Ador, là où l'océan s'étend
La neige avait laissé place à la verdure, et les nuages gris, au soleil. C'était comme entrer dans un autre monde. Un monde plus éclairé, plus chaud, plus rassurant et plus beau. Ce changement d'environnement et de paysage sembla faire le plus grand bien à Nicolas. Étrangement, un lourd poids qu'il portait sur le cœur disparut lorsque les premiers rayons du soleil se posèrent sur sa peau pour la réchauffer. Ses poils se hérissèrent sous sa cotte de mailles et ses muscles se détendirent.
Les grandes portes s'ouvrirent pour laisser passer le roi. Des enfants couraient autour d'eux, des femmes mendiaient et d'autres suivaient les soldats. Quelques jeunes garçons tentaient de les imiter en train de marcher tandis que les plus discrets restaient à l'écart pour observer de leur coin.
Paul regardait partout autour de lui, les maisons, les murets, les arbres et les mouettes qui survolaient le village. L'ambiance était différente ici, une odeur de marée régnait, des marchands vendaient du poisson près du port, des bateaux étaient accostés et de nombreuses personnes vaquaient à des occupations que Nicolas ne connaissait pas. Hargon était différent de ce village, ici, tout était encore plus vivant !
Les chevaliers avaient leurs chambres près du château du roi, elles étaient toutes séparées, petites mais accueillantes. Nicolas découvrit la sienne avec surprise. Ce n'était pas le luxe qu'il avait eu à Paraviel durant des mois mais largement suffisant. Il s'assit sur le matelas plus ou moins moelleux et se laissa tomber dessus pour profiter de cette douceur après des jours de marche.
Même la porte fermée, il pouvait entendre l'agitation dans les rues et sur le place, même dans la cour du château. Ce village était vivant, bien plus que ce qu'il n'avait pu imaginer. Un Royaume, un vrai, comme dans les contes que les enfants se racontaient.
Il passa le reste de la soirée au lit, puis la nuit aussi, qui passa rapidement. Le lendemain matin, Paul le réveilla en toquant à sa porte. Il lui ordonna de s'habiller de sa cotte de mailles et de ses chaussures inconfortables pour venir avec lui déguster du pain tout frais accompagné d'une bonne bière. Dès le matin ... ce n'était pas vraiment ce qui attirait Nicolas mais Paul lui assura que cela leur permettrait de tenir toute la journée à veiller sur les villageois et le château.
Leur travail était simple : ils devaient patrouiller dans les rues, surveiller le marché, le port et les voyageurs venus d'outre-mer. Et si Ador était attaqué, ils devaient être prêts à défendre le roi et les civiles. D'après Djafar, la sécurité était importante ici pour une vie paisible et longue.
La sécurité ... c'était une chose que Nicolas n'avait jamais connu en dehors de Hargon tout comme à l'intérieur.
Pain engloutit, bière bu, ils commencèrent à avancer dans les rues de pavés. C'était jolie, tout était entretenu même si certaines ruelles empestaient le vomi et les déchets. Des enfants couraient main dans la main, en rigolant et en chahutant autour d'eux parfois.
Le port était plein de bidons de poudre à canon, quelques marins chargeaient leur bateau, c'était apparemment le commerce qui faisait marcher Ador.
— As-tu vu toutes ces belles femmes qui nous regardent passer ? demanda Paul en se retournant sur une jolie demoiselle à la chevelure dorée.
— Je ne fais pas attention à ce genre de détails, avoua Nicolas légèrement dépaysé plutôt occupé à observer les marins et leurs bidons.
— Ne me dis pas que tu n'as jamais goûté au plaisir charnelle que l'on peut entretenir avec une belle demoiselle ?
Nicolas lui lança un regard inquisiteur, les sourcils haussés.
— Oh, je vois, reprit Paul, tu n'as jamais essayé.
— Ça ne m'est pas venu à l'idée, j'ai d'autres choses à penser comme ...
