Chapitre 2
En me réveillant j'aperçus la lueur tremblotante d'un globe lumineux au-dessus de ma tête. La terre froide et l'odeur de renfermé emplirent mes sens en même temps que la douleur traversa mon crâne.
— Aïe, murmurai-je en me redressant.
Je chassai l'impressionnante tignasse noire et crasseuse qui était encore collée par endroits à des larmes séchées.
— Oh, mais on dirait que la Belle au bois dormant vient de sortir de son long sommeil !
Je tournai la tête aussi rapidement que me le permirent mes muscles ankylosés pour découvrir un petit homme avec un crâne dégarni parsemé d'une chevelure rousse. Une barbe de plusieurs jours mangeait son visage ravagé par les cicatrices d'acné. Il portait un nombre impressionnant de couches de vêtements aux couleurs criardes. Des chaînes reliées aux murs de pierre taillée de ce qui semblait constituer notre cellule entravaient ses chevilles nues. Pour ma part, mes geôliers n'avaient visiblement pas pris la peine de m'attacher.
— En tout cas, tu as mis une sacrée pagaille ! Novak lui-même a dû intervenir. Je ne sais pas ce que tu as fait, mais ça doit être sacrément important pour qu'il s'en mêle ! Les autres voulaient te faire exploser la cervelle. Mais il a des plans pour toi apparemment. Et crois-moi, une fille comme toi, ici... je serais toi je les supplierais de m'achever sur-le-champ.
Son regard scrutateur prenait plaisir à remonter le long de mes jambes nues. Mes mâchoires se contractèrent.
— Vous devriez ranger vos yeux de pervers, crachai-je, vous avez de la bave au coin de vos lèvres.
Il s'attrapa ses côtes et explosa de rire.
— Mais c'est qu'elle a une sacrée langue, en plus, la Belle ! Tu vas foutre un satané coup de pied dans cette fourmilière, moi je te le dis !
Je levai les yeux au ciel.
— Je ne suis pas votre « Belle ». Et c'est votre langue que je vais épingler au mur si vous ne la remisez pas dans votre bouche dégueulasse.
Il soupira et se rencogna dans un renfoncement de la paroi.
Je scannais la pierre de la pièce. Des bribes de souvenirs me revenaient peu à peu. Le gobelin, les hommes en noir, mes parents... Mes parents...
Si je n'avais pas eu deux sous de bon sens, j'aurais pensé que les policiers m'avaient enfermée après que j'ai perdu connaissance. Mais depuis quand les cellules ressemblaient-elles à des grottes humides et froides ? Et pourquoi m'auraient-ils emprisonnée avec un homme ? Je n'avais absolument aucune idée de qui était ce Novak. Et pour couronner le tout, des types voulaient ma mort ? Je nageais en plein délire.
Je ramenai mes genoux sous mon menton, frémissante.
— Où sommes-nous ? Qui c'est, ce Novak ? demandai-je enfin.
Le roux s'esclaffa tant et si bien qu'il fut pris d'une violente quinte de toux.
— On dirait bien que quelqu'un a besoin de ma langue, après tout ! persifla-t-il.
Il prononça cette phrase de façon si libidineuse que ça me fila la gerbe.
— Il faut bien qu'elle serve à quelque chose, rétorquai-je. Parce qu'à part pour baver sur tout ce qui bouge, elle doit être au chômage technique depuis des lustres.
Il se frappa le crâne de la paume la main, hilare.
— Oh misère ! Tu vas me tuer, gamine !
Il essuya ses larmes d'une manche crasseuse puis daigna enfin répondre à ma question. Plus ou moins...
— Me dis pas que t'es une nouvelle ? Oh mince... t'en es une.
Il rit de plus belle, ses bras encerclant ses côtes frêles. Il commençait sérieusement à me courir sur le haricot, celui-là.
Je n'eus toutefois pas le temps de répliquer puisque la lourde porte de bois de la cellule pivota sur ses gonds pour laisser entrer quatre hommes. Le roux tourna la tête vers eux, un large sourire barrant son visage déformé.
— Et voilà la cavalerie ! Quatre pour une gonzesse ? Vous me décevez les gars ! Vous avez perdu vos balloches ou quoi ?
Ils ne lui accordèrent pas même un regard. Ils se dirigeaient droit sur moi. Mon cœur s'accéléra. Je me relevai d'un bond malgré mes muscles ankylosés par les heures passées au contact de la pierre glaciale. M'exhortant au calme, je pris une posture défensive en les voyant m'encercler.
— Ne vous approchez pas ! Ne me touchez pas !
Ces hommes n'avaient clairement jamais eu affaire à une fille avec quelques notions d'autodéfense. On avait dû leur inculquer toute leur vie que nous n'étions que de petites choses fragiles qu'il faut sauver. Un léger sourire déforma mes lèvres : ces imbéciles allaient tomber de haut lorsqu'ils chuteraient de leur piédestal.
