Chapitre VIII : L'Asile (2) [Troisième partie]

"Alors faisons-la passer tout de suite." conclût finalement l'infirmière qui se tenait le plus près du bain (celle à l'accent citadin) en jetant hors de l'eau celle qu'elle était entrain de laver, qui parût bien contente que son calvaire prenne fin...

"-Kelly, tu est sûre ? Pas plutôt à la fin ?" demanda celle qui séchait les patientes et les empêchaient de bouger de leur banc avec plus d'implacabilité qu'un chien de garde.

"-Le plus tôt sera le mieux." renchérit Julie sur un timbre un peu plus doux, en commençant à détacher sans crier gare la robe de détenue de Dolly. La pauvre fille se débattit fougueusement, mais c'est que toutes les infirmières vinrent s'y mettre ! Elle eût beau demander à ce qu'on lui laisse au moins ses bas, ou même juste un simple linge de corps, mais il n'en fût rien; on la mit à nue devant tout le monde. Plus honteuse que jamais, Dolly voulût au moins cacher de ses mains ce qui ne pouvait se montrer en public, mais les infirmières l'en empêchèrent bien vite et eurent tôt fait de la jeter dans le baignoire, sous le regard effaré des patientes qui attendaient craintivement leur tour.

L'eau était trouble et grise, l'intérieur de la baignoire plus repoussant encore que son extérieur. A peine Dolly fût-elle poussée là-dedans avec moins de respect qu'on en accorderait à un prisonnier, Julie plaqua une de ses grosses mains fortes sur sa tête et la plongea sous l'eau, tandis que la dénommée Kelly l'aspergea d'un grand sceau d'eau glacé. Tout le corps de Dolly ne fût alors que frissons et tremblements. Dans une vaine tentative, veule mais vaillante, elle tenta de se débattre, de se sortir de là par tous les moyens, mais les quatre infirmières étaient entraînées à le lui en empêcher... Dolly se débattit de plus belle lorsqu'un nouveau flot froid et mordant comme un blizzard fût déversé sur son visage. Julie n'appuya que davantage sur sa tête, et semblait d'ailleurs jouir d'une grande satisfaction à cela. Elle contrôlait cette pression en fonction de la respiration de la patiente : lorsque celle-ci commençait, même la tête sous l'eau, à avoir les yeux tournés vers le vide, alors elle relâchait temporairement son emprise et laissait sa victime reprendre son souffle, pour recommencer de plus belle immédiatement cela fait. Alors que Dolly luttait de toutes ses maigres forces pour ne pas se faire noyer par l'ignoble Julie, une autre infirmière l'empêchait fermement de bouger, la frappait même un peu quand elle trouvait la patiente trop vive; complètement insensible à ses cris répétés et ses suffocations douloureuses. Kelly et la dernière infirmière lui frottaient pendant ce temps là le corps, avec une grande violence. Comme si elles lavaient leur linge, elles frottaient, frottaient, frottaient férocement, essoraient, battaient, et recommençaient. Dolly n'était plus que pleurs et soumission. Quand cela prit fin ? Combien de temps le supplice dura-t-il ? Jamais elle ne le sût, son chagrin trop grand absorbait comme une éponge les réflexions trop pénibles. Enfin, quand elle n'eût même plus la force de se mettre debout elle-même, Julie et Kelly la soulevèrent toutes deux par les bras, et la sortirent finalement du bain; ou Dolly eût bien l'impression d'y avoir laissé une partie d'elle-même... Comme si une part de celle qu'elle fût jusque là lui avait été arrachée, récurée à même son corps à grand coup de gant de toilette râpeux, jusqu'à ce que tout ne lui ait été entièrement aspiré, pompé à même son âme. Quand elle fût enfin hors de la baignoire, être nue devant une trentaine de jeunes filles et femme était désormais une de ses préoccupations les plus moindres.

"Mademoiselle a des passions inavouables ?" demanda très durement l'infirmière qui la séchait, en notant les nombreuses cicatrices qui couvraient le corps de Dolly. Toutes faîtes par son père il y a une semaine seulement, Dieu sait qu'elles étaient encore bien visibles... Des bleus, des bosses, des hématomes, des coupures de ci de là, mais surtout, les quatre grands coups de tisonnier qui barraient son corps d'autant de lourdes cicatrices rougies et boursouflées allant de ses hanches au haut de sa poitrine... Dolly ne dit rien, et l'infirmière laissa seulement échapper un "Pffft !' déçu d'entre ses lèvres sifflantes. Après quoi, on lui ordonna de s'asseoir sur le petit banc où siégeaient celles qui venaient d'expérimenter la même chose qu'elle. Julie remplaça Kelly au lavage, et la seconde vint alors monter la garde près de ces petites âmes trempées d'eau et de chagrin, qui grelottaient et claquaient des dents à n'en plus finir, en serrant leur fine serviette contre leur corps amaigri par trop de temps passé sous ce toit qui leur serait un jour fatal, d'une manière ou d'une autre. Tandis qu'une nouvelle patiente se faisait mi-laver, mi-noyer par la sadique Julie dans le bain, Kelly s'adossa contre le mur auquel était collé le banc, près de Dolly, et la fixa d'un regard si douteux que Dolly esquissa une moue triste et terrifiée qu'elle pensa être parvenue à cacher. Mais rien ne pouvait échapper aux yeux de Kelly.

