I. Chapitre 3 première partie

        « Les deux années qui suivirent firent passer le premier cycle d'apprentissage d'Eléa pour des enfantillages. Les pur-sang étaient autrement plus sensibles et versatiles que les poneys de travail. Chaque jour Maï-Lô lui apprenait à apprivoiser leur caractère nerveux.
–Tu dois tenir tes rênes comme si tu avais un oiseau dans les mains, trop fort tu l'étouffes, trop doucement il s'envole.
Tu dois pouvoir guider ton cheval juste avec le poids de ton corps.
Vos esprits ne doivent plus faire qu'un, tu dois ressentir ses envies, ses peurs.
      Lors des cours dans la carrière extérieure ou dans le manège couvert quand le temps était trop mauvais, il arrivait qu'Eléa chute dix fois de suite dans la même séance. Et dix fois de suite elle remontait en selle.
–Ce n'est pas la faute de ton cheval si tu tombes ! Tu n'es pas assez concentrée et tu es trop raide !
      Elle apprit à « écouter » les pur-sang avec son corps. Petit à petit elle perçut leurs différentes tensions. Elle commença à anticiper leurs réactions, à adapter sa position. Au fur et à mesure, elle put discerner les particularités des caractères de chacun. Car tous étaient différents. Il y avait les émotifs et les téméraires, les dominants et les timides. Elle apprit à adapter sa façon de monter pour tirer le meilleur parti des qualités de chacun, et même de leurs défauts. Bientôt elle réussit à ne faire qu'un avec sa monture. C'était comme si elle « pilotait » les pur-sang avec son esprit, son corps s'adaptant instinctivement à chaque mouvement du cheval qu'elle montait.

      Lorsqu'elle maîtrisa parfaitement ses montures aux trois allures, elle dut apprendre les bases des joutes de chevalerie pour mieux comprendre le dressage des chevaux de combat. Car chaque exercice correspondait à une technique guerrière : l'épée, la lance, mais aussi le dégagement d'une foule ennemie armée. Pour cela le pur-sang devait tout d'abord se cabrer, et dans le même temps ruer dans les airs, créant ainsi une zone de fuite autour de lui et de son cavalier. Celui-ci devait adapter son assise aux deux différents mouvements dans une fraction de seconde sous peine d'être éjecté de la selle, soit lors de la levée, soit lors de la ruade.
       Un autre exercice consistait à se lancer au galop et à enfiler sur une courte lame des anneaux fixés à dix centimètres du sol, sans que sa monture ne dévie de sa trajectoire. Le pur-sang devait apprendre à compenser le poids de son cavalier alors penché sur le côté. Et dans cette position celui-ci n'avait plus que la voix pour le guider tout en visant les anneaux.
       Venait ensuite l'épreuve tant redoutée de la quintaine. Toujours au galop il fallait avancer le long d'une lice, lance au poing, et frapper le bouclier d'un mannequin pivotant sur un axe. Mais celui-ci possédait un bras articulé orné d'un fléau. Dès le coup porté, le cavalier devait se coucher sur l'encolure de son pur-sang, en évitant de s'y fracasser le visage, pour échapper aux lourdes masses. Les premiers essais furent douloureux pour le dos et le nez d'Eléa, qui se retrouva soit assommée par son cheval, soit propulsée au sol, la respiration coupée.
–Tu es beaucoup trop lente ! Recommence !
       La voix de Maï-Lô résonnait à ses oreilles alors qu'elle recrachait le sable et le sang qui emplissaient sa bouche et qu'elle essayait de reprendre son souffle. Elle rattrapait son pur-sang et remontait en selle sans broncher, les mâchoires serrées et les larmes aux yeux.

       Les passes d'armes avec les épées suivirent. D'abord à pied pour maîtriser les enchaînements. Elle dut mémoriser les noms des différentes positions de défense et d'attaque en fonction des lignes du corps à défendre. La tierce et la sixte pour la ligne du dessus. La quinte et la quarte pour celle du dedans. La seconde et l'octave pour celle du dehors. Et la prime et la septime pour la ligne du dessous. Et même si elle ne devait pas les utiliser par la suite lorsqu'elle serait à cheval, Maï-Lô lui inculqua les déplacements fondamentaux du combat à l'épée : la marche, la retraite, la fente et l'allongement. Sans parler des bonds en avant et en arrière, la passe avant et la passe arrière, la flèche. Elle apprit enfin les trois attaques simples : le coup droit, le coupé et le dégagement.
      Dans un premier temps elle s'entraîna seule à effectuer le mieux possible les mouvements appris, sous le regard implacable de Maï-Lô. Puis la femme lui dicta des enchaînements à effectuer les uns après les autres, de plus en plus vite, jusqu'à ce qu'ils deviennent des automatismes.
      Dans un troisième temps, toujours à pieds, elle tenta de parer les attaques de son redoutable mentor. Elle titubait sous ses assauts. Mais petit à petit elle parvint à contrer ses coups. Elle effectua des parades circulaires, maîtrisa la retraite et l'esquive, et commença à contre-attaquer. Jour après jour, les échanges s'équilibrèrent et la jeune femme porta de moins en moins les marques bleutées de ses échecs.
        Enfin vint le jour où Maï-Lô la jugea prête pour se battre à l'épée et à cheval. Elle commença sur un pur-sang habitué à ce genre de combat où les contacts physiques avec l'adversaire étaient violents. Il fallait guider sa monture par le seul poids du corps et la maîtriser par les jambes et la voix, tout en encaissant le choc des armes sans être éjecté de la selle. Là aussi Eléa vida plusieurs fois les étriers sous la puissance des coups de son professeur.
–Tu t'entraîneras le plus souvent contre des hommes qui seront trop heureux de te faire mordre la poussière ! Allons ! Remonte à cheval et en garde !

       Elle s'entraîna encore et encore jusqu'à ce que les échanges deviennent plus fluides et plus rapides. Quand elle les maîtrisa suffisamment, Maï-Lô lui donna un pur-sang moins aguerri aux combats à l'épée. De nouveau, elle dut reporter son attention sur les réactions de son cheval et non plus sur les enchaînements des passes d'armes. Et de nouveau elle en paya le prix fort en bleus et autres contusions. Mais encore une fois elle parvint à allier les deux difficultés.
       Enfin, elle eut le droit de débuter la formation d'un tout jeune pur-sang. Il y eut des larmes de rage, du sang, des meurtrissures. Mais Eléa parvint à dresser son premier cheval de combat !
       Le soir elle s'écroulait, ivre de fatigue, dans son châlit de foin et sombrait dans un sommeil sans rêve.

      Un soir d'automne Maï-Lô la fit venir dans son bureau. Eléa avait seize ans. Elle était svelte, athlétique. Ses cheveux noirs avaient poussé et tombaient sur ses épaules. Ils étaient coupés régulièrement car seuls les Maistres Écuyers pouvaient les porter plus longs et les natter.
–Tu es arrivée au bout de ta formation avec moi. Tu sais que je travaille beaucoup avec les chevaux des Écuries Ducales de Noshaia. Seul le Duc, ou le Roi, peuvent t'adouber Maistre Écuyer. Je t'ai appris tout ce que tu dois savoir pour maîtriser les chevaux de combat, mais tu dois terminer ta formation avec des élèves chevaliers au Château Ducal. »

Extrait de
Le Maistre Ecuyer Royal
Léa Northmann
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