Episode I Noshaïa

                                Chapitre 1

« Les cris du nouveau-né retentirent dans la nuit. L'homme déposa l'enfant dans les bras de sa jeune mère.
–Comment vas-tu l'appeler ? demanda-t-il doucement en replaçant une mèche de cheveux trempés de sueur derrière l'oreille de sa compagne.
–Eléa... murmura celle-ci en souriant à sa fille.
Au même instant, toutes les cloches du Royaume d'Argalh se mirent à sonner. Perplexes, les deux amants se regardèrent tandis que le carillon du village résonnait. Ce n'était pas celui annonçant une attaque des Pirates venus de l'Océan Austral qui bordait la côte toute proche. Non. Les notes avaient quelque chose de décousu, de presque joyeux...
–Je vais voir ce qu'il se passe, je reviens vite.
Il embrassa le front de la jeune femme et traversa la pièce en boîtant. En passant devant la cheminée qui éclairait la chambre, il rajouta du bois. Arrivé à la porte, il attrapa sa cape et son bâton de marche. Et après un dernier sourire vers la jeune mère et l'enfant, il sortit dans la nuit froide.

En le voyant franchir le seuil de leur maison, Luna repensa avec tendresse au jour où, il y avait maintenant un peu plus d'un an, les hommes du village avaient déposé chez sa mère un matin d'hiver, le corps inconscient de son amant. Le Royaume d'Argalh était ravagé depuis des années par des guerres fratricides entre les quatre Grands Duchés. Chaque jour l'océan rejetait sur la grève des corps et des débris de navires. Les pêcheurs du port d'Iri avaient pris l'habitude d'aller « nettoyer » les plages. Pour éviter toute épidémie bien sûr, mais aussi pour récupérer les biens encore utilisables. Car le village était pauvre, coincé entre l'océan et les pentes abruptes de la cordillère de Pyra qui traversait le Royaume depuis les Hauts Glaciers du Nord.
Comme les autres habitations du bourg, leur maison était en bois noir avec un toit bas pour faire face aux vents marins. Elle était un peu à l'écart et possédait un jardin de simples, où sa mère lui avait appris à cultiver les plantes nécessaires à ses remèdes.
Sa mère. Jana la guérisseuse... Elle les avait
quittés le printemps suivant, emportée par une maladie du cœur. Elle était déjà très affaiblie quand les hommes avaient déposé l'inconnu sur son lit de soins. Elle avait accéléré la formation de Luna par le biais du blessé, afin de lui transmettre au maximum son savoir. Juste avant de mourir, elle lui avait donné la bague en Pierre de Lune en l'honneur de laquelle elle avait était nommée. Ce bijou se transmettait de mère en fille depuis des générations, seul témoin de l'ancienne lignée des Guérisseuses du Peuple des Montagnes.
Luna contempla son doigt et fit miroiter l'anneau d'argent à la lumière du feu.
–J'ai une fille moi aussi, maintenant mère... murmura-t-elle en embrassant le duvet noir qui recouvrait la tête du nouveau-né.

Elle avait quinze ans quand elle aida Jana à soigner l'inconnu. Il avait une mauvaise plaie large et profonde dans le dos, sûrement due aux combats ou au naufrage de son navire. Il resta plusieurs jours entre la vie et la mort. Il était grand, anguleux, mat de peau, âgé d'une vingtaine d'années et ses traits évoquaient des contrées lointaines. Elle ne ménagea pas ses efforts et suivit les consignes de sa mère à la lettre. Au matin du dixième jour, il avait enfin ouvert les yeux. Le regard de velours sombre s'était posé sur elle. Elle était de taille moyenne avec de grands yeux bruns en amande, et des cheveux sombres et soyeux hérités de son peuple. Il avait cru voir un ange. Il s'était raccroché à l'image douce et concentrée du visage de la jeune fille penchée sur lui. Au fil des jours, Luna avait apprécié, puis recherché, le regard insondable de son patient. Jana avait vu le lien grandir et forcir entre eux. Si cela l'inquiéta dans un premier temps, elle se rassura en pensant que sa fille ne resterait pas seule après son départ qu'elle savait proche. Elle était si jeune...
L'inconnu parlait peu. Il était sujet à de nombreux cauchemars qui le laissaient en sueur et sans force au petit matin. Sa blessure au dos avait guéri mais il garda une claudication à la jambe droite qui l'obligeait encore aujourd'hui à marcher avec un bâton.
Luna l'avait aidé à faire ses premiers pas, d'abord à l'intérieur, puis autour de la petite maison. Ils avaient pris l'habitude de marcher ensemble, même quand il était parvenu à se déplacer seul avec son bâton. Un jour il lui avait pris la main...
À la mort de Jana il était resté naturellement auprès de sa jeune amante. Les souvenirs de sa vie d'avant étaient demeurés flous. Et à quoi bon essayer de faire revivre un passé perdu alors qu'il avait trouvé un avenir si doux...

Quand il revint dans la petite maison, il s'aperçut que Luna s'était endormie. Il accrocha sa cape détrempée près du feu et s'approcha doucement du lit. Il resta ainsi de longues minutes à contempler le doux visage de sa compagne et celui de leur fille.
–Luna... Luna... »

Extrait de
Le Maistre Ecuyer Royal
Léa Northmann
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