II. Chapitre 6 première partie

      « Arrivée devant la porte de sa chambre, elle remarqua que celle-ci était entrouverte. À l'intérieur, une femme d'une quarantaine d'années se tenait de dos. Elle avait accroché différentes tenues devant elle, et elle était en train de lisser la dernière. Lorsqu'elle entendit Eléa franchir le seuil, encore essoufflée de sa course, elle se retourna gracieusement et s'inclina dans une révérence parfaite.
–Maistre Écuyer, lui dit-elle en se redressant.
      Elle était plutôt grande. Ses cheveux avaient une étrange teinte blond argenté, et ses yeux bruns pétillaient d'intelligence. Elle avait un front haut et des traits fins. Un grain de beauté ornait sa lèvre supérieure. Elle portait une élégante robe vert sombre relevée de fines broderies.
      Devant l'air ahuri d'Eléa qui découvrait non seulement les robes, mais aussi les chaussures, les manteaux et les malles déjà rangées au fond de la pièce, la femme lui dit.
–Le Vieux Roi Alh m'a fait part de vos... difficultés. J'ai pris l'initiative de demander vos mensurations à la couturière qui avait réalisé votre robe de bal. Elle a eu le temps de faire les retouches sur cette tenue, et fera de même avec les autres dans les jours à venir.
      Elle désigna une robe bleu nuit accrochée à part. Le tissu était d'une finesse incroyable ! Eléa n'osait pas la toucher de peur de la salir ou de l'abîmer. Incrédule, elle regarda à nouveau Dame Rana.
–En fait il s'agit d'une partie de la garde-robe que les Princesses n'ont pas pu emporter avec elles. J'espère que cela ne vous froisse pas ? s'inquiéta la femme devant le manque de réaction d'Eléa.
      De véritables robes de princesse ! songea celle-ci.
–Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau, parvint-elle à articuler.
      Soulagée, la femme reprit.
–Bien, j'ai fait préparer un bain dans votre cabinet de toilette, l'eau doit être à la bonne température. Et ensuite je vous aiderai à vous préparer.
      En la voyant s'avancer à sa suite, Eléa comprit qu'elle comptait également l'aider à se laver !
–Je... Je vous remercie ma Dame, mais je pense pouvoir y arriver seule, dit-elle en rougissant.
–Maistre Écuyer, lui répondit celle-ci d'une voix ferme. En tant que gouvernante, j'ai vu un nombre incalculable de corps nus de femmes dans ma carrière, croyez-moi. Votre nouvelle charge implique également de nouveaux devoirs quant à votre rang à tenir, et pour cela il faudra accepter certains changements dans votre vie. Le Vieux Roi Alh m'a officiellement nommée à votre service en tant que Dame de Compagnie. Allons jeune fille, déshabillez-vous et entrez dans l'eau, que je puisse vous laver les cheveux, sinon nous allons être en retard.
      Rougissante de honte, Eléa se dépêcha d'ôter sa tenue et elle se glissa le plus rapidement qu'elle put dans le grand bac en bois qui trônait au milieu de son cabinet de toilette. Les bords et le fond avaient été recouverts de draps épais pour éviter toutes blessures dues aux échardes. La température de l'eau était parfaite. Dame Rana se mit derrière elle et commença à lui démêler les cheveux. Elle sentit les épaules de la jeune femme se raidir. Pour l'aider à se détendre elle recommença à parler d'une voix enjouée.
- D'après ce que le Vieux Roi m'a décrit de vous, et vu votre âge, j'ai pensé que des notes de menthe poivrée et d'herbes fraîches vous conviendraient pour les huiles de votre bain. Qu'en pensez-vous ?
      Eléa réalisa alors avec étonnement qu'effectivement l'eau avait été parfumée !
–C'est parfait ma Dame. Je n'ai jamais senti quelque chose d'aussi bon.
      En entendant le sourire dans la voix de la jeune femme, la gouvernante fut soulagée et satisfaite. Elle lui lava lentement la tête. Petit à petit, les épaules de la jeune écuyère se détendirent. Puis elle l'aida à sortir du bain et l'emmitoufla dans un large drap. Eléa n'avait jamais vu de tissu aussi doux ! Elle lui enserra la tête dans un autre afin d'absorber au maximum l'humidité. Ensuite elle la fit assoir devant le meuble de coiffure et entreprit de démêler ses cheveux. Sous les coups de brosse experts et à la chaleur de la cheminée, ils furent bientôt secs.
–Vous pourriez les tresser selon votre titre à présent, constata-t-elle.
       Elle a raison, à partir de demain je les natterai, réalisa la jeune femme. Mais pas ce soir.
–Je préfèrerais les laisser détachés si c'est possible, lui indiqua-t-elle d'une voix timide.
–Rien ne vous oblige à le faire tout le temps effectivement, approuva la gouvernante. Et puis il est bon de rappeler à la Cour que le Maistre Écuyer Royal est une vraie femme, acheva-t-elle sur un ton amusé.
      Elle la fit se lever et la conduisit devant le miroir sur pied.
      Il faudrait être aveugle pour ne pas le remarquer de toute façon, cheveux tressés ou pas, songea-t-elle en détaillant la jeune femme qui se tenait de dos devant elle.
      Celle-ci se retourna, rouge de plaisir.
–Je vous remercie Dame Rana ! Vous avez fait un miracle !
      Émue par la sincérité d'Eléa, la femme sourit poliment.
      Par les Dieux, ce n'est encore qu'une enfant ! pensa-t-elle.
      Eléa se retourna vers le miroir, encore émerveillée par son reflet. Ses cheveux sombres miroitaient doucement à la lumière des torches accrochées aux murs. Elle s'aperçut que les manches bouffantes de la robe étaient percées de soufflets de soie gris pâle. Un liseré brodé de la même teinte ornait le tissu tout le long de son décolleté. Elle pensa au collier offert par Maître Ghil.
–Puis-je vous demander encore une faveur ma Dame ?
–Mais bien sûr mon enfant.
–Pourriez-vous m'aider à passer ce collier ? dit-elle en ouvrant le petit coffret de bois posé sur le meuble de coiffure.
      Elle pencha la tête légèrement en avant et la femme ajusta le bijou qui vint mourir à la base de ses seins. Elle revint se positionner devant le miroir en tenant le petit croissant de Lune entre ses doigts, le regard voilé et les yeux brillants.
      Comment vais-je faire sans vous Maître... songea-t-elle mélancoliquement.
      Dame Rana l'observa en silence, consciente de la solitude cruelle de la jeune femme.
- Bien nous devrions y aller.
–Vous m'accompagnez ?!
Le ton spontané et soulagé d'Eléa, une fois de plus, émut la gouvernante.
–En tant que Dame de Compagnie, tel est mon rôle, répondit-elle en souriant.
–Oh je suis si contente ! J'avais peur de me sentir seule à table !
      Devant tant de sincérité, Dame Rana lui prit les mains, réalisant l'ampleur des bouleversements dans la vie de sa jeune maîtresse, touchée par sa candeur.
–Permettez-moi de vous aider comme une amie et non comme une simple Dame de Compagnie.
      Eléa lui offrit son plus beau sourire.
–C'est un honneur pour moi d'accepter votre amitié ma Dame !
–Allons, allons ! Trêve de minauderies ! Nous allons finir par être vraiment en retard !
      Et elle lui prit le bras pour la guider jusqu'à la salle du repas.

