II. Chapitre 6 suite

      « Vos désirs sont des ordres mère, répondit-il d'un air angélique.
        Il se leva, et en passant derrière Eléa ses doigts effleurèrent lentement la ligne des épaules de la jeune femme. Elle crut qu'un éclair de feu lui avait brûlé la peau ! Le Prince s'assit devant le clavecin, et il annonça à la Reine.
–C'est une chanson que les mères chantent à leurs enfants dans le Duché d'Adhaïa pour les aider à s'endormir. Elle m'a fait penser à vous. Elle parle d'amour, de tendresse et de confiance.
      En disant ces mots, son regard se posa quelques secondes sur son Maistre Écuyer. Il se mit alors à jouer et à chanter. Sa voix était chaude et douce. Comme toute l'assemblée, Eléa le regardait. Bientôt, elle ne put détacher ses yeux des mains fines et musclées qui couraient sur le clavier. Lorsqu'il s'arrêta, un silence ému emplissait la salle.
- Merci mon chéri ! Une fois de plus tu as su charmer mon cœur et l'ensemble de ton auditoire !
      Vint le moment de prendre congé, et tous les convives regagnèrent leurs appartements. Escortée par Dame Rana, Eléa n'eut d'autre choix que de la suivre sagement. Arrivées dans la chambre, la gouvernante l'aida à se déshabiller et se retira.
      En se couchant, elle se surprit à fredonner la douce mélodie. Elle s'endormit en pensant aux mains agiles du Prince parcourant les touches du clavecin...

      Eléa et le Vieux Roi prirent l'habitude de travailler ensemble. Au fil des jours, une réelle complicité s'installa entre la jeune écuyère et le vieil homme.
      À la différence des élevages en semi-liberté de Noshaïa, ici les palefreniers guidaient chaque matin la vingtaine de poulinières vers des pâtures situées sur la périphérie proche des remparts et ils les rentraient chaque soir dans la grande stabulation.
      Le Maistre Écuyer et le Patriarche commencèrent par organiser le sevrage des derniers poulains nés en été. Il s'agissait, aux six mois environ des jeunes pur-sang, de les séparer de leurs mères. Celles-ci étaient emmenées dans des pâtures plus éloignées, loin des cris de désespoir de leurs rejetons. Si les vieilles poulinières acceptaient cette étape avec résignation, voire avec soulagement pour certaines, les jeunes juments parfois se révoltaient et brisaient les clôtures pour rejoindre leurs poulains ! Ceux-ci de leur côté, étaient confiés à une « nourrice », souvent trop âgée pour la reproduction, et qui leur apprenait les bonnes manières, à savoir, répondre à l'appel des palefreniers, respecter leurs aînés parfois à grands coups de dents, et surtout survivre ensemble à la séparation d'avec leurs mères.
      Ils planifièrent ensuite le débourrage des jeunes pur-sang âgés de trois ans. Il l'aida à répartir les chevaux à chaque palefrenier, en fonction des sensibilités de chacun. Le souvenir nostalgique de Maître Domkan leur assignant « leur moitié sauvage » lui revint en mémoire...
      Au fil des jours, elle sut acquérir le respect de l'équipe de palefreniers et celui des soldats des cinq factions de la Garde Royale, dont le bâtiment jouxtait les écuries. Ils l'avaient tous vue travailler avec Daram : sans qu'aucune longe ne le guide, il obéissait à sa seule voix, avançant, reculant, stoppant, changeant d'allure ou de direction sur ses seules intonations et ses gestes. La réputation du caractère ombrageux de l'étalon en avait grandi d'autant les compétences du Maistre Écuyer. Ils avaient également pu apercevoir ses talents dans la carrière d'entraînement où elle n'avait pas hésité à se mêler aux exercices plus « virils ». Là aussi, tous furent impressionnés par le lien privilégié qui unissait la jeune cavalière et son pur-sang. Ils semblaient ne faire qu'un. Si au début certains et certaines retinrent leurs coups de peur de lui déplaire ou de la blesser, plus d'un finit par mordre la poussière lors de passes d'armes contre elle.

      Les semaines passèrent ainsi. Le soir, Eléa et Dame Rana avaient pris l'habitude de deviser ensemble. La jeune femme lui relatait les progrès ou difficultés rencontrés dans sa journée, et la gouvernante l'informait des derniers « potins » de la Cour.
      Chaque soir, Eléa attendait l'heure du repas avec impatience. Car si à la mi-journée elle préférait manger avec son équipe, elle prenait ses dîners avec la Famille Royale, les Grands Seigneurs ayant tous rejoint leurs domaines. Et chaque soir elle sentait la jambe du Prince frôler la sienne... Ce contact lui était devenu vital comme l'air qu'elle respirait...
      Ils avaient également pris l'habitude de sortir à cheval tous les deux chaque après-midi. Soit sur leurs étalons, soit sur d'autres pur-sang pour faire travailler l'ensemble des chevaux en cours de dressage. Le Prince n'avait plus tenté de « rapprochements » avec elle. Et si parfois leurs mains se frôlaient quand il lui tendait ou reprenait telle ou telle pièce de harnachement, il semblait ne pas s'en apercevoir. La jeune femme elle, maudissait à chaque fois son corps en sentant son visage rougir et son ventre palpiter...

