Chapitre XII : L'Asile (4) (Première partie)

Jour ? Décembre 1897 :


Mon très cher frère :

Vous me manquez bien, et laissez en moi beaucoup de chagrin. Je ne saurai vous dire combien de temps encore survivrais-je, l'Enfer me semble de loin plus plaisant que le lieu où je me trouve. Pourquoi n'êtes-vous pas venu? Je suis folle de ne pas vous avoir à mes côtés... Nenni! Je suis folle d'encore espérer. Je ne veux vous décrire ce que l'on me fait à l'Asile, mes mains en tremblent rien que d'y penser... Pourquoi n'êtes-vous pas venu? Peut-être me languis-je d'espoirs vains, car nul doute que je suis prisonnière. De ce lieu, de toutes mes pensées noires... Oh! Que j'aimerai vous revoir! Me reconnaîtriez-vous, cher frère? Vous reconnaîtrais-je même? Là où je voyais auparavant des êtres vivants, charnels, charnus et mouvants, je ne vois maintenant plus que des silhouettes floues, des ombres indicibles, des formes difformes, des fantômes errant dans les Limbes de l'existence... Dieu sait que cet endroit tient davantage d'un mausolée! Dieu sait que la mort règne en ce lieu, mon pauvre Earl! La mort, la mort! Elle me prends à l'âme, si vous saviez! Oh, combien de temps encore? Combien d'infinies éternités resterez-vous muets à mes appels désespérés? Vrai, vous me retournez le coeur, pauvre cruel! Méchant frère ingrat! Ah, j'ai peine à vous dire de telles choses, si vous saviez...! Mais je crains ne plus être celle que je fus, ce lieu a fait de moi mon propre spectre... Morte! Peut-être y a-t-il encore une délicieuse brise de vie en mon âme, mais qui sait à quand elle me sera cruellement arrachée? Ce que j'ai peur, ce que j'ai peur... A quand encore faudra-t-il que je vous écrive sans aucune réponse de votre part? M'avez-vous oublié? Folie! Je refuse de me résoudre à cette pensée! Folie, folie... Mon cher frère, si cette missive vous parviens, soyez un saint et envoyez-moi une branche de romarin, elle sera un souvenir de vous que je pourrai chérir comme un corps vigoureux; elle sera un souvenir d'amour! Comme je vous aime, comme vous m'aimez! Grand Dieu, je le sais, l'un à l'autre nous sommes destinés! Sans vous, me voilà mortifiée... Sans moi, comment vous portez-vous? Et qu'en est-il de ma tendre Rose? Ma belle Rosy que j'aime? Voyez comme il est parfois malheureux d'aimer... Il me faut encore être patiente, mais je ne puis m'empêcher de pleurer... Si vous saviez! Pauvre frère, pauvre moi, où êtes-vous maintenant? Et ne reviendriez-vous pas? Et ne me reviendriez-vous pas? Vous ne viendrez donc pas... J'observe la fenêtre et voit un beau soleil là bas, ah! - Je sais que vous vous y trouvez, mais quand pourrais-je vous rejoindre...? Bientôt je le sais, je mourrai, si je ne le suis déjà... Et vous ne dites rien! Pas de nouvelles, pas un signe de vie, et moi je dépéris! Méchant frère, vous ririez-vous de mes malheurs? Nonny hey nonny! Alors chantons à ma mort, puisque vous ne viendrez pas! Nonny no nonny! Cher frère, n'oubliez pas le romarin si cette missive vous parvient. Dès lors, chantons, chantons! Nonny hey nonny! Et dans ma mort peut-être, viendront vous hanter mes funèbres nénies!

De tout mon coeur,

Dolly


Jour ? Fin Décembre 1897 :


NUMÉRO PATIENTE : C54F

MÉDECIN TRAITANT : P. Edmond

INTERNÉE A : Port Isaac's Asylum For All Kind Of Lunatics

LE : 12/11/1897

NOM(S) : Heaventon Donaelie. Joannah. Myrtle.

