Au fond du gouffre
Il y avait ce bruit incessant, celui de petites gouttes d'eau qui tombaient dans des flaques. Cette odeur régnante, celle de la terre humide, une odeur d'argile, légèrement gênante. Il y avait cette vaste obscurité, de petites torches luttaient contre celle-ci, mais ce n'était pas suffisant. Pas de fenêtres, rien qui laisserait entrevoir le jour.
— Lâchez-moi bande de brutes ! Je peux marcher toute seule !
Yselda se débattait, les pieds ne touchant plus le sol, une vilaine balafre sur la joue et un bleu sur le menton. On ouvrit une porte en acier rouillé qui grinça puis on la jeta sur le sol terreux, comme un vulgaire objet sans valeur. Elle se râpa les coudes, grogna et se releva brusquement. Elle se jeta sur la grille qui se ferma sous son nez. Elle tapa dessus et poussa tout un tas d'injures.
— Allez vous faire voir ! Bande de sales types ! Vous n'êtes pas digne de porter votre épée !
Bien entendu, crier ainsi était inutile puisqu'ils partirent sans un regard pour elle. Elle recula de quelques pas, les poings serrés, le souffle rauque mais aucun plan d'évasion en tête. Finalement, elle poussa un profond soupir, laissa ses épaules s'affaisser et s'assit contre le mur, face à la grille, les genoux contre sa poitrine.
Avec ses ongles, elle raclait la terre et dessinait des formes hasardeuses. Cela semblait lui faire passer le temps. Sûrement resterait-elle longtemps dans ces cachots. Quelle idée de s'introduire dans le château du roi. Yselda était une tête à claque, elle n'en faisait qu'à sa tête et se mettait souvent en danger. Pourtant elle savait manier l'épée, mais face à autant d'hommes, elle avait fini par perdre et se faire attraper, malgré son agilité et sa rapidité.
— Crois-moi, ces types là sont brutes avec toutes les femmes, sans exception. Ce sont des ours, ni plus ni moins ...
Yselda tourna la tête sur la gauche et à travers l'obscurité, aperçut une chevelure dorée. Une jeune femme était enfermée dans un cachot à côté du sien, elle portait une robe contrairement à elle qui était habillée comme un chevalier.
— Je tiens à préciser qu'ils sont brutes avec les hommes aussi, ils ne font pas trop la différence, intervint quelqu'un d'autre.
Cette fois-ci, elle regarda à droite, et aperçut un jeune homme dans un coin d'un autre cachot, les jambes tendues dans la terre et le visage crasseux, quelques croûtes sur les joues dût à des coups qu'il avait dû se recevoir.
— J'en ai rien à faire, si je suis venue ici, c'est pas pour rester prisonnière. Donc, quand ils viendront nous donner à manger, je ferai en sorte de m'échapper.
— En général, ils viennent une fois dans la semaine, expliqua la jeune fille. T'as le temps d'élaborer un super plan.
— Sans armes, elle n'ira pas bien loin, assura le garçon.
— Eh oh, je suis là, et j'entends tout ! Vous ne me connaissez pas, vous ne savez pas de quoi je suis capable.
— T'es habillée comme un garçon, j'ai jamais vu ça, remarqua-t-il.
— Je t'enm...
— Archibald, ça te sert à quoi de critiquer comme ça ? grommela la blonde.
Yselda leva les yeux au ciel et colla sa tête contre le mur. Elle ferma les paupières quelques secondes, tentant de comprendre comment elle avait fait pour se faire prendre. Elle avait été discrète pourtant, elle avait tout fait dans les règles de l'art. Elle le faisait sans arrêt à Paraviel, et il avait fallu que cette fois, ça ne marche pas. Elle s'en voulait car elle ne le retrouverait jamais enfermée ici.
— On va tous mourir ici, se plaignit Archibald.
— Quel pessimiste, pesta Yselda.
— Et toi, tu fais quoi ici ? questionna la jeune fille. Pourquoi tu es habillée comme un homme ?
Yselda resta silencieuse un moment. Elle pouvait bien leur parler, après tout, ils étaient tous les trois enfermés ici.
— Je vous connais pas, pourquoi je devrais vous parler ?
— Faisons les présentations dans ce cas ! Moi, c'est Archibald, et toi ? s'enthousiasma-t-il.
Yselda lui jeta un bref regard.
— Yselda ...
— Je m'appelle Ivène... souffla la belle blonde.
