Chapitre XI : Le Manoir (6) [Première partie]
"A bow-shot from her bower-eaves,
He rode between the barley-sheaves,
The sun came dazzling thro' the leaves,
And flamed upon the brazen greaves
Of bold Sir Lancelot.
A red-cross knight for ever kneel'd
To a lady in his shield,
That sparkled on the yellow field,
Beside... Remote... Shalott.
The gemmy bridle glitter'd free,
Like to some branch of stars we see
Hung in the golden Galaxy.
The bridle bells rang merrily
As he rode down to Camelot:
And from his blazon'd baldric slung
A mighty silver bugle hung,
And as he rode his armour rung,
Beside... Remote... Shalott.
All in the blue unclouded weather
Thick-jewell'd shone the saddle-leather,
The helmet and the helmet-feather
Burn'd like one burning flame together,
As he rode down to Camelot.
As often thro' the purple night,
Below the starry clusters bright,
Some bearded meteor, trailing light,
Moves over still Shalott.
His broad clear brow in sunlight glow'd;
On burnish'd hooves his war-horse trode;
From underneath his helmet flow'd
His coal-black curls as on he rode,
As he rode down to Camelot.
From the bank and from the river
He flash'd into the crystal mirror,
"Tirra lirra," by the river
Sang Sir Lancelot...
She! Left the web, she left the loom,
She! Made three paces thro' the room,
She! Saw! The... Water...lily... Bloom,
She! Saw the helmet and the plume,
She look'd down to Camelot.
Out flew the web and floated wide;
The mirror crack'd from side to side;
"The curse is come upon me," cried
The Lady of Shalott!
La malédiction est sur moi, s'écria la Dame de Shalott! Ha!" Dolly se réveilla en sursaut, le front en sueur et le bas du dos glacé. Elle haleta un court instant, surprise de réaliser qu'elle avait probablement parlé durant son sommeil. Elle ne su expliquer sur le moment quelle question la tarauda le plus, entre pourquoi récitait-elle des vers en dormant, et pourquoi cette activité fût-elle employée en cette nuit à monologuer 'The Lady of Shalott'. "La malédiction est sur moi..." répéta-t-elle gravement en portant une main à son front encore humide. Ces paroles résonnèrent dans tout son corps comme un écho sourd. Alors qu'elle reprenait péniblement ses esprits, Dolly constata avec un étonnement dépaysé qu'elle n'était en aucun lieu de sa connaissance. Il s'agissait d'une chambre aux proportions cauchemardesques et tordues, aux tons fantasmagoriques et terrifiants. Rien en cette pièce ne semblait avoir été construit, meublé et décoré avec ne serais-ce qu'un semblant de logique ou d'une quelconque clairvoyance d'esprit; et n'était probablement l'oeuvre de nul autre qu'un esprit macabre et dérangé. La nausée commença à gagner Dolly, et la tête à lui tourner. Allongée dans un lit si grand qu'elle paraissait minuscule dessus, elle nota que sa robe lui avait été enlevée, ses boucles anglaises défaites, et deux draps rêches et épais comme des cordes recouvraient son corps aux allures fantomatiques. Seule une fine robe de nuit recouvrait maintenant sa peau, et ses longs cheveux blancs, détachés de la sorte, ondulaient alors jusqu'à son nombril.
Où était-elle? Les souvenirs ne s'articulaient que difficilement en son esprit, comme un mécanisme qui manquait tant d'engrenages que d'huile. Les images affluaient à son cerveau et se brouillaient aussitôt, si bien qu'elle fût parfaitement incapable de démanteler le vrai du faux de tout ce que sa mémoire lui prodigua. Des sensations qu'elle pensait ne jamais avoir ressenties la traversaient de toute part, et des paroles et des états auxquelles elle se pensait étrangère malmenaient sans interruption ses neurones encore embrumées par le sommeil. La main à son front descendit sur son visage, et glissa tout le long de son corps. Seule une chose, parmis le tourbillon de souvenirs insolubles qui l'envahissait, lui apparût néanmoins comme claire, précise, et plausible : elle avait visité le jardin intérieur du manoir en compagnie de Gwendolyn. Tous les décors et les plantes y habitant lui parurent flous, mais l'image précise du grand cyprès, du sombre tombeau et du petit champ de lys à ses pieds lui apparût très distinctement. Voilà la seule chose dont elle se souvenait pleinement. Pour le reste, rien n'était sûr. Elle se prit soudain à douter de tout, si subitement et si violemment que le souffle lui manqua un instant. Voilà que tout à coup, elle douta de ce manoir en lequel elle se trouvait, sa mystérieuse résidente, et tout ce qui s'y fit et s'y dit. Son questionnement et sa remise en cause furent si brutaux qu'elle ne fût un court instant persuadée que de son prénom : Dolly. Après quoi, toutes ces questions se dissipèrent aussi vite qu'elles étaient arrivés, et les nuages de doute dans son esprit firent place à un ciel dévoilant des idées plus claires. Pour l'heure, pensa-t-elle, la mémoire ne lui reviendrai pas en restant dans cette chambre diabolique. La jeune fille se leva alors mollement (tous ses muscles étaient engourdis), et elle franchit pieds nus le seuil de la porte : une affreuse bête toute droite et toute noire qui lui ouvrit sa gueule béante vers la sortie.