AGE : 22

TAILLE : 1, 77

POIDS : 56, 5

NÉE A : Village de Riverhive, compté de Rydale, Yorkshire

TROUBLES : Nymphomanie saphique, perversité, hystérie, accès de violence répétés, mensonges

REMARQUES : - La patiente C54F tend à clamer son innocence et à [...] nier la vérité

- La patiente C54F [...] dans le cadre de son traitement [...] s'approcher le moins possible de ses comparses et du personnel féminin de l'établissement

- La patiente C54F se montre assez réservée // Peu d'interaction

- La patiente C54F a aujourd'hui (18/11/97) [...] porté atteinte [...] patiente C28H (S.H) // Correction adéquate requise

- La patiente C54F a aujourd'hui (12/12/97) [...] d'une [...] crise d'hystérie de niveau 5 // Camisole requise

- La patiente C54F appelle sans cesse le dénommé "Earl" ([...]) // Hallucination ? / Bouffée délirante ? // Nécessité immédiate de [...] , [...]thérapie, sangsues

- La patiente C54F est entrée dans un état muet et végétatif // Tentative de la raisonner // Echec de toute communication // Chocs électriques requis

- La patiente C54F a [...] tenté de s'ouvrir les veines avec un morceau de verre trouvé dans sa cellule // Camisole requise // [...] requis

- La patiente C54F appelle encore le dénommé "Earl". // Fort lien avec la famille

- La patiente C54F [...]

-_________________

- La patiente C54F présente des améliorations quand à [...], mais son comportement devient instable

- Il est très difficile d'établir une quelconque logique dans l'attitude et les actions de la patiente C54F

- Positivement [...]


Noël 1897 :


Dashing through the Asylum, in a tear-sleigh trailed by our woes,

Over the corridors we go, crying all the way.

Our tied arms, making us look miserable!

Oh, what fun it will be to ride and sing a sleighing song tonight if we could.

Oh! Jingle bells, jingle bells, jingle all the hearts!

Oh, what fun it would be to ride where you're not considered as mad as a hatter!

A day or two ago, I thought I'd take a ride Over There,

And soon Miss A70C was seated by my side.

The girl was lean and loony, misfortune seemed her lot,

She climbed on the edge of a window and jumped, it's Christmas!

Oh! Jingle bells, jingle bells, jingle all the hearts!

Oh, what fun it would be to ride where you're not considered as mad as a hatter!

Oh! Jingle bells, jingle bells, jingle all the hearts!

Oh, what fun it would be to ride where you're not considered as mad as a hatter!


(Traversant à toute vitesse l'Asile, dans un traîneau de larmes tiré par nos malheurs,

A travers les couloirs nous allons, en pleurant tout le long du trajet

Avec les bras attachés, qui nous rendent misérables

Oh, quel plaisir ce serait de se promener et de chanter une chanson si nous le pouvions!

Oh, que les cloches sonnent, sonnent, dans touts les coeurs!

Oh, quel plaisir ce serait de se promener là où l'on est pas prise pour une folle à lier!

Il y a un ou deux jours, j'ai pensé à faire une promenade Là-Bas,

Et bientôt Mademoiselle A70C s'est retrouvée assise à côté de moi.

Elle était maigre et folle, le malheur avait dû beaucoup la frapper.

Elle est montée sur le rebord d'une fenêtre et a sauté, c'est Noël!

Oh, que les cloches sonnent, sonnent, dans touts les coeurs!

Oh, quel plaisir ce serait de se promener là où l'on est pas prise pour une folle à lier!

Oh, que les cloches sonnent, sonnent, dans touts les coeurs!

Oh, quel plaisir ce serait de se promener là où l'on est pas prise pour une folle à lier!)


Jour ? Début Janvier 1898 :


1 + 1 = 2

2 - 1 = 1

1 - 1 = 0

1 - (-x) = 1-x

x = y

1-x + y + 1 - 2 - CQFD : f - 1 - x + x = ?

? ? ? ? ?


Jour ? Janvier 1898 :


ACTE I, SCÈNE 1

Port Isaac's Asylum For All Kind Of Lunatics, le hall d'entrée.