Mais ses cheveux semblaient tirer vers le roux. Yselda lui adressa un faible sourire avant d'entamer ses explications.
— J'ai infiltré le château du roi.
Archibald écarquilla les yeux et pouffa de rire.
— T'en as du courage toi ! s'esclaffa-t-il.
— T'as pas froid aux yeux ... commenta Ivène.
— Je venais chercher quelqu'un et venger ... venger ... quelque chose.
— Tu venais venger quoi ? s'enquit Archibald.
— Tu venais chercher qui ? demanda Ivène.
Yselda entoura ses jambes de ses bras et posa sa tête sur ses genoux. Elle regrettait presque son choix de se rendre ici, jamais elle n'avait imaginé échouer. Elle détestait échouer. En plus de cela, ils lui avaient confisquer son épée, Jade. C'était son porte bonheur, elle ne supportait pas ne pas l'avoir avec elle. Ils l'avaient littéralement dépouillée, sans aucun respect pour elle qui n'était qu'une jeune fille.
— Je venais chercher un ami, je lui avais promis. Je ne l'ai pas trouvé, je me suis dit qu'il était peut-être aux côtés du roi, alors j'ai décidé d'infiltrer le château. Au début, tout allait bien, avant que je ne me fasse prendre par deux soldats. Je les ai tué, mais toute une armée est arrivée. Avant qu'ils ne m'emmènent, j'ai aperçu le roi et son regard électrique. Je crois qu'il m'a reconnu et je crois qu'il sait pourquoi je suis là ...
Archibald et Ivène l'avaient écoutée sans un bruit. Un court silence régna avant qu'Ivène ne prenne la parole.
— Tu connais le roi ? s'enquit-elle.
— Pas vraiment, mais il est déjà venu à Paraviel.
Des bruits de pas les firent se taire. Deux soldats se postèrent devant le cachot de Ivène. L'un des deux ouvrit la porte et le second lui attrapa les bras pour la relever. Elle protesta et tenta de se défaire de son étreinte puissante et douloureuse mais il la gifla, si fort qu'elle faillit perdre l'équilibre. Or, il la retint avant qu'elle ne tombe et l'emmena avec lui, sans faire attention à Yselda ou Archibald.
— Ne lui faites pas de mal ! cria Archibald.
Le bruit d'une porte qui claque résonna puis le silence retomba brutalement dans le lieu. Ni lui, ni elle ne parlèrent. Ils ne bougeaient plus et restaient muets. Tout s'était passé si vite, et Ivène avait été emmenée sans explications.
Yselda regardait droit devant elle, toujours recroquevillée sur elle-même. Son père lui manquait, son village aussi. Toute sa volonté commençait à s'effacer.
— Que vont-ils lui faire d'après toi ? demanda-t-elle.
— Rien.
Elle jeta un regard à Archibald et haussa les sourcils.
— Tu as vu comment ils l'ont traitée ?
— Oui mais ce n'est pas à elle qu'ils couperont la tête. Le pire qu'ils puissent lui faire, c'est lui taper sur les doigts et la forcer à se marier avec Nathaniel.
— Le prince ? s'étonna Yselda.
Archibald hocha la tête en guise de réponse. Elle avait vaguement entendu parlé de lui à Paraviel, beaucoup de jeunes femmes souhaitaient le séduire. Des rumeurs disaient qu'il était beaucoup plus prétentieux que le roi et moins clément. Malheureusement, Yselda avait compris que l'image que Djafar s'était donné, n'était pas sa vraie facette. Il se cachait et il cachait qui il était à certaines personnes. Beaucoup trop de personnes.
— Pourquoi la forcer ? D'ailleurs, pourquoi elle était enfermée ici ? Elle est si belle et a l'air si innocente ...
L'écuyer poussa un profond soupir et se tritura les doigts. Ses ongles étaient noirs de crasse, ses vêtements troués et il dégageait une odeur de transpiration. Yselda se demandait combien de temps cela faisait qu'il ne s'était pas lavé.
— Elle était fiancée au prince, mais elle l'a trahi. Ils l'ont punie en l'enfermant ici quelques jours puis apparemment, ils l'ont relâchée.
— Qu'est-ce qu'elle lui a fait ? Qui trahirait le prince ? Se marier avec lui revient à avoir une très grande fortune, je ne cracherai certainement pas dessus ... juste pour que mon père vive enfin heureux et libre.
Elle avait prononcé la fin de sa phrase à mi-voix, comme si elle se parlait à elle-même. Archibald la considéra quelques secondes avant de détourner le regard. Il décida de ne pas relever son commentaire, la vie de cette inconnue ne le regardait pas.
