I. Chapitre 3 suite

      « La femme hésita et dévisagea longtemps Eléa, ses traits fins, ses yeux sombres, sa peau dorée.
- Les hommes sont parfois difficiles à comprendre. Je viens du Nord, du Duché d'Alandhaïa. Là-bas, les hommes et les femmes sont réellement égaux. Seule la valeur de l'individu compte. Mais comme tu l'as peut-être remarqué, ici dans le Sud je suis la seule Maistre Écuyer. Tu vas devoir faire « oublier » que tu es une femme. Garde une allure et une tenue neutres. Et surtout tu devras faire toujours mieux que les hommes que tu rencontreras pour qu'ils te respectent et qu'ils t'acceptent.
      Eléa opina mais elle ne comprenait pas grand-chose aux conseils de Maï-Lô.
De toute façon je fais toujours mieux que les autres apprentis que j'affronte aux entraînements... sourit-elle intérieurement... Ceux du Palais ne seront pas très différents...
–J'ai déjà envoyé un courrier au Château, reprit la femme. Voici un document que tu remettras au Maistre Écuyer Domkan. Il est un peu « spécial » mais tâche de lui faire bonne impression. Il m'a beaucoup appris. Le second document est pour Maître Ghil, le Bibliothécaire du Palais. C'est un ami, il saura te conseiller si besoin. Nous partons demain à l'aube. Je t'accompagnerai jusqu'au fleuve. De là tu prendras un navire avec la cargaison de chevaux que j'envoie au Duc. Tu seras responsable des pur-sang durant le trajet.
      La jeune apprentie acquiesça et se retira.

      Elle se retourna mille fois dans son châlit de foin sans parvenir à s'endormir. Au petit matin, elle supervisa elle-même la préparation des pur-sang. Il fallait leur protéger les membres avec des morceaux d'étoffe et des lanières de cuir pour éviter qu'ils ne se blessent durant la traversée. Elle veilla également à ce que leurs crinières et leurs queues soient tressées pour préserver leurs longs crins soyeux.
      Comme d'habitude le chargement des chevaux de combat fut assez « musclé ». Certains s'effrayèrent de devoir franchir le pont en bois, avant d'être attachés sur la cale du bateau. D'autres tirèrent au renard sur leur longe en sentant le sol tanguer sous leurs pieds. Elle les connaissait tous. Cela faisait deux ans qu'elle travaillait avec eux pour les préparer. Elle rassura les uns, réprimanda les autres, les encouragea doucement ou haussa la voix quand nécessaire.
      Au bout d'une heure ils avaient tous embarqué, et avaient été attachés dans les stalles aménagées sur le pont du navire à fond plat.
–N'oublie pas, tu dois être meilleure qu'eux pour qu'ils te respectent, mais ne te fais pas trop remarquer.
      Puis la géante blonde fit volter son étalon et elle s'éloigna au galop.
      Eléa entendit les ordres criés sur le pont pour larguer les amarres et le navire s'élança sur le large fleuve. Alors qu'elle laissait glisser son regard le long de la coque, machinalement ses mains jouèrent avec la bague accrochée à son cou. Elle la regarda longuement et décida qu'il était grand temps de la passer à son doigt. Le bijou s'ajusta parfaitement, et la Pierre de Lune se mit à chatoyer doucement dans la lumière du soleil levant.

      La traversée dura toute une journée. Le port de Bord-de-l'Eau était immense ! C'était une véritable cité à part entière. Il s'étalait autour de l'embouchure où le fleuve Argh se jetait dans l'Océan Austral. En fait il se composait de deux parties. La première en amont, où accosta Eléa, était réservée aux bateaux fluviaux à fond plat. Un ponton plus au calme portait les oriflammes ornées de la Licorne Blanche du Duché de Noshaïa. Plus bas en aval, elle aperçut les quais garnis de vaisseaux maritimes qui reliaient le Royaume d'Argalh au reste de l'Empire. Les uns déchargeaient, les autres chargeaient dans un vacarme assourdissant. Des grues et des palans tournoyaient au-dessus des navires. Une foule de vendeurs, d'acheteurs ou de simples curieux se pressait sur la jetée. Elle reconnut également des bâtiments de guerre, anciens bateaux pirates transformés en défenseurs de la marine marchande par les habiles négociations du Prince Galh, devenu Roi depuis. Les pur-sang, rendus nerveux par le tumulte du port gigantesque, perceptible même à cette distance, donnaient du fil à retordre aux palefreniers du Palais venus les chercher. Elle se rendit donc précipitamment vers le ponton. Elle guida le débarquement de la précieuse cargaison, donnant à chaque homme des consignes précises sur le caractère et les habitudes de chaque cheval de combat. Devant son assurance et sa maîtrise indiscutable des plus récalcitrants, les palefreniers finirent par écouter ses conseils.

      Les chevaux furent emmenés en direction des Écuries Ducales et Eléa suivit le mouvement, tenant fermement contre elle sa besace contenant ses maigres affaires et les deux plis remis par Maï-Lô.
      Ils marchèrent pendant deux heures. L'air doux de l'océan les poussait dans le dos. Partout autour d'eux des collines herbeuses ondulaient sous le vent. La route était large et pavée. Ils croisèrent de nombreux charriots chargés de tonneaux. Car le climat tempéré du Duché à la Licorne Blanche était idéal pour la culture des vignes. Le vin de Noshaïa était réputé dans tout l'Empire. Ils gravirent plusieurs collines. Au sommet de l'une d'elles, la jeune femme prit le temps de se retourner et elle aperçut l'Océan Austral qui rejoignait l'horizon. Tout en rattrapant le groupe, elle distingua sur sa droite la silhouette bleutée de la cordillère de Pyra qui descendait depuis les Hauts Glaciers d'Alandhaïa.
      Après une dernière montée, ils arrivèrent enfin face au Palais, ou plutôt au Château. Eléa s'arrêta un instant pour admirer l'imposante construction qui se découpait dans le soleil couchant. Un immense donjon de plus de trente mètres surplombait les murs d'enceinte, construits en grande partie avec les cailloux roulés par l'Argh. Le Château avait une forme rectangulaire, efficace contre les attaques maritimes auxquelles il avait dû faire face depuis des siècles de par sa position si proche des côtes. Les murailles étaient même consolidées par d'épais contreforts, et couronnées par un chemin de ronde, lui-même abrité par des mâchicoulis. Partout les oriflammes du Duc flottaient sur les toits. Une forêt de Licornes Blanches semblait voler dans le ciel. Sur le côté droit, le mur d'enceinte s'abaissait et s'étirait sur plusieurs centaines de mètres. Ils bifurquèrent dans sa direction et entrèrent par une grande porte latérale. Eléa eut à peine le temps de comprendre qu'ils venaient de pénétrer dans les Écuries Ducales, qu'un homme d'environ cinquante ans surgit. Il était grand, maigre, avec des traits osseux et un regard à moitié fou. Un Loup Gris ornait sa tunique noire. Il se déplaça parmi le groupe de pur-sang sans sembler craindre un coup de pied ou de dent. Il leur parla, leur flatta l'encolure, palpa leurs membres. Puis il donna une série d'ordres brefs et les chevaux furent prestement installés dans leurs boxs respectifs.
Il ne resta plus qu'Eléa et l'étrange homme dans la cour. Il la dévisagea longuement.
–Que fais-tu là ? Qui es-tu ? aboya-t-il d'une voix sèche. »

Extrait de
Le Maistre Ecuyer Royal
Léa Northmann
Ce contenu est peut-être protégé par des droits d'auteur.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top