Dr Philbert EDMOND (peau jaunâtre, longues mains, regard vicieux; porte une blouse de médecin), Sir Wallace DOUGHMAN (fier et empâté; porte de riches habits à la mode anglaise), Sir Teophilius HUNTER (grand et élancé, crâne dégarni, avec une coupe monacale panachée comme une crinière de lion; porte un queue-de-pie noir et un haut-de-forme) , KELLY Baker (regard mauvais, mielleuse et agressive; porte un tablier blanc d'infirmière)

KELLY, voyant deux visiteurs parcourir lentement le hall, comme s'ils cherchaient quelqu'un : Je peux vous aider, messieurs?

DOUGHMAN : Ah, bonjour mademoiselle. Sommes-nous bien au Port Isaac's Asylum For All Kind Of Lunatics?

KELLY : Oui, Précisément. Auriez-vous besoin d'un renseignement?

HUNTER, coupant Doughman, qui s'apprêtait à dire quelque chose : Nous sommes à la recherche d'une jeune fille.

KELLY : Une jeune fille, monsieur? Une disparue?

HUNTER : 'Disparue' serait un grand mot, mais voici un mois entier que je suis à sa recherche, et cette demoiselle n'a été retrouvée ni à son domicile, ni dans son village, ni même dans sa région! Désireux de la retrouver, j'ai requis la bonne aide du baron Doughman, ici présent... Il pointe son bras vers Doughman

DOUGHMAN, prends la main de Kelly et la baise rapidement : Mademoiselle. Kelly rougit pudiquement

HUNTER, poursuivant : ...Qui est un riche propriétaire terrien dans le Yorkshire. Voyez-vous, il est dans cette région un charmant petit village de campagne répondant au nom de Riverhive, où le passage des années a fécondé bien de nombreux propos concernant une demoiselle, dit-on, d'une nature plus que curieuse...

DOUGHMAN : Je confirme, j'ai moi-même était nombre de fois informé de ces rumeurs... Il était question, voyez-vous, d'une splendide jeune fille à la peau, paraît-il, pâle comme les os, aux cheveux plus blancs que la neige la plus pure, et aux yeux rougis d'une complexion sanglante. L'on disait certes d'elle bien des choses et les rumeurs les plus farfelues avaient beau aller de bon train, il était cependant une chose sur laquelle tous s'accordaient, qu'ils n'aient été amenés à rencontrer ou non ladite demoiselle; à savoir son talent apparemment exceptionnel au violoncelle...

KELLY : En voilà une macabre Muse! Et quel était son nom?

DOUGHMAN : Une certaine Heaventon, si ma mémoire est bonne... Donatellie, ou Donaelie Heaventon, il me semble.

KELLY, dérangée mais faisant de son mieux pour le cacher : Heaventon? Donaelie Heaventon? Humm... Aux yeux rouges et cheveux blancs? Hummm... Elle demeure pensive quelques instants. Hé bien, c'est vrai qu'il y a une de nos patientes qui pourrait correspondre à votre description... Ne bougez pas j'vous prie, je m'en vais chercher un médecin. Elle s'absente et revient quelques minutes plus tard, suivie par le docteur Edmond. Docteur, ces gentlemen désirent vous voir. Je crois, à propos de la patiente C54F...

EDMOND, tendant sa main, et serrant tour à tour celles de Doughman et Hunter : Bonjour, bonjour, bienvenue à l'Asile. Docteur Philbert Edmond, médecin, enchanté. A qui ais-je affaire?

DOUGHMAN : Lord Wallace Sostene Andrew Nathaniel Doughman, baron de Rydale; un de mes territoires dans le Yorkshire.

HUNTER : Teophilius Hunter, professeur de violoncelle et contrebasse au London's Royal Philarmonic Orchestra, et ami de Sa Majesté la reine Victoria.

EDMOND : Hé bien! Ce sont de grands hommes dans ce lieu où se terrent les esprits misérables! Puis-je savoir ce qui amène un baron et un proche de la reine à Port Isaac?