— Comme tes dragons ? Djafar ? Ton rôle de chevalier ? Nicolas, nous avons le droit de prendre du bon temps nous aussi. Alors tu sais quoi ? Ce soir, je t'emmène dans un bordel ! Tu vas adorer !
— D'après ma mère, ce genre d'endroit est peu fréquentable ... et je ne suis pas sûr qu'un chevalier ait le droit de faire ça.
Paul lui donna un tape amicale dans le dos que Nicolas n'apprécia guère. Malgré tout, il le garda pour lui et lui adressa un sourire forcé.
— Qui d'autre que nous le saura ? souffla Paul suivi d'un clin d'oeil.
Après cette brève conversation, Paul lui donna rendez-vous devant le bordel en question. Puis, il se faufila dans la foule et abandonna Nicolas dans un endroit qu'il ne connaissait pas.
Patrouiller était ennuyant, il se sentait craint par les plus mystérieux, admirer par les plus croyants et détester par les plus rebelles. Il déambula sur le marché quelques longues minutes avant de se diriger vers un muret, là où l'horizon semblait l'appeler.
Il posa ses mains sur les pierres tièdes et entrouvrit la bouche en découvrant un magnifique océan bleu s'étendre devant lui. C'était à couper le souffle, le soleil haut dans le ciel sans nuage, les oiseaux virevoltants au rythme du vent, les vagues s'écrasant contre les quais et l'immensité de l'océan qui s'étendait à perte de vue ...
De toute sa vie, il n'avait jamais vu l'océan, il le pensait même inexistant. Et aujourd'hui, il le découvrait pour la première fois. Il avait cette impression d'être attirer par l'eau qui ondulait juste en dessous de lui. Il avait cette irréprochable envie de se laisser tomber et se faire engloutir par les profondeurs marines. Peut-être qu'avoir traverser le froid et la mort était nécessaire pour découvrir une merveille pareille ...
Il inspira profondément, huma l'air marin et ses senteurs différentes puis expira lentement en esquissant un faible sourire satisfait.
— Nicolas ?
Cette douce voix enfantine et bien trop innocente le fit sortir de sa rêverie. Il tourna la tête vers l'individu qui avait osé l'interrompre dans un tel moment et resta immobile telle une statue en découvrant devant lui ...
— Ivène ? s'étonna-t-il.
Elle lui sourit, dévoilant des dents parfaitement banches. Il n'en revenait pas, il était comme figé. Sa magnifique chevelure d'un roux immaculé étincelait sous le soleil, ses petites tâches de rousseurs parsemées sur son visage rendait son teint de porcelaine encore plus pure. Et elle portait une robe longue, marquant sa taille fine et faisant ressortir ses yeux d'un vert indescriptible ...
Elle adopta sa posture à ses côtés, posant ses fines mains blanches et squelettiques sur la pierre tiède. Elle observa à son tour l'océan tandis que Nicolas ne décrochait pas ses yeux d'elle. Ne trouvant pas les mots, ne sachant pas quoi dire, comme s'il avait oublié comment on parlait.
— Lorsque les rumeurs ont couru, j'ai tout de suite su que l'on parlait de toi, expliqua-t-elle après un bref silence.
Nicolas se remit lentement face à l'océan, les jambes en coton. La voir faisait remonter en lui tout un tas de souvenirs qui lui semblaient si loin pourtant.
— Beaucoup racontaient qu'un sauvage qui "domptait" les dragons serait de visite à Ador avec le roi. Alors quand il est rentré, j'ai cherché ces yeux si différents de tous les autres ...
Elle tourna la tête vers lui et lui adressa un sourire malicieux.
— Tu as donc quitté Hargon ... marmonna Nicolas.
— Dès mes seizes printemps.
— Et ta mère ?
— Elle en était ravie ! Elle rêvait que je devienne l'une des ces femmes éblouissantes et aimées ...
Son sourire quitta son visage et elle laissa retomber ses petites épaules tout en poussant un faible soupir.
