Chapitre 4
Des loups, toujours plus de loups. Ils arrivent de toutes parts. Ils ne nous laissent pas une seule seconde de répits. Nous courons pour leur échapper mais, tout le monde le sait, les loups sont plus rapides.
Ce sont des monstres. Des erreurs de la nature. Leurs crocs sont pointés dans notre direction. Ils grognent à l'unisson. Nous sommes les proies, ils sont les prédateurs. J'ai tellement peur.
Ma course effrénée m'empêche de ressentir la froideur de la neige. La lumière blanche qui m'entoure est aveuglante mais, plus encore, c'est le sang écarlate maculant la neige qui me saisit d'effroi.
Je tremble. Je sanglote. Je suis seule.
— Kayla !
Mes parents ne sont plus là. Ils ne répondent pas à mes appels. Alors je décide de me taire. Me taire et attendre.
— Réveille-toi, Kayla!
Quand j'ouvre les yeux je ne vois que Riley mais mon cauchemar reste toujours en fond. Tapis sournoisement au sein de mon esprit.
— Ce n'est rien, c'est fini. Respire, intime-t-il.
Sa voix m'apaise et dès qu'il voit que je suis entièrement dans le présent il lâche mes mains et me tend un verre d'eau.
J'ai tendance à me débattre quand je suis entre le réveil et le sommeil. Ce moment où mon cauchemar vient me prendre brutalement. Je donne des coups, quand je ne hurle pas.
Une fois, Ewen m'a vu. Je m'en suis tellement voulu qu'il en ait été témoin que je ferme ma porte à clef depuis.
— Il s'est réveillé ? deviné-je.
— Je le surveillais exprès pour savoir quand venir te voir, déclare-t-il dans un grand bâillement.
Il a des cernes sous les yeux et je sais que j'en suis la cause.
— Je suis désolée...
— Je commence à avoir l'habitude depuis 10 ans, révèle-t-il dans un sourire, mais c'est vrai que ça n'aide pas quand tu n'es pas à la maison...
La raison qui m'a fait me déplacer jusqu'ici me revient en mémoire et je me renfrogne dans mon lit.
— Ça te ne plait pas de le voir chez nous, murmure-t-il.
— C'est un euphémisme.
— Je le ferais venir à nos bureaux en ville la prochaine fois... promet-il.
J'ai conscience de passer pour une gamine capricieuse mais pourtant j'acquiesce, heureuse de sa proposition.
— Tu devrais aller retrouver ta Luna, déclaré-je en me levant de mon lit.
— Il va venir te retrouver, soupire-t-il.
— Je vais gérer, assuré-je autant pour moi que pour lui.
Une fois dehors, j'emprunte un nouveau chemin dans l'espoir vain de le semer. Malheureusement, j'entends déjà ses pas derrière les miens.
— Tu fais des cauchemars toutes les nuits ? demande-t-il.
Je ne prends pas la peine de le regarder, après tout il me suit tous les matins depuis deux semaines sans dire un seul mot jusqu'à maintenant. Il aurait pu continuer dans cette voie d'ailleurs.
Je me suis presque habituée à sa présence mais ça ne veut pas dire que je la tolère.
— Oui.
— Depuis combien de temps ?
— Je n'ai pas envie de parler de ça avec toi.
Après ça, il ne dit plus rien mais il reste près de moi tout de même. Il me suit jusqu'à la maison comme s'il voulait me protéger à chaque instant. Sa présence n'est pas si dérangeante, pas vraiment.
Finalement, il finit par briser le silence qui nous entoure.
— J'ai réfléchi à ce que tu m'as dit l'autre jour, à propos d'Ewen et de votre lien.
— Je t'écoute.
— La probabilité pour qu'un loup gris ait pour âme-sœur une louve est très faible, certes, mais pas impossible. Il ne faut pas perdre espoir parce que des chiffres disent le contraire. Après tout, une humaine n'est quasiment jamais l'âme sœur d'un loup noir et, plus encore, une humaine n'est jamais la marraine d'un loup... Avec des pourcentages et des probabilités on n'irait pas très loin. Tu vois ce que je veux dire ?
— Oui, mais on n'est pas des âmes sœurs.
— Je t'assure que si. Et puis tu sais ce que peut faire un loup à son âme-sœur ?
— La garder en captivité jusqu'à la fin de sa vie ? tenté-je ironiquement
— Transmettre de l'énergie.
— Mais je te l'ai dit, il faudrait qu'il ait une âme sœur louve pour que ça fonctionne !
— Je ne parle pas du lien d'âme d'Ewen, je te parle du nôtre, rétorque-t-il posément. Nous sommes liés toi et moi, en tant que loup je peux te donner mon énergie et comme tu es toujours liés à Ewen tu pourras à ton tour lui transmettre cette énergie. Il suffit juste...que tu acceptes le lien.