"Comment ça se fait que tu sois si pâle ? Et tes cheveux blancs, tes yeux rouges..." souffla-t-elle sur un air qui pourtant, au premier abord, semblait ne rien cacher de mal.

"-C'est une maladie. Je suis ainsi depuis ma naissance..." murmura doucement Dolly, décidément de plus en plus perturbée par la manière dont la fille qui lui avait il y a peu balancé deux sceaux d'eau froide au visage conversait maintenant tranquillement avec elle. Kelly répliqua, avec une voix toujours plus détendue, presque amicale.

"-Ha oui ? Comment ça se fait ? Un gène ?

-Je crois, oui...

-Toute ta famille est comme ça ?

-Non...

-Et c'est fragile ?

-Ma peau ?

-Et le reste.

-Oui...

-Ça te fait des allergies ?

-Oui, au soleil...

-Au soleil ?

-Ma peau et mes yeux brûlent au soleil. Je ne peux pas m'y exposer...

-Ah bin... Ah bin ça... C'est vraiment pas de chance. Enfin, ça te fait un charme, j'imagine." acheva-t-elle en ayant repris un ton plus gras et faussement flatteur. Mais son regard fût le pire... Après quoi, les deux détournèrent leur regard l'une de l'autre, et elles ne s'adressèrent plus la parole. Lorsque la torture du bain fût enfin subie par toutes, les infirmières jetèrent aux patientes leur vieille robe de détenue toutes sales et les pressèrent de s'habiller en veillant à leur moindre faits et gestes. De là, quand toutes furent enfin présentables, bien que chacune tremblait à en secouer tout ses os, on les fit se ranger en rang; et Dolly se retrouva à côté d'une jeune femme qui paraissait moins souciée de sa situation que toutes les autres. Quoique, 'soucié' est peut-être exagéré. Celle-ci était plutôt grande, trop maigre, et miséreuse. Elle avançait le dos courbé, la tête dirigée vers le sol, sur lequel ne tarderaient pas à tomber sa gigantesque chevelure brune et hirsute. Elle ne bougeait pas d'un pouce, ne disait pas un mot. Son regard ne portait sur rien d'autre que le vide, en son cas dirigé vers le bas. Dolly avait déjà été comparée deux fois à un macchabée depuis son arrivée à l'Asile, mais que dire de cette pauvre fille ? Son teint n'était peut-être pas aussi pâle, et ses complexions moins surnaturelles, mais de elle et Dolly, c'était bien elle qui reflétait au mieux une image de mort... Son âme semblait lui avoir été prise, arrachée à même son corps pour ne laisser qu'une enveloppe vide. Aucune émotion, aucune expression ne venaient se loger sur son visage que personne ne voyait, et cela se ressentait à travers son corps tout entier. C'était là un corps qui avait subit. Subit quoi ? Dolly priait pour ne jamais le savoir, et plus encore pour ne jamais expérimenter ce que cette pauvre fille aurait été amenée à subir en ce lieu (car où d'autre ?). Plus que soumise, Dolly s'en persuadait et s'en terrifiait : cette pauvre fille avait été brisée. En combien de temps, par quels moyens ? Était-elle aussi une patiente d'Edmond ? Qu'importe tout cela, elle était brisée. De corps et d'âme, elle était brisée. "Dieu, que l'on ne me brise pas, par pitié !"

Voilà ce que Dolly pouvait craindre. "Je ne suis pas malade, je ne suis pas folle..." se répéta-t-elle intérieurement pour se donner du courage. Les infirmières ouvrirent la porte de la salle des bains, et firent avancer les patientes au moyen de quelques remarques acerbes et de petites claques données aux plus ramollies. Dolly et sa voisine silencieuse avancèrent sans un mot. "Je ne suis pas malade, je ne suis pas folle..." Dolly n'avait de cesse de se le répéter, car peut-être pensait-elle avoir déjà laissé une part de sa raison dans l'eau trouble du bain, où étaient également restés sa dignité et son innocence. Le bain avait lavé de sa peau et de son âme tout espoir de bons traitements, ou tout du moins de méthodes valables. Qu'était ce qu'elle et les autres venaient de subir, si ce n'est de la torture ? Rien, c'était de la torture. Voilà quel était l'instrument utilisé pour briser les patientes ici. Telle était leur voie vers la guérison.



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