Dans les montagnes
« Descendez ici, nous, on a de la marchandise à livrer et il est hors de question qu'on reste avec des fugitifs comme vous, on risquerait de nous faire la peau. L'argent, ça passe avant la vie des gens. »
C'était ce qu'avait dit le capitaine du navire, un homme robuste, poilu, aux cheveux noirs et gras. Il avait dit cela lorsqu'ils furent forcés de quitter le navire, au loin, on pouvait apercevoir des montagnes, ils avaient été jetés sur une vieille barque en mauvais état. Archibald avait bien failli la faire couler, mais ils avaient réussi à la stabiliser.
Alors depuis quelques longues minutes déjà, Nicolas et Paul ramaient comme ils le pouvaient, parfois ils n'étaient pas coordonnés, mais dans l'ensemble, la barque flottait et avançait vers la rive, c'était le principal. Yselda observait les paysages qui lui étaient si familiers, avec un peu de chance, d'ici quelques jours ou quelques semaines, ils rejoindraient Paraviel.
Lorsqu'elle posa son pied sur les galets, la première sensation qui l'envahit fut une vague de bonheur. C'était triste de ressentir cela alors que des tas d'innocents étaient morts brûlés par des dragons. Mais elle respirait à nouveau l'air de chez elle. Les montagnes, les forets et les plages de galets comme elle les connaissait tant, étaient pour elle, un réconfort.
Archibald poussa un cri lorsque ses béquilles glissèrent sur les galets humides et qu'il tomba la tête la première par terre. Paul ricana tout en tirant la barque avec Nicolas sur la rive alors qu'Yselda s'empressa de le remettre sur pieds.
— Est-ce que ça va ? Tu ne t'es pas fait mal ? demanda-t-elle.
L'écuyer pris appuie sur les béquilles et souffla un grand coup pour vider l'air de ses poumons.
— Ça va, mais j'en ai ma claque de devoir me déplacer avec ça. Vous pouvez m'expliquer comment je suis censé vous suivre à travers la forêt et ses chemins tous plus dangereux les uns que les autres avec des béquilles ?! gronda-t-il.
— Tu n'as qu'à monter sur le dos d'un dragon, railla Paul en lui donnant une tape sur l'épaule.
Il lui passa devant et commença sa marche vers la forêt un petit peu plus loin. Nicolas le suivit sans un mot pour ses amis et Yselda l'imita, tout comme Archibald qui grommela durant de longues minutes. Il peinait à se remettre des images désastreuses qui s'étaient déroulés sous ses yeux. Malgré qu'il ait mangé sur le bateau, son ventre continuait de crier famine depuis les jours de jeûne qu'il avait passé dans les cachots du château. Archibald se demandait même comment il faisait pour avoir faim après l'odeur de chair brûlée qui avait régné sur la place d'Ador, les cadavres de pauvres innocents empilés les uns sur les autres ... il frissonna rien qu'en y repensant.
Quelques mètres plus loin devant, Paul rejoignit Nicolas et marcha à son rythme. Il lui jetait quelques regards discrets mais n'osait pas vraiment engager une conversation. Et pourtant, sa curiosité prenait le dessus à chaque fois.
— Depuis des jours tu n'as décroché un mot, Nicolas tu sais que nous sommes tes amis et que...
— Je t'arrêtes avant que tu ne continues à dire n'importe quoi, l'interrompit Nicolas en enjambant un vieux rondin de bois. Tu es tout sauf mon ami, Paul, et je ne sais même pas pourquoi tu nous as aidé alors que tu étais censé être un chevalier et servir le roi.
— Parce-que j'ai vu tes dragons. Pour la première fois de ma vie, toutes les histoires que j'ai pu entendre jusqu'à ce jour, je me rends compte qu'elles ne sont pas inventées. Je dois te le dire, ces créatures sont magnifiques... si puissantes...
Nicolas ne rétorqua rien. Il ne digérait pas toutes ces révélations. D'abord, il pensa à toutes ces idées qui s'étaient bousculées dans sa tête. Il avait reconnu le dragon noir, il avait su que c'était ce même dragon qui l'avait coincé sur cette montagne alors qu'il était âgé de treize ans. Et son cauchemar, si sombre et terrifiant ... il comprit alors qu'il ne voyait autre que la mort de son père et le jour de sa naissance.
Un jour si triste pour Hargon.
Puis Djafar... son oncle.
Nicolas poussa un grognement et se pris les pieds dans une ronce, il tomba tête la première dans les feuilles et la terre, s'écorchant les bras. Il se mordit la langue pour ne pas crier tout un tas d'injures alors qu'un grognement animal retentit à travers les buissons.
Ses amis s'arrêtèrent tandis que Nicolas s'appuyait sur ses mains pour voir d'où pouvait bien provenir ce bruit. Peu à peu, les grognements semblaient venir de tous les coins, donnant à cette forêt, pourtant rassurante, une ambiance obscure et inquiétante.