HUNTER : Nous recherchons une jeune fille. Une certaine Donaelie Heaventon, dont la famille logerait en les terres du baron Doughman ici présent. Est-elle ici?

EDMOND, grattant sa barbe, très sobre : Il y a effectivement une de nos patientes répondant à ce nom. Puis-je me permettre de vous demander ce qui vous amène à une résidente de cet endroit?

HUNTER : Comprenez, mister : le devoir m'y oblige. Je viens sur ordre de Sa Majesté la reine en personne!

KELLY, sans retenue : La reine? Sans blague! Pourquoi pas l'empereur de France et le Tsar de Russie, tant qu'on y est!

DOUGHMAN, outré par les propos de Kelly : C'est pourtant la pure vérité.

HUNTER : Vrai, et permettez que je vous explique : j'ai rencontré Lord Doughman alors que celui-ci entreprenait un voyage à Londres. Il m'a grandement parlé de rumeurs, dit-il, assez virulentes dans tout le Yorkshire : l'on dit qu'il est, dans un petit village campagnard du compté de Rydale, une violoncelliste à la beauté aussi fantomatique que sa virtuosité est divine. Hé bien pensez : la nouvelle s'est propagée avec plus de rapidité qu'un cheval au galop, et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, tout Londres se retrouva en peu de temps au fait des attributs que l'on suppose à cette mystérieuse mélomane. Sa Majesté elle-même! Pouvez-vous seulement le croire? Les rumeurs et ragots furent sur tant de lèvres qu'elles en vinrent jusqu'aux oreilles de Buckingham Palace! Et voilà Sa Majesté qui me convie à prendre le thé avec elle voici deux mois, et qu'elle me fasse part de son engouement pour cette fameuse violoncelliste! Elle qui aime tant la musique, elle veut maintenant savoir si l'inconnue demoiselle pourrait jouer devant elle, et pourquoi pas même intégrer, si sont talent est à l'envergure des rumeurs qui le précèdent, l'Orchestre Royal! Vous rendez-vous seulement compte? La reine Victoria en personne désire ni plus ni moins que de s'entretenir avec Donaelie Heaventon! Il marque une pause, reprends son souffle.

DOUGHMAN : Mr. Hunter et moi-même avons donc entrepris de nous rendre dans le Yorkshire, sur mes terres, dans le village de Riverhive où la jeune Donaelie était sensée résider. C'est bien simple, tout le monde refusa de nous dire quoi que ce soit à son sujet! Aucun habitant, paysan, commerçant, ne daigna nous dire un seul mot sur miss Heaventon. Et grand mal nous en fasse, il en fût de même avec sa famille; qui se montra dignement ouverte à toute conversation hormis celle qui nous intéressait, dont nous ne parvînmes à leur faire lâcher le moindre mot! Bien mis à mal, c'est ainsi que Mr. Hunter et moi-même commençâmes à errer de rumeurs en rumeurs à travers tout le Yorkshire, jusqu'à ce qu'un jeune gueux qui gardait les moutons dans un pré nous apprenne finalement, que celle que nous recherchions avait été emmenée dans un asile pour aliénés. Nous ne l'avons pas crû au début, mais le reste de sa famille et d'autres ont néanmoins approuvés ses dires. Alors, nous entreprîmes donc d'établir nos recherches au sein de tous les asiles d'Angleterre...

KELLY : Tous?

HUNTER : Hé bien, ceux où l'on nous laissait entrer. Maintenant, je me permet de vous le demander à nouveau : y a-t-il ici une de vos patientes portant le nom de Donaelie Heaventon?

EDMOND, après un court silence : Oui, il y en a bien une.

HUNTER : Oh! Miracle! Nous l'avons donc enfin trouvée!

DOUGHMAN : Le ciel soit loué!

EDMOND, s'adressant à Kelly : Miss Baker, ayez l'obligeance de faire patienter ces messieurs encore quelques instants. Je m'en vais chercher la...violoncelliste.

KELLY : Bien, monsieur. Edmond sort.


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