Je reste interdite devant ses paroles. Notre lien peut vraiment aider Ewen ? On pourrait lui permettre d'avoir une vie normale, la même vie que les autres louveteaux de son âge. Pour cela, il suffirait juste que j'accepte le lien.
— Ce ne serait pas du chantage que tu fais là ?
Il fait une petite moue d'enfant craquante et hausse les épaules d'un air innocent.
— Qui ne tente rien n'a rien.
J'oublie soudain mes résolutions, j'oublie ma façade, j'oublie mon passé et je ris de bon cœur avec lui. Comme deux vieux amis qui se seraient retrouvés après une longue absence. Le sentiment d'oppression qui régissait mon cœur depuis toutes ces années s'envole un instant avant de revenir plus fort que jamais. Je ne dois pas oublier d'où je viens et ce qui s'est passé, jamais je ne pourrai accepter ce lien.
— Je veux que tu t'en ailles.
Il perd son sourire et me regarde surpris, mon changement d'humeur soudain doit le déconcerter. J'ai l'impression que mon cœur se déchire, comme si le lien avait commencé à se faire sentir. Aussitôt que je formule cette pensée mon âme se brise. Je pars d'abord en marchant puis lorsque je m'aperçois qu'il ne me suit pas je me mets à courir, les larmes aux yeux.
En arrivant à l'orphelinat, je fonce au dortoir et je monte les escaliers quatre à quatre. La plupart des pensionnaires dorment encore, ou du moins elles dormaient encore avant mon arrivée. Je passe la porte de ma chambre et la referme aussitôt. Mes larmes coulent aussitôt sur mes joues et mes jambes ne parviennent plus à supporter mon poids.
Je tends la main sur ma table de chevet et j'attrape le cadre photo qui se trouve dessus. J'observe la photographie en noir et blanc, ces deux personnes dont le souvenir est constamment ranimé par mes cauchemars. Puis la petite fille qui se trouve dans les bras de ma mère, ma petite sœur. Dans un an, quand je serai majeur, je pourrai la revoir et je ne la quitterai plus jamais.
En sortant de ma chambre, je découvre le regard surpris d'une de mes camarades, elle est en pyjama et ses yeux sont encore remplis de sommeil.
— Tu es venue chercher tes affaires ? demande-t-elle timidement.
— Je ne pars pas.
— Mais la directrice a dit que tu étais l'âme...
— Elle a parlé trop vite, la coupé-je immédiatement.
Je la dépasse dans le couloir et me dirige dans l'aile Est du bâtiment consacré à la direction et aux appartements des professeurs. J'entends des discussions inintelligibles dans la salle qui leur est dédiée mais je ne m'arrête que devant le bureau de Mme. Wouter. J'entre sans même frapper à la porte et je m'arrête nette en voyant que quelqu'un s'y trouve déjà. Leurs visages trahi leur surprise, je les ai probablement interrompus au beau milieu de leur conversation.
— Je suis désolé, j'aurai dû frapper, je pensais... habituellement il n'y a personne dans votre bureau, bredouillai-je mortifiée.
— Habituellement oui, vous êtes la troisième personne à y faire irruption aujourd'hui. Que puis-je faire pour vous Kayla ?
Je regarde l'homme qui est assis en face de son bureau. Je ne le reconnais pas tout de suite mais un flash me fait comprendre qu'il s'agit d'un loup garou de la meute d'Aiden. Je le revois adosser sur le capot de la voiture noire devant l'orphelinat, le jour où je venais d'apprendre que j'étais l'âme sœur d'un alpha.
— Que fait-il ici ? je demande brusquement.
— Ce jeune homme, s'entretient en lieu et place de son Alpha au sujet de votre transfert dans un lycée de Caedge.
— Quel transfert ?
— Vous ne pouvez pas arrêter vos études à votre âge, reproche-t-elle en m'irritant immédiatement. Il vous faut un métier, vous aviez, il me semble, l'intention de poursuivre vos études et de voyager ?
— Oui et j'ai toujours l'intention de faire ce que je prévoyais, clamé-je sèchement. Je ne vois pas pourquoi je ne continuerai pas mes études ici.
— Il vous sera impossible de faire des allers retours entre ce territoire et celui de Caedge pour vous rendre à l'école, s'entête-t-elle avec ennuie, de plus vos études seront plus efficaces dans un lieu proche de votre domicile.
— Mon domicile est ici au cas où vous l'auriez oublié.
— Mais ton âme s...
— Je n'ai pas d'âme sœurs ! rétorquai-je
Elle a un sursaut soudain puis regarde le jeune homme du coin de l'œil. Celui-ci ne dit toujours rien et ne bouge pratiquement pas.
— Ne vous avisez pas de me transférer.
— C'est trop tard, dit le jeune homme sur un ton très calme.
Je les regarde ébahi, mes yeux passent du jeune homme à la directrice qui ne dit mot.
— Vous aviez promis, tentai-je en dernier recours.
Elle m'avait toujours dit que je pourrais rester à l'orphelinat jusqu'à ma majorité. C'était le contrat qu'elle avait passé avec Sam, le père de Riley.
— Je regrette Kayla, souffle-t-elle en évitant mon regard. Vous devez vider votre chambre avant la fin de la semaine.
Je m'en vais en courant sans prendre le temps de refermer la porte. Je n'écoute pas ses protestations. Je ne m'excuse pas auprès des autres pensionnaires qui sortent de leur chambre.
Dehors, je découvre que la malchance me poursuit. Aiden attends, son dos négligemment appuyé contre le mur du bâtiment. Il relève la tête lorsqu'il m'entend sortir et s'apprête à me rejoindre. Mes instincts reprennent le dessus.
— Ne t'approche pas de moi ! Va-t'en ! crié-je écoeurée.
Comment ose-t-il s'immiscer dans ma vie de cette manière ?
— Kayla attend, laisse-moi t'expliquer ! implore-t-i.
— Non, il n'y a rien à expliquer ! Tu vas rentrer chez toi et tu vas me laisser tranquille ! Il est hors de question que je te suive où que ce soit. Je refuse le lien !
En disant cela, je m'éloigne de lui le plus possible en courant. Derrière moi, j'entends le bruit de ses pas alors j'accélère. Il me supplie de m'arrêter mais je ne le fais pas. Des branches me griffent les bras, dans une veine tentative pour me freiner. La douleur qui en ressort est moins forte que celle qui touche mon cœur. Je vais le plus vite possible et je crois même n'avoir jamais été aussi rapide.
Seulement, une branche, sortie de nulle part, agrippe mon pied. Mes jambes se dérobent sous moi et je tombe main en avant. Ma tête heurte violemment le sol tandis que ma jambe semble se déchirer. J'entends un craquement sonore et la douleur me fait pousser un hurlement.
Quand tout s'arrête, des mains rafraichissantes viennent encadrer mon visage et je mets un moment à voir à qui elles appartiennent, encore toute chamboulée.
— Réponds-moi, Kayla, est-ce que ça va ?
— Je crois que oui, bafouillai-je avec difficulté.
Il touche un endroit douloureux sur ma tête et sa main ressort avec un peu de sang. Mes yeux restent fixés sur cette tâche rougeâtre. Une scène atroce se rejoue dans mon esprit pour la millième fois.
— Si tu as peur de quelques gouttes de sang ne regarde pas ta jambe.
Naturellement, mon premier réflexe est de regarder ma jambe qui est, à l'inverse de sa main, couverte de sang, en plus d'avoir une plaie béante qui la traverse de part en part.
— Je t'avais dit de ne pas regarder, fait-il en rigolant.
— Tu trouves ça drôle ? m'étonné-je chancelante.
— Non, mais j'ai l'habitude, se rattrape-t-il, regarde mes yeux, seulement mes yeux.
Je fais ce qu'il demande, il a de très beaux yeux. Je décide de me concentrer sur la conversation pour oublier la douleur.
— Tu avais pourtant l'air affolé au début.
— C'était le cas.
— Pourquoi ?
— Le lien des âmes ne peut pas tout guérir. Ton front, ta jambe ce n'est pas grand-chose.
— On n'est pas des âmes-sœurs.
— Ah bon ? comment expliques-tu ça dans ce cas ?
Je regarde de nouveau ma jambe. Elle est toujours couverte de sang mais la plaie a quasiment disparu. Je cligne des yeux plusieurs fois pour être certaine qu'ils ne me jouent pas des tours.
— En revanche, comme tu n'es pas habituée à guérir aussi rapidement que les loups, ça va te faire bizarre pendant un petit moment.
Je ne dis rien, trop choquée par ce qui vient de se passer.
— Tu peux te lever ? De toute évidence non, attend je vais te porter.
Je le laisse faire sans protester car une migraine m'empêche de le faire. Il met une main dans mon dos, l'autre sous mes jambes et me soulève sans la moindre gène. Un petit sourire flotte sur ses lèvres quand je me laisse faire docilement.
— Ne prend pas ça pour une victoire.
Je lui dis ça dans un murmure en reposant ma tête contre son torse. Je me sens incroyablement fatigué. Juste avant de fermer les yeux, je me rends compte de quelque chose, il sent incroyablement bon.
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