— Des loups... murmura Yselda. Ce sont des loups !
Archibald fut pris de panique, il avança le plus vite possible à l'aide de ses béquilles pendant que Paul relevait Nicolas pour prendre la fuite.
Ils coururent sur les chemins de terre, sautant par dessus les obstacles qui se présentaient à eux. Les grognements ne cessaient pas, les loups les suivaient, toujours tapis dans l'ombre et plus vifs que jamais.
Quand Yselda poussa un cri, Nicolas se retourna et la vit rouler dans la terre et les fourrées, attaquée par l'une des bêtes pendant que les autres prenaient la fuite, elle tentait de lui coincer la tête pour ne pas qu'il la morde tandis que l'animal ne cessait de faire claquer ses mâchoires entre elles.
Mais pourquoi les loups les attaquaient-ils ? Est-ce qu'ils étaient sur leur territoire ?
Nicolas eut une idée, il se précipita vers un arbre au tronc proéminent et s'accrocha à l'une des branches, à l'aide de ses pieds, il grimpa jusqu'à se trouver assez haut. Il avait l'habitude de grimper aux arbres et aux rochers. Durant cinq longues années, c'était l'une de ses occupations préférées. Il s'immobilisa sur une branche solide et se munit de son arc et de ses flèches qu'il avait volé à Ador sur le champ de bataille. Il visa à travers les feuilles, tendit la corde le plus possible, souffla lentement par la bouche et tira une première flèche qui vint se loger dans le dos du loup qui s'en prenait à Yselda. La bête s'affala de tout son poids sur la jeune fille. Nicolas ne s'arrêta pas là, il reprit une flèche, chercha à travers les branchages d'autres bêtes et tira sur un loup qui s'approchait dangereusement d'Archibald, de la bave dégoulinant de ses babines à l'idée de n'en faire qu'une bouchée. Il réitéra son action sur un troisième qu'il toucha à la patte arrière. Après que l'animal eut couiné, les loups prirent la fuite et les grognements cessèrent.
Quand il descendit de l'arbre, il accourut voir Yselda qui peinait à se libérer de l'être mort qui l'écrasait. Nicolas fit glisser la carcasse de l'animal sur le côté et affronta le regard glaçant de celle qui fut son amie. Elle lui jeta un regard et se releva seule, sans accepter l'aide qu'il lui proposait en lui tendant poliment la main.
— J'aurais pu me débrouiller toute seule, grommela-t-elle en s'époussetant. Je n'avais pas besoin de ton aide.
— Je t'en prie, tout le plaisir est pour moi, rétorqua Nicolas sur un ton sarcastique.
Ils avancèrent quelques mètres avant de rejoindre la rivière et une clairière illuminée par le soleil. Un endroit bien plus calme et rassurant que la forêt devenue soudainement sombre lors de l'attaque des loups. Malheureusement, ils n'étaient pas près de trouver le repos. En effet, un bruit sourd retentit suivit d'un rugissement troublant. De la montagne non loin de là, descendit une immense créature à la peau rugueuse et rouge. Elle faisait contraste sur les roches clairs et anciennes, émiettant la pierre sous ses énormes griffes.
Elle sauta de quelques mètres pour se poser dans les hautes herbes et les aplatir sous ses pattes, elle déploya ses ailes et ouvrit grand la gueule pour rugir à nouveau. Puis, elle prit de l'élan et se mit alors à courir droit sur eux.
— Nicolas ! s'exclama Archibald pétrifié. Fais quelque chose !
Paul brandit son épée et Yselda l'imita, tous deux prêts à se battre et probablement perdre la vie face à une créature pareille. Alors que Nicolas gardait ses yeux rivés sur elle. Elle était menaçante, gigantesque et terrifiante.
Nicolas mis ses mains en avant, tout son corps tremblait, car il peinait à reconnaître la bête qu'il avait sous les yeux. Et pourtant, il savait qu'il la connaissait. Il savait qu'il avait partagé de longues années à ses côtés. Qu'il l'avait protégée, chérie et vu grandir.
— HARGON ! hurla-t-il. Arrête je t'en conjure !
Le dragon s'arrêta, ses énormes pattes griffues marquèrent le sol et Hargon baissa sa gueule au niveau de Nicolas. Ce dernier croisa son regard écarlate, mais la bête ne semblait pas vouloir le reconnaître, aveuglée par une haine terrible.
— C'est moi... souffla Nicolas dans un dernier espoir.
Le dragon se redressa brusquement quand Nicolas s'approcha de lui, il rugit de nouveau tout en déployant ses ailes dont l'une restait marquée par le passé.
Cela ne faisait plus aucun doute à présent.
Nicolas avait un nouvel ennemi.
Je vous remercie d'avoir lu !
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