      Arrivée sur place, Eléa s'aperçut qu'il s'agissait d'un dîner en petit comité. En fait, seuls quelques Seigneurs étaient encore présents. Suite à la fin des festivités, presque tous étaient repartis dans leur domaine. Dame Rana lui murmura à l'oreille les noms de certains. Elle lui rappela également juste à temps, qu'en tant que Maistre Écuyer, elle n'avait à s'agenouiller que devant la Famille Royale, et qu'un simple hochement de tête poli suffisait amplement pour le reste de la noblesse. Elle lui montra sa place à côté d'elle, et à droite du Prince. Lui-même se tenait à droite de son père qui présidait la tablée. La Reine s'assit à la gauche de son époux, et le Vieux Roi Alh à côté de sa bru, en face d'Eléa. Il lui adressa un petit sourire d'encouragement. Puis les autres Seigneurs et leurs Dames prirent place en fonction de leurs rangs.
       Tout au long du repas, la gouvernante rassura Eléa par sa présence et ses conseils avisés. Sur l'initiative du Vieux Roi, la conversation s'orienta sur l'élevage des chevaux de combat, le sevrage des poulains et le débourrage des jeunes pur-sang, permettant ainsi au Maistre Écuyer Royal de se détendre.
      Le Prince Calh, quant à lui, tenait son rôle à merveille, la voix calme et posée, un sourire poli aux lèvres. Elle crut défaillir quand il vint presser sa jambe contre la sienne, tout en continuant de parler d'un air impassible avec sa mère assise en face de lui. Durant le dîner, il ne lui adressa la parole que lorsque nécessaire. Parallèlement, il donnait parfois une impulsion sensuelle à son genou contre elle. À son grand désarroi, elle sentait à chaque fois une onde de chaleur diffuse se répandre dans son corps. À chaque mouvement du jeune homme, son ventre, ses seins, son sexe semblaient répondre sans qu'elle sache comment les contrôler ! Le repas s'acheva enfin.
–Ne pourrais-tu pas nous jouer une de ces nouvelles ballades que tu as appris durant ton voyage mon chéri ? demanda la Reine. »

Extrait de
Le Maistre Ecuyer Royal
Léa Northmann
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