— Tu n'imagines pas à quel point Hargon est devenu morose lorsque tu as disparu. Je ne saurais te décrire l'état dans lequel le village s'est retrouvé. Ce n'est plus qu'une vallée où errent les fantômes.
En entendant tout cela, Nicolas eut la sensation d'une déchirure au niveau de sa poitrine.
— Comment t'es-tu retrouvée ici ? demanda-t-il pour changer de sujet.
— Je suis fiancée, annonça-t-elle en souriant de toutes ses dents.
Nicolas, lui, ne sourit guère. Il la considéra de son regard de braise sans prononcer un mot, ce qui la poussa à poursuivre dans ses explications.
— Avec le fils du roi, Nathaniel.
Djafar avait donc un fils. Était-il aussi détestable que son paternel ? Était-il tout aussi séduisant ? Était-il aussi brave qu'un chevalier ? Puisque c'était un prince, Nicolas s'imaginait un bel homme courageux et courtisé.
— Si vite ? soupira Nicolas.
— Lorsque l'on s'est vu pour la première fois, j'ai ressenti une décharge dans ma poitrine. Je suis tombée sous son charme et lui aussi. Nous n'avons pas attendu une seconde. La vie est courte, tu sais.
— Je ne pensais pas que cela se faisait. Je veux dire ... tu n'étais pas une bourgeoise mais une fermière.
Ivène rit d'un doux son mélodieux qui fit frissonner Nicolas.
— À Ador, tout est possible, rétorqua-t-elle.
— Tout ? répéta Nicolas.
Et elle lui répondit d'un hochement de tête. Ils restèrent silencieux de longues secondes à se regarder yeux dans les yeux. Nicolas se perdait dans ce vert digne des feuillages au printemps, tandis qu'Ivène admirait ses iris à la couleur du feu. Le regarder dans les yeux était comme flamber, prisonnier des flammes. Alors que le regard de la jeune femme n'était que douceur et gentillesse.
— Raconte-moi ce qu'il s'est passé, dit-elle après un long silence. Où étais-tu ? Qu'as-tu fait ? Et, es-tu vraiment capable d'approcher les dragons ?
Ces questions fermèrent Nicolas aussitôt. Il se redressa, le torse bombé et les épaules en arrière. Il posa sa main sur le manche de son épée et la regarda de haut, un sourcil haussé. Comme s'il allait lui raconter l'enfer qu'il avait pu vivre. Pas après toutes ses années sans lui avoir parlé. Ivène s'apparentait à une inconnue à présent. Ce n'était plus son amie. La jeune fille qu'il aimait et avec qui il avait échangé son premier baiser. Ce n'était qu'une jeune femme de la cour, fiancée au fils du roi.
— Je dois continuer à patrouiller.
— Je te demande pardon ?
— Je suis chevalier maintenant, et j'ai des villageois à protéger.
Ivène pouffa de rire et posa sa main sur son bras.
— Nicolas, Ador est un endroit sûr. Il ne se passe jamais rien ici. Les bandits ne s'y aventurent jamais.
— C'est mon travail. Désolé. Je suis ... plutôt content de t'avoir revu. Comme quoi, on dirait bien que ce monde est plus petit que je ne le pensais.
— Ou peut-être que le destin nous joue des tours ?
Nicolas ne sut comment prendre ce qu'elle venait de dire. Flirtait-elle avec lui ? Ou était-ce innocent ? Il dérida son visage pour lui sourire puis la contourna pour s'approcher du port et ainsi surveiller les quais.
— À bientôt j'espère, lui glissa-t-il à l'oreille avant de s'éloigner d'elle.
Il n'entendit pas sa réponse et ne s'attarda pas dessus. Il préféra se concentrer sur son travail plutôt que sur cette jeune femme.
Et il avait totalement raison puisque quelques minutes plus tard, il rencontrerait Nathaniel, le fils du roi.
Je vous remercie d'avoir lu !
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