— Elle l'a trompé avec un autre et malheureusement, Nathaniel l'a découvert. J'étais là et je peux te dire que c'était vraiment pas beau à voir ...
— Il l'a frappée ? Comme les soldats ?
Archibald rigola légèrement. Yselda l'aimait bien, il paraissait gentil et honnête. Au moins, elle s'était fait un ami dans le noir, la solitude ne s'emparerait pas d'elle de si tôt.
— Non, j'étais avec lui et Nicolas. Nicolas, c'est l'homme avec qui elle l'a trompé et Nathaniel s'en est pris à lui.
Yselda n'avait pas écouté ses explications, elle avait décroché dès qu'il avait prononcé le prénom de Nicolas. D'abord, elle espéra qu'il ne parlait pas de celui qu'elle connaissait et ensuite, elle sentit un pincement au cœur, sans vraiment savoir si c'était dû à l'idée qu'il ait eu une relation avec cette femme plus belle qu'elle ou qu'il se soit fait agressé par le prince.
— Nicolas... c'était un chevalier ?
Archibald hocha la tête et reprit ses explications.
— Nathaniel lui a tiré dessus, j'ai voulu le sauver mais il a basculé en arrière, on était perché sur une falaise, il ...
— Oh Seigneur ! Il est tombé de la falaise ?
Yselda était à présent accroupie, les deux mains entourant les barreaux et la tête collée à ceux-ci, ses grands yeux fixés sur Archibald.
— Oui...
— Il est mort ?
Archibald resta silencieux, il n'avait pas envie de raconter le reste de l'histoire et de passer pour un fou auprès d'une fille qu'il ne connaissait pas.
— Réponds-moi Archibald ! Est-ce que Nicolas est mort ?
Yselda haussait la voix cette fois, comme si elle était prise de panique.
— Pourquoi tu parles de lui comme si tu le connaissais ? grogna-t-il.
— Parce-que je suis venue ici pour lui !
Archibald écarquilla les yeux et se tourna totalement vers elle, il se rapprocha des barreaux, les genoux dans la poussière.
— Vraiment ? Mais pourquoi ?
— C'est tellement long à expliquer ... mais je m'étais promis de venir le chercher. Nicolas a une énorme rancœur envers le roi, et le roi... lui veut du mal.
— Non, en réalité, je pense que Djafar veut se servir de lui.
— Il le fait souffrir mentalement. Je sais qu'il compte éliminer toutes choses comptant ne serait-ce qu'un petit aux yeux de Nicolas.
Archibald resta silencieux, devait-il lui dire ce qu'il avait vu et ce qu'il avait fait ? Était-elle au courant de cette histoire de dragons ? Il s'inquiétait tellement pour Nicolas. Où ce dragon l'avait-il amené ? Avait-il survécu à sa blessure ? À sa chute de la falaise ?
Finalement, il lui conta toute cette histoire en commençant par parler de leur rencontre, du pacte qu'ils avaient tous les trois convenu, de l'adultère d' Ivène et de la réaction de Nathaniel. Il n'avait pas oublié de mentionner ce fameux dragon qu'il trouvait immense et magnifique. Il assura à Yselda que ce dragon avait littéralement plongé dans l'eau pour en sortir Nicolas et qu'il avait disparu avec lui dans le ciel. Après cet événement, Nathaniel le frappa en plein visage quand Archibald voulu venger son ami, ce coup le fit perdre connaissance instantanément et il se réveilla dans un cachot. Quelques jours plus tard, des soldats vinrent s'amuser avec lui après avoir enfermé Ivène. Archibald avait seulement voulu la défendre. Ce qui expliquait les marques qu'il avait sur le visage.
Yselda resta abasourdie par cette histoire. Une cité perdue, des marins en guise d'alliés, un pacte avec le prince et la trahison de Nicolas... Cela ne lui ressemblait pas, Nicolas s'était montré solitaire, peu proche des autres et assez intelligent pour ne pas briser un pacte de la sorte. Sauf si peut-être, était-il réellement amoureux de cette fille.
— Alors, je suis venue ici pour rien, en déduit Yselda. Nicolas n'est plus là, et à présent, c'est certain que je ne le retrouverai pas ! Dieu seul sait où peut-il bien se trouver à l'heure où l'on se parle.
— Je ne savais pas qu'il avait une amie ailleurs qu'à Ador. Il ne m'avait pas parlé de toi.
