici était flamboyante. Une fontaine trônait au milieu de la cour, l'eau était une mélodie douce que Nicolas appréciait, comme lorsqu'il restait près de la rivière les jours où le soleil était haut dans le ciel.
Les lourdes portes du château s'ouvrirent lentement lorsqu'ils posèrent leurs pieds sur la première marche. Et Djafar apparut, vêtu de noir, accompagné par des hommes que Nicolas n'avait jamais vu. Mais à en voir leur carrure, leur casque et leur tenue, mieux valait ne pas s'y frotter !
Djafar descendit les marches et s'arrêta devant Archibald et Nicolas. Il lança un bref regard à l'écuyer puis s'attarda sur Nicolas, un rictus courbant les commissures de ses lèvres fines.
— Que penses-tu de Ador ? demanda le roi de sa voix grave.
— C'est vivant, répondit Nicolas d'un ton neutre et détaché.
Chaque fois qu'il se retrouvait face à Djafar, l'image de son dragon lui revenait en mémoire et le forçait alors à se rappeler que la personne qu'il avait face à lui n'était autre qu'un homme sans pitié.
— Parfait ! Je sens que ce Royaume te plaira, les murailles, la mer, le port, les femmes, la bière mais également le village, si beau et animé ! N'est-ce pas plus accueillant que Hargon ?
Sa dernière question eut l'effet d'un coup de poing dans l'estomac. Nicolas serra ses poings, et ravala toutes les insultes qu'il aurait aimé lui cracher en pleine figure.
— Hargon est un village pauvre. On m'a appris à ne jamais comparer ce qui n'est guère comparable.
— Comme bon te semble, mon petit. J'ai quelque chose à te montrer aujourd'hui. La chose pour laquelle j'ai besoin de toi. Alors je vais te demander de me suivre, de ne pas poser de questions, de regarder et de ne pas protester si jamais tu te sens offensé.
— Ça ne va donc pas me plaire, en déduit Nicolas.
— Tu verras par toi-même.
Quelques minutes plus tard, Nicolas se retrouva embarqué sur un bateau. À bord se trouvait des marins, des gardes armés et Djafar. Archibald avait le mal de mer et ne cessait de vomir par dessus bord. Nicolas scrutait l'horizon, toujours plus beau et rayonnant. L'océan semblait interminable, les vagues faisait onduler l'eau et les fonds marins étaient imperceptibles.
— Que le Seigneur ait pitié de mon estomac, grommela Archibald entre deux rots, j'ai l'impression de vomir mes tripes.
Nicolas se décala de lui, ne souhaitant pas recevoir des giclées à cause du vent. Djafar se posta à côté de Nicolas, ses longs cheveux au vent, virevoltant sauvagement dans sa nuque, caressant ses joues. Son visage était carré, ses lèvres retroussées naturellement et sa peau pâle le rendait plus terrifiant.
— Où va-t-on ? demanda Nicolas sans lui jeter un seul regard.
— Loin d'Ador.
— Le voyage sera long ?
— Il ne durera pas la journée. Nous nous rendons dans une cité perdue.
Nicolas daigna enfin lui jeter un regard, certainement pour l'interroger. Pourquoi se rendre dans un endroit abandonné ? Quel était le but de Djafar ? L'exécuter derrière le dos de tous ?
— Ne sois pas effrayé, Nicolas, il y a quelque chose que je dois te monter là-bas.
— La cité est inhabitée depuis combien de temps ? s'enquit ce dernier.
— Quelques années. Il y a eu la guerre là-bas, puis la famine a emporté avec elle les derniers survivants.
— Je trouve ça terrible ...
— La guerre ? demanda Djafar.
— Non, la famine.
Djafar haussa ses épaules, les yeux rivés sur l'eau profonde qui s'étendait à perte de vue.
— La guerre est tout aussi cruelle, déclara-t-il.
Mais Nicolas ne rétorqua rien, car au fond de lui, il avait l'impression que le roi souhaitait déclarer la guerre. Mais à qui ? Il avait rejoins la civilisation depuis peu, alors il ne pouvait pas réellement savoir si Djafar avait des ennemis. Des Seigneurs souhaitant prendre le trône, des rebelles préférant se battre pour leur liberté ... Il n'avait jamais connu le sang, la souffrance et la peur. Du moins, pas de la même manière que tous les hommes.
Quelques heures défilèrent lentement avant d'arriver à l'endroit souhaité. Ils quittèrent le bateau, Djafar étant bien entouré. Archibald semblait ravi, il allait enfin pouvoir respirer et ne plus vomir sans s'arrêter.
Ils traversèrent la cité, en effet, certaines constructions étaient détruites, les rues étaient poussiéreuses, et si quelques chiens errants passaient par là, cela relevait du miracle. C'était silencieux, il y avait quelques oiseaux qui les survolaient, et c'était certainement les seuls êtres vivants qu'abritait cette île.