Grand couloir au bois rouge rouge rouge, c'est ce qui fit face à Dolly une fois sortie de la chambre. Grand escalier au pied duquel apparaissait soudain un bois noir noir noir, c'est ce qui apparût devant elle une fois le couloir franchi de quelques pas frivoles mais encore peu assurés. Aucun son en cette grande demeure, pas même un petit grincement d'une quelconque porte ou d'un meuble. Il régnait ici un silence royal qui n'était ni lourd ni pesant, au fond même plutôt apaisant. L'ambiance était si calme et silencieuse que l'on pouvait entendre jusqu'aux assauts désespérés d'un petit vent tout faible contre les parois du manoir, qui avait perdu beaucoup de sa véhémence par rapport à celui que Dolly avait bravé avant même d'entrer dans le manoir. Un autre souvenir lui revint subitement, si précisément qu'elle n'en douta point : Dolly se revit sur le seuil de la porte d'entrée du manoir Thrall, annonçant sa présence en faisant sonner la cloche à l'entrée malgré un vent terrible. Et elle était entrée, voilà une autre impression précise. Dolly descendit lentement les escaliers, regrettant de ne pas avoir emmené une bougie avec elle tant il faisait sombre. Et les couloirs... Glacés! Glacés! La pauvre en tremblait jusqu'aux os, elle aurait dû se couvrir davantage...
Une fois arrivée en bas des escaliers, trois directions possibles s'offrirent à elle : deux allant respectivement dans certaines pièces à droite et à gauche, et la dernière, droit devant elle, qui ne menait ni plus ni moins qu'à la porte d'entrée du manoir. Sans même réfléchir grandement, Dolly se dirigea à sa droite, et arriva dans un grand salon dont la porte n'avait pas été fermée à clé. Comme elle l'avait deviné, il s'agissait là de l'office dans lequel elle rencontra Gwendolyn pour la première fois. Où était-elle maintenant? La...vampiresse attendait, assise le dos droit sur une petite chaise rembourrée de taffetas vieillit à motif floraux. Son regard se plongeait dans la contemplation admirative, presque obsessive du violoncelle. Elle tournait le dos à Dolly, pour peu que ses observations fussent si absorbantes qu'elle ne l'entendit même pas arriver. Son viola posé sur ses genoux, Gwendolyn tenait fermement son archer comme un professeur une baguette pour corriger les élèves incompétents ou indisciplinés, et Dolly nota que ses jambes tremblaient faiblement, mais distinctement. La vampiresse n'avait de cesse de fixer le violoncelle, avec une fascination, telle, si ardente! Oh, qu'il aurait sans doute été plaisant que...
"Vous plairait-il que je joue un morceau?" demanda doucement Dolly, de mani-re si impromptue que la vampiresse en sursauta. Elle se retourna si brusquement qu'on la crûe prise d'une terreur affreuse, mais son visage rajeuni se détendit à la vue de Dolly, bien qu'encore marqué d'indicibles émotions plus troubles les unes que les autres.
"Oui... Oui, fort bien..." répliqua Gwendolyn, sa voix marquée par une assurance bancale. Dolly fit quelques pas.
"-M'accompagneriez-vous?" demanda-t-elle gentiment en posant ses deux mains pâles sur les épaules cornues de son hôte. Gwendolyn tressaillit tant que tous les petits cheveux sur sa nuque se hérissèrent d'un seul coup.
"Gwendolyn? Vous sentiriez-vous mal?" poursuivit Dolly en caressant tendrement les épaules de la muette vampiresse, la réaction de son aimée ne lui étant pas restée inaperçue.
"-Ce n'est pas à moi que cette question doit être posée..." répondit celle-ci d'un timbre guttural. Elle se leva lentement, lâchant son archer et laissant le viola glisser de ses genoux jusqu'à tomber à terre. Puis, se retournant enfin, le visage creusé de larmes amères qui coulaient sur ses joues aiguisées en deux flots que l'on aurait pu croire empoisonnés :
"Vous, Dolly?" demanda-t-elle d'un air terrible. "Comment vous sentez-vous?
-Moi...?" répéta la pâle albinos en portant une main à son coeur. "Attendez-vous de moi une réponse particulière?" hasarda-t-elle à demander après un court silence.
"-J'ai craint que vous ne me reviendriez pas... Votre présence physique était assurée, mais Dieu sait vers quels océans de folie voguaient vos terrifiantes divagations...
-Des océans... De folie...?
-Ah, belle Dolly, si vous étiez consciente de quelque chose, ce n'était certainement pas de vous même...
-Je ne comprends pas... Qu'ais-je dit, qu'ais-je fait?" Gwendolyn se retourna aussi brusquement qu'il y a peu, et murmura si bas en mettant sa main devant ses lèvres qu'elle fût seule à s'entendre. "Si elle savait... Si elle savait...!" Dolly l'enlaça par la taille et s'impatienta légèrement :
"Amour! Expliquez-moi! Parlez-moi, allons! Je me sentirai bien démunie dans mon intelligence de ne pas vous comprendre un instant de plus! Vous parliez d'océans de folie? Comment pouvez-vous me laisser dans le brouillard de métaphores si morbides? Oh, c'est bien cruel de votre part!" Gwendolyn ne dit rien, elle laissa les bras de Dolly l'étreindre amoureusement. Toutes deux avaient des corps encore plus froid qu'à l'accoutumé, et c'était alors à se demander laquelle semblait la plus à même d'être confondue avec une défunte.
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