      Un matin, le silence particulier de l'atmosphère la réveilla. Elle resta un moment interdite dans son lit. Au dehors, les bruits semblaient comme étouffés. En se rendant à sa fenêtre, elle découvrit qu'un manteau blanc recouvrait les toits !
–Il a neigé !
      Quand elle entendit frapper à sa porte, elle s'étonna. En effet elle avait convenu avec Dame Rana que, si le soir elle accueillait son soutien avec plaisir pour l'aider à se préparer en « Dame », les matins elle préférait se débrouiller seule pour sa toilette et son habillement de Maistre Écuyer.
–Entrez.
      La gouvernante fit son apparition les bras chargés d'un imposant paquet.
–J'ai pensé que vous n'auriez sûrement pas de tenues adaptées à la neige, car il me semble que les hivers sont plus doux dans le Duché de Noshaïa.
      Et elle déballa devant une Eléa médusée, trois tenues de cavalière en fourrure et en peau renforcée ! La gouvernante ne se retint pas de savourer son effet.
–En fait ce sont les anciennes affaires de la Princesse Dina. C'est une excellente cavalière, et aucune chute de neige ne l'a jamais empêchée de monter à cheval, reprit-elle avec un sourire malicieux.
–Oh Dame Rana ! s'exclama la jeune femme tandis que ses mains caressaient les chaudes fourrures, ces tenues sont trop belles pour travailler avec !
–Au contraire, elles seront parfaites.
- Je ne sais pas ce que je ferais sans vous ! Merci, merci ! lui dit la jeune femme en lui prenant chaleureusement les mains. Votre amitié m'est si précieuse ! continua-t-elle les larmes aux yeux.
–Sachez ma chère, que c'est moi qui devrais vous remercier. Quand les deux Princesses nous ont quittés, je me suis sentie inutile tout à coup. Grâce à vous j'ai retrouvé un but dans la vie, lui répondit avec un sourire ému la Dame de Compagnie. Bien, se reprit-elle. Je vous laisse vous préparer. Je dois aller m'occuper de votre garde-robe d'hiver. Si vous trouvez ces fourrures magnifiques, attendez de voir les autres ce soir !
      Et elle se retira en riant.

      Les tenues lui allèrent comme un gant. Et Eléa soupçonna Dame Rana de les avoir faites ajuster par la couturière du Château depuis un petit moment déjà.
      Elle sait à l'avance ce qu'il me faut, avant même que je ne le sache moi-même.
      Elle s'habilla rapidement et s'élança vers les écuries. Partout l'air semblait crépiter, et les yeux des hommes et des bêtes brillaient d'excitation.
–C'est toujours comme ça avec les premières neiges, lui expliqua le Vieux Roi quand elle le rejoignit. Les chevaux redeviennent des poulains, et les hommes des enfants, ajouta-il l'œil pétillant.
      En découvrant la tenue du jeune Maistre Écuyer, il rajouta.
–Je vois qu'une fois de plus Dame Rana a su parfaitement gérer la situation. Tu devrais sortir Daram un peu ce matin dans un enclos, pour qu'il découvre la neige avant votre promenade de cet après-midi, lui conseilla-t-il.
      Elle acquiesça et partit chercher son étalon.
–Viens, tu vas voir il a neigé !
      Dehors, les palefreniers avaient dégagé la cour pour faciliter les allées et venues des hommes et des chevaux. En sentant l'air vif autour de lui, l'étalon se mit à piaffer sur place et à ronfler.
–Tout doux mon beau, attends, attends je vais te libérer, lui dit-elle en lui flattant l'encolure.
      Devant l'entrée de l'enclos, le pur-sang hésita. Il mit prudemment un sabot dans le tapis blanc en soufflant bruyamment.
–Allons, n'aie pas peur ! se moqua-t-elle gentiment en détachant la longe du licol.
      Il marcha d'abord comme si la neige lui brûlait les pieds, puis il se mit à trotter queue en panache, et enfin il se lança au galop en hennissant de joie. Au bout de quelques tours, il s'arrêta et se roula en grognant de plaisir.
–On dirait que ton poulain apprécie, dit une voix rieuse dans son dos. »

Extrait de
Le Maistre Ecuyer Royal
Léa Northmann
Ce contenu est peut-être protégé par des droits d'auteur.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top