Djafar le mena jusqu'aux falaises et ils durent descendre de gros rochers. Le temps avait formé un chemin que les hommes pouvaient emprunter, tout en restant prudent. Les vagues s'écrasaient contre la roche sous eux, et mieux valait garder la tête levée plutôt que de tenter un regard vers le bas.
Ils entrèrent alors dans une crevasse énorme, les hommes de Djafar allumèrent aussitôt leur torche et ils s'aventurèrent dans l'obscurité humide de la roche. Que venaient-ils faire ici ?
— Ça pu ! se plaignit Archibald en se pinçant le nez, on dirait bien que quelqu'un est mort ici !
— Pourquoi l'écuyer est-il monté avec nous ? bougonna Djafar.
Nicolas, lui, sentait son cœur se serrer. Il avait longuement vécu dans des grottes, même si celles-ci se trouvaient dans les montagnes. Retourner dans des endroits humides et sombres comme ceux-ci, c'était faire resurgir tout un tas de souvenirs.
Ils s'arrêtèrent devant des escaliers. Nicolas en fut surpris, comment des escaliers pouvaient-ils se trouver ici ? Cet endroit était-il habité auparavant ? Étaient-ils passés par une entrée secrète ?
Djafar se tourna vers lui, posant ses mains sur ses épaules. Il plongea son regard bleu dans celui de Nicolas, l'obscurité cachait l'expression de son visage.
— Prends une torche et descend ces escaliers.
— Pourquoi ? Pourquoi ne venez-vous pas avec moi ?
— Tu connaîtras la réponse une fois en bas.
— Où sommes-nous ?
— Le lieu n'importe peu.
— Bien-sûr que si ! Qui a bien pu construire sous des roches ?
— Là n'est pas la question.
Un homme tendit une torche à Nicolas. Ce dernier la saisit d'une main molle, jeta un dernier regard suspicieux en direction de Djafar, puis descendit lentement les marches. Il n'était pas rassuré, ni par le silence, ni par le roi.
Ils semblaient l'emmener plus profondément sous la roche, c'était comme un passage secret vers un endroit interdit. Son cœur palpitait contre sa poitrine et des gouttes de sueur commençaient à se former sur son visage.
Lorsqu'il descendit la dernière marche, la lumière des torches des hommes de Djafar avaient disparu. Seules les flammes de Nicolas l'éclairait. Un étrange grondement résonnait dans la pièce obscure, comme un souffle ou du tonnerre. Et sans savoir pourquoi, les jambes de Nicolas devinrent flageolante, son pouls accéléra et ses mains tremblèrent.
Il arrêta de marcher dans le noir, pour ne pas trop s'éloigner des escaliers. Puis d'un mouvement mal contrôlé, il balaya la salle avec sa torche pour l'éclairer. Il crut percevoir quelque chose dans le noir, alors il recommença, balayant la pièce de sa lumière pour y voir plus clair.
C'est alors que son sang se glaça. Un œil. Il avait vu un œil.
Il était jaune. Vif. Menaçant.
Il était similaire aux yeux du dragon qu'il voyait dans ses cauchemars.
Des tintements de lourdes chaînes retentirent avant que des flammes ne jaillissent du noir. Nicolas fit un bond en arrière, manquant de se faire carboniser.
Un dragon.
Au fond de cette pièce se trouvait un dragon et sa couleur se confondait parfaitement avec l'obscurité du lieu.
La bête poussa un rugissement terrifiant avant de cracher de nouvelles flammes. C'est sans attendre que Nicolas fit volte-face et grimpa les marches quatre à quatre. Il courut aussi vite que possible, le cri de la bête résonnant entre les pierres. Puis il sortit dehors, et faillit bien tomber à l'eau. Mais quelqu'un saisit sa cotte de mailles et le retint avant que la catastrophe n'ait lieue.
Nicolas fit face au vide le temps de quelques secondes, il eut même la sensation de tomber, battant des bras comme si cela allait l'aider à garder l'équilibre. Sa torche chuta et frappa l'eau violemment.
Puis Nicolas fut plaquer contre la roche derrière lui. Il tremblait de tous ses membres, ses yeux étaient grands ouverts et il haletait comme jamais.
Djafar devant lui, le transperçait de ses yeux de glace.
— L'as-tu vu ? demanda-t-il tout en grinçant des dents.
— Qui a emprisonné cette bête ?! hurla Nicolas effrayé.
— Tu l'as vu ... assura Djafar en souriant.
Nicolas tenta de le repousser mais Djafar le colla une nouvelle fois contre la roche. Plus brutalement. Le vent était violent de ce côté, et l'océan semblait tourmenté.
— Qu'as-tu vu ? questionna Djafar.
Nicolas le fusilla du regard, la mâchoire crispée et les lèvres retroussées.
— Dis-le moi ! Qu'as-tu vu ?!insista le roi.
Nicolas déglutit difficilement. Secoué par cette brutale rencontre. Jamais encore, il n'avait eu aussi peur. Et jamais encore, il n'avait senti une telle détresse.
— J'ai vu un dragon...
Je vous remercie d'avoir lu !
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