— Il faut croire que je n'étais pas si importante à ses yeux, peut-être que j'ai rêvé, peut-être que c'est moi qui ait cru qu'on l'était.
Archibald s'écarta des barreaux et s'assit contre le mur. Après cette longue discussion, Yselda ne décrocha plus un mot. C'est seulement quelques jours plus tard qu'ils entendirent les portes. Peut-être que des soldats emmenaient d'autres prisonniers, ou peut-être venaient-ils pour eux. Yselda espérait qu'ils venaient les nourrir, elle mourait de faim.
Archibald et elle se trouvèrent rapidement devant le roi, ce dernier se tenant face aux deux cachots, les détaillant de ses yeux de glace. Deux soldats l'accompagnaient et le silence qui régnait devint rapidement gênant.
Djafar croisa ses mains devant lui et laissa transparaître une faible esquisse aux coins de ses lèvres.
— D'un côté, nous avons un voleur et écuyer médiocre, commença-t-il. De l'autre, nous avons un chevalier sans la moindre réflexion.
Tous les deux restèrent silencieux face au roi.
— Que devrais-je faire de deux traîtres comme vous ? Archibald, tu étais censé être le bras droit d'un chevalier et le devenir à ton tour et, toi, petite, tu as prêté serment de ne jamais te retourner contre ton roi. Je n'ai encore jamais vu un chevalier agir ainsi contre moi.
— Ce n'était pas contre vous !
Djafar leva sa main.
— Assez ! cria-t-il de sa lourde voix. Je ne t'ai pas autorisé à prendre la parole petite ingrate !
Yselda se mordit les lèvres pour ne pas l'insulter.
— Je connais ton père, reprit-il plus calmement en s'approchant du cachot. Alaric est un bon chevalier, certainement le meilleur. Je suis déçu qu'il n'ait pas su faire de même pour toi.
Djafar marqua une courte pause et fit craquer ses phalanges.
— Archibald ne manquera à personne, mais toi, probablement à ton père. C'est pourquoi, je lui écrirai une lettre, lui expliquant la situation et justifiant ta mort.
Le cœur d'Yselda frappa contre sa poitrine, elle garda la tête haute et se cacha de montrer sa peur de mourir.
— Non, par pitié, mon roi, je ne veux pas mourir ! supplia Archibald en se mettant à genoux devant la porte. Je vous en conjure, épargnez-moi, je ferai ce que vous voudrez ! Par pitié...
Il semblait effrayé de mourir, Yselda l'était elle aussi. Elle regrettait d'avoir voulu aider Nicolas, de plus, elle avait compris qu'il ne la portait pas dans son cœur, pas même comme amie. Alors elle retenait ses sanglots, restait à sa place et observait Archibald quémander, supplier ...
Mais Djafar l'ignora, releva le menton et inspira profondément.
— Dans une semaine, vous vous ferez couper la tête devant tout le Royaume. Cette sentence est indiscutable. Vous n'avez que ce que vous méritez.
Sur ces mots, il quitta l'endroit suivi de ses soldats. Archibald resta à genoux devant la porte, les membres tremblant et il pleura à chaudes larmes sans s'en cacher. Yselda le regardait, peinée, mais ne dit rien. Que pouvait-elle faire ? Son sort était scellé à présent et son idée de s'évader tombait à l'eau.
Elle colla sa tête contre le mur, ferma ses paupières et laissa couler une larme sur sa joue. Jamais elle ne pleurait pourtant. Ce jour-là fut la première fois et certainement la dernière.
— Au creux de la vallée, à minuit... on entend le dragon endormi...
Archibald releva la tête et se tourna vers Yselda, les yeux fermés, elle chantonnait cette étrange berceuse, une chanson qu'il n'avait jamais entendu. Sa voix parut douce et apaisante, stoppant le flot de larmes qui inondait les joues de l'écuyer.
— À qui prendra le temps d'observer, apercevra ses larmes couler... À qui prendra le temps d'écouter, comprendra que le monstre peut pleurer...
Yselda se mit alors à sangloter en silence, elle se mordilla les lèvres et resserra ses jambes contre sa poitrine, enfonçant sa tête entre ses bras. Archibald se colla contre les barreaux et passa son bras à travers l'un d'entre eux. Ainsi, il put poser sa main sur son épaule.
Ainsi, elle put savoir qu'elle avait un ami.
Nous ne sommes jamais seuls.
Je vous remercie d'avoir lu !
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