En une fraction de seconde, j'assenai un uppercut bien senti au premier avant de faucher les jambes du second avec un balayage. L'odeur métallique du sang emplit la pièce. Une douleur intense irradia jusque dans mon avant-bras. La peau avait éclaté au point de contact entre ma main et son nez. Je me forçai à reléguer la souffrance dans mon esprit et me ruai vers la sortie. Un grand blond dégingandé se jeta sur moi, agrippant le tissu de ma robe au milieu de mon dos. Un craquement sinistre suivi d'une pluie de ricochets m'apprit que les boutons n'avaient pas survécu à l'altercation. Les pans du vêtement s'ouvrirent, mais je n'en avais que faire. Les mains poisseuses du sang de celui à qui j'avais explosé le nez tentèrent de se saisir de mes membres, mais je m'en défis avec la facilité d'une anguille. L'homme que j'avais mis à terre se redressa et me ceintura. Merde ! D'autres mains se joignirent aux siennes, m'immobilisant les bras. Je ruai comme une furie, distribuant des coups de pied dans tous les sens, griffant tout ce qui passait à portée de mes doigts.
L'autre prisonnier s'amusait comme un fou.
— Oh oh ! Une petite tigresse ! Vas-y mon p'tit, montre-leur !
— Ferme là, Hans, ou ça sera ta fête, cracha celui qui était resté près de la porte, adossé au chambranle.
C'était visiblement le commandant. Cintré dans un costume trois pièces bleu nuit qui épousait à la perfection sa maigre stature, il se tenait droit comme un I. Son visage avait la pâleur de la craie et ses orbites enfoncées dans des cernes à la noirceur inquiétante encadraient un nez à la longueur démesurée. On l'aurait dit tout droit sorti du dernier épisode de La Famille Addams.
— Mais je t'attends, mon cher... comment tu t'appelles déjà ? Insignifiant, c'est ça ? Je me ferais un plaisir de te botter le train, même attaché à ce mur !
Je profitai du fait que Hans ait détourné momentanément leur attention pour planter mes dents de toutes mes forces dans l'un des bras qui me retenaient. Le sang gicla dans ma gorge.
— Putain ! hurla-t-il. La sauvage ! Elle m'a mordu !
Une sorte d'instinct animal s'était emparé de moi. J'avais trop souvent été la victime. Dans ma tête, le mantra de mon groupe de combat tournait en boucle : « Plus jamais ça. »
Il m'avait lâché un bref instant pour tâter son bras blessé de sa main libre. Je profitai de ce court laps de temps pour faire la première chose qui passe dans l'esprit d'une femme lorsqu'elle est en danger face à un homme : je me retournai et remontai mon genou de toutes mes forces dans son entrejambe. Une sorte de couinement s'échappa de ses lèvres. Son visage prit une teinte cramoisie et il s'écroula sur le sol. Si la situation n'avait pas été aussi dramatique, je pense que j'aurais éclaté de rire. Le rouquin, lui, ne s'en priva pas. Il riait tellement qu'un sifflement suintait parfois de sa gorge tant il peinait à reprendre son souffle.
Je m'apprêtais à profiter de nouveau de la confusion générale pour attaquer l'homme qui était toujours accroché à mon bras droit lorsque j'entendis un cliquetis et que je sentis quelque chose se poser contre l'arrière de mon crâne.
— Donne-moi une bonne raison, une seule, et je réduis ta minuscule cervelle de femelle en charpie...
Je restai figée. Le dernier des quatre hommes prit la place de ma victime et ils me firent pivoter de force face à leur commandant. Comme je me l'étais imaginé, il braquait une arme à feu sur moi. Mais je n'avais jamais rien vu de tel : le canon était élancé et s'élargissait à l'extrémité comme un tromblon. Mais au lieu d'un unique trou, six orifices me faisaient face. Des fioles aux formes hétéroclites dans lesquelles tremblaient des liquides violacés rehaussaient la teinte cuivrée de l'ensemble du revolver. Je déglutis péniblement.
— Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? demandai-je en tentant de redresser la tête en signe de défi.
Comme je l'avais anticipé, ils n'étaient pas policiers. Ils ne portaient d'ailleurs pas d'uniforme. Tous étaient vêtus de noir, si l'on exceptait l'homme au costume bleu. Celui-ci allait répondre quand l'un de ses camarades l'arrêta en me propulsant vers la porte de la cellule.
— Plus tard, Nico. Novak nous attend. Il était déjà d'une humeur massacrante, je n'ai pas envie que ça nous retombe dessus. Patienter n'est pas son fort, tu le sais aussi bien que moi...
Je le vis hésiter quelques secondes. Nous nous jaugeâmes, ses yeux d'un bleu terne tirant sur le gris me toisant avec mépris. Je tremblais de tous mes membres. De peur, d'excitation, à cause du choc ? Je n'aurais su le dire, mais l'adrénaline affluait par vagues dans mes veines. La colère gonfla mes muscles. Je pris une grande inspiration et crachai de toutes mes forces sur le visage à la pâleur de nacre qui me faisait face. Le crachat dégoulina de l'étrange frange aux multiples pointes d'ébène qui ornait le front de Nicolas. Les deux saphirs se fermèrent prestement et le canon de l'arme vint se positionner violemment entre mes deux yeux.
— Nico, arrête maintenant ! On l'emmène, que tu le veuilles ou non, s'exclama l'un des hommes en éloignant le pistolet de moi.
Mon sourire s'élargit plus encore. J'aurais aimé pouvoir observer les foudres lancées par ses prunelles plus longtemps, m'en repaître, mais mes deux geôliers me sortaient déjà dans le couloir.
— À bientôt, beauté ! Je sens qu'on va bien s'entendre tous les deux ! cria Hans en ricanant.
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