II. Chapitre 4 suite

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–Chère enfant, accepte mes remerciements, lui dit le Patriarche. Grâce à toi, je sais que le Royaume d'Argalh a encore de beaux jours devant lui. Puisse longtemps encore ton bras servir mon petit-fils et ta beauté réjouir mon cœur.
      Et il lui baisa la main. Le chien s'était assis aux pieds de la jeune femme, et d'un mouvement de tête il vint lui pousser la main en quête de caresses. Le vieil homme ajouta.
–Je crois qu'il t'a adoptée lui aussi. Je te le laisse pour ce soir. Quant à moi, je vais regagner mes appartements. Place à la jeunesse ! Bonne nuit Eléa, lui dit-il en souriant.
      Elle plongea dans une révérence parfaite en murmurant.
–Bonne nuit Votre Altesse.
–Je vois que votre protégée a su trouver un autre cerbère tout aussi dévoué que vous, adressa le Roi en souriant à Maître Ghil. Dans ce cas, permettez-moi de vous inviter dans mon bureau pour régler encore quelques détails, continua-t-il d'une voix aimable mais ferme.
–Vos désirs sont des ordres Votre Majesté, lui répondit l'homme en s'inclinant.
          Mais la raideur du geste n'échappa pas à Eléa. Et elle les regarda s'éloigner avec une légère appréhension.

      Arrivé dans son bureau, le Roi invita l'homme à s'asseoir en face de lui.
–Je tenais tout d'abord à vous remercier, Maître, pour la loyauté fidèle que vous avez toujours portée à Notre Maison.
      L'ancien bibliothécaire acquiesça en silence, le teint pâle et le regard tendu.
- Lorsque nous avons décidé de donner un nouveau Maistre Écuyer au Château Royal, je pensais dans un premier temps faire plaisir à mon père en lui offrant un nouvel élevage de chevaux de combat. Je pensais également renforcer la position de mon fils à son retour, car j'en gardais l'image d'un jeune homme un peu trop sensible et rêveur face aux intrigues de la Cour. Il ne fait aucun doute de la valeur de la jeune Eléa. Et une fois de plus je vous remercie de l'avoir amenée jusqu'à nous mais...
      Le Monarque vit les avant-bras de l'homme se raidir sur les accoudoirs du fauteuil, mais il parvint à maîtriser ses émotions.
–Mais j'ai aussi remarqué les regards que vous posez sur elle, et votre réaction quand mon fils et elle ont mélangé leurs sangs. Je ne vous juge pas Maître, comprenez-moi bien. Même mon père est sous le charme. Et nous avons compris tous les deux je crois, que mon fils n'avait plus rien d'un timide damoiseau quand il a découvert le visage de son Maistre Écuyer... Je ne peux pas fragiliser le Royaume. Suis-je assez clair Maître ?
      En face de lui, l'homme faisait un effort surhumain pour contrôler sa colère. Le Roi vit ses ailes du nez frémir quand il essaya de calmer sa respiration, ses poings se crispèrent. Mais le plus impressionnant fut les yeux de l'ancien Maître Bibliothécaire. Ils étaient noirs de fureur contenue avant que l'homme ne les ferme et inspire profondément. Puis le Souverain vit les épaules de son interlocuteur s'affaisser. Et quand il réouvrit les paupières ses iris avaient viré au bleu pâle.
      La couleur du désespoir... aurait compris Eléa.
      L'homme parla d'une voix blanche.
–Je pense accompagner la Princesse Dina dans son nouveau Château, afin d'y approfondir mes connaissances sur le Duché d'Alandhaïa. J'y resterai quelques mois. Je me rendrai ensuite dans le Duché d'Ostrhaïa pour prendre des nouvelles de la Princesse Ona.
–Croyez Maître, que je mesure la force de votre dévouement pour le Royaume. Et l'ampleur du sacrifice que cela implique pour vous mon ami, lui dit le Roi d'une voix grave et douce.
–Je quitterai la Cour demain avec la troupe du jeune Duc. Mais je Vous prie de m'accorder une seule faveur Votre Altesse.
–Parlez sans crainte, je vous écoute.
–Jurez-moi de me faire chercher si Eléa court le moindre risque.
–Vous avez ma parole Maître.
      Et c'est un homme brisé qui sortit dans le couloir.

      Pendant ce temps, la fête battait son plein. D'abord inquiète quand elle avait vu s'éloigner son mentor, Eléa avait dû admettre que le Roi ne s'était pas trompé. Le grand chien noir à côté d'elle était un garde du corps parfait. Elle s'étonna puis s'amusa de voir certaines personnes éviter soigneusement de se rapprocher trop d'elle, le regard fixé sur le dogue. Cet isolement ne lui était pas pénible, au contraire. Elle put observer à loisir l'assistance, sans craindre de commettre un impair si un Seigneur ou une Dame lui avait adressé la parole.
      Petit à petit elle finit par se détendre et commença à apprécier l'ambiance festive. Elle reconnut même différentes danses. Machinalement son corps suivit discrètement le rythme de la musique.
–D'habitude Vick ne quitte jamais mon grand-père, dit le jeune homme d'une voix chaude et sensuelle en se penchant pour caresser la tête du molosse.
      Perdue dans ses pensées, elle ne l'avait pas entendu arriver ! Le Prince Calh la dévisageait, un léger sourire aux lèvres. Elle plongea dans une révérence chancelante en bredouillant un « Votre Altesse » pathétique.
      Il lui tendit la main pour l'aider à se relever et ne la lâcha pas lorsqu'il lui demanda mi-moqueur, mi-charmeur.
–M'accorderais-tu cette danse Maistre Écuyer ? »

Extrait de
Le Maistre Ecuyer Royal